Illustris ducis ac domini D. Wolfgangi Palatini Rheni, Ducis Bauariae, Comitis Veldentii, filiis, D. D. Othoni Henrico, et Friderico fratribus salutem dat Georgius Fabricius Chemnicensis
Georgius Fabricius

Présentation du paratexte

Cette dédicatoire, antérieure de quelques mois à la parution de l’ouvrage, est adressée aux ducs Othon-Henri et Frédéric, fils de Wolfgang de Bavière. Après des lieux communs sur l’utilité des écrits anciens, de la lecture des tragiques, passant notamment par le topos des grandeurs qui s’élèvent et tombent d’autant plus haut, Fabricius lui-même recommande leur présence dans les bonnes bibliothèques et, implicitement, loue l’existence de son édition.

Bibliographie :
  • Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
  • Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Traduction : Pascale PARE-REY

Illustris ducis ac domini D. Wolfgangi Palatini Rheni, Ducis Bauariae, Comitis Veldentii, filiis, D. D. Othoni Henrico, et Friderico fratribus salutem dat Georgius Fabricius Chemnicensis

À messieurs Othon-Henri et Frédéric1, frères, fils du duc et seigneur Wolfgang comte palatin du Rhin, Duc de Bavière2, chevalier de Veldidena3, Georg Fabricius de Chemnitz, salut.

Cum e scriptis ueterum uniuersis grata et salutaris capiatur utilitas, tum e lectione Tragicorum praecipua atque singularis.

On doit saisir l’utilité agréable et salutaire des écrits des anciens, et surtout l’utilité particulière et singulière de la lecture des tragiques.4

Nam de uiris summis‚ eorumque factis magnis et inusitatis agens, non minus eos, qui potentia eminent, etsi eos potissimum quam quemuis e uulgo, de uarietate casuum et uitae hominis multiplici calamitate informat.

Car traitant d’hommes magnifiques, de leurs faits grands et exceptionnels, elle ne représente pas moins ceux qui s’illustrent par leur puissance, et encore ceux-là plutôt que n’importe quel homme du peuple, traitant de la variété des accidents et du malheur multiforme de la vie humaine.

Quod loco positum excelso est, in oculos plurimorum incurrit, et quod uiris metuendum principibus, idem personis uilioribus potest accidere.

Ce qui s’est élevé au faîte est visible de la plupart, et ce qui est à craindre par les princes peut aussi arriver aux personnages de moindre valeur.5

Quod autem accidit omnibus, id mente et cogitatione debet praecipi, ut aut auertatur periculis aliorum, aut mitigetur ratione et constantia.

Mais ce qui arrive à tous, l’esprit et la réflexion doivent le concevoir, soit pour l’éloigner des dangers que font courir les autres, soit pour l’adoucir par la raison et la constance.

Miseriarum in uita uerissime causa prima est, in ignoratione contemptumue Dei, pietatis neglectio, et suarum uirium aut excellentiae nimia et insolens fiducia, quae nulli unquam uel illustrium heroum, uel regum clarissimorum fuit impunis.

La première cause des misères dans la vie, c’est en toute vérité, dans l’ignorance ou le mépris de Dieu, la négligence de la piété, la confiance excessive et insolente en ses propres forces et excellence, qui ne resta jamais impunie, que ce soit pour des héros illustres ou pour des rois très célèbres.6

Accedit ad hanc imperiorum cupiditas uehemens, quae ita regnat in animis, ut nulla plures ab officio deduxerit, paene inuictos ab aliis uitiis et delictis homines.

S’y ajoute l’intense passion du pouvoir, qui règne dans les esprits si bien qu’aucune n’a détourné nombre d’hommes de leur devoir, eux qui avaient presque triomphé d’autres vices et délits (presque invaincus par d’autres vices et délits).

Extrema causa, qua pudor uiolatur et integritas, turpissima est et habet belluinum quiddam in mentibus abiectis et deprauatis ignauia, otio, fortuna.

La dernière cause par laquelle la pudeur et l’intégrité sont violées est la plus honteuse et a quelque chose de bestial, dans les esprits abjects et dépravés par l’inertie, la paresse, la fortune.

In Heraclidarum, Aeacidarum et Pelopidarum familiis uidere hoc licet, quae‚ ut in Graecia celeberrimae, ita prae caeteris calamitosae fuerunt.

