Présentation du paratexte
Reprise d'un traité métrique d'Avanzi sur le trimètre iambique, paru chez Alde en 1517. Fabricius publie dans son édition le traité métrique d’Avantius sur le trimètre iambique, où le vers est étudié de façon théorique – à chaque position sont mentionnés les pieds possibles – et pratique, puisque des exemples viennent illustrer les règles énoncées.
Bibliographie :- Billerbeck, Margarethe, Mario Somazzi, Helen Kaufmann, et L. Annaeus Seneca. Repertorium der Konjekturen in den Seneca-Tragödien. Leiden: Brill, 2009.
- Popelková, Eva, Virginie Leroux, Martin B̆až̆il, Jiří Pelán, Jean-Frédéric Chevalier, Magdaléna Jacková, Université de Recherche Paris Sciences et Lettres, et al. Les tragédies de Sénèque et leur réception dans le théâtre jésuite scolaire de la province tchèque aux XVIIe et XVIIIe siècles (1623-1773), 2019.
- Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
- Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Hieronymus Avantius Veronensis De carmine Iambico Trimetro
Jérôme Avanzi de Vérone sur le trimètre iambique
Prima sedes ultra iambum et tribrachym recipit spondeum, et spondei dissolutiones, anapaestum et proceleusmaticum, et ipsum dactylum saepissime, licet hoc neget interpres, in fine sextae tragoediae.
La première position, outre l’iambe et le tribraque, accepte le spondée, et les résolutions du spondée – l’anapeste et le procéleusmatique – et le dactyle lui-même très souvent, quoiqu’un commentateur le nie1, à la fin de la sixième tragédie2.
Secunda et quarta sedes iambo et tribrachy tantum seruiunt : ideo contra interpretes iam constantissime affero, apud Senecam in iambicis trimetris nunquam inueniri anapaestum, neque in secunda neque in quarta sede.
La deuxième et la quatrième positions sont soumises à l’iambe et au tribraque : c’est pourquoi j’avance désormais constamment, contre les commentateurs, que chez Sénèque on ne trouve jamais d’anapeste dans les trimètres iambiques, ni à la deuxième ni à la quatrième position.
Tertia sedes admittit iambum, spondeum, dactylum et tribrachym.
La troisième position admet l’iambe, le spondée, le dactyle et le tribraque.
Anapaestum uero in loco tertio nunquam
inuenies : nisi dictio ipsa fuerit quatuor syllabarum, quod accidit uersibus
uiginti, hoc uno prope Œdipeo uersu excepto :
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Mais on ne trouve jamais l’anapeste à la
troisième place, sauf s’il s’agit d'un mot de quatre syllabes, comme c’est le cas
dans vingt vers, à l’exception de ce seul vers, à peu près,
d’Œdipe4 :
Quintus locus uti saepissime, imo semper habet aut spondeum, aut anapaestum : ita iambum et dactylum nunquam assumit, nisi in nouem uersibus, quorum ultimae dictiones sunt quattuor syllabarum : “nepotibus”, “cacumine”, “Prometheus”, “Capharides”, “Polyxena”, “facinorum”, et ter : “memoria”.
La cinquième place, très souvent, ou plutôt toujours, comporte un spondée ou un anapeste ; elle ne comporte ainsi jamais d’iambe ou de dactyle, si ce n’est dans neuf vers, dont les derniers mots sont de quatre syllabes : nepotibus, cacumine, Prometheus, Capharides, Polyxena, facinorum, et trois fois : memoria.
