Présentation du paratexte
Dans son adresse au lecteur, l’éditeur expose ses outils (manuscrits et éditions) et sa méthode de travail. Il se positionne en particulier par rapport à Lipse sur lequel il s’est appuyé et en appelle à l’indulgence du lecteur quant aux possibles erreurs qui seraient de son fait.
Traduction : Pascale PARE-REYAd lectorem
Au lecteur
Beniuole lector, ne alicubi in hac tragoediarum editione offendaris, haec pauca de instituti mei ratione praeliba.
Lecteur bienveillant, pour ne pas te gêner en quelque endroit dans cette édition des tragédies, goûte ces quelques mots sur la méthode de mon entreprise.
In auctoribus singulis tragoediis tribuendis, et ordine ipsarum, sequor τρισμέγιςτον Lipsium, praeceptorem et praesidem meum, cuius etiam Animaduersiones iis adnexae, et correctiones in plerisque obseruatae a me studiose : eae enim adeo certae, adeo clarae, ut minimam earum instar oraculi habeam.
Sur l’attribution des tragédies à un auteur en particulier, et sur leur ordre, je suis Lipse Trismégiste1, mon professeur et maître, dont j’ai même joint les Remarques aux tragédies et observé attentivement les corrections dans la plupart des cas : elles sont en effet si sûres, si claires, que je considère la moindre d’entre elles comme un oracle.
Si quid praeterea inmutatum est, factum id aut ab ingenio meo, atque hoc rarissime, ut qui minimum mihi licere in adolescente hac aetate arbitrer; aut, quod saepius, auctoribus libris.
En outre si quelque chose a été modifié, cela a été fait soit d’après mes réflexions, et encore très rarement, moi qui juge que ça m’est très peu permis dans la jeunesse qui est la mienne, soit, plus souvent, d’après des livres qui font autorité.
Quos habui, ut etiam hoc scias; manuscriptos duos : alterum optimi et doctissimi uiri Abrahami Ortelii, probae notae, et in quo interpuncta adcuratissime obseruata, quod in chirographis alioqui perrarum ; alterum meum, sed unius tantum saeculi librum, inepte etiam descriptum ; excussos : Venetiis apud Aldum, Lugduni apud Gryphium, sic satis bonos; tres alios haut ita sedulo emendatos, Parisiis unum, Basileae alterum, tertium Lipsiae, editos.
Et j’ai eu, pour que tu saches bien, deux manuscrits : le premier du très bon et très savant Abraham Ortelius2, d’une graphie correcte, et dans lequel les marques de ponctuation ont été minutieusement observées, ce qui se voit ailleurs très rarement dans les tracés à la main ; le second m’appartient, mais c’est un livre qui n’a qu’un seul siècle, assez mal copié ; ils ont été imprimés à Venise chez Alde, à Lyon chez Gryphe, et sont du coup assez bons ; trois autres, qui n’ont pas reçu autant de soin dans leurs corrections, l’un édité à Paris, un à Bâle, un troisième à Leipzig.
Ad calcem corollarium adieci, notas meas; breues illas quidem et leues, tamen.
À la fin j’ai rajouté un petit supplément, mes notes, brèves et légères celles-là, mais tout de même.
Iis ista solum a me adnotata quae meliora sperem potius quam adfirmem, quaeque nec temeriter nouanda, nec neglegenter silentio praetereunda uidebantur.
J’ai seulement annoté de façon à pouvoir espérer sinon affirmer, du moins améliorer, tous les lieux qui semblaient devoir être ni révolutionnés par témérité ni passés sous silence par négligence.
Neque earum umquam transgressus leges, commentatoris uicem subii : quum enim cursum illum strenue cucurrerit reuerendus Delrio, palmam ego nullus inuideo nec sane quotquot repperi uarias lectiones adscripsi : uastus iste et uanus, ut puto, in tanta librorum discrepantia labor.
Et je n’ai jamais transgressé leurs règles, mais j’ai endossé la fonction du commentateur : alors que le vénérable Delrio a en effet parcouru activement le cours, moi je ne lui envie nullement la palme et je n’ai pas vraiment ajouté autant de différentes leçons que j’ai trouvées : tâche ample et vaine, à mon avis, vu les si grands écarts entre les manuscrits.