On peut voir cela dans les familles des Héraclides, des Éacides et des Pélopides, qui furent très célèbres en Grèce, mais aussi des plus funestes.7

Heraclidas oppressit fastus et arrogantia, qua diis uoluerunt et esse et haberi aequales : inde superba, illa uox est, licet a muliere profecta : Quicquid negabat Iuppiter, dabat Hercules 8.

Les Héraclides furent accablés par le faste et l’arrogance, par laquelle ils voulurent à la fois être et paraître égaux aux dieux : de là cette magnifique parole, quoique prononcée par une femme9 : « Tout ce que refusait Jupiter, Hercule l’accordait »

Е gente Aeacidarum, quae rerum praeclare gestarum excellit magnitudine, qui secundum naturam, morte uidelicet placida interierit, inuenio neminem, quia cedere dedignitate et iure uoluerunt nemini.

Dans la lignée des Éacides, qui s’illustra brillamment par la grandeur de son histoire, je ne trouve personne qui mourut naturellement, d’une mort paisible bien sûr, parce qu’ils voulurent ne le céder en dignité et en autorité à personne.

Inter Pelopidas tanta turpitudinum confusio, tanta caedium immanitas fuit, ut si ultio diuina nulla sit, ipsi se inuicem ira et furiis ulti uideantur ; nam quod poeta sapiens canit : Irae Thyesten exitio graui Strauere 10.

Chez les Pélopides régna une si grande accumulation de turpitudes, une si grande immensité de crimes, que s’il n’y avait aucune vengeance divine, ils sembleraient eux-mêmes vengés à leur tour par la colère et les fureurs ; ce que chante en effet un sage poète : « Les colères ont terrassé Thyeste d’un lourd trépas »11

Non de solo Thyeste, sed de tota illa familia flagitiis obruta dici potest.

Et on peut le dire non du seul Thyeste, mais de cette famille entière, écrasée par l’opprobre.

Verum non aulae tantum et domicilia regum, facinoribus atque sceleribus olim nomen infame habuerunt ; sed in uita etiam communi obiiciuntur facta tristia et horrenda, et in multitudinis moribus pessimis, audiuntur et cernuntur fere cotidie.

Mais non seulement les cours et les maisons des rois ont eu autrefois un renom infâme à cause de leurs forfaits et de leurs crimes ; mais dans la vie commune même se présentent des faits funestes et horribles, et dans les plus viles mœurs de la multitude, on entend et on en voit presque chaque jour.12

Quod enim unquam saeculum tam florens, quae tam sancta ciuitas, quod regnum tam bene constitutum fuit, in quo exempla flagitiorum ingentium non extiterunt ?

Quel siècle en effet fut jamais si florissant, quelle cité si sainte, quel règne si bien établi, où se sont jamais révélé des exemples d’immenses scandales ?

Ea nosse, utile est : uitare pulchrum, salubre, non imitari ; punire rectum ; abominari omni ratione omnibusque sensibus praeclarissimum.

Connaître cela, c’est utile ; l’éviter, c’est beau ; c’est sain de ne pas l’imiter ; le punir, c’est juste ; le repousser par tous les moyens et tous les sens, c’est on ne peut plus remarquable.

Itaque uoluerunt ueteres illi sapientes, scelerum poenas extare‚ et sceleratorum exitus miserabiles, simulque obiicere oculis familiarum, urbium, regnorum extirpationes et interitum, ne similia alii auderent, et perpetrare nefaria omnes homines horrescerent.

C’est pourquoi les anciens sages ont voulu révéler les châtiments des crimes, les misérables trépas des criminels, et en même temps mettre sous les yeux de leurs familles et cités l’éradication et la destruction des règnes, pour ne pas en voir d’autres oser de tels comportements et redouter que tous les hommes perpétuent des sacrilèges.

Iidem existimabant a magistris mutis, ea quae odiosa essent et acerba, accipi et admitti facilius, quam si a familiaribus et propinquis dicerentur: item si factis et euentibus peregrinis aut a memoria suorum temporum remotis, suos reges aut principes docerent, uidebant esse minus periculosum.

Les mêmes estimaient que ce qui était odieux et pénible était accueilli et admis par des maîtres muets plus facilement que si c’était dit par des familiers et des proches : de même s’ils instruisaient leurs rois ou princes par des faits et événements extérieurs, éloignés du souvenir de leur époque, ils voyaient que c’était moins dangereux.