Tribrachym quoque ter tantum usurpat in
hac sede quinta, dictionibus itidem quadrisyllabis, scilicet « Luctifica negat
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Pestifera mouent
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Luctifera gerens
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Aussi un tribraque les remplace seulement trois fois à cette cinquième place, également dans des mots quadrisyllabiques, à savoir : lūctĭ / fĭcăm nĕ / gāt (« elle rejette la <parole> douloureuse ») dans Hippolyte, pēstĭ / fĕră mŏ / uēnt (« ils agitent leurs armes funestes ») dans Hercule Furieux, lūctĭ / fĕră gĕ / rēns (« et la lumière portant à la flamme funèbre ») dans Œdipe.8
Sexta sedes semper habet unicum iambum :
licet Massarius affirmans tribrachym
inueniri in hoc ultime pede, non modo adducat illum uersum primae tragoediae,
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La sixième position comporte toujours
uniquement un iambe ; Massarius affirmant qu’on trouve un tribraque dans ce
dernier pied, peut bien non seulement amener ce vers de la première
tragédie10 :
Vbi profecto, si uetusta exemplaria
consuleris, rapit, non recipit est legendum : sed etiam citet illum uersum,
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– où certainement, si l’on consulte les
exemplaires anciens, il faut lire rapit et non
recipit – mais il peut bien encore citer ce
vers :
Sic Ascensius
Massario consentiens, non modo super
dictione « Capharides
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Ainsi Ascensius, d’accord avec Massarius, écrit non seulement, sur le mot Capharides, que c’est un spondée dans ce même sixième pied, mais il dit même qu’à la fin de la sixième tragédie15 il faut lire Virginibus teneris, pour qu’il y ait un anapeste à la dernière position du trimètre.16
Ego autem iamdiu scripsi, omnes uersus trimetros undequaque probabiles et sinceros inueniri apud Senecam, penes quem nullus est uersus scazon, nullus exlex, seu κακόμετρος, nullus hypermeter, nullus hypercatalectus, sed omnes meri acatalecti, etiam non constat ullus e iambis omnibus, quod grauium tragicorum lex decernit.
Quant à moi, j’ai depuis longtemps écrit qu’on trouve partout chez Sénèque des trimètres recommandables et impeccables, lui chez qui il n’y a aucun scazon, aucun mètre qui sort des règles, ou κακόμετρος (« mal mesuré »), aucun vers hypermètre, aucun hypercatalecte, mais tous sont de purs vers acatalectiques ; même aucun ne se compose que d’iambes, ce que la loi des nobles tragiques décrète.
Imo Seneca noster sic fuit metrorum ac syllabarum obseruantissimus, ut cum Hieronymo Aleandro litterarum et religionis cultura uiro uenerando libeat consentire, omnem Senecae uersum procul dubio deprauatum esse, quem receptas scansionis normas transgredi offenderis.
Bien plus, notre Sénèque fut très respectueux des mètres et des syllabes, de sorte qu’il nous agrée d’avoir le même avis qu’Aleandro Gerolamo17, homme à qui on doit le respect en raison de sa connaissance des lettres et de la religion, à savoir que toute la versification de Sénèque a sans doute été corrompue, quand on le voit transgresser les normes de scansion admises.
Nego praeterea collocari trochaeum in
aliqua sede uersus trimetri, unde demiror improbam quorundam audaciam, clamantium
trochaeum esse in quinta sede horum trium uersuum, quorum primus est in secunda
tragoedia,
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En outre, je ne pense pas qu’on place
un trochée en quelque position dans ce vers, d’où je m’étonne de l’audace
inconvenante de certains, proclamant qu’il y a un trochée à la cinquième position de
ces trois vers, dont le premier appartient à la deuxième tragédie :
Vide quae scripsi apud Catullum in dictione « Propontida ».
Regarde ce que j’ai écrit chez Catulle pour son « Propontida ».22
Non tamen semper producitur huiusmodi
syllaba, ut :
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Cependant une syllabe de la sorte n’est
pas toujours allongée, comme dans :
Et saepius omnes poetae hanc finalem syllabam sequentibus constantibus pro suo commodo recipiunt.
Et tous les poètes traitent assez souvent cette syllabe finale suivie d’un groupe de consonnes selon leurs besoins.
Secundus uersus est in septima tragoedia,
in qua legitur,
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Il y a un second vers de ce genre dans
la septième tragédie, où l’on peut lire :
Quin alias Catullus, Tibullus, Propertius, Ouidius,
Ausonius, et alii poetae usurpant de industria
eam pentemimerim, sed Lucanus, Senecae affinis, utrasque easdem dictiones mutuatus,
scribit :
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Bien plus, d’ailleurs, Catulle,
Tibulle, Properce, Ovide, Ausone et d’autres poètes pratiquent volontairement cette
penthémimère, mais Lucain, proche de Sénèque, change ces deux mêmes façons de
prononcer et écrit :
Quin semel Maro, semel Valerius Flaccus,
bis Lucretius, et bis Silius producit ultimam in sanguis, et legitur de Lucretia in
antiquo Epigrammate :
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Bien plus, une fois Maro, une fois
Valerius Flaccus, deux fois Lucrèce, et deux fois Silius Italicus allongent la
dernière syllabe dans sanguis et on lit à propos de
Lucrèce, dans une ancienne épitaphe :
Tertius uersus est in decima tragoedia,
ubi scriptum erat :
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Le troisième vers se trouve dans la
dixième tragédie, où il était écrit :
Itidem in tragoedia tertia est ille
uersus :
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Pareillement, dans la troisième
tragédie, il y a ce vers :
Et ipsi et alii uates saepius eas primas syllabas in Ionia uariant.
