Othoni Grynradio Viro Nobili Salutem
Hieronymus Commelinus

Présentation du paratexte

Jérôme Commelin adresse sa dédicatoire à Othon Grynradius / Otto von Grünrad (1545-1613), le précepteur du futur Electeur du Palatinat, Frédéric IV, qui n’est alors âgé que de quinze ans. En tant qu’éditeur, il replace cette publication dans le contexte de ses précédents ouvrages, souligne ce que son travail doit à Frédéric IV – qui lui a mis à disposition des ouvrages de sa bibliothèque – et ce que le futur prince doit à son précepteur, qu’il encourage à continuer dans sa tâche.

Bibliographie :
  • editor, editor, editor, editor, Die deutschen Humanisten. Dokumente zur Überlieferung der antiken und mittelalterlichen Literatur in der Frühen Neuzeit, Abteilung I: Die Kurpfalz, Bd. III: Jacob Micyllus, Johannes Posthius, Johannes Opsopoeus und Abraham Scultetus, pubPlace, publisher, Europa Humanistica 9, date, extent
  • Klaus Karrer, Johannes Posthius (1537-1597): Verzeichnis der Briefe und Werke mit Regesten und Posthius-Biographie, pubPlace, publisher, date
  • https://data.bnf.fr/fr/13324009/johannes_posthius/
  • Bèze, Théodore de, et Hippolyte Aubert. Correspondance de Theodore de Beze. Tome XXVI (1585) Tome XXVI (1585). Geneve: Librairie Droz, 2004.
  • https://data.cerl.org/thesaurus/cnp00094238
  • Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
  • Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Traduction : Pascale PARÉ-REY

Othoni Grynradio uiro Nobili Salutem

Au noble Otto von Grünrad1, salut

Editis iam a me comicis duobus, Grynradi nobilissime, inuitauit tempus hoc τραγικώτατον ut Lucium Annaeum Senecam, qui unicus e latinis tragicis nobilis relictus est, illis subiungerem.

Alors que j’ai déjà édité deux comiques2, très noble Grünrad, ce temps des plus tragiques m’a invité à leur adjoindre Lucius Annaeus Sénèque, le seul des tragiques latins connu qui est resté.

Nactus itaque libros manuscriptos aliquot, sedulo contuli, et scripturam ueterem libello comprehendi : nonnulla obiter quae difficiliora uidebantur, explicaui : coniecturas parce addidi.

C’est pourquoi, tombé sur quelques manuscrits, je m’y suis consciencieusement consacré, et j’ai saisi cette écriture ancienne dans un petit livre ; j’ai expliqué les lieux qui paraissaient assez difficiles à première vue ; j’ai ajouté des conjectures avec parcimonie.

Nosti enim quam periculosae illae esse soleant.

Tu sais en effet combien elles sont dangereuses en général.

Quod autem tibi potissimum has lucubratiunculas inscripserim, id ii re mihi fecisse uideor.

Quant au fait que j’ai écrit pour toi surtout ces opuscules, il me semble l’avoir fait à bon droit.

Animaduerti enim, atque adeo expertus sum, quo animo doctos omnes, et eos qui rempublicam litterariam iuuare conantur, amplecti soleas.

J’ai remarqué en effet, et bien plus, j’en ai fait l’expérience, avec quel état d’esprit tu chéris tous les érudits et ceux qui s’efforcent de soutenir la république des lettres.

Itaque cum testimonium aliquod obseruantiae erga te meae publice exstare uellem, en Seneca poster, nescio quomodo altro sese obtulit ; et certe, cum Σάρταν quae tibi in aula Palatina obtigit3 considero, minime temere.

C’est pourquoi, comme je voulais qu’un témoignage de ma considération envers toi ressorte publiquement, voilà que notre Sénèque, je ne sais comment, s’est présenté de lui-même ; et bien sûr, quand je regarde la Sparte qui t’est échue à la cour palatine, ce n’est pas du tout un hasard.

Quis enim Theologus τῶν ἔξωθεν uiros principes melius et maiori cum delectatione docet quid fugiendum, quid amplectendum ? plura non addam, ne forte γλαῦκα, quod aiunt, εἰς Ἀθήνας. 4

Quel théologien en effet apprend aux hommes (parmi « les païens » j’entends,) de meilleure manière et plus plaisamment ce qu’il faut fuir, ce qu’il faut chérir ? je n’en ajouterai pas davantage, pour ne pas, comme on dit, « porter une chouette à Athènes »

Praeterea, quicquid hic a me animaduersum aut emendatum est, id fere omne illustrissimi Principi Friderico IV, Comiti Palatino ad Rhenum, D. meo clementissimo, ex cuius locuplete Bibliotheca hereditaria manuscripta mihi exempla communicata sunt, debere me ingenue fateor.

En outre, tout ce que j’ai remarqué ou corrigé ici, j’avoue ingénument que je le dois presque entièrement au très illustre prince Frédéric IV, comte palatin du Rhin, monseigneur très obligeant : c’est de la bibliothèque dont il a hérité que des exemplaires manuscrits m’ont été communiqués.

Ipsi autem acceptum referre qua alia ratione melius possim, quam si prior ipse acceperis ? Tu enim praeceptis optimis teneram illius aetatem indefesse instruis, et non sine magna laude exemplo praeis.

Or par quelle autre raison pourrais-je mieux lui rapporter mon crédit que si c’était toi qui en premier l’avais reçu ? C’est toi en effet qui a instruit sa tendre jeunesse par d’excellents préceptes et qui ouvres la route par ton exemple, non sans grand mérite.

Quem quidem cum habeas obsequentissimum, futurum spero ut summa spem bonorum omnium, quam de eo iam puero habuerunt, in dies magis ac magis uirtute superet.

Et puisqu’assurément tu le considères très favorablement, j’espère qu’il dépassera de jour en jour par toujours plus de vertu l’espoir immense que nourrissent tous les gens de bien, qu’ils avaient déjà à son endroit dans son enfance.

Vale uir integerrime, et de Republica Christiana, quod facis, bene mereri perge. Nobilis Typographus Duacensis. Hieronymus Commelinus

Porte-toi bien, irréprochable ami, et continue de bien mériter de la république chrétienne comme tu le fais. Nobilis Typographus Duacensis. Jérôme Commelin.


1. Il se distingua par ses activités de précepteur auprès de grandes familles. Ayant étudié à Leipzig et Wittenberg, il fut repéré et recommandé comme précepteur des fils du comte Jean de Nassau. Ce gentilhomme allemand fut aussi chambellan de Jean-Casimir, qui, quand il fut tuteur de son neveu, le futur Frédéric IV du Palatinat, fit appel à Grünrad comme précepteur. Grünrad devint ensuite président du Conseil ecclésiastique de Heidelberg et joua un rôle important dans la vie ecclésiastique du Palatinat
2. On connait l’édition des comédies de Térence Publii Terentii Comoediae, ex vetustissimis libris et versuum ratione a Gabriele Faerno emendatae, parue à Heidelberg en 1587, qu’il a imprimée et préfacée pour les éditeurs Gabriele Faerno et Pietro Vettori; en revanche, nous n’avons pas trouvé trace d’une édition de Plaute ou même des comiques grecques, ni par Commelin ni par son officine. Il semble enfin difficile de penser qu’il considère les autres auteurs classiques édités comme des comiques.
3. Erasme, Adagia 1401, Il s’agit de rendre dans un meilleur état les provinces qui sont échues.
4. Erasme, Adagia 111, C'est-à-dire faire quelque chose d’inutile.