Présentation du paratexte
Daniele Caietani, un des trois commentateurs de cette édition, dédie son travail à Leonardo Mocenigo, consul et sénateur, fils de l’ancien prince Sérénissime de Venise. Dans cette « Apologie », il parle à la fois de façon circonstancielle, des liens qui l’unissent à la famille des Mocenigo, et de façon savante, en exposant la matière de cette édition ; les deux sujets sont traités avec la même rhétorique encomiastique topique des écrits dédicatoires. Cette dédicatoire figure pour la première fois dans l’édition de Seneca, Tragoediae, Matteo Capcasa, Venise, 18 juillet 1493.
Bibliographie :- Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
- Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Danielis Apologia
Argumentaire de Daniele Caietani
Ad magnificum ac generosum Leonardum Mocenigum, Serenissimi olim Venetiarum principis filium, uirum consularem et senatorem egregium Danielis Gaietani Cremonensis apologia
Au magnifique et magnanime Leonardo Mocenigo1, fils de l’ancien prince Sérénissime des Vénètes, consulaire et remarquable sénateur, apologie de Daniele Caietani de Crémone
Tragoedias L. Annaei Senecae cum ob stili grauitatem subiectumque formidabile, tum ob infrequentem raramque expositorum cum eius lectione familiaritatem prope abditas, atque in desuetudinem dilapsas, Leonarde, uir magnifice ac litteratorum patrone optime, quanta mihi licuit per trimestrem lucubrationem cura et uigilantia enarrandas assumpsi, ne si id facere detrectassem uiderer pertinaci quorumdam opinione deterritus, quod tamquam fallaces danistae, ut soli faciant foenus, in aliis liuore quodam criminant, quod ipsi facere quotidie non supersedent.
Je me suis chargé des tragédies de L. Annaeus Sénèque, restées quasiment dans l’ombre et tombées en désuétude d’une part à cause de la gravité de leur style et de leur sujet terrifiant, d’autre part à cause de la faible et rare familiarité avec les faits exposés par la lecture de cet auteur, je me suis donc chargé, Leonardo, homme magnifique et excellent patron des gens de lettres, de les commenter autant qu’un travail et une veille de trois mois m’en ont donné la possibilité, pour ne pas paraître, si j’avais refusé de le faire, effrayé par l’opinion de certains, qui font seuls du profit comme des usuriers frauduleux, en accusent d’autres, par jalousie, de ce qu’eux-mêmes ne s’abstiennent pas de faire chaque jour.
Audax (fatebor) illorum est incoeptum, qui in perscrutanda aliena secreta studium impendunt, et quod quisque senserit : non absque periculo et plerumque cum falsitatis metu confidenter ipsi uelint exponere et commentari.
Audacieuse (je l’avouerai), est l’entreprise de ceux qui s’appliquent à l’étude pour percer les secrets d’autrui et à ce sur quoi chacun a son propre sentiment : vouloir eux-mêmes résolument exposer et commenter avec confiance, non sans péril et en général sans crainte de l’erreur.
Sed ista doctis mediocriter recitanda intelligant, ne illis, qui iam pridem in castris litterarum stipendia fecerunt et donati rude, in pulcherrimo habitu gloriae et amoenissimo Musarum recessu, tranquilla ducunt otia, contra se ansa praebita sit ; quaerunt hi, ut soli sapere uideantur ; et quasi nouercae sint aliis litterae, sibi omnia arrogant, omnia uolunt, immemores ornatissimi illius adagii τῆς φυσεος προθυμίαν ἐις ἅπαντα ἱστάναι2; dicant quod uelint hi : non parcam ea profiteri, atque in aptum liberaliter fundere quam me optimi libri docuerint et auctores testatissimi.
Mais qu’ils comprennent que les érudits doivent livrer des productions avec mesure, de sorte qu’à ceux qui ont fait leur service militaire depuis longtemps déjà dans ce camp des lettres et qui, ayant reçu leur baguette3, passent tranquillement leur temps libre dans leur plus bel habit de gloire et dans la plus agréable retraite des Muses, ne soit pas donnée une occasion dont il feraient les frais ; ces gens font des recherches pour paraître les seuls à savoir ; et comme si les lettres étaient des marâtres pour les autres, ils s’arrogent tout, veulent tout, oubliant ce très élégant adage : « La nature porte à tout désirer »4/ qu’ils disent ce qu’ils veulent : je ne cesserai de proclamer et de librement proférer en public combien les meilleurs livres et les auteurs les plus autorisés m’ont appris.
