Présentation du paratexte
Juste Lipse, le grand humaniste, écrit au jeune Franciscus Raphelengius / van Ravelenghien, fils de l’homme de lettres du même nom. Il lui transmet ses positions sur les tragédies, en faisant comme si elles s’élaboraient au cours de l’écriture, et propose une synthèse sur des uexatae quaestiones : l’auteur et l’ordre des tragédies, l’apport d’une nouvelle édition. La première question avance une position originale, puisque Juste Lipse distingue quatre auteurs :
1) Sénèque le Jeune, auteur de sept tragédies, qui aurait vécu sous Trajan. Il n’est sans doute pas le fils de Sénèque le Vieux / le Philosophe (qui sont un seul et même auteur pour Lipse). À l’appui de cette position : le fait qu’ils soient très différents et le témoignage de Sidoine qui distingue deux Sénèque, un philosophe et un tragique.
2) Sénèque le Vieux / le Philosophe / l’aîné / « le nôtre », auteur de Médée, qui aurait vécu à l’époque de Claude. Lipse s’appuie sur Quintilien, qui cite un vers de Médée et l’attribue à Sénèque, et qui ne connaît que Sénèque le Vieux ; en outre, des vers de Médée sont interprétés comme faisant allusion à un événement historique de l’époque de Claude (pacification de la Bretagne)
3) Un inconnu, auteur de la Thébaïde, de l’époque d’Auguste. Ici les arguments se fondent sur l’écriture et le sujet (époque de la guerre civile rapprochée de l’argument de la lutte entre Étéocle et Polynice)
4) Un autre auteur, nécessaire mais difficile à cerner, auteur de l’Octavie. L’argument est la mauvaise qualité de cette pièce qui ne peut avoir été écrite par les deux premiers et qui est bien différente des autres.
Sur l’ordre des tragédies, Juste Lipse n’a pas de position arrêtée, mais dispense cependant un conseil pour les éditer : les ranger par ordre qualitatif, avec Médée ou la Thébaïde en tête. L’édition de Rapheleng montre qu’il a suivi Lipse, en mettant Médée en tête et en classant les pièces en fonction des quatre auteurs distingués par son illustre aîné. Quant aux apports personnels de cette édition, ils sont dits limités et difficiles ; mais les annotations, ayant bénéficié de l’aide de Delrio pour les corrections, de Melissus pour le manuscrit, sont tout de même fournies.
Bibliographie :- Harst, Joachim. « 8 Germany and the Netherlands: Tragic Seneca in Scholarship and on Stage », s. d., 149‑73.
- Papy, Jan. « Le sénéquisme dans la correspondance de Juste Lipse. Du De Constantia (1583-1584) à la Epistolarum Selectarum Centuria Prima Miscellanea (1586) ». Le Journal de la Renaissance Le Journal de la Renaissance 6 (2008): 49‑62.
- Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Iustus Lipsius Francisco Raphelengio, Francisci Filio, Plantiniano salutem dat.
Juste Lipse à Franciscus van Ravelenghien, fils de Franciscus, de la maison Plantin1, salut
Quod serio tandem manum et mentem admoueris Senecae tragoediis, ualde id nobis, mi Francisce, gratum.
Quant au fait que tu aies enfin consacré sérieusement ta main et ton esprit aux tragédies de Sénèque, mon cher Franciscus, cela nous est vraiment agréable.
Et nonne diu tale aliquid oportuit, in hoc ingenio, in hoc otio ? Illud adest, istud superest, nec culpa hic esse potest, nisi a deside uoluntate.
Et est-ce qu’il n’aurait pas été opportun depuis longtemps de le faire, avec le talent et le temps que tu as ? Le premier préexiste, le second subsiste, et il ne peut y avoir de faute ici, si ce n’est de la part d’une volonté oisive.
Atqui ingenium ut ferrum esse scito : splendescet, si utare ; rubiginem contrahet, si recondas.
Et sache que ce talent est comme le fer : il brillera, si tu t’en sers ; il rouillera, si le gardes au fourreau.
Vtere igitur, et inprimis ad haec ista : quae gratiam tibi apud me, apud auum, famam gignent apud omnes.
Sers-t’en donc, et surtout pour ceci : cela engendrera de la reconnaissance envers toi de ma part, de la part de ton aïeul et la considération de la part de tous.
Sed auxiliumne etiam a me poscis ? ego consilio defunctum me putabam.
Mais me demandes-tu de l’aide également ? je pensais, moi, m’être acquitté de mon devoir de conseil.
