Janus Dousa Nordouix etc.
Ianus Dousa

Présentation du paratexte

Poème en distiques élégiaques de Janus Dousa, professeur, philologue, artiste hollandais contemporain de Gruter, l’éditeur.

Bibliographie :
  • Gemeentearchief Leiden, et C.L Heesakkers. Janus Dousa en zijn vrienden: leidraad bij een tentoonstelling. Leiden: Universiteitsbibliotheek, 1973.
  • Heesakkers, C.L. Een netwerk aan de basis van de Leidse universiteit: het album amicorum van Janus Dousa. Leiden; Den Haag: Universiteitsbibliotheek Leiden ; Jongbloed, 2000.
  • Heesakkers, C.L, Wilma M.S Reinders, et Jan Biezen. Genoeglijk bovenal zijn mij de Muzen: de Leidse Neolatijnse dichter Janus Dousa (1545-1604). Leiden: Dimensie, 1993.
  • Eckard Lefevre, Eckart Schäfer (éd.), Ianus Dousa : neulateinischer Dichter und klassischer Philologe, Tübingen ; G. Narr, cop. 2009.
  • Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
  • Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Traduction : Pascale PARE-REYChristian NICOLAS

Ianus Dousa Nordouix etc.

Johan van der Does, seigneur de Noordwijk

Romulus Antiquae posuit fundamina Romae, Defensae titulum Manlius arcis habet ; Gens, Veios fuerat quae migratura, Quiritum, Restitit haec opibus nixa Camille tuis.

Romulus posa les fondements de la Rome antique, Manlius1 possède le titre de la citadelle qu’il a défendue, C’est la nation des Quirites devant se réfugier à Véies,2 Qui, forte de ton aide, Camille, la remit debout.

Non unus trepidam seruauit Horatius Vrbem, Hic cursu, hic saltu : par utriusque decus.

Ce n’est pas un seul Horace qui sauva la Ville en alarme, Celui-ci en courant, celui-là en sautant ; mais l’honneur revint à égalité à l’un et l’autre.

At ueteres primum muros et moenia priscus Quadrato exstruxit Tarquinius lapide.

Mais Tarquin l’Ancien, tout d’abord, éleva les vieilles murailles et les remparts de pierre de taille.

Post latere e cocto fuerat quae condita moles, Facta eadem Augusti munere marmorea est.

Ensuite, l’ouvrage qui avait été bâti de brique cuite, Fut lui-même fait de marbre par l’œuvre d’Auguste.

Augusti exemplo pomoeria dilatarunt Claudius atque Nero, deinde alii atque alii.

A l’exemple d’Auguste, les espaces du pomœrium Furent étendus par Claude et Néron, ensuite par les uns et les autres.

Omnia nequicquam ; tantum Capitolio, et Vrbi Nempe dedit feritas Gotthica uastitiem.

Tout cela en vain : tant du Capitole et de la Ville la sauvagerie des Goths provoqua la ruine !

Cuique satis fuerant uix tot modo saecla struendae, Diruit hanc modico tempore barbaries : Illa sacra hostili transgressa est moenia saltu, Sacrilegas templis intulit illa faces.

Alors que pour élever cette dernière tant de siècles avaient naguère à peine suffi, la barbarie rapidement la renversa : Elle franchit ces remparts sacrés d’un saut ennemi, Elle introduisit dans les temples des torches sacrilèges.

Cum Pallas, Sophia atque nouem comitata Deabus, Vngue comam, exsangues et lacerata genas, Perdita clamaret : « sceleratas stinguite flammas, Stinguite ; sunt isto uiscera nostra rogo. »

Comme Pallas et la Sagesse accompagnant les neuf Muses, Elle dont les ongles avaient déchiré la chevelure et les joues exsangues, S’écriait, éperdue : « éteignez les flammes criminelles, Eteignez-les ! ce sont nos entrailles qui se trouvent dans ce feu ! »

Ah scelus, ah facinus, uiolentis ignibus arsit Actia cum Phoebo bibliotheca suo.

Ô crime, ô attentat, elle brûla de violents feux la bibliothèque de l'Apollon d'Actium.3

Sacrilegas sensere faces loca sacra Mineruae Alcides Musis nec tulit ullus opem.

Des lieux sacrés à Minerve ont ressenti les torches sacrilèges Et aucun Alcide n’a pu venir en aide aux Muses.

Sic per saecla aliquot priuis oppressa ruinis, Hostibus Vrbs iacuit uel miseranda suis.

C’est ainsi qu’à travers des siècles accablés chacun par leurs ruines, La Ville fut mise à bas, digne de la pitié de ses propres ennemis.

Nec quisquam a tanto reppertus tempore, Romam Subuersam auderet qui reparare, fuit

Et on n’a trouvé personne, depuis si longtemps, Qui osât remettre debout Rome renversée.