Et, sodes, quotus istas leget ? Res capitalis agitur scilicet, si ego in tali loco, et, in alio, aut, legam; tu ac et uel, malis ; euphonia interdum spectatur, inquiunt, et latens quaedam energia. Non nego.
Et, s’il te plaît, quelle proportion ira lire ces variantes ? c’est d’une importance capitale évidemment3, si moi, à tel endroit, je lis et, et à un autre aut, mais que toi tu préfères ac et uel ; on vise parfois l'euphonie, dit-on, et la force d'un sens latent. Je ne dis pas non.
Sed age, aliquis ista omnia mihi conlegat, breui supra auctorum ipsorum scripta excreuerit huiuscemodi nugamentorum moles.
Mais allez, qu’on m’enlève tout cela ; sous peu une masse de broutilles de la sorte se sera développée sur les textes des auteurs eux-mêmes.
At princeps mihi cura fuit : curare uti ab erratis purus prodiret textus ; ad hanc rem non indiligens fui codicum perscructator : optimum quodque selegi, elegi, suo loco dedi, etiam nulla in notis reddita ratione.
Mais mon premier souci fut de me soucier que le texte progressât exempt d’erreurs ; pour ce faire, j’ai examiné les manuscrits avec grand soin : j’ai sélectionné les meilleurs, choisi, rendu à leur place, sans m’en expliquer dans des notes.
Cur id fecerim ? Certus sum ego ita scriptum aut excussum in isto et isto exemplari ; atque id bene, uix dubito; quid dubitem sequi ?; faciam, sed moneam : umbram aucupantium ista uox, non rem.
Pourquoi l’aurais-je fait ? je suis, moi, certain que cela a été écrit ainsi dans tel et tel exemplaire ; et que cela a été bien fait, j’ai peu d’hésitation ; pourquoi hésiterais-je à suivre telle leçon ? « Je devrais le faire mais prévenir » : cette parole est digne de ceux qui cherchent l’ombre, non le vrai sens.
Ridicule me extollam, si fecerim quod ni fecissem, peccassem.
Je serais bien ridicule de me vanter d’avoir fait ce qui aurait été une faute de ne pas faire.
Locum manifestarie mendosum emendaui auctoribus plurimis librorum ; claram rem si probare uelim, dubiam faciam.
J’ai corrigé un endroit manifestement fautif sous l’autorité de plusieurs de mes manuscrits ; si je voulais prouver une chose claire, je la rendrais douteuse.
Gloriolam aliquam et famam non contemno, minime ; sed promerenda ista, non emendicanda.
Je ne méprise pas quelque menue gloire et réputation, pas du tout ; mais ça doit se gagner et non se mendier.
Volo, inquam, res ipsa criticos moueat, non ostentatio sui.
Je veux, dis-je, que le sens même touche les critiques, non le fait de se mettre en avant.
Si audiatur huic legi, quanta sparsim in eorum libris κρωγμῶν necessaria resegmina !
Si l'on obéissait à cette dernière règle, combien devrait-on rogner ici et là dans leurs livres pleins de braillements !
Video enim, iuuenis alioqui et rudis, in hoc studio facere plerosque quod medici inprobi, quibus uolupe si multi aegri ; desiderant, male adfecti sint auctores, ut ipsi sanent ; nihil occurrat, pura inpurati foedare non uerentur ; cum eo magis laetandum sit, quo minus opus utrorumque opera.
Je vois en effet, moi qui suis du reste jeune et inexpérimenté, que la plupart des gens agissent dans ce travail comme les médecins malhonnêtes, à qui il est agréable que beaucoup soient malades ; ils désirent que les auteurs aient mal, pour les soigner eux-mêmes ; pour peu qu’il n’y ait rien à signaler, impurs, ils ne craignent pas de souiller les choses pures ; alors qu’il faudrait d’autant plus se réjouir de ne pas avoir besoin de l’aide des uns ni des autres4.
Vtinam uero in hac re mens Lipsiana ! In hac re ? quin felix ille cui in cunctis dux Lipsius, ut cui insimul dux ipsa uirtus. Vale.
Puissé-je avoir dans cette affaire l’esprit de Lipse ! dans cette affaire ? bien plus, heureux celui pour qui Lipse est un guide en toutes choses, et du même coup, la vertu même. Porte-toi bien.