Generoso admodum uiro raroque sapientis eloquentiae lepore decorato D. Ioanni Landano ; Landae Bougoniique in dioecesi Nannetensi domino humanissimo ; et Guilielmi Landani uulgo de la Lande procuratoris olim Britanniae generalis primogenito heredique dignissimo, Iodocus Badius Ascensius salutem dicit
Iodocus Badius Ascensius

Présentation du paratexte

Josse Bade, imprimeur et libraire de cette édition, adresse sa dédicatoire à Jean de La Lande, membre de la noblesse de Bretagne. Bade loue les trois commentateurs de Sénèque qu’il publie ensemble dans cette édition avant de présenter le texte des tragédies, qu’il recommande à ses lecteurs.

Bibliographie :
  • Édition citée dans : "Imprimeurs & libraires parisiens du XVIe siècle, II, 265.
  • - Inventaire chronologique des éditions parisiennes du XVIe siècle, II, 1514, 967.
  • - Ph. Renouard, Bibliographie des impressions et des œuvres de Josse Badius Ascensius, III, p. 252-253"
  • Notice sur cette édition dans (Renouard 1908), p. 252-253 (volume III)
  • Généralités
  • S. Marchitelli dans (Goulet-Cazé, Dorandi, et Institut des traditions textuelles 2000)
  • Sur les privilèges (Fulacher et al. 2012) p. 67-70.
  • Jean Quéniart « L’anémie provinciale » dans (Martin, Chartier, et Vivet 1983) p. 282-293.
  • « L’apparition du paratexte » p. 323 dans (Gally et Jourde 1995), p. 315-335.
  • Dédicataires :
  • • Pol Potier de Courcy, Nobiliaire et armorial de Bretagne, t. I, 1890 (lire en ligne), p. 45-46
  • Annales, Volumes 28 à 29, Société Académique de Nantes et du Département de la Loire-Inférieure, 1857, page 513.
  • Annales, Société académique de Nantes et de la Loire-Inférieure, 1860, page 74.
  • Bade
  • Pour l’activité de Bade, voir (White 2013) et particulièrement le chapitre 7 sur les éditions commentées des poètes classiques, p. 207-233.
  • Sur ses praenotamenta à Térence, voir (Leroux et Séris 2017) p. 99-102.
  • Sur la représentation que Bade donne de lui-même, ses rôles de scriptor, compilator et commentator, le chapitre 2 « Self-representation and authorship » de (White 2013), p. 34-60.
  • Sur le projet éditorial de J. Bade appréhendé à travers ses épîtres paratextuelles, voir la thèse de (Katz Simon 2016)
  • (Bade 1988).
  • Gewirtz I. M. The Prefaces of Badius Ascensius: The Humanist Printer as Arbiter of French Humanism and the Medieval, Columbia University, 2003.
  • Érasme éditeur des anciens, Érasme et Sénèque
  • P. Petitmengin « Érasme éditeur de textes antiques » dans (Stage international d’études humanistes 1972) p. 217-222.
  • Trillitzsch, W. 1965. « Erasmus und Seneca », Philologus, 109, p. 270–293.
  • Trillitzsch, W. 1971 Seneca im literarischen Urteil der Antike: Darstellung und Sammlungder Zeugnisse, Amsterdam.
  • Trillitzsch, W. 1978 « Seneca tragicus. Nachleben und Beurteilung im lateinischen Mittelalter von der Spätantike bis zum Renaissance humanismus », Philologus, 122, p. 120-136.
  • Trillitzsch, W.1981 « Erasmus von Rotterdam: Vorrede zur Seneca – Ausgabe 1515 », in Trillitzsch, W. (ed.). Der Deutsche Renaissance-Humanismus, Leipzig, 1981, p. 327-331.
  • Walter, P, 2008. « “Nihil enim huius praeceptis sanctius”: Das Seneca-Bild des Erasmus von Rotterdam », in Neymeyr, B., J. Schmidt, and B. Zimmermann (eds.). Stoizismus in der europäischen Philosophie, Literatur, Kunst und Politik : eine Kulturgeschichte von der Antike bis zur Moderne, Berlin, 2008, p. 501-524.
  • (Bierlaire 1968)
  • (Vanautgaerden 2012)
  • (White 2013)
  • Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
  • Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Traduction : Pascale PARE-REYChristian NICOLAS

