Présentation du paratexte
Cette dédicatoire, antérieure de quelques mois à la parution de l’ouvrage, est adressée aux ducs Othon-Henri et Frédéric, fils de Wolfgang de Bavière. Après des lieux communs sur l’utilité des écrits anciens, de la lecture des tragiques, passant notamment par le topos des grandeurs qui s’élèvent et tombent d’autant plus haut, Fabricius lui-même recommande leur présence dans les bonnes bibliothèques et, implicitement, loue l’existence de son édition.
Bibliographie :- Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
- Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Illustris ducis ac domini D. Wolfgangi Palatini Rheni, Ducis Bauariae, Comitis Veldentii, filiis, D. D. Othoni Henrico, et Friderico fratribus salutem dat Georgius Fabricius Chemnicensis
À messieurs Othon-Henri et Frédéric1, frères, fils du duc et seigneur Wolfgang comte palatin du Rhin, Duc de Bavière2, chevalier de Veldidena3, Georg Fabricius de Chemnitz, salut.
Cum e scriptis ueterum uniuersis grata et salutaris capiatur utilitas, tum e lectione Tragicorum praecipua atque singularis.
On doit saisir l’utilité agréable et salutaire des écrits des anciens, et surtout l’utilité particulière et singulière de la lecture des tragiques.4
Nam de uiris summis‚ eorumque factis magnis et inusitatis agens, non minus eos, qui potentia eminent, etsi eos potissimum quam quemuis e uulgo, de uarietate casuum et uitae hominis multiplici calamitate informat.
Car traitant d’hommes magnifiques, de leurs faits grands et exceptionnels, elle ne représente pas moins ceux qui s’illustrent par leur puissance, et encore ceux-là plutôt que n’importe quel homme du peuple, traitant de la variété des accidents et du malheur multiforme de la vie humaine.
Quod loco positum excelso est, in oculos plurimorum incurrit, et quod uiris metuendum principibus, idem personis uilioribus potest accidere.
Ce qui s’est élevé au faîte est visible de la plupart, et ce qui est à craindre par les princes peut aussi arriver aux personnages de moindre valeur.5
Quod autem accidit omnibus, id mente et cogitatione debet praecipi, ut aut auertatur periculis aliorum, aut mitigetur ratione et constantia.
Mais ce qui arrive à tous, l’esprit et la réflexion doivent le concevoir, soit pour l’éloigner des dangers que font courir les autres, soit pour l’adoucir par la raison et la constance.
Miseriarum in uita uerissime causa prima est, in ignoratione contemptumue Dei, pietatis neglectio, et suarum uirium aut excellentiae nimia et insolens fiducia, quae nulli unquam uel illustrium heroum, uel regum clarissimorum fuit impunis.
La première cause des misères dans la vie, c’est en toute vérité, dans l’ignorance ou le mépris de Dieu, la négligence de la piété, la confiance excessive et insolente en ses propres forces et excellence, qui ne resta jamais impunie, que ce soit pour des héros illustres ou pour des rois très célèbres.6
Accedit ad hanc imperiorum cupiditas uehemens, quae ita regnat in animis, ut nulla plures ab officio deduxerit, paene inuictos ab aliis uitiis et delictis homines.
S’y ajoute l’intense passion du pouvoir, qui règne dans les esprits si bien qu’aucune n’a détourné nombre d’hommes de leur devoir, eux qui avaient presque triomphé d’autres vices et délits (presque invaincus par d’autres vices et délits).
Extrema causa, qua pudor uiolatur et integritas, turpissima est et habet belluinum quiddam in mentibus abiectis et deprauatis ignauia, otio, fortuna.
La dernière cause par laquelle la pudeur et l’intégrité sont violées est la plus honteuse et a quelque chose de bestial, dans les esprits abjects et dépravés par l’inertie, la paresse, la fortune.
In Heraclidarum, Aeacidarum et Pelopidarum familiis uidere hoc licet, quae‚ ut in Graecia celeberrimae, ita prae caeteris calamitosae fuerunt.
On peut voir cela dans les familles des Héraclides, des Éacides et des Pélopides, qui furent très célèbres en Grèce, mais aussi des plus funestes.7
Heraclidas oppressit fastus et
arrogantia, qua diis uoluerunt et esse et haberi aequales : inde superba, illa uox
est, licet a muliere profecta :
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Les Héraclides furent
accablés par le faste et l’arrogance, par laquelle ils voulurent à la fois être et
paraître égaux aux dieux : de là cette magnifique parole, quoique prononcée par
une femme9 :
Е gente Aeacidarum, quae rerum praeclare gestarum excellit magnitudine, qui secundum naturam, morte uidelicet placida interierit, inuenio neminem, quia cedere dedignitate et iure uoluerunt nemini.