Eam ob rem eligebant nobilissimorum quorumque exempla, quasi magis conspicua, magisque ad animos permouendos apta, quam si hominum uulgarium sumpsissent ; tum in scaenam ea producebant, ne quem omnino laterent, etiam antiquitatis et humanitatis imperitum.

Pour cette raison, ils choisissaient des exemples de tous les plus célèbres, comme s’ils étaient plus remarquables, plus propres à émouvoir, que s’ils avaient pris des exemples d’hommes ordinaires ; ils les mettaient alors en scène, pour ne pas les laisser méconnus de quiconque, même le plus ignorant de l’antiquité et de l’humanité.13

Quam graue sit admonere potentem aliquem, docet Antisthenes, quem rex Macedo per Аsiae ciuitates ludibrii causa mutilatum circumduxit ; quam non tutum obiurgare tyrannum, Zeno Eleates et Anaxarchus Abderites testantur, qui in cauis molaribus a Nearcho et Nicocreonte, sunt pilis saxeis contusi.14

Combien il importe d’adresser des avertissements à un puissant15, Antisthène nous l’apprend, lui que le roi de Macédoine16 a conduit, mutilé pour faire rire, à travers des cités d’Asie ; combien il est dangereux de réprimander un tyran, Zénon d’Éléate et Anaxarque d’Abdère en témoignent, qui ont été battus à coups de pierres par Néarque et Nicocréon dans le creux d’une meule17.

Tales exitus etiamsi terreant, tamen doctrina uirtutis et modestiae‚ et defensio ueritatis, aut libertatis fìducia, deponenda non est, sine qua uita honesta aut laudabilis non potest existere.

Même si de tels trépas terrifient, on ne doit pas abandonner le principe de vertu et de modestie, ainsi que la défense de la vérité, ou la confiance en la liberté, sans laquelle une vie honnête ou louable ne peut exister.

Quamobrem discriminis uitandi causa, et simul retinendae honestatis, haec scripta Tragicorum introducenda in domos illustres sunt, quae plus splendoris et efficaciae habent, quam ulla Philosophorum, repleta doctrinis subtilitate, uolumina.

C’est pourquoi, en vue d’éviter ce jugement et en même temps de conserver l’honnêteté, on doit introduire dans les maisons illustres les écrits des tragiques, qui ont plus d’éclat et d’efficacité qu’aucun volume des philosophes, pleins de subtilité doctrinale.18

Neque solum in tragoedia erudiuntur, qui cum potestatе sunt, sed omnis generis docentur homines, siqui aut consilii indigent, in rebus dubiis, aut consolationem expetunt, in aduersis.

Et les hommes qui sont au pouvoir ne sont pas seulement instruits dans la tragédie, mais ils apprennent <dans les œuvres> de tout genre littéraire, s’ils ont besoin d’un conseil dans l’incertitude ou recherchent une consolation dans l’adversité.

Id Timoclis antiqui Comici non uerbis quidem, sed uerborum eius sententia expressa‚ etiamsi prolixior paulo sit, ibet exponere, ut habeat maiorem auctoritatem oratio.

Il me plaît d’exposer cela non certes avec les mots du comique antique Timoclès19, mais dans l’esprit de ses mots, même s’il est un peu plus prolixe, pour que le discours ait un poids plus grand.

Is in hunc modum, Natura expositus еst homo laboribus, Еt multa acerba uita fert mortalium. Haec ergo curarum inuenit solatia, Cum mens grauis molestiae obliuiscitur, Nacta ex aliorum aliquod leuamen casibus, Facta et minore cum periclo doctior. Нос experiri in Tragicis‚ si cui libet, Licet, nec is magnum laborem luserit. Qui pauper est, dum non minus quam Telephum Se egere sentit, fert malum quietius. Insanit aliquis ? Alcmaeonem respicit. Caecutit ? Œdipi leuat damno suum. Orbus quis est ? lamenta Niobes cogitat. Claudus? reminiscitur Philoctetae pedum. Habet Œneum, quisquis senex est et miser. Quicunque, aliis quid accidat putauerit, Erit in suis alacrior periculis. 20