Et quoniam huiuscemodi mercis commutatio,
uni magis quam alteri propria minime tradita sit nisi quantum quisque ingenio ualet
et studio, tantum et possidet 5
– et communissimus sit uolentibus litterarum usus, non
quare6 debeat quis id uitio
in altero uertere, quod si damnandum censeat, in se uno nulla defensione nulla
absolutione dignum esse facile perspiciat : carere nemo debet omni uitio quod in
alienum paratus est dicere, nisi malit, ut inquit Quintilianus, aliena quam sua uitia
reprehendi
7
Comme l’échange d’une marchandise de la sorte n’est pas la propriété attitrée de l’un plutôt que d’un autre – à moins que chacun ne possède qu’en proportion de sa valeur par son talent et de son travail (sauf si chacun possède autant qu’il vaut par son talent et son travail) – et comme la pratique des lettres est totalement accessible à ceux qui le désirent, il n’y a pas de raison pour attribuer la faute à autrui, parce que si l’on considère qu’on doit critiquer, qu’on se rende compte qu’en soi-même on n’est pas facilement digne d’être défendu ou acquitté : personne ne doit posséder un seul défaut qu’il est prêt à dénoncer chez autrui, « sauf s’il préfère », comme dit Quintilien, « que l’on critique les défauts des autres plutôt que les siens » ;
Has itaque annotatiunculas nostras quoddam ueluti instantis cantilenae praeludium tuo nomini consecratas edere non dubitaui, partem debiti erga magnificentiam tuam amoris mei testificantes, cuius amplissima beneficia, gratiam singularem, commoditates maximas, nulla mea opera, nullo officio, non ipsa denique uitae oppigneratione umquam ualeam adaequare.
C’est pourquoi je n’ai pas hésité à publier nos petites annotations que voici en prélude à la présente chanson pour ainsi dire, en les consacrant à ton nom, attestant la part de mon amour redevable envers ta magnificence, dont je n’aurais jamais la force d’égaler les très amples bienfaits, la reconnaissance singulière, les plus grandes facilités, par aucune aide de ma part, par aucune charge, par rien moins enfin que le gage de ma vie.
Tu mihi omnia non solum amici officia, sed affectum pietatemque paternam praestitisti ; tu tranquillam uitam tribuisti ; tu mihi latissimam ad graeca studia exercenda potestatem semper fecisti ; tu me honestissimis praemiis sudoris et pulueris ornasti ; neque in me uno tua tantum beneficentia perspecta est : longus ordo post me et ante me extat te patronum salutantium ; quemadmodum a natura totus clemens, et perbenignus omnibus, facilis et ad opem ferendam celerrimus semper inuentus es, ut non inmerito ornatissimis fascibus decoratam familiam tuam incertum sit an dii immortales esse maluerint quam tuis egregiis moribus praestantissimisque uirtutibus.
Toi, tu m’as non seulement garanti tous les bons offices de l’ami, mais une affection et une piété paternelles ; toi, tu m’as procuré une vie paisible ; toi, tu m’as toujours accordé la plus large possibilité de me livrer aux études grecques ; toi, tu m’as paré des décorations les plus prestigieuses pour ma sueur et ma peine ; et ce n’est pas envers moi seul que l’on a vu ta bienveillance : une longue file de clients te saluant comme patron se tient derrière et devant moi ; de même que tu es tout entier clément naturellement, et bienveillant pour tous, on t’a toujours trouvé disposé et très prompt à prêter ton aide, si bien qu’on ne sait pas si les dieux immortels ont préféré que ta famille ait été parée à juste titre des plus beaux faisceaux plutôt que de tes remarquables mœurs et de tes vertus les plus éminentes.
Qui parente principe genitus hinc, item patruo principe illinc procuratore altero redimitus, peruigilasti semper ne felix eorum memoria ex te, praeclaro nepote, minus splendoris reciperet quam tibi honoris et gloriae ipsis parentibus praestarent longa serie per tot ducta uiros ab antiquae gentis origine.
Toi qui descends d’une part d’un père princier8, et d’autre part également couronné par un oncle princier et second procurateur9, tu as toujours veillé à ce que la mémoire heureuse de ces personnes ne recueillît pas moins d’éclat venant de toi, leur illustre neveu, qu’il ne t’était accordé d’honneur et de gloire par ces parents en personne, grâce à une longue série qui s’égrène en passant par tant hommes dont l’origine remonte à une antique famille.