Generoso admodum uiro raroque sapientis eloquentiae lepore decorato Domini Ioanni Landano, Landae Bougoniique in dioecesi Nannetensi domino humanissimo, et Guilielmi Landani, uulgo de la Lande, procuratoris olim Britanniae generalis primogenito heredique dignissimo, Iodocus Badius Ascensius salutem dicit.

À un homme parfaitement magnanime et paré du charme rare de sa sage éloquence, monsieur Jean Landanus, seigneur de la Lande et de Bougon1 montrant la plus belle humanité dans le diocèse de Nantes, fils aîné et très digne héritier de celui qui fut autrefois procureur général (du duché) de Bretagne, Guillaume Landanus, communément « de la Lande »2, Josse Bade Ascensius adresse son salut

Cum Christo domino litterisque bonis, uir litteratissime, debeam omnia, unum tamen praecipuum exsultabundo animo litteris acceptum fero, quod illarum quamtumuis tenuis modicaque in me opinio, magnorum illustriumque heroum gratiam, amoremque mihi conciliauit.

Alors que je dois tout au seigneur Jésus Christ et aux belles lettres, ô homme très cultivé, au compte de mes recettes3, j’en porte une seule principale envers les lettres avec un esprit transporté de joie : la réputation que j’ai dans leur camp, toute mince et modeste, m’a dispensé la reconnaissance et l’affection de grands et illustres héros.

Ea enim effecit, ut cum nuper uoti reus cum decentissima domina consorte tua academiam Lutetianam uiseres, in complexus meos homuncionis tantilli, tam humano, hilari, benigno amicoque uultu, et tanta lepidissimorum uerborum festiuitate praestantiam tuam demitteres, ut opere pretium peregrinationis tam longinque fecisse tibi uiderere, quod me sospitem incolumemque conspiceres neque uero salutasse iterum iterumque contentus, magnifico insuper apparatu accepisti.

Cette réputation a effectivement fait en sorte que récemment lié par les vœux à ta très respectable épouse, comme tu visitais l’Université de Paris, et livrais ton excellence à mes embrassades d’homme si modeste, avec un air si humain, si jovial, si bienveillant et amical, dans une si grande verve de mots des plus doux, que tu semblais avoir donné du prix par ton concours à un voyage si long, en m’apercevant sain et sauf, et à la vérité non content d’avoir salué encore et encore, tu m’as accueilli dans de magnifiques dispositions.

Cui humanitati cum propter locorum intercapedinem ne uerbis quidem familiaribus respondere possem, cogitaui compendium, quo multorum ore (modo multi haec lecturi sint) sed uerbis meis saluteris, omnesque expositissimae lucubrationis nostrae amatores partem mecum gratiarum agant ; quod tuo praesidio faustoque auspicio, L. Annaei Senecae tragoedias tantorum uirorum lucernis emaculatas, et nostra explanatione tam familiari nunc legunt enarratas.

Mais comme à cause de la distance, je ne pouvais répondre à ton humanité pas même par des mots amicaux, j’ai pensé à un raccourci par lequel tu serais loué par la bouche de beaucoup (à condition que beaucoup aient l’intention de lire ces lignes) mais avec mes propres mots, et par lequel tous les amateurs de notre travail de nuit, très abordable, jouent avec moi le rôle de leur reconnaissance, à savoir qu’ils lisent maintenant, grâce à ta protection et à tes heureux auspices, les tragédies de Lucius Annaeus Sénèque, purifiées grâce aux veilles de si grands hommes4 et commentées par notre explication si familière.5

In qua re (patieris enim si modicum per insipientiam glorier) tam feliciter uideor mihi insudasse, ut numquam prius.