Celui-ci, tourné ainsi : « L’homme est exposé aux peines par la nature, Et la vie apporte son lot d’âpretés aux mortels, Il trouve donc ces consolations à ses peines, l’esprit qui lourd d’ennui les oublie, ayant rencontré quelque soulagement dans les aléas subis par les autres, et devenu plus sage dans un danger plus petit. On peut en faire l’expérience chez les tragiques, si l’on veut, Et l’on n’aura pas mis en jeu une grande peine. Qui est pauvre, en ne se sentant pas plus démuni que Télèphe, supporte le mal plus calmement. Est-on fou ? qu’on regarde Alcméon. Est-on aveugle ? qu’on soulage sa blessure par celle d’Œdipe. Est-on boiteux ? qu’on se rappelle le pied de Philoctète. Il a Œnée, le vieillard malheureux. Quiconque aura anticipé ce qui arrive aux autres Sera plus vif dans les dangers encourus.21 »

Prodest igitur et uiris maximis in quauis fortuna, et aliis22 itidem a cultu non abhorrentibus, scriptorum tragicorum cognitio, et ad experientiam, et ad leuationem doloris, et ad multa uitae munera ; ideo et in theatris et in bibliothecis merito locum habent, eoque magis afficiunt atque rapiunt, quod praeter ea quae diximus, quasi natiuis plena sint affectibus, quibus saepenumero aut spectantium oculi‚ aut animi legentium, ita actione quadam speciosa, aut impetu acri permouentur, ut et irascantur cum Hercule, et cum Hippolyto doleant, et lamententur cum Antigona; quod iis, qui Tragicorum fuerint spectatores, accidisse, se recordari ait Protarchus ad Socratem, Ἔστιν δὲ τῆς ποιήσεως δημοτερπέστατόν τε καὶ ψυχαγωγικώτατον ἡ τραγῳδία· 23, ut in Minoe Plato affirmat.

Est donc utile à la fois aux très grands hommes dans n’importe quelle situation, et de la même façon à d’autres ne détestant pas le raffinement, la connaissance des textes tragiques, pour expérimenter et soulager la douleur, et pour les nombreuses charges de la vie ; pour cela ils méritent leur place dans les théâtres et dans les bibliothèques et c’est là qu’ils touchent et ravissent davantage, parce que, outre ce que nous avons dit, comme s’ils étaient pleins de sentiments naturels, grâce auxquels soit les yeux des spectateurs soit l’esprit des lecteurs étaient bien souvent émus par une action spectaculaire ou par un vif élan, afin qu’ils se mettent en colère avec Hercule, souffrent avec Hippolyte, se lamentent avec Antigone ; et Protarque24 dit qu’il se rappelle que c’est arrivé à ceux qui ont assisté à des représentation tragiques, selon Socrate : « La tragédie est le genre poétique qui plaît le plus au peuple et qui touche le plus les âmes », comme Platon l’affirme dans le Minos.

Tam aspectu horrida Thebarum euersio, aut incendium Troiae uix fuerunt, ut in Tragoedia a captiuis mulierculis, et ab exulibus afflictis referuntur ; certe magis grandia miseraue esse non potuerunt.

La chute si horrible à voir de Thèbes, l’incendie de Troie viennent de se produire quand ils sont rapportés par des pauvres captives et des exilées affligées : à l’évidence, ils n’auraient pas pu être plus grands ou pitoyables.

Nec tamen in hoc scripti genere omnia de historiis desumpta sunt, ut Sphinx Epicharmi et Euripidis Cyclops, sed pleraque ad ueritatem accedunt, aut commodam ex natura interpretationem habent, aut monstris quibusdam tyrannos et latrones efferatos depingunt.

Et cependant dans ce genre de production écrite, tout n’est pas emprunté à l’histoire, comme le Sphinx d’Épicharme et le Cyclope d’Euripide, mais la plupart mènent à la vérité, qu’ils proposent une interprétation appropriée d’après la nature, ou qu’ils peignent des tyrans et des voleurs ensauvagés par quelques monstres.25

Excitantur ipsi ab inferis mortui, excitantur interdum furiae : ut quod uerbis nequit declarari, imagine torua aut praeter naturam facta, mire repraesentatur ; quae imago stans in orchestra et admirationem et horrorem incutit.