Tamen et illud accipe, simul in his
talibus ueram uocem : αὔδα ὅ τι φρονέεις· τελέσαι δέ με θυμὸς ἄνωγεν .
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Reçois cependant celui-ci aussi, une parole vraie dans ces vers qui le sont tout autant : « dis-moi ce que tu as en tête ; mon cœur me pousse à faire ce que tu demandes »
Nam amicissimi Plantini mei causa quid non uelim ? quid non et pro ista Plantiniana stirpe ? quam Deus mihi sinat crescere rectam, et in recta uirtutis uia.
Car que ne voudrais-je pas dans l’intérêt de mon très cher ami Plantin ? en faveur de cette lignée des Plantin ? et que Dieu m’accorde qu’elle pousse droit, et dans la droite voie de la vertu.
Tria petis : Quid de scriptore tragoediarum sentiam ? Quid de ordine ? Quid habeam ad ipsas ?
Tu me poses trois questions : quelle est ma position sur l’auteur des tragédies ? sur leur ordre ? qu’ai-je à leur apporter ?
[Tragoediae hae : non unius uiri opus] De primo, sic respondeo.
[Ces tragédies : œuvre de plus d’un auteur]. À la première, j’apporte cette réponse.3
Scriptorem iis dari a me non unum ; nec criticos nostros audio, qui aliter pertendunt.
Je ne leur donne pas un auteur unique ; et je n’entends pas les critiques de notre temps qui persistent dans une autre direction.
Stilum et elocutionem quisquis seriose paulo magis examinat non a me sentit ? sentit, aut profecto nihil sentit.
Quiconque examine un peu plus sérieusement leur style et leur expression ne se sent-il pas de mon côté ? il le sent, ou c’est qu’il ne sent vraiment rien.
Discrimen nimis clarum : Octauiam et Medaeam unius mentis et manus esse quis dixerit ? quis Thebaida et Troada ? peritus nemo iudex, et cui purgatior paulo auris.
Moyen de distinction assez clair : Qui dirait que l’Octavie et Médée sont d’un seul esprit et d’une seule main ? Qui, la Thébaïde et la Troade ? Personne qui serait un juge d’expérience et qui aurait les oreilles un tant soit peu nettoyées.
Ego tres scriptores odoror, fortasse et quartum.
Quant à moi, je flaire trois auteurs, peut-être même quatre.
[Videntur quattuor texuisse] Audi, plerasque ex istis Annaei Senecae esse fateor (siue Lucium ei praenomen siue Marcum, nam liber sane meus uno loco utrumque ambigue congerit) sed Senecae nouioris.
[Il semble qu’il y a eu quatre auteurs] Écoute, j’avoue que la plupart de ces pièces sont d’Annaeus Sénèque (que son prénom soit Lucius ou Marcus, car mon manuscrit rassemble en un seul endroit l’un et l’autre d’une manière qui prête à confusion), en tout cas de Sénèque le Jeune.
[Septem Iunioris Senecae sunt] Filiine illius, qui philosophus ? uix arbitror, nec scripta mihi suadeant tam bonum aeuum. Traiani imperio, imo infra, si uixisse quemcumque hunc Senecam dicam, a uero non abibo.
[Sept pièces sont de Sénèque le Jeune] Du fils du philosophe ? je le crois difficilement, et ces écrits ne me persuadent pas que ce fut une si bonne époque. Si je dis que c’est sous le règne de Trajan, ou plus tard, que ce Sénèque, quel qu’il soit, a vécu, je ne serai pas loin de la vérité.
[Qui ualde remotus a philosopho.] Certe
a Veteri illo alius est, uel Sidonio teste, cuius
uersus innotuere :
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[Qu’il est bien
éloigné du philosophe] En tout cas, il est différent de Sénèque le Vieux, comme en
témoigne Sidoine, dont les vers l’ont fait apparaître :
Quod autem de hisce tragoediis sentiant,
liquet ex eodem Terentiano; apud quem uersus cum Senecae nomine, quos hodieque in Hercule
Furente legas : Exemplum et Senecae dabo :
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Quant à ce qu’ils
pensent de ces tragédies, on le voit à partir du même Térentianus, chez qui on a ces
vers avec le nom de Sénèque, qu’aujourd’hui on peut lire dans Hercule Furieux :
Is ergo unus scriptor. Quis alter etiam Seneca : sed ille bonus, ille meus.
Donc celui-ci est un auteur unique. Quel est encore le second Sénèque ? mais celui-là est bon, celui-là, c’est le mien.
[At una Senecae Maioris, Fabii fides] Nam
Medaeae cur non auctorem hunc audacter tribuam ?