Et dans cette entreprise (tu supporteras en effet que je me glorifie un peu bêtement) il me semble que je n’ai jamais eu autant de bonheur à suer.

Nam auctoris repositione per doctissimos uiros D. Erasmum Roterodamum, Gerardum Vercellanum, et Aegidium Maserium tam sum oblectatus, ut nullus in ipso explanando labor mihi fuerit laboriosus.

Car j’ai tellement pris de plaisir au travail de cet auteur effectué par les très savants Érasme, Gérard de Vercel et Gilles de Maizières, qu’aucun labeur de rédaction du commentaire lui-même ne m’a été laborieux.

Accesserunt sententiae ubique ut grauissimae, ita gratissimae, ea stili foecundissimi uarietate perstrictae, ut cum sexcenties eaedem occurrant semper tamen nouae, semperque diuersae uideantur.

Surgirent partout des phrases aussi graves qu’agréables, resserrées par cette variété d’un style très fécond, si bien que les mêmes peuvent intervenir six-cents fois, elles paraissent cependant toujours nouvelles et toujours différentes.

Vt uero sileam fructum legendae tragoediae omnibus perspicuum ac euidentem ; qui est summos quosque et reges et principes humanorum casuum admoneri ; cum uideant e tam sublimi solio in tam demissum quam plurimos decidisse puluerem.

Pour ne pas parler en vérité du fruit de la lecture de la tragédie, il est pour tous visible et évident : que tous les plus grands, rois et princes, soient avertis des aléas humains, en voyant combien ils ont été nombreux à mordre la poussière après avoir occupé un trône si élevé6

Non tacebo quod in nullo alio auctore tam parabilis sit ad declamationem materia atque in isto, qui in omni fere tragoedia declamatoriam facit disceptationem, nunc patris cum filia, nunc alumnae cum nutrice, nunc alius cum alio.

Je ne tairai pas que chez aucun autre auteur il n’y ait une matière aussi propice à la déclamation que chez lui, qui dans presque chaque tragédie produit un débat déclamatoire, tantôt entre père et fille, tantôt entre enfant et nourrice, tantôt entre untel avec tel autre7

Quocirca poterit indulgentissimus, et magnae spei, ut auum patremque uirtute et sapientia referat filius tuus ut consummatus orator euadat, haec poemata tuto legere ; modo meminerit ipse et quiuis alius adhuc ignotus rudisque lector, summmopere cum in aliis tum in hoc poeta animaduertendum esse ex cuius ore proferantur sententiae ; id est quo animo affectum inducat qui eas pronuntiet ; ne a Seneca assertum falso existimet, quod a tyranno aut alioqui male affecto homine prolatum est.

En conséquence, ton fils très aimable et porteur d’un grand espoir, pour imiter par sa vertu et sa sagesse son grand-père et son père, pour devenir un parfait orateur, pourra lire sans danger ces poèmes ; qu’il se souvienne seulement, lui-même et n’importe quel autre lecteur jusqu’alors ignorant et inculte, qu’il faut prêter une grande attention à d’autres auteurs et en particulier à ce poète de la bouche duquel sont proférées les sentences, c'est-à-dire (qu’il se souvienne) avec quelle intention provoque les affects celui qui les prononce ; qu’il ne retienne pas de façon erronée qu’a été affirmé par Sénèque ce qui a été proféré par un tyran ou par un homme autrement mal disposé8

Vult enim quoties umbras ad perniciei conciliationem inducit uerba iniqua proferentes, significare malos in ea peruersitate qua mortui sunt obduratos ; quoties uero tyrannum, aut scelestum quemuis hominem de peccatis aut malis suis exultantem facit, comprobat illud licet forte non legerit, peccator cum in profundum uenerit, contemnet 9.