Sont tirés des Enfers les morts eux-mêmes, en sont tirées parfois les Furies ; ainsi ce qui ne peut être signifié par des mots, c’est par une figure menaçante ou surnaturelle que c’est représenté ; et cette figure, se tenant débout dans l’orchestra, provoque stupéfaction et horreur.

Neque enim fuit minima delectatio in illa conformatione, quam ὄψσιν Graeci uocant26, neque non uim nullam ad res ipsas animis infigendas habet, euidens et animosa descriptio.

Et en effet le plaisir n’est pas des moindres dans cette conformation que les Grecs appellent opsis (« spectacle ») , et une description claire et vivante n’est pas sans aucune force pour insinuer ces choses-là dans les esprits.

Diligens igitur et adsiduus Tragoediarum lector ; non ut histriones aut actores illi ueteres, utrem musto repletum accipiet ; aut (ut poeta canit) : uilem certabit ob hircum 27 sed praeclarum uitae specimen, insignia sapientiae praecepta, et uarietatis fortunae exempla comparabit.

Le lecteur des tragédies est donc soigneux et attentif ; ce n’est pas qu’il recevra, comme ces histrions ou ces acteurs d’autrefois, d’outre remplie de lie ou qu’il (comme le chante le poète) : « concourra pour un vil bouc » mais se ménagera un excellent modèle de vie, des préceptes de sagesse remarquables, et des exemples de changement de fortune.

Relictus ex eorum scriptorum numero apud Latinos solus est, L. Annaeus Seneca, qui etiamsi Accio aut Pacuuio, antiqua illa grauitate, neruisque ac lacertis, et incorrupta sermonis prisci puritate similis non sit, tamen in sententiis concinnandis, et expoliendis uersibus multum elaborauit, captauitque facilitatem quandam‚ naturae non inconuenientem, et, ut mihi uidetur, propemodum popularem, ac ut propius dicam, Ouidianae multis in locis similem.

Mis à part du nombre de ces auteurs, seul reste chez les Latins L. Annaeus Sénèque, qui, même s’il est différent d’Accius ou de Pacuvius qui ont cette profondeur antique, des nerfs et des muscles, une pureté sans tache de l’expression, il s’est cependant beaucoup appliqué à ajuster ses sentences, à polir ses vers, et a atteint une certaine facilité qui ne dépare pas avec la nature, et, selon moi, presque populaire, et pour parler plus justement, semblable en maints endroits à la manière ovidienne.

Dicere solitus fuit Philippus Melanthon uir clarissimus, cum de antiquioribus loqueretur, se uina uetustiora tanquam rancidula minus probare, quae tamen nonnullis uidentur optima atque suauissima.

Philippe Mélanchthon, homme très brillant, avait coutume de dire, quand il parlait des anciens, qu’il approuvait moins des vins assez vieux, pour ainsi dire un peu rances, qui paraissent cependant à quelques-uns les meilleurs et les plus doux.28

Sentit cum eo Ludouico Viues, qui ideo Latinorum ueterum libros non conseruatos scribit, quod rudes atque impoliti fuerint ; neque Fabius negat nitorem et summam manum in excolendis operibus, ipsis defuisse.29

Il a le même ressenti que ce Luis Vives30, qui écrit que c’est pour cette raison que les livres des anciens latins n’ont pas été conservés, qu’ils furent bruts et mal dégrossis ; et Quintilien ne nie pas qu’il leur a manqué le brillant et la dernière main dans le polissage de leurs œuvres.

Sed ut sensus in diuersis raro est idem, sic sententia discrepans plerumque animaduertitur.

Mais comme le ressenti est rarement identique sur des questions différentes, de même on remarque la plupart du temps un sentiment divergent.

Idem in aliis sit artibus, ut in signis Canachi et Myronis, tabulis Роlycleti et Xeuxidis : aliorum forma, propter rigiditatem, aliorum propter iucunditatem fuit comprobata.

C’est la même chose dans les autres arts, comme dans les statues de Canachus et de Myron, les tableaux de Polyclète et de Zeuxis : on a apprécié la forme des uns pour sa rigidité, celle des autres pour sa suavité.

Inter athletas Milonis toros non habuit Entellus31, sed non minus hic Segestanus illo Crotoniata nominatur.

Chez les athlètes, Entelle n’avait pas les muscles de Milon, pas plus que cet homme « de Ségeste » n’est désigné par ce qualificatif-là « de Crotone »32.