Dans la lignée des Éacides, qui s’illustra brillamment par la grandeur de son histoire, je ne trouve personne qui mourut naturellement, d’une mort paisible bien sûr, parce qu’ils voulurent ne le céder en dignité et en autorité à personne.
Inter Pelopidas tanta turpitudinum
confusio, tanta caedium immanitas fuit, ut si ultio diuina nulla sit, ipsi se
inuicem ira et furiis ulti uideantur ; nam quod poeta sapiens canit :
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Chez les Pélopides
régna une si grande accumulation de turpitudes, une si grande immensité de crimes,
que s’il n’y avait aucune vengeance divine, ils sembleraient eux-mêmes vengés à leur
tour par la colère et les fureurs ; ce que chante en effet un sage poète :
Non de solo Thyeste, sed de tota illa familia flagitiis obruta dici potest.
Et on peut le dire non du seul Thyeste, mais de cette famille entière, écrasée par l’opprobre.
Verum non aulae tantum et domicilia regum, facinoribus atque sceleribus olim nomen infame habuerunt ; sed in uita etiam communi obiiciuntur facta tristia et horrenda, et in multitudinis moribus pessimis, audiuntur et cernuntur fere cotidie.
Mais non seulement les cours et les maisons des rois ont eu autrefois un renom infâme à cause de leurs forfaits et de leurs crimes ; mais dans la vie commune même se présentent des faits funestes et horribles, et dans les plus viles mœurs de la multitude, on entend et on en voit presque chaque jour.12
Quod enim unquam saeculum tam florens, quae tam sancta ciuitas, quod regnum tam bene constitutum fuit, in quo exempla flagitiorum ingentium non extiterunt ?
Quel siècle en effet fut jamais si florissant, quelle cité si sainte, quel règne si bien établi, où se sont jamais révélé des exemples d’immenses scandales ?
Ea nosse, utile est : uitare pulchrum, salubre, non imitari ; punire rectum ; abominari omni ratione omnibusque sensibus praeclarissimum.
Connaître cela, c’est utile ; l’éviter, c’est beau ; c’est sain de ne pas l’imiter ; le punir, c’est juste ; le repousser par tous les moyens et tous les sens, c’est on ne peut plus remarquable.
Itaque uoluerunt ueteres illi sapientes, scelerum poenas extare‚ et sceleratorum exitus miserabiles, simulque obiicere oculis familiarum, urbium, regnorum extirpationes et interitum, ne similia alii auderent, et perpetrare nefaria omnes homines horrescerent.
C’est pourquoi les anciens sages ont voulu révéler les châtiments des crimes, les misérables trépas des criminels, et en même temps mettre sous les yeux de leurs familles et cités l’éradication et la destruction des règnes, pour ne pas en voir d’autres oser de tels comportements et redouter que tous les hommes perpétuent des sacrilèges.
Iidem existimabant a magistris mutis, ea quae odiosa essent et acerba, accipi et admitti facilius, quam si a familiaribus et propinquis dicerentur: item si factis et euentibus peregrinis aut a memoria suorum temporum remotis, suos reges aut principes docerent, uidebant esse minus periculosum.
Les mêmes estimaient que ce qui était odieux et pénible était accueilli et admis par des maîtres muets plus facilement que si c’était dit par des familiers et des proches : de même s’ils instruisaient leurs rois ou princes par des faits et événements extérieurs, éloignés du souvenir de leur époque, ils voyaient que c’était moins dangereux.
Eam ob rem eligebant nobilissimorum quorumque exempla, quasi magis conspicua, magisque ad animos permouendos apta, quam si hominum uulgarium sumpsissent ; tum in scaenam ea producebant, ne quem omnino laterent, etiam antiquitatis et humanitatis imperitum.
Pour cette raison, ils choisissaient des exemples de tous les plus célèbres, comme s’ils étaient plus remarquables, plus propres à émouvoir, que s’ils avaient pris des exemples d’hommes ordinaires ; ils les mettaient alors en scène, pour ne pas les laisser méconnus de quiconque, même le plus ignorant de l’antiquité et de l’humanité.13
Quam graue sit admonere potentem aliquem, docet Antisthenes, quem rex Macedo per Аsiae ciuitates ludibrii causa mutilatum circumduxit ; quam non tutum obiurgare tyrannum, Zeno Eleates et Anaxarchus Abderites testantur, qui in cauis molaribus a Nearcho et Nicocreonte, sunt pilis saxeis contusi.14
Combien il importe d’adresser des avertissements à un puissant15, Antisthène nous l’apprend, lui que le roi de Macédoine16 a conduit, mutilé pour faire rire, à travers des cités d’Asie ; combien il est dangereux de réprimander un tyran, Zénon d’Éléate et Anaxarque d’Abdère en témoignent, qui ont été battus à coups de pierres par Néarque et Nicocréon dans le creux d’une meule17.
