Aegidii Maserii ad Stephanum Antoniumque, lapitheos fratres iambicum carmen
Aegidius Maserius

Présentation du paratexte

Gilles de Maizières, un des trois commentateurs de l’édition, adresse un poème en sénaires iambiques à Étienne et Antoine – mystérieux frères Lapithei également honorés par lui dans un dicolon carmen publié dans son édition de la Cleopolis de Quinziano Stoa publiée la même année – sur Alde Manuce et Josse Bade. Si ce dernier fait partie des trois commentateurs qu’il publie dans cette édition, il est plus étonnant qu’il joigne Alde à son éloge. C’est que dès 1507 Avanzi avait publié des Emendationes, à Venise, chez Giovanni Tacuino : Alde avait sûrement connaissance et de ce travail et de celui sur lequel il allait déboucher, l’édition par Avanzi des tragédies en 1517, dans l’officine aldine (Alde décédera en 1515). Le poème joue sur l’effet de paire que forment les deux hommes de lettres « latin » (italien) et « gaulois » (français), en s’interrogeant de façon plaisante sur ce que serait le monde en leur absence, et en louant leurs lumières, tout en témoignant probablement, en filigrane, de la rivalité entre les deux patries de l’imprimerie.

Ce poème est en sénaires iambiques.

Bibliographie :
  • Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018,
  • Nathaël Istasse, Joannes Ravisius Textor (1492/3-1522): Un régent humaniste à Paris à l’aube de la Renaissance (Librairie Droz, 2022).
  • Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
  • Jean Quéniart « L’anémie provinciale » dans (Martin et al., 1983) p. 282-293.
  • « L’apparition du paratexte » p. 323 dans (Gally & Jourde, 1995), p. 315-335.
  • Édition citée dans :
  • "Imprimeurs & libraires parisiens du XVIe siècle, II, 265.
  • Inventaire chronologique des éditions parisiennes du XVIe siècle, II, 1514, 967.
  • Ph. Renouard, Bibliographie des impressions et des œuvres de Josse Badius Ascensius, III, p. 252-253"
  • Notice sur cette édition dans (Renouard, 1908), p. 252-253 (volume III)
  • Généralités
  • S. Marchitelli dans (Goulet-Cazé et al., 2000)
  • Sur les privilèges (Fulacher, Lhéritier, Barbier, Sicard, & Musée des lettres et manuscrits, 2012) p. 67-70.
  • Jean Quéniart « L’anémie provinciale » dans (Martin et al., 1983) p. 282-293.
  • « L’apparition du paratexte » p. 323 dans (Gally & Jourde, 1995), p. 315-335.
  • Bade
  • Pour l’activité de Bade, voir (White, 2013) et particulièrement le chapitre 7 sur les éditions commentées des poètes classiques, p. 207-233.
  • Sur ses praenotamenta à Térence, voir (Leroux & Séris, 2017) p. 99-102.
  • Sur la représentation que Bade donne de lui-même, ses rôles de scriptor, compilator et commentator, le chapitre 2 « Self-representation and authorship » de (White, 2013), p. 34-60.
  • Sur le projet éditorial de J. Bade appréhendé à travers ses épîtres paratextuelles, voir la thèse de (Katz Simon, 2016)
  • (Lebel & Bade, 1988).
  • Érasme
  • P. Petitmengin « Érasme éditeur de textes antiques » dans (Stage international d’études humanistes, 1972) p. 217-222
Traduction : Pascale PARE-REY

Aegidii Maserii ad Stephanum Antoniumque, lapitheos fratres iambicum carmen

Poème iambique de Gilles de Maizières Étienne et Antoine, frères Lapithei.