In eminentissimo illo Venetorum senatu ad pulcherrimos magistratus sublimiaque officia miro consensu patrum et congestissimis suffragiis promoto, ueluti alter Scipio Nasica et Fabius cognomento Ouicula electus est ; quos reipublicae ut plurimum attentior quam priuatae administrationis aequissimos habuit ; ad quae quidem amplissima merita tua hoc unum minime contemnendum, etiam accedit : quod litteras et litteratos uiros pro tua singulari modestia ingeniique amplitudine ita colis, ita obseruas, ut per Frontonem illum clarum militiae clarae togaeque decus non plus illis tributum fuerit, cuius marmoreae aedes, frequens poetarum receptaculum, quotidianae recitationis concentu semper resonabant.
Dans ce plus éminent sénat des Vénètes, Pietro a été élu aux plus belles magistratures et hautes fonctions, par un admirable consensus des pères promu par les suffrages les plus congruents, comme un nouveau Scipion Nasica10 et comme Fabius, surnommé « Ovicula » (« la petite brebis »11) ; eux qu’il considéra comme les plus justes en étant beaucoup plus soucieux de la chose publique que de l’administration privée ; aux mérites les plus amples qui te reviennent assurément, s’en ajoute un qu’on ne doit absolument pas mépriser : le fait que tu honores tant, que tu respectes tant les lettres et les hommes de lettres en vertu de ta singulière modestie et de l’ampleur de ton génie, que, chez le fameux Fronton12, l’illustre honneur de l’armée et de l’éclatante toge ne leur a pas été davantage accordé, lui dont la demeure en marbre, accueillant en nombre les poètes, résonnait toujours du concert de leur récitation quotidienne.
Et quanta polles potesque opera et diligentia, niteris praeclaram atque ingenuam subolem tuam, magnae opinionis et spei omnibus, huius potissimum patrimonii heredem scribi ; siquidem nosti ex frequenti historicorum usu, quorum assidua lectione maxime delectaris, iucundissimum tum in multis, tum in eo maxime litterarum fructum esse, quam uitam iucundam faciant et perurbanam, mox indelebilem famam largiantur.
Et aussi grands que sont l’activité et l’application par lesquels tu as le pouvoir et la puissance, tu t’efforces d’instituer ton rejeton brillant et noble, objet d’une grande estime et d’un grand espoir pour tous, comme héritier très puissant de ce patrimoine ; puisque tu as appris, à partir de la fréquentation assidue des historiens, à la lecture desquels tu prends le plus grand plaisir, que le fruit de la littérature est des plus agréables dans beaucoup de cas, et surtout dans le genre historique, dont les écrits peuvent rendre la vie agréable et spirituelle, et prodiguer une réputation qui a tôt fait de devenir indélébile.
[cur pauca sciantur] siquidem uita breuis, sensus hebes, negligentiae torpor, inutilis occupatio nos paucula scire permittunt, et eadem iugiter excutit et auellit ab animo fraudatrix scientiae inimica et infida semper memoriae nouerca obliuio, ut exemplis maiorum moueatur, quae sunt incitamenta et fomenta uirtutis.13
[pourquoi on sait peu de choses] « puisque la vie brève, les sens émoussés, l’engourdissement de la négligence, l’occupation inutile, ne nous permettent de ne savoir que très peu de choses, et que l’amnésie, marâtre de la mémoire, trompeuse ennemie de la connaissance et toujours infidèle, ébranle et repousse sans cesse loin de notre esprit, pour stimuler à partir des exemples des Anciens qui sont des aiguillons et des ferments de vertu ».
Multa legere, multa audire, multa etiam a uiris doctissimis percontari instantissime et perquam sedulo cohortaris, ne parcat in diuersis auctoribus lectionem assiduam impendere ; decies repetis et commones, unum praesertim inter alios liberos tuos, Andream, iuuenem omni modestia, omni elegantia ac bonitate compositum, mihi adprime iucundum ac fraternae cuiusdam beniuolentiae nexu coniunctissimum, qui ut acutioris ingenii et ad capessendas litteras longe accommodatioris esse uidetur, praelectis iam poetis et oratoribus multis, tandem Lucii Annaei Senecae audiendi incredibili desiderio correptus est ; cui quidem honestissimo ac prudenter examinato consilio me pro mea debita ac uirili portione morigerum ac facilem praestiti, ne, si id facere pernegarem, animus eius tam ardens tamque inflammatus ad litteras mea iam contumaci repulsa intepesceret.