Tales exitus etiamsi terreant, tamen doctrina uirtutis et modestiae‚ et defensio ueritatis, aut libertatis fìducia, deponenda non est, sine qua uita honesta aut laudabilis non potest existere.
Même si de tels trépas terrifient, on ne doit pas abandonner le principe de vertu et de modestie, ainsi que la défense de la vérité, ou la confiance en la liberté, sans laquelle une vie honnête ou louable ne peut exister.
Quamobrem discriminis uitandi causa, et simul retinendae honestatis, haec scripta Tragicorum introducenda in domos illustres sunt, quae plus splendoris et efficaciae habent, quam ulla Philosophorum, repleta doctrinis subtilitate, uolumina.
C’est pourquoi, en vue d’éviter ce jugement et en même temps de conserver l’honnêteté, on doit introduire dans les maisons illustres les écrits des tragiques, qui ont plus d’éclat et d’efficacité qu’aucun volume des philosophes, pleins de subtilité doctrinale.18
Neque solum in tragoedia erudiuntur, qui cum potestatе sunt, sed omnis generis docentur homines, siqui aut consilii indigent, in rebus dubiis, aut consolationem expetunt, in aduersis.
Et les hommes qui sont au pouvoir ne sont pas seulement instruits dans la tragédie, mais ils apprennent <dans les œuvres> de tout genre littéraire, s’ils ont besoin d’un conseil dans l’incertitude ou recherchent une consolation dans l’adversité.
Id Timoclis antiqui Comici non uerbis quidem, sed uerborum eius sententia expressa‚ etiamsi prolixior paulo sit, ibet exponere, ut habeat maiorem auctoritatem oratio.
Il me plaît d’exposer cela non certes avec les mots du comique antique Timoclès19, mais dans l’esprit de ses mots, même s’il est un peu plus prolixe, pour que le discours ait un poids plus grand.
Is in hunc modum,
20
Celui-ci, tourné
ainsi :
Prodest igitur et uiris maximis in
quauis fortuna, et aliis22 itidem a cultu non abhorrentibus, scriptorum
tragicorum cognitio, et ad experientiam, et ad leuationem doloris, et ad multa uitae
munera ; ideo et in theatris et in bibliothecis merito locum habent, eoque magis
afficiunt atque rapiunt, quod praeter ea quae diximus, quasi natiuis plena sint
affectibus, quibus saepenumero aut spectantium oculi‚ aut animi legentium, ita
actione quadam speciosa, aut impetu acri permouentur, ut et irascantur cum Hercule,
et cum Hippolyto doleant, et lamententur cum Antigona; quod iis, qui Tragicorum
fuerint spectatores, accidisse, se recordari ait Protarchus ad
Socratem, Ἔστιν δὲ τῆς ποιήσεως δημοτερπέστατόν τε καὶ
ψυχαγωγικώτατον ἡ τραγῳδία·
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Est donc utile à la fois aux très grands hommes dans n’importe quelle situation, et de la même façon à d’autres ne détestant pas le raffinement, la connaissance des textes tragiques, pour expérimenter et soulager la douleur, et pour les nombreuses charges de la vie ; pour cela ils méritent leur place dans les théâtres et dans les bibliothèques et c’est là qu’ils touchent et ravissent davantage, parce que, outre ce que nous avons dit, comme s’ils étaient pleins de sentiments naturels, grâce auxquels soit les yeux des spectateurs soit l’esprit des lecteurs étaient bien souvent émus par une action spectaculaire ou par un vif élan, afin qu’ils se mettent en colère avec Hercule, souffrent avec Hippolyte, se lamentent avec Antigone ; et Protarque24 dit qu’il se rappelle que c’est arrivé à ceux qui ont assisté à des représentation tragiques, selon Socrate : « La tragédie est le genre poétique qui plaît le plus au peuple et qui touche le plus les âmes », comme Platon l’affirme dans le Minos.
Tam aspectu horrida Thebarum euersio, aut incendium Troiae uix fuerunt, ut in Tragoedia a captiuis mulierculis, et ab exulibus afflictis referuntur ; certe magis grandia miseraue esse non potuerunt.
