Présentation du paratexte
Avanzi s’adresse, au seuil de son édition, à un jeune prélat de la curie romaine. Sa dédicatoire manie la rhétorique traditionnelle de l’éloge, et présente son travail d’édition comme un cadeau. Plus originales sont les considérations sur l’état des manuscrits et le travail des libraires, ainsi que les images confondues du Sénèque auteur (plein de monstres) et du livre (plein de crasse), rendus à leur éclat par le travail du savant.
Bibliographie :- Pieri, Marzia, et Françoise Decroisette. « Instructions pour lire le théâtre: les exemples siennois et vénitiens du début du XVI ». Littératures classiques 83, nᵒ 1 (2014): 237.
- Billerbeck, Margarethe, Mario Somazzi, Helen Kaufmann, et L. Annaeus Seneca. Repertorium der Konjekturen in den Seneca-Tragödien. Leiden: Brill, 2009.
- Popelková, Eva, Virginie Leroux, Martin B̆až̆il, Jiří Pelán, Jean-Frédéric Chevalier, Magdaléna Jacková, Université de Recherche Paris Sciences et Lettres, et al. Les tragédies de Sénèque et leur réception dans le théâtre jésuite scolaire de la province tchèque aux XVIIe et XVIIIe siècles (1623-1773), 2019.
- Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
- Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Hieronymus Auantius Veronensis Latino Iuuenali protonotario apostolico romano patricio ornatissimo salutem plurimam dicit
Girolamo Avanzi, de Vérone, à Juvénal Latinus, protonotaire apostolique1, très distingué prélat de la curie romaine, meilleur salut
Cogitanti mihi saepenumero atque animo reuoluenti, Latine carissime, cui potius Annaei Senecae tragoedias a me magna profecto cura, multisque laboribus ac uigiliis, ueterum exemplariorum collatione auxilioque recognitas atque emendatas, quae nunc Andreae Asulani graece latinaeque linguae adiutoris egregii opera in manus hominum ueniunt, nuncuparem, tu primus eo munere dignus occuristi ; cui tum ob eximias animi ingeniique dotes, bonarum litterarum et in primis poeticae studia, quibus murifice delectaris, morum probitatem et elegantiam singularemque humanitatem tuam, tum quod auctoritate studioque tuo apud illustrissimum Venetorum senatum, dum apud eum magna omnium gratia nuntium agis Pontificum, in meis amicorumque negotiis maxime sum adiutus et afficior multum, et debeo ; cui enim alteri tragoedias heroum facta dictaque continentes, regum mores, affectusque, quasi in tabella exprimentes aequius mihi fuerat inscribere, quam tibi ?
Alors que je réfléchissais et que je méditais bien souvent en mon esprit, mon très cher Latinus, pour savoir à qui, de préférence, dédier les tragédies d’Annaeus Sénèque que j’ai inspectées et corrigées assurément avec un grand soin, en collationnant dans de nombreuses peines et veilles d’anciens manuscrits, tragédies qui sont maintenant aux mains des hommes grâce au concours d’Andrea Asolano2 ce remarquable assistant en grec et en latin, c’est toi le premier qui est apparu digne de cette faveur ; car d’un côté, vu tes exquises qualités d’esprit et de talent, vu tes études des belles lettres et surtout de la poésie, dont tu te délectes prodigieusement, vu ta probité, ton élégance et ton humanité singulières, d’un autre côté par le fait que grâce à ton autorité et à ton zèle tu œuvres comme messager pontifical auprès du très brillant sénat des Vénètes3 avec la grande reconnaissance de tous ceux qui en font partie, j’ai été très aidé et bien assisté dans mes affaires et celles de mes amis, et j’en suis reconnaissant ; dès lors, pour qui d’autre que toi aurait-il été plus juste de commenter des tragédies qui contiennent, presque comme les représentant sur un petit tableau, les actes et les paroles de héros, les mœurs et les passions des rois ?
Qui et ea urbe, quae sine controuersia clarissimorum uirorum numero, quorum uirtutibus orbis imperium obtinuit, supra caeteras longe lateque floruit et ea familia natus es, quae ibi apprime nobilis et honestissima semper est habita, atque apud principes uiros iam a puero ita educatus et in rebus gerendis ea industria, diligentia, dexteritate ac prudentia supra aetatem praeclare uersatus es, ut et ipsorum mores, ingenia, aditus probe noueris.
Toi qui en effet, es né à la fois dans cette ville, qui rapidement sans contestation des hommes les plus brillants par les vertus desquels elle a obtenu le commandement sur le monde, et s’est épanouie en long et en large au-dessus de toutes les autres, et dans cette famille, qui a toujours été ici considérée comme noble entre toutes et des plus honorables, et as ainsi été élevé dès l’enfance chez des hommes de premiers rang, et t’es brillamment impliqué dans la gestion des affaires avec une telle application, diligence, adresse et sagesse dépassant celles de ton âge que tu as bénéficié en toute probité des mœurs, talents et relations de ces gens-là aussi.
Et caritatem beneuolentiamque magna tua
cum laude abunde fueris consecutus, quandoquidem (ut ait Flaccus noster) principibus placuisse uiris non ultima laus est.
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Et tu auras atteint, grâce à ton immense mérite, beaucoup d’affection et de bienveillance puisque (comme dit notre Horace) « ce n’est pas le dernier mérite que d’avoir plu aux hommes de premier rang »
Suscipe igitur laeta fronte amici munus, pusillum quidem ac tenue, sed amoris, grati animi, obseruantiaeque in te meae, non paruum indicium etiam apud posteros remansurum.
Accueille donc d’un air joyeux cette faveur d’un ami, certes puérile et modeste, mais qui n’est pas un maigre indice de l’amour, de la reconnaissance et de la considération que j’ai pour toi, qui demeurera encore dans la postérité.
Senecamque ipsum diu semilacerum, monstrisque refertum ac squalore obsitum, iam uero reuiuiscentem, et in suum nitorem redeuntem, lege atque apud te habe ; et laborem diligentiamque meam in eo corrigendo, in quo ad tria millia errata atque inuersa loca, exemplariorum deprauatione et librariorum incuria deprehendi, et ad ueterem lectionem restitui, non improbato.
Lis aussi et conserve chez toi Sénèque en personne, longtemps à moitié déchiré, rempli de monstres et couvert de crasse, mais revenant désormais à la vie et retournant à son éclat propre ; tu n’iras pas désapprouver mon travail et ma diligence à corriger ce texte dans lequel j’ai trouvé dans les trois-mille erreurs et inversions, à cause du mauvais état des manuscrits et de l’incurie des copistes, et je l’ai rendu à son ancienne leçon.
Bene uale, et Auantium tuum ama, ut facis.
Porte-toi bien, et aime ton cher Avantius comme tu le fais.
Venetiis Nonis Octobris M. D. XVII
Venise, aux nones d’octobre 1517.