Quocirca neс antiquis horror et grauitas‚ nec recentioribus lenitas obest et elegantia, quo minus in pretio sint, et ab omnibus legantur.

En conséquence ni la sauvagerie et la profondeur des anciens, ni la douceur et l’élégance des plus récents n’empêchent qu’ils soient moins estimés et lus par tous.

Nostrum quidem Tragicum ita probauit Iohannes Regiomontanus, mathematicus excellens, ut sua eum manu diligenter et uenuste descripserit, quem librum apud Georgium Agricolam praeclarum philosophum a me uisum, adolescens contuli, et ex eodem locos plurimos deformatos iam in aliquam restitui dignitatem.

Regiomontanus33, mathématicien hors-pair, a si bien approuvé notre tragique qu’il a copié de sa propre main, avec attention et grâce, ce livre que j’avais vu chez Agricola34, brillant philosophe, que j’avais pris dans ma jeunesse, et à partir duquel j’ai désormais rendu à une certaine dignité nombre de lieux altérés.

Hic labor meus, ut sit studiosis acceptior, ad uos fratres principes, et Domini illustres, Otho Henrice, et Friderice, iam defertur, honoris et obseruantiae causa.

Mon travail, pour qu’il soit assez bien reçu par les érudits, vous est dès lors présenté, frères princiers et illustres seigneurs, Othon-Henri et Frédéric, à titre d’honneur et de considération.

Nam cum in hac aetate uiridi, auspicio optimi et sapientissimi principis patris uestri, ingressi sitis iter uirtutis‚ et maiorum amplissimorum laudibus gloriaeque responsuri uideamini, existimaui uos decere post pietatis Christianae praeceptiones, talia scripta euoluere, eruditionis gratia ; de quibus cum multa inter familiares uestros uiros honestos et peritos, et a Martino Kepiero, bono et erudito homine, tum a fratrum uestrorum magistro, uiro doctissimo Petro Agricola audiatis saepissime, plura ad uos scribere, non conuenit, neque est necesse.

En effet, comme dans cet âge vigoureux, sous la protection d’un prince très bon et très sage, votre père, vous avez pris le chemin de la vertu et que vous semblez devoir être à la hauteur des éloges et de la gloire de vos aînés les plus imposants, j’ai estimé qu’il vous convenait, après les prescriptions de la foi du Christ, de parcourir de tels écrits, pour votre culture ; et parmi ceux-ci, comme vous en entendez très souvent beaucoup, au milieu de vos familiers, des hommes honnêtes et d’expérience, de la part de Martin Kepier35, homme bon et cultivé, et de la part de celui qui fut alors le maître de vos frères, le très savant Pierre Agricola36, il ne convient pas et n’est pas nécessaire de vous en écrire davantage.37

Tradit auctor nobilis, et boni imperatoris doctor Plutarchus, χαλεπὸν εἶναι φωνὴν ἐχούσῃ πόλει καὶ μοῦσαν ἀπεχθάνεσθαι 38‚ loquens de Athenis ; idem de aula iusti et magnanimi principis multo rectius dicitur, eius uidelicet qui Christi doctrinam nouit, et studia Ecclesiae utilia euehit ; quod de praestantissimo heroe, patre uestro, clari uiri praedicant, et uos insistere uestigiis laudatis affirmant.

Plutarque, auteur connu, et précepteur d’un bon prince, rapporte qu’il est « dangereux de s'attirer la haine d'une ville dont la langue est cultivée, et où les Muses sont en honneur », en parlant d’Athènes ; on dit la même chose à bien meilleur droit de la cour d’un prince juste et magnanime, de celui qui connaît évidemment la doctrine du Christ et a véhiculé les enseignements utiles de l’Église ; et c’est ce que des hommes illustres clament d’un héros éminent, votre père, et ils affirment que vous vous tenez dans les traces qu’ils ont louées.

Ideo principi summo, patri uestro bene precantur uere pii et docti homines, et qui cupidi literarum sunt, uobis literarum et pietatis patronis‚ optant esse commendati.

Pour cela, des hommes vraiment pieux et savants, et qui aiment la littérature, prient bien pour votre père, et souhaitent vous être, patrons de la littérature et de la piété, agréables.