La chute si horrible à voir de Thèbes, l’incendie de Troie viennent de se produire quand ils sont rapportés par des pauvres captives et des exilées affligées : à l’évidence, ils n’auraient pas pu être plus grands ou pitoyables.
Nec tamen in hoc scripti genere omnia de historiis desumpta sunt, ut Sphinx Epicharmi et Euripidis Cyclops, sed pleraque ad ueritatem accedunt, aut commodam ex natura interpretationem habent, aut monstris quibusdam tyrannos et latrones efferatos depingunt.
Et cependant dans ce genre de production écrite, tout n’est pas emprunté à l’histoire, comme le Sphinx d’Épicharme et le Cyclope d’Euripide, mais la plupart mènent à la vérité, qu’ils proposent une interprétation appropriée d’après la nature, ou qu’ils peignent des tyrans et des voleurs ensauvagés par quelques monstres.25
Excitantur ipsi ab inferis mortui, excitantur interdum furiae : ut quod uerbis nequit declarari, imagine torua aut praeter naturam facta, mire repraesentatur ; quae imago stans in orchestra et admirationem et horrorem incutit.
Sont tirés des Enfers les morts eux-mêmes, en sont tirées parfois les Furies ; ainsi ce qui ne peut être signifié par des mots, c’est par une figure menaçante ou surnaturelle que c’est représenté ; et cette figure, se tenant débout dans l’orchestra, provoque stupéfaction et horreur.
Neque enim fuit minima delectatio in illa conformatione, quam ὄψσιν Graeci uocant26, neque non uim nullam ad res ipsas animis infigendas habet, euidens et animosa descriptio.
Et en effet le plaisir n’est pas des moindres dans cette conformation que les Grecs appellent opsis (« spectacle ») , et une description claire et vivante n’est pas sans aucune force pour insinuer ces choses-là dans les esprits.
Diligens igitur et adsiduus Tragoediarum
lector ; non ut histriones aut actores illi ueteres, utrem musto repletum accipiet ;
aut (ut poeta canit) :
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Le lecteur des
tragédies est donc soigneux et attentif ; ce n’est pas qu’il recevra, comme ces
histrions ou ces acteurs d’autrefois, d’outre remplie de lie ou qu’il (comme le
chante le poète) :
Relictus ex eorum scriptorum numero apud Latinos solus est, L. Annaeus Seneca, qui etiamsi Accio aut Pacuuio, antiqua illa grauitate, neruisque ac lacertis, et incorrupta sermonis prisci puritate similis non sit, tamen in sententiis concinnandis, et expoliendis uersibus multum elaborauit, captauitque facilitatem quandam‚ naturae non inconuenientem, et, ut mihi uidetur, propemodum popularem, ac ut propius dicam, Ouidianae multis in locis similem.
Mis à part du nombre de ces auteurs, seul reste chez les Latins L. Annaeus Sénèque, qui, même s’il est différent d’Accius ou de Pacuvius qui ont cette profondeur antique, des nerfs et des muscles, une pureté sans tache de l’expression, il s’est cependant beaucoup appliqué à ajuster ses sentences, à polir ses vers, et a atteint une certaine facilité qui ne dépare pas avec la nature, et, selon moi, presque populaire, et pour parler plus justement, semblable en maints endroits à la manière ovidienne.
Dicere solitus fuit Philippus Melanthon uir clarissimus, cum de antiquioribus loqueretur, se uina uetustiora tanquam rancidula minus probare, quae tamen nonnullis uidentur optima atque suauissima.
Philippe Mélanchthon, homme très brillant, avait coutume de dire, quand il parlait des anciens, qu’il approuvait moins des vins assez vieux, pour ainsi dire un peu rances, qui paraissent cependant à quelques-uns les meilleurs et les plus doux.28
Sentit cum eo Ludouico Viues, qui ideo Latinorum ueterum libros non conseruatos scribit, quod rudes atque impoliti fuerint ; neque Fabius negat nitorem et summam manum in excolendis operibus, ipsis defuisse.29
Il a le même ressenti que ce Luis Vives30, qui écrit que c’est pour cette raison que les livres des anciens latins n’ont pas été conservés, qu’ils furent bruts et mal dégrossis ; et Quintilien ne nie pas qu’il leur a manqué le brillant et la dernière main dans le polissage de leurs œuvres.
Sed ut sensus in diuersis raro est idem, sic sententia discrepans plerumque animaduertitur.
Mais comme le ressenti est rarement identique sur des questions différentes, de même on remarque la plupart du temps un sentiment divergent.
Idem in aliis sit artibus, ut in signis Canachi et Myronis, tabulis Роlycleti et Xeuxidis : aliorum forma, propter rigiditatem, aliorum propter iucunditatem fuit comprobata.