Sénèque veut en effet, toutes les fois qu’il conduit à pencher vers le désastre des ombres prononçant des paroles iniques, signifier que les méchants sont maintenus dans la perversité qui leur a valu la mort ; toutes les fois qu’un tyran ou que n’importe quel scélérat se réjouit de ses fautes ou de ses maux10, il prouve ceci, bien que ne l’ayant sans doute pas lu : « un pêcheur, quand il aura atteint le fond, n’aura que mépris ».

Non igitur cum talis quippiam contemptor salutis suae, impia uerba profundet, dicet ex poetae sententia processisse, nisi quatenus docere uoluerit cauendum esse ne in profundum malorum ueniamus et similia sentiamus aut dicamus.

Donc quand un tel contempteur de son propre salut répandra des paroles impies, le lecteur ne dira pas qu’elles proviennent de la pensée du poète, sauf dans la mesure où ce dernier aura voulu enseigner qu’il nous faut prendre garde d’aller dans la profondeur des maux et de sentir ou dire des choses semblables.

Sed horum (ut dixi) rudes adhuc lectores admonitos uolui.

Mais de cela (comme je l’ai dit) j’ai voulu que les lecteurs encore novices en aient été avertis.

Te uero uirorum doctissime, haec citra periculum saepe perlegisse non dubito ; iterum tamen lecturum spero ; uel quod tuo nomini felicissimo dicata, uel ut iudicii nostri in tanta re periculum facias.

Quant à toi, le plus savant des hommes, je ne doute pas que tu aies lu souvent en entier ces textes hors de tout péril ; j’espère cependant que tu les liras encore une fois ; soit parce qu’ils ont été dédiés à ton très heureux nom, soit pour que tu fasses l’expérience de notre jugement dans une affaire si importante.

Quod ut facias quam primum non deprecor, sed precor ; tantum praeter solitum mihi in hac opera accreuit fiduciae ; tu tamen boni consule ac Vale.

Mais que tu le fasses dès que possible, je ne t’en supplie pas mais je t’en prie ; tellement ma confiance a grandi dans cette tâche plus qu’à l’accoutumée ; toi, cependant, veuille agréer mes salutations et porte-toi bien.

Ex calchographia nostra, ad Nonas decemb. M.D.XIIII.

De notre imprimerie, aux nones de Décembre 1514.


1. Jean de la Lande, fils aîné de Guillaume de la Lande, érudit, seigneur de Bougon à partir de 1505.
2. Guillaume de la Lande, seigneur de la Cour de Bouée et de Bougon à partir de 1470, procurateur général de Bretagne de 1473 à 1487, au service du duc François II (au pouvoir de 1458 à 1488) et de son Sergent de la Cour de Bouée. Opposé au rattachement du duché de Bretagne au royaume de France, il fut assassiné en 1489 par les soldats de Jean de Rieux Maréchal de Bretagne. La famille de la Lande de Bougon est une branche cadette des de La Lande-Machecoul, ancienne noblesse de Machecoul (Loire-Atlantique).
3. Image comptable avec fero acceptum.
4. Référence aux commentaires de Marmitta et Caietani avec lesquels celui de Bade paraît.
5. Il y a quatre sens possibles de ce familiaris : White 2013 p. 74 : « The commentary is therefore ‘familiar’ in several senses: beginner-level; user-friendly; imitative of oral discourse; and intended to familiarize or fit together classical letters and morals ».
6. Tragédies comme leçons de vie
7. Voir les schémas duo-duels identifiés par F. Dupont
8. Vérité des paroles des personnages ; paroles de Sénèque derrière ses personnages ; modèle de l’éducation antique appliqué aux dédicataires.
9. Vulg. Prov. 18.3. Verset de l’Écriture, sous la forme : impius, cum in profundum uenerit, contemnit.
10. Voir les discours des revenants dans Thyeste et Agamemnon ; voir Atrée, Médée pour les contre-modèles.