Valete. E ludo illustri Miseno, pridie Cal. Sept. M. D. LXV

Portez-vous bien. De la brillante école de Meissen39, la veille des calendes de septembre 1565.


1. Othon des Deux-Ponts (1556-1604), comte palatin de Soulzbach, il épousa en 1582 Dorothée de Wurtemberg, dont il eut treize enfants. Seules deux filles parvinrent à l'âge adulte. À sa mort, le Palatinat-Soulzbach revint à son frère aîné Philippe. Frédéric des Deux-Ponts, (1557-1597) comte palatin de Vohenstrauß, il épousa Catherine de Liegnitz. Ils eurent trois enfants dont aucun n’atteignit l'âge adulte. À sa mort, le Palatinat-Vohenstrauß revint à son frère aîné Philippe.
2. Wolfgang de Bavière, duc des Deux-Ponts, 26 septembre 1526 à Deux-Ponts, mort le 11 juin 1569 à Nexon, fils de Louis II de Bavière et Élisabeth de Hesse (1503-1563). Il fut duc palatin des Deux-Ponts de 1532 à 1569, comte palatin de Neubourg et de Soulzbach de 1559 à 1569.
3. Veldidena, ville de Rhétie (aujourd’hui Wiltan, près d’Insbruck).
4. Topos de l’utilité des anciens et de la tragédie.
5. Topos qu’on retrouve chez Sénèque, surtout chanté par les chœurs.
6. Rattachement de l’idée à la foi catholique
7. Annonce de ce qui va suivre, plus développé
8. Sen., Herc. Œ. 1847.. Citation approximative : quicquid negaret iuppiter, daret Hercules.
9. C’est en effet Alcmène qui parle. On a là un trait de misogynie topique.
10. Hor., S. 1.16.17-18.
11. Appui sur Sénèque lui-même ou sur d’autres poètes
12. Progression par élargissement : nature humaine criminelle, quel que soit le milieu
13. Vertu des exempla
14. Cic., Tusc. 2.51-52.. Dans les Tusculanes et le De natura deorum Antisthène n’est pas mentionné, mais Zénon d’Élée et Timocréon – et non Nicocréon – le sont ; dans Valère-Maxime on voit le tyran Néarque mettre à la torture un certain Zénon (autre que le fameux philosophe) et Nicocréon, tyran de Chypre torturer Anaxarque.
15. Pour les puissants
16. Philippe de Macédoine.
17. DL., Vie des Philosophes illustres, 9.10.3. Anaxarque, maître de Pyrrhon, fondateur de l’école sceptique ; condamné pour outrage par le tyran de Chypre Nicocréon, il aurait enduré cette torture avec force.
18. Pour Sénèque aussi, il y a parfois plus de philosophie sur scène (y compris comique, même chez le mime Publilius) que chez les philosophes
19. Poète actif sous Démétrios de Phalère, dont il nous reste une petite trentaine de titres, qui attaquait dans sa comédie Délos les politiciens corrompus et les énumérait en précisant les sommes indûment perçues : voir L. Canfora, Histoire de la littérature grecque à l'époque hellénistique
20. Timocl., Frag. 6. Traduction assez fidèle, dans la forme et dans le fond (8 vers de théorie, 7 vers d’exemples, 2 vers de conclusion en latin pour 3 en grec), de Timoclès : ἄνθρωπός ἐστι ζῷον ἐπίπονον φύσει, καὶ πολλὰ λυπήρ’ ὁ βίος ἐν ἑαυτῷ φέρει. παραψυχὰς οὖν φροντίδων ἀνεύρετο ταύτας· ὁ γὰρ νοῦς τῶν ἰδίων λήθην λαβὼν πρὸς ἀλλοτρίῳ τε ψυχαγωγηθεὶς πάθει, μεθ’ ἡδονῆς ἀπῆλθε παιδευθεὶς ἅμα. τοὺς γὰρ τραγῳδοὺς πρῶτον, εἰ βούλει, σκόπει, ὡς ὠφελοῦσι πάντας. ὁ μὲν ὢν γὰρ πένης πτωχότερον αὑτοῦ καταμαθὼν τὸν Τήλεφον γενόμενον ἤδη τὴν πενίαν ῥᾷον φέρει. ὁ νοσῶν τι μανικὸν Ἀλκμέων’ ἐσκέψατο. ὀφθαλμιᾷ τις, εἰσὶ Φινεῖδαι τυφλοί. τέθνηκέ τῳ παῖς, ἡ Νιόβη κεκούφικεν. χωλός τίς ἐστι, τὸν Φιλοκτήτην ὁρᾷ. γέρων τις ἀτυχεῖ, κατέμαθεν τὸν Οἰνέα. ἅπαντα γὰρ τὰ μείζον’ ἢ πέπονθέ τις ἀτυχήματ’ ἄλλοις γεγονότ’ ἐννοούμενος τὰς αὐτὸς αὑτοῦ συμφορὰς ἧττον στένει.