Fabius impellit, qui semi uersum ex ea hunc
citat :
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[Mais une seule est
de Sénèque l’aîné, sur la foi de Quintilien] Car pourquoi je n’attribuerais pas avec
audace cet auteur à la Médée ? Quintilien m’y pousse, en citant ce demi vers de
cette dernière :
Quis ergo alius Seneca uspiam ei nominatus, praeter nostrum ? Et certe si non hunc uoluit, nota aliqua aut uerbulo (quae eius accuratio est) indicasset.
Quel autre Sénèque donc a été nommé quelque part par lui, hormis le nôtre ? Et s’il ne veut pas que ce soit celui-ci, il l’aurait indiqué par quelque note ou petit mot (précision qui le caractérise).
[Et ratiocinio temporis] Addo argumentum
ab aeuo, quo colligo eam scriptam ex hisce uersibus :
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[Et raisonnement sur le temps]
J’ajoute un argument fondé sur l’époque, où je conclus logiquement qu’elle a été
écrite, d’après ces vers :
… quos omnino insitos decore et ingeniose in laudem Claudii, qui Britanniam tunc aperiebat, plane mihi sedet.
… dont il m’apparaît vraiment assuré qu’ils ont été insérés de façon tout à fait pertinente et ingénieuse pour louer Claude, qui ouvrait alors la Bretagne.12
At Seneca tunc uixit.
Mais c’est Sénèque qui vivait alors.
[Denique ex stilo qui praefulget] Etiam stilus et tota scriptio hoc persuadent : quae optima, et digna optimo illo scriptore.
[Enfin, d’après son style, qui étincelle entre tous] Même son style et toute son écriture persuadent de cela : elles sont excellentes et dignes de cet excellent écrivain.
Sane qui Medaeam attenta et substricta, ut sic dicam, aure leget, illustris ingenii faetum fatebitur, et plane melioris uiri, melioris aeui.
C’est à raison que celui qui lira Médée d’une oreille attentive et pour ainsi dire dressée avouera que c’est le fruit d’un talent brillant et vraiment d’un homme meilleur et d’une époque meilleure.
En, duos scriptores habes.
Voilà, on a deux auteurs.
Vbi tertius ? latet ; nec facile totum eum educam. Video, nec uideo ; esse scio, sed quo colore et nomine, nondum.
Où est le troisième ? il se cache ; et je ne le ferai pas sortir facilement. Je le vois, et ne le vois pas ; je sais qu’il existe, mais pas encore avec quelle couleur ni quel nom.
[Vna etiam ignoti poetae] Hunc ego tribuo Thebaidi.
[Une seule encore d’un poète inconnu] J’attribue personnellement celui-ci à la Thébaïde.
[A facie scriptionis totius certo argumento] Quidni ? ex stilo et tota conformatione eius tragoediae tam mihi certum est alium auctorem esse, quam me spirare.
[Avec un argument certain du point de vue de toute l’écriture] Pourquoi pas ? d’après le style et la forme entière de cette tragédie, il est aussi certain pour moi qu’elle est d’un autre auteur que je respire.
Confer, sodes, cum ceteris : quid simile ? Œconomia diuersa, sine choris, sine interruptione, continua quasi ad Comicam.
Compare, s’il te plaît, avec les autres : quoi de semblable ? disposition différente, absence de chœurs, absence de coupure, continuité qui va presque à la disposition de la comédie.
Scriptio tota uniformis, simplex, sine carminum ulla uarietate, sed scriptio – ita me Deus amet – alta, docta, grandis, et quae suo iure ambulet in cothurnis.
Toute l’écriture est uniforme, simple, sans aucune variation dans les mètres, mais c’est une écriture – que Dieu m’en soit témoin – profonde, savante, ample, et qui se déplace à bon droit en cothurnes.
[Quae nimis bona] Nihil usquam iuuenile, arcessitum, fucatum ; phrasis et uerba lecta, sententiarum mira et inopinata acumina ; et acumina uirilia, fortia, quae me quidem ita feriunt, ut non exciter solum ad ea, sed subsultem.
[Ce qui est extrêmement bon] Rien n’est nulle part enfantin, forcé, artificiel ; la diction et les mots sont choisis, les pointes des sentences admirables et inattendues ; et ce sont des pointes viriles, énergiques, qui me frappent assurément, si bien que je ne suis pas seulement porté vers elles, mais que je bondis.
Quid tale in aliis ? Audebo rem dicere.
Quoi de tel dans les autres ? J’oserai dire les faits.
[Digna Augustae auo] Scripti gemmula haec est, et quam lubens rettulerim uel ad Augusti aeuum.