C’est la même chose dans les autres arts, comme dans les statues de Canachus et de Myron, les tableaux de Polyclète et de Zeuxis : on a apprécié la forme des uns pour sa rigidité, celle des autres pour sa suavité.
Inter athletas Milonis toros non habuit Entellus31, sed non minus hic Segestanus illo Crotoniata nominatur.
Chez les athlètes, Entelle n’avait pas les muscles de Milon, pas plus que cet homme « de Ségeste » n’est désigné par ce qualificatif-là « de Crotone »32.
Quocirca neс antiquis horror et grauitas‚ nec recentioribus lenitas obest et elegantia, quo minus in pretio sint, et ab omnibus legantur.
En conséquence ni la sauvagerie et la profondeur des anciens, ni la douceur et l’élégance des plus récents n’empêchent qu’ils soient moins estimés et lus par tous.
Nostrum quidem Tragicum ita probauit Iohannes Regiomontanus, mathematicus excellens, ut sua eum manu diligenter et uenuste descripserit, quem librum apud Georgium Agricolam praeclarum philosophum a me uisum, adolescens contuli, et ex eodem locos plurimos deformatos iam in aliquam restitui dignitatem.
Regiomontanus33, mathématicien hors-pair, a si bien approuvé notre tragique qu’il a copié de sa propre main, avec attention et grâce, ce livre que j’avais vu chez Agricola34, brillant philosophe, que j’avais pris dans ma jeunesse, et à partir duquel j’ai désormais rendu à une certaine dignité nombre de lieux altérés.
Hic labor meus, ut sit studiosis acceptior, ad uos fratres principes, et Domini illustres, Otho Henrice, et Friderice, iam defertur, honoris et obseruantiae causa.
Mon travail, pour qu’il soit assez bien reçu par les érudits, vous est dès lors présenté, frères princiers et illustres seigneurs, Othon-Henri et Frédéric, à titre d’honneur et de considération.
Nam cum in hac aetate uiridi, auspicio optimi et sapientissimi principis patris uestri, ingressi sitis iter uirtutis‚ et maiorum amplissimorum laudibus gloriaeque responsuri uideamini, existimaui uos decere post pietatis Christianae praeceptiones, talia scripta euoluere, eruditionis gratia ; de quibus cum multa inter familiares uestros uiros honestos et peritos, et a Martino Kepiero, bono et erudito homine, tum a fratrum uestrorum magistro, uiro doctissimo Petro Agricola audiatis saepissime, plura ad uos scribere, non conuenit, neque est necesse.
En effet, comme dans cet âge vigoureux, sous la protection d’un prince très bon et très sage, votre père, vous avez pris le chemin de la vertu et que vous semblez devoir être à la hauteur des éloges et de la gloire de vos aînés les plus imposants, j’ai estimé qu’il vous convenait, après les prescriptions de la foi du Christ, de parcourir de tels écrits, pour votre culture ; et parmi ceux-ci, comme vous en entendez très souvent beaucoup, au milieu de vos familiers, des hommes honnêtes et d’expérience, de la part de Martin Kepier35, homme bon et cultivé, et de la part de celui qui fut alors le maître de vos frères, le très savant Pierre Agricola36, il ne convient pas et n’est pas nécessaire de vous en écrire davantage.37
Tradit auctor nobilis, et boni
imperatoris doctor Plutarchus, χαλεπὸν εἶναι φωνὴν ἐχούσῃ πόλει καὶ μοῦσαν
ἀπεχθάνεσθαι
38
Plutarque, auteur connu, et précepteur d’un bon prince, rapporte qu’il est « dangereux de s'attirer la haine d'une ville dont la langue est cultivée, et où les Muses sont en honneur », en parlant d’Athènes ; on dit la même chose à bien meilleur droit de la cour d’un prince juste et magnanime, de celui qui connaît évidemment la doctrine du Christ et a véhiculé les enseignements utiles de l’Église ; et c’est ce que des hommes illustres clament d’un héros éminent, votre père, et ils affirment que vous vous tenez dans les traces qu’ils ont louées.
Ideo principi summo, patri uestro bene precantur uere pii et docti homines, et qui cupidi literarum sunt, uobis literarum et pietatis patronis‚ optant esse commendati.
Pour cela, des hommes vraiment pieux et savants, et qui aiment la littérature, prient bien pour votre père, et souhaitent vous être, patrons de la littérature et de la piété, agréables.
Valete. E ludo illustri Miseno, pridie Cal. Sept. M. D. LXV
Portez-vous bien. De la brillante école de Meissen39, la veille des calendes de septembre 1565.