Tu exhortes de manière insistante et tout à fait empressée à lire beaucoup, à écouter beaucoup, à chercher à savoir beaucoup aussi des hommes les plus instruits, pour ne pas se garder de consacrer une lecture assidue à divers auteurs ; tu recommences et le conseilles dix fois, tu exhortes donc entre autres surtout un de tes enfants, Andrea14, jeune homme fait d’une parfaite modestie, d’une élégance et d’une bonté parfaites, qui avant tout m’est agréable et très attaché par le lien d’une bienveillance quasi fraternelle, qui, pour sembler d’un esprit pénétrant et vraiment doué pour comprendre la littérature, a été saisi d’un désir incroyable d’écouter d’abord des poètes et des orateurs choisis, enfin Lucius Annaeus Sénèque ; donc face à ce dessein assurément très honnête et sagement étudié, je me suis montré, en proportion de mes dettes et de mes capacités, ouvert et favorable, pour ne pas, si je refusais de le faire, voir son esprit si échauffé et si enflammé pour les lettres se calmer dès lors par mon refus opiniâtre.
Illud quoque additur me hoc oneris collibentius subiisse, quod autem onus tam graue, tamque difficile esse potest; quod mei Andreae Mocenigi causa libenter, suppositis humeris, demissa ceruice, non assumam ?
S’ajoute aussi le fait que j’ai endossé cette charge assez volontiers, alors que cette charge peut être si lourde et si difficile ; que n’assumerais-je volontairement dans l’intérêt de mon cher Andrea Mocenigo, épaules baissées et échine courbée ?
Neu tanti auctoris maiestati inter
tragoediae scriptores clarissimi cum sententiarum grauitate uerborumque pondere, tum
personarum auctoritate quicquam per me abrogatum esse uideretur, qui in excolendo
poemate uario nitore, luculento contextu, sublimique materia usus est, multum
roboris, doctrinae plurimum, eloquentiae satis, si animaduertas, in hoc potissimum
inuenies ; ut Asinio illi Pollioni seueritate non plus
tribuendum sit, quamuis de eo eminentissimus Maro
cecinerit : [Tragici latini] Pollio
et ipse facit noua carmina
15
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Pour ne pas que semble avoir été enlevé de mon fait quoi que ce soit à la majesté d’un si grand auteur, le plus célèbre parmi les auteurs de tragédie, d’un côté par la gravité de ses pensées et par le poids de ses mots, d’un autre par l’autorité de ses personnages, lui qui a usé d’une couleur variée dans le travail de ses poèmes, d’une composition brillante, d’une matière sublime, tu trouveras chez lui principalement – si tu prêtes attention – beaucoup de force, énormément de science, assez d’éloquence ; si bien qu’on ne doit pas accorder l’avantage à Asinius Pollion en matière de sévérité, bien que le très éminent Virgile ait chanté à son sujet17 : [Les tragiques latins] « Pollion lui-même compose aussi de nouveaux poèmes » et Horace : « La Muse de la sévère tragédie est encore un peu absente des théâtres ».
Non commemorabo in praesentia Pacuuium, Accium, non
Vari
Thyestem cuilibet graecorum comparabilem, non
Pomponium illum quem ueteres parum tragicum putabant.
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Je ne rappellerai pas pour le moment Pacuvius, Accius, ni le Thyeste de Varus, qu’on peut comparer avec n’importe lequel des Grecs, ni Pomponius, « que les Anciens jugeaient trop peu tragique »
[Senecae laus] caeterum eruditione ac nitore praestantem, qui quidem si uiuerent non modo non indignanter Senecam sibi adaequari, sed etiam praeferri omnes uno ore consentiant.
[Éloge de Sénèque], mais l’emportant par son érudition et son éclat sur les autres, qui assurément, s’ils vivaient encore, consentiraient tous d’une seule voix non seulement à lui égaler Sénèque à juste titre mais encore à le préférer.
Graecos transeo antiquitatis gratia et litterarum reuerentia, qui Sophocle tragoedorum principe non leuem apud posteros gloriam consecuti sunt.
Je passe aux Grecs qui, à la faveur de leur ancienneté et par leur amour des lettres, Sophocle étant le premier des tragiques, ont acquis une gloire peu commune auprès de la postérité.
[Euripidis laus] et illo posterior Euripides, qui referente Theopompo, matrem agrestia olera uendentem habuisse dicitur, a Chaldeis iam puer pronuntiatus est in certaminibus uictor, mox physici Anaxagorae auditor et rhetoris Prodici, tragoediam scribere, natus annos duodeuiginti, adortus est.19
[Éloge d’Euripide] Et après lui, Euripide, qui, comme le rapporte Théopompe20, dit avoir eu une mère vendeuse de légumes des champs ; a été proclamé par les Chaldéens, tout jeune encore, comme devant être vainqueur dans des concours ; puis élève du physicien Anaxagore et du rhéteur Prodicos, entreprit d’écrire une tragédie à l’âge de dix-huit ans.