[Elle est digne de l’époque d’Auguste] C’est un petit trésor d’écrit, et je le rattacherais bien volontiers à l’époque d’Auguste.
Per bellum quidem ciuile eam scriptam, et ex argumenti electione suspicor, et ex uersibus qui quasi data opera huic rei inserti.
Je conjecture qu’elle a été écrite pendant la guerre civile, à la fois à partir du choix de l’argument13 et à partir des vers qui y ont été insérés comme si l’œuvre avait été consacrée à ce sujet.
[Legenda et admiranda doctis, sed una item quarti et ignoti scriptoris, nec sane boni] Quidquid huius est, tollenda sane ea, nec ultra calcanda pedibus ignari uulgi.
[Elle doit être lue et admirée par les savants, mais en même temps, elle est d’un quatrième auteur inconnu, et qui n’est pas vraiment bon] Quoi qu’il en soit de cela, cette pièce doit vraiment être promue, et ne doit pas être davantage foulée par les pieds du vulgaire inculte.
Quartus scriptor producendus est ; sed ambigue.
Un quatrième auteur doit être avancé ; mais c’est compliqué.
Nam nec noui, nec nimis adfirmate de eo adfirmem.
En effet je n’affirmerais rien de nouveau ni de trop ferme là-dessus.
Vos, critici, ponite et habete audacter inter prima romana scripta.
Vous, critiques, abandonnez et considérez avec courage ces écrits parmi les premiers à Rome.
[Octauia iacet] Sentisco tamen eum in Octauia, quae nimis mutare et abire uidetur ab aliis tragoediis ; imo uerbere eruditorum excipienda non plausu.
[Octavie reste à part] Je commence cependant à le percevoir dans Octavie, qui semble changer et se démarquer des autres tragédies ; au contraire elle doit être reçue avec la baguette des érudits, non par des applaudissements.
Considera, nec uide tantum sed lustra : quid non in ea protritum, uulgare ? imo et uile ? quam multa rebus uerbisque inepta ? quae piget excerpere et obiicere tibi singillatim.
Observe, et ne fais pas que regarder mais passe-la en revue : qu’y a-t-il qui ne soit rebattu, commun ? ou plutôt, sans valeur même ? combien de choses inadaptées aux faits et aux mots ? mais il m’en coûterait d’en faire une sélection et de te les exposer une à une.
[Iudicium de his tragoediis meum] Puer ego sum, nisi a puero ea scripta; certe pueri modo. Habes de tragoediarum scriptoribus meum sensum ; addam et de ipsis.
[Mon jugement sur ces tragédies] Je suis un débutant, si cela n’a pas été écrit par un débutant ; en tour cas, c’est à la façon d’un débutant. Tu as mon sentiment sur les auteurs de tragédies ; j’ajouterai encore à leur propos.
Duas duorum, eximias censeo ; quibus laudator ego, non censor.
J’en considère deux de deux auteurs14, exquises ; et j’en suis l’apologiste, non le censeur.
In aliis uirtutes uideo, sed non sine mixtura uitiorum.
Dans les autres, je vois des qualités, mais non sans un mélange avec des défauts.
[Nam Scaligeri haud rigide uerum.] Magnus Scaliger quod tam laudatum de his testimonium tulerit, ut etiam Graecis anteposuerit, an ex uero ? non dixeris, nisi ad primas illas aspectu.
[En effet, vérité, sans rigidité, de Scaliger] Le grand Scaliger, en leur ayant porté un témoignage si autorisé qu’il les mit devant les Grecs même, a-t-il eu raison ? On ne le dirait pas, sauf à ne jeter un œil que sur les premières.
[Iunioris Senecae media sunt.] Nam ceterae profecto non ascendunt culmen istud laudis.
[Celles du milieu sont de Sénèque le Jeune] Car celles qui restent n’atteignent évidemment pas ce faîte de gloire.
Sonus in iis et granditas quaedam tragica, fateor : sed nonne adfectatio saepe et tumor ?
Il y a en elles une résonnance et une certaine grandeur tragique, je l’avoue ; mais n’est-ce pas souvent affectation et enflure ?
Verba et dictio an usquequaque electa ? Iam sententiae probae, acutae, interdum ad miraculum.
Est-ce que vraiment les mots et l’expression sont partout choisis ? Déjà les sentences sont de bon aloi, pénétrantes, parfois jusqu’au prodige.
[Saepe in uitio] Sed nonne saepe et sententiolae ? Id est, fracta, minuta quaedam dicta, obscura aut uana ; quae aspectu blandiantur, excussa moueant risum.