21. On note ici la parenté de pensée avec la praemeditatio malorum stoïcienne, et qu’on trouve chez Sénèque dans nombre de lettres, comme celle à Libéralis après l'incendie de Lyon.
22. Au lieu de alii dans le texte.
23. Plat., Min. 321. En effet Socrate qui parle à « l’ami ».
24. Protarque, philosophe hédoniste, est un personnage du Philèbe ; voir
25. Des exempla historiques et mythologiques dans la tragédie. Leur utilité : l'accès à la vérité
26. Arstt., Poet. 6.50b15.
27. Hor., P. 220.
28. Intéressante comparaison entre la littérature et le vin
29. Quint., I.O. 10.1.97. Tragoediae scriptores veterum Accius atque Pacuvius clarissimi gravitate sententiarum, verborum pondere, auctoritate personarum. Ceterum nitor et summa in excolendis operibus manus magis videri potest temporibus quam ipsis defuisse.
30. Il est sans doute fait référence au livre I du De disciplinis (1531), ouvrage en 20 livres, composé de trois parties : De causis corruptarum artium (« Sur les causes de la corruption des arts ») ; De tradendis disciplinis (« Sur la transmission des savoirs ») ; De artibus (« Sur les arts ») : f. 8 r° de l'éd. Hillen de 1531 (p. 34 éd. Tristan Vigliano. De Disciplinis, (édition bilingue latin-français), "Savoir et enseigner", Paris, Les Belles Lettres 2013) : Sed de aliis minus fortasse fuerit quam de Aristotele querendum. Reliquorum enim, ut quae scripserunt parum sunt apposite dicta ad discendum ac percipiendum, aetas paulatim deleuit scripta, uix ut uel ipsa nomina existant auctorum. Ruditer enim, impolite et confuse sua congesserant, artis penitus expertes, « Mais peut-être est-ce d’Aristote qu’il faut surtout se plaindre. De tous les autres auteurs, le temps peu à peu a détruit les écrits, car leur style n’était pas assez pédagogique, ni intelligible. Les simples noms de ces auteurs survivent à peine : il faut dire qu’ils ont accumulé leurs idées en béotiens, à la va-vite, dans le désordre, sans le moindre art » (traduction Tristan Vigliano, que nous remercions de son aide pour la référence).
31. Virg., En. 5.987-391. Le personnage est apostrophé par Alceste qui lui rappelle son passé de vaillant héros.
32. Milon était couramment dit « Milon de Crotone » ; l’analogie poursuit l’argument selon lequel à chacun reviennent ses qualités et ses particularités.
33. Johannes Müller von Königsberg (1436-1476), plus connu sous son nom latin Regiomontanus, est un astronome, mathématicien et astrologue allemand.
34. Georgius Agricola, dit Agricola, de son vrai nom Georg Pawer ou George Bauer (né en 1494 à Glauchau en Saxe - mort en 1555 à Chemnitz, ville d’où est originaire Fabricius), considéré comme le père de la minéralogie et de la métallurgie ; auteur d’un De Re Metallica. Il est également l’auteur d’un De lapide philosophico (1531) auquel pense sans doute Fabricius.
35. Martin Kepier
36. Pierre Agricola (1525-1585, ) est lié au destinataire de ce paratexte : il avait épousé Diana Clélie, fille d'un consul de Lauingen et veuve en premières noces d'un conseiller du prince-électeur Othon-Henri du Palatinat.
37. Alliance culture sacrée et profane.
38. Plut., Thes. 16.3. « [ἔοικε γὰρ ὄντως, au reste cela fait voir] combien il est dangereux de s'attirer la haine d'une ville dont la langue est cultivée, et où les Muses sont en honneur ».
39. Ville de Saxe.