Mulieres mirum in modum exosus speluncam sibi elegit horridam et perquam taetram, in qua omnis tragoedias scriptitauit.
Détestant incroyablement les femmes, il a choisi une grotte horrible et vraiment repoussante, dans laquelle il a passé son temps à composer toutes ses tragédies.21
[Senecae patria, parentes, uita] At noster Seneca quanti nominis poeta, quantae auctoritatis censendus est quem inclita ac facunda protulit Corduba22, ortum L. Seneca patre, nobilissimo ciue, familia clara atque insigni sanguine percelebrem, eruditione singulari, diuitiis maximis et quod rarum in poetis reperias, fortuna admodum inuidiosa et sublimi oppido, quam conspicuus extitit.
[Patrie, parents, vie de Sénèque] En revanche notre Sénèque doit être considéré comme un poète d’un si grand renom et d’une si grande autorité, lui que la célèbre et « faconde Cordoue » a engendré, lui qui est né de son père Lucius Seneca, très honorable citoyen, célèbre membre d’une famille illustre et d’un sang insigne ; d’une singulière érudition, d’une richesse immense, et, ce qu’on trouve rarement chez les poètes, il est complètement sorti du lot par une fortune fort enviée et dépassant la mesure.
Liberalis in amicos, in aduersarios acer et uehemens semper spectatus est.
Il s’est toujours montré bienveillant envers ses amis, virulent et véhément envers ses détracteurs.
De quo Hieronymus sanctus quaedam memoria saeculorum non indigna in medium attulit ad sanctitatem et innocentiam hominis singularem23 pertinentia, qui non in speluncis ipse, non inter siluestres feras diuersatus, sublimia Neronum atria excoluit.
Et son sujet, Saint-Jérôme a porté au grand jour des événements vraiment dignes de mémoire des siècles futurs, touchant à la sainteté et à la pureté singulières de cet homme qui ne s’est pas perdu dans les grottes et parmi les bêtes sauvages des forêts, mais a honoré la haute cour des Nérons.
Vir senatorius et grauis ac meritis singularis humanitatis et prudentiae suae breui in grande peculium euectus est.
Cet homme, d’un rang sénatorial, digne, d’une humanité et d’une sagesse singulières dues à ses propres mérites, fut rapidement élevé à une grande fortune.
In philosophiae penetralibus ac secretissimis locis plane eruditus, ad scribendam tragoediam demum se contulit, in quo genere poematis quantum surgat, quam sublimis sit, quanta se tollat seueritate, quanto nitore polleat, facile iudicent eruditi ; uel illi ipsi maxime qui, ut magni silentii sunt homines, suum libratissimum iudicium non nisi ad grandes materias decernendas conseruandum duxerunt.
Parfaitement savant dans les finesses et les secrets de la philosophie, il se consacra enfin à l’écriture de la tragédie24, genre de poésie dans lequel les spécialistes jugeront facilement combien il se distingue, combien il est sublime, avec quelle gravité il s’élève, de quelle couleur il se prévaut ; et des hommes surtout qui, accordant une grande valeur au silence, ont précisément porté un avis très équilibré, ne le réservant qu’à juger de grands sujets.
Nam et illos laudo, etiam si me contemnunt ; plurimum illis debere fateor, et cedo perquam libenter, ne uidear contentione gaudere, et officiosis fateor me usurum esse laterculis dum Cornificius meus et Lauinius has nostras primitias parcius castiget, quas tamen tu, uir magnifice ac patrone perhumane, accipere interea, et quantum licuerit a publicis negotiis legere, dignaberis, quae omnia ut tuo nomini dedicata si laeta (ut soles) fronte admiseris, amplissimum uidebor meorum laborum praemium consecutus.
Car je les loue aussi, même s’ils me méprisent, j’avoue leur devoir beaucoup et me retire tout à fait volontiers, pour ne pas paraître me réjouir du conflit, et j’avoue que je me servirai de registres adéquats, , quand mes chers Cornificius et Lavinius25 corrigeront avec assez de parcimonie les débuts que je présente ; que toi cependant, homme magnifique et patron des plus humains, tu jugeras digne de recevoir entretemps, et de lire autant que les affaires publiques te le permettront ; et toutes ces choses dédiées à ton nom, si tu les accueilles (comme d’habitude) d’un air heureux, il me semblera avoir gagné la plus ample récompense pour mes travaux.
Vale.
Porte-toi bien.
Venetiis.
À Venise.