[Souvent en défaut] Mais ne sont-elles pas souvent aussi des mini-sentences ? c'est-à-dire que certaines paroles sont brisées, hachées, obscures ou vaines ; et elles séduisent l’œil, mais une fois bien examinées, elles provoquent le rire.
[Praesertim affectatione sententiarum] Nec enim lumina, sed scintillae sunt ; nec ueri fortesque ictus, sed ut in somnio, parui et uani conatus.
[Surtout par la recherche des sentences] Et ce ne sont en effet pas des lumières, mais des étincelles ; et non pas des coups, vrais et énergiques, mais, comme en rêve, des essais, petits et vains.
[Quae communis tunc culpa] Quas tamen
ipsas crebro nimis et ad fastidium inculcat, nec inuenit sed arripit, non tam sua
fortasse quam aeui culpa, cui scholasticum et declamatorium hoc genus ita placuit,
ut operum omnium (Fabii
uerba sunt) solam uirtutem sententias putarent.
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[Faute alors commune] Cependant, il les insère trop densément et jusqu’à la nausée, et ne les invente pas mais se les approprie, mais ce n’est pas tant par sa propre faute que par celle de son époque, qui a goûté ce genre scolaire et déclamatoire jusqu’à (ce sont les mots de Quintilien) « ne faire résider la seule qualité de toutes les œuvres que dans les sentences ».
Haec noto, non ut nota poetam illum afficiam, sed ut te formem, discasque iudicio non praeiudicio uti, nec signare statim omnia linea alba. 16
Je note cela, non pour affubler ce poète d’une note, mais pour te former et que tu apprennes à user de jugement et non de préjugé, sans tout souligner aussitôt d’une ligne blanche.
Alterum quaesitum de ordine est ; frustra.
Ton autre question porte sur l’ordre ; c’est vain.
[Ordo in his fabulis nullus] Quid enim haeres ? nec unus in libris est (omnes fere uariant) nec sane refert.
[Il n’y a aucun ordre dans ces pièces] Pourquoi en effet restes-tu interdit ? il n’y a pas un ordre unique dans les livres (ils diffèrent presque tous) et cela n’a pas vraiment d’importance.
In Plauto ad litteram comoediae disponuntur ; tu istas, ut uoles.
Chez Plaute, les comédies sont classées par ordre alphabétique17 ; ces pièces, ce sera comme tu voudras.
Nam in tempora cuiusque fabulae quid inquiras ? superuacuum est.
Car pourquoi chercher en fonction de la temporalité18 de chaque pièce ? c’est peine perdue.
Sequere, si omnino aliquid a me uis, ordinem hunc bonitatis, et praeeat uel Thebais, uel Medaea.
Tu suivras, si tu veux absolument un conseil de ma part, un ordre qualitatif : et que vienne en premier soit la Thébaïde soit Médée.
Tertium erat : siquid ad ipsas ? Ego uero etsi iam ante satis emendatas (haec enim strictis uersibus scripta arcent fere et cohibent malas manus) postremum etiam serio et industrie correxerit, uir clarissimus Antonius Delrio, aeternum nobis amicus.
La troisième question était : si j’ai à leur apporter quelque chose ? Pour ma part, oui, même si elles avaient été suffisamment rectifiées auparavant (de fait, ces écrits en vers concis éloignent et empêchent les mauvaises mains d'y toucher), elles ont ensuite encore été corrigées avec sérieux et application par le très brillant Antonio Delrio, notre ami pour toujours.
[Quae nostra hic opera.] Tamen accipe et a me ista quorum partem ab ingenio esse scies et subita inuentione, cum tua causa paulo intentius legerem; [Et auxilia] partem a libro scripto ueteri sane bono, quem habemus dono Pauli Melissi magni uatis.
[Ce qui nous revient ici] Reçois cependant de ma part ces écrits aussi, dont tu sauras qu’ils viennent en partie de mes qualités et de soudaines trouvailles, puisque je lisais dans ton intérêt un peu plus attentivement ; [Et mes aides] en partie d’un manuscrit ancien assez bon, que Paul Mélissus, grand poète, nous a donné.
Illud te moneo, interpunctiones et discrimina ualde uitiata esse ; quorum cum in eiusmodi subtilioribus scriptoribus grande momentum sit, tu uide ut concinnes.
Je t’avertis : les marques de ponctuation et de séparation sont vraiment défectueuses ; et puisqu’elles ont une grande importance pour ce genre d’écrivains, qui sont particulièrement subtils, vois, toi, comment tu peux les disposer.19