O euoluta si dedissent saecula, Aldum Latinis, Gallicis Ascensium, Notationes atque miscelanea Siccine uigerent ? Sacra si Hieronymi Dictata magni, sic prophanis auribus Foede insonarent ? Silius, Varro, Macer Informis esset ? Reddita foret comicis Versibus honestas, et tragicis ; quot perdita Mundo micarent lumina ? quot heroicis Cantata modulis gesta mentes tollerent Hebetes ? quot animos lyrica mulcedo daret Hilares? Quot humilis rusticos soccus pedes Indueret? Horror quot cothurnum porrigere Grauem in stupenti cogeret orchestra duces? Quot satyra mordax uelleret aures? Quot pedes Planos, tabulisque congruentes fabulas Hic cernere esset ? Atticis dicteria Reddita cachinnis osca quot ? quot mimica Leuitate gerras ? pallio sub graeculo Togaque latia saeuus Aiax spiculo, Atreusque natis, prole Medea, Hercule Œneis ulta sub caueae assensu graui Latera mouerent, atque praetextam pari Gestu referrent ? euolarunt proh fidem Hominum, euolarunt, quis opus nobis foret. Quodque exoriri grauius haud posset nefas, Iam deperibat Galliae et Latii decus ; Mundo creauit cum duplex lumen deus. Illustrat orbem Gallicanum Ascensius, Aldus Latinum. Gallico fundit suum Orbi ille lumen imprimens mundi decus. Interpres adhoc est uerus ut Apollo imprimens. Saepius hic orbi sumpsit alienum iubar. Sit ille Phoebus Gallicis, hic Italis Phoebe. Vnde uenti quatuor spirant leues Vtrumque lumen splendeat. Sed maxime Ascensianum, quo micanti diffluens Caligo pulsa est omnis e Seneca. Duo Cedunt minores lumini huic ignes; iubar Œtaeum sereno nubibus pulsis die Phoebo rutilanti Tyndareum cedit duplex.

Ô, si les siècles écoulés avaient donné Alde aux Latins, aux Gaulois Ascensius, les notes et les mélanges auraient-ils leur vigueur présente ? Si les saintes paroles du grand Jérôme avaient été prononcées, résonneraient-elles encore à présent de manière odieuse aux oreilles profanes ? Silius Italicus, Varron, Macer, seraient-ils sans forme ? L’honneur serait rendu aux vers comiques et tragiques ; mais combien de lumières perdues scintilleraient dans le monde ? Combien d'exploits chantés sur le mode héroïque galvaniseraient les esprits engourdis ? Combien d’âmes la douceur lyrique rendrait-elle joyeuses ? Combien de pieds rustiques l’humble socque chausserait-il ? Combien de chefs l’horreur pousserait le grave cothurne à présenter dans un orchestre stupéfait ? Combien d’oreilles la mordante satire arracherait-elle ? Combien de pieds nus, et de fables convenant aux planches serait-il possible de voir ici? Combien de sarcasmes en osque auraient été livrés aux éclats de rire attiques ? Combien de sottises livrées par la légèreté mimique ? Sous le manteau grécisant et la toge du Latium, est-ce qu’ils reprendraient une prétexte avec une gestuelle identique, et feraient mouvoir leurs membres vengés, le cruel Ajax par son javelot, Atrée par les enfants, Médée par sa descendance, la fille d’Œnée par Hercule1, avec l’assentiment sérieux des gradins ? Ils se sont envolés, j’en atteste les hommes, ils se sont envolés, ceux dont nous aurions eu besoin. Aucun sacrilège plus grave ne pourrait voir le jour ; Déjà dépérissait l’honneur de la Gaule et du Latium, Quand un dieu a créé, avec l’univers, une double lumière. Ascensius illumine le monde des Gaulois, Alde celui des Italiens. Le premier, ce merveilleux imprimeur, gloire de l’univers, répand sa propre lumière sur le monde français. Comme Apollon, c’est un véritable interprète jusque quand il imprime. Le second s’est assez souvent emparé de la lumière de l’autre au service de l’univers. Que le premier soit un Phœbus pour les Gaulois, le second une Phœbé pour les Italiens. Là où les quatre vents légers soufflent, que l’une et l’autre lumière resplendissent. Mais surtout la lumière ascensienne, grâce au scintillement de laquelle, en se dissolvant, toute obscurité a été chassée de Sénèque. Deux flammes plus petites cèdent le pas à cette lumière ; la splendeur de l’Œta, en un jour serein et sans nuages, cède le pas à un Phœbus rougeoyant, comme les deux Tyndarides2


1. Déjanire, deuxième épouse d’Hercule et jalouse d’Iole dont elle pense qu’il est amoureux, lui offrit une tunique empoisonnée qui embrase le corps du héros.
2. Les jumeaux Castor et Pollux, fils de Tyndare.