Eux-mêmes et d’autres poètes font varier ces premières syllabes sur Ionia.
Quin peritorum gratia dixerim : apud
Virgilium in eo celebri uersu Insulae Ionio in magno
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Bien plus, j’aurais dit grâce aux savants : chez Virgile, dans ce fameux vers Insulae Ionio in magno, la diphtongue du premier mot est exclue et rejetée dans la scansion ; mais on n’ajoute pas une dernière voyelle dans le mot suivant Ionio, comme cela a été préconisé par tous en général jusqu’ici.
Sic igitur scandatur iste uersus :
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C’est ainsi qu’on doit scander donc ce
vers :
Et alibi saepissime.
Et ailleurs très souvent.
Non tamen hoc recenseo, quod nesciam
diphtongum saepe retineri, sequente uocali, ut :
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Je ne recense pas cependant ce cas de
figure au motif que j’ignorerais qu’on conserve souvent la diphtongue devant
initiale vocalique, comme :
Pyrrhichius quoque nullibi admittitur in
hoc iambico, licet alii contendant esse pyrrhichium in fronte horum hemistichiorum
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Le pyrrhique n’est admis nulle part non
plus dans le vers iambique, quoique certains soutiennent qu’il y a un pyrrhique au
début de ces hémistiches :
Possem dicere inibi tribrachym esse, ut
in secunda tragoedia,
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Je pourrais dire qu’il y a un tribraque
au même endroit, comme dans la deuxième tragédie :
ut milles alias, potius tamen dicam in
illis tribus esse iambum, quia -t littera finalis saepe producitur, Ouidius :
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Comme cent fois ailleurs, je dirais
cependant plutôt qu’il y a un iambe dans ces trois vers, puisque la finale est
souvent allongée par la lettre -t ; Ovide :
Ille quoque fallitur, qui in secundo actu
octauae tragoediae legens,
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Il se trompe également, celui qui, au
deuxième acte de la huitième tragédie, en lisant :
Vt praeterea, quod sentio, exprimam, quando prima producitur, in Obiice, scriberem potius quam Obice, ut uerbum a nomine statim dignoscatur.
Pour exprimer encore ce que je pense, quand la première est allongée dans Obiice, je l’écrirais ainsi plutôt que Obice, pour qu’on distingue d’emblée le verbe du nom.62
Legerem tamen et scriberem :
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Je lirais cependant, et j’écrirais :
Vt cum in Seneca legitur pro caelestium, in eodem,
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Comme quand dans Sénèque on lit au lieu
de coelestium, dans ce même vers :
Et apud Catullum, pro Veronensium,
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Et chez Catulle, au lieu de Veronensium :
In huiusmodi ego ectasi aut molossum aut creticum pedem exhorreo, ad quem confestim absque necessitate plerique concurrunt, tamquam ad solidissimam anchoram.
Dans une ectase67 de la sorte, je rejette personnellement le molosse, ou le crétique, vers lequel se précipitent la plupart, sans aucune nécessité, comme pour s’arrimer à une ancre rassurante.
Interim haec sit nostra sententia, licet nuper secus scripserit uir eruditissimus et amicissimus, at non semper idem est unius iudicium.
En attendant, que ce soit notre position, même si récemment un homme très savant et très aimable a écrit autre chose… mais on change parfois d’avis.
Vnde quamuis haec studia (quae humanitatis appellant) rarissime, nec nisi coactus, reuisam, multas tamen inuentiunculas nostras alacriter damnaui, et (si acciderit) meipsum redarguens, scriptorum meorum ingenuus ero exactor.
Par conséquent, quoique je révise très rarement ces ouvrages (qu’on appelle « humanités ») sauf si l’on m’y force, j’ai condamné vivement cependant beaucoup de mes petites inventions, et le cas échéant, me contredisant moi-même, je serai le censeur ingénu de mes propres écrits.
Igitur repeto, in his, ut uersui conuenit, ita scribendum, nunc legentium, nunc legentum, ut annotaui in meo codice impresso in aedibus Aldi Anno 1517.
Je le répète donc, il faut écrire comme il convient selon le vers tantôt legentium, tantôt legentum, comme je l’ai noté dans mon livre imprimé chez Alde en 1517.68