Nec, mirum siquidem medicinam adhibere sepultis, Vel conclamatis ars uetat Hippocratis 4.

Et ce n’est pas étonnant puisque l’art d’Hippocrate interdit D’appliquer ses remèdes à des être ensevelis, même célèbres ;

Hic ubi non medico, sed opus uel numine Phoebi, Paeonis aut opera, Pergameiue Dei.

Là où on n’a pas besoin d’un médecin, mais de la faveur de Phébus, de l’aide de Péon5 ou du dieu de Pergame.

Multum Roma tamen debet tibi Blonde, Mureto, Sigonio, Vrsino, nec minus Onufrio, Cuius opus Fasti (quid enim famosius illis ?) Det6 distincta suis tempora consulibus.

Rome te doit beaucoup, Blondus7, ainsi qu'à Muret8, Sigonius9, Vrsinus10, et tout autant à Onufrius11, Dont l'oeuvre des Fastes12 (de fait, quoi de plus fameux ?) confèrent à chaque consul son époque.

Vidimus et ductos non una ex gente triumphos,Et Capitolini templa superba Iouis,Fragmina adesorum lapidum, monumentaque Smeti,Terrai e caecis eruta uisceribus

Nous avons vu des triomphes remportés sur plus d’une nation,Les temples superbes de Jupiter Capitolin,Des fragments de pierre rongée, des monuments de Smetius13,Arrachés aux entrailles aveugles de la terre.

Delubra huic, illi referunt accepta salutem signa, triumphales quae posuere manus.

Le salut est rendu à celui-ci par les sanctuaires,à celui-là par les statues reçues, qu’ont déposées les mains des triomphateurs.

Est quoque, cui manes debent incisaque cippisElogia, et cascis marmora scalpta notis.

Il y a aussi celui à qui sont redevables les mânes et les éloges gravéssur des cippes et les marbres sculptés d’anciennes inscriptions.

Atque hos de studiis meritos bene, deque latinoNomine, per partes laus sua quemque manet.

Et quant à ceux qui ont rendu service aux études et au nom latin,une louange est réservée à la mesure de chacun.

Gruteri at nostri haec laus est quota ? Carmina testesItaliam ipse quibus lampada luxit amor.

Mais jusqu’où louer Gruter ?Ses poèmes14 en sont témoins, eux grâce auxquels l’amour lui-même a fait briller l’Italie comme une lampe.15

Ludicra at haec, dices ; aliud Libitina loquetur :Guillelmique datae manibus inferiae

Tu les qualifieras de récréations ; Libitina16 dira que c’est autre chose :Des sacrifices offerts aux mânes de Guillaume17.

Seria si curas, Gruteri respice arachnen : Doctior ac melior hinc simul esse queas.

Si tu veux être sérieux, regarde la boussole 18 de Gruter :Tu pourrais y gagner à la fois en science et en moralité.

Nam quid ego hic criticen referam ? Laus priua Grutere Haec tua, Turnebus audiat ipse licet.

Car pourquoi rapporter ici une critique ? L’éloge qui t’est propre, Gruter,Le voici19, Turnèbe20 lui-même peut l’entendre.

Triga Annaeorum testis ; rhetorque sophosque Cum uate : hinc pater, hinc filius, inde nepos.

La triade des Annaei en témoigne : le rhéteur, le sageet le poète : là le père, là le fils, ici le neveu.21

Testis, Dousaeum praefert quae pagina nomen, Bilbilici uatis, mille nouata locis.

Témoin, la page qui porte le nom de Dousa, Pour le poète de Bilbilis22, renouvelée en mille lieux.

His super accedunt Luci Compendia Flori, Quam bene Gruteris emaculata notis.

A cela s’ajoutent les Abrégés de Lucius Florus23,si bien éclaircis par les notes de Gruter.

Varro tibi, tibi se Festus debere fatetur : Et, tibi quod uates imputet Vmber habet.

A toi Varron, à toi Festus avouent t’être redevable24 :Et c’est à toi que le poète Ombrien25 doit attribuer ce qu’il possède.

Nos quoque debemus, quis enim tot pressa ruinis Marmora, uindiciis nosceret absque tuis ?

Nous aussi, nous te sommes redevables : qui en effet connaîtrait tant de marbres écrasés sous les ruines s’il n’y avait eu tes restitutions ?

Hinc magna quoque parte sui nunc Roma superstes Omne quod agnoscit muneris esse tui.

De là en grande partie aussi Rome qui se survit à elle-même témoigne aujourd’huiqu’elle reconnaît tout ce qui relève de ton œuvre.

Optaretque uicem tibi posse ac soluere grates ;Soluendo sed se non uidet esse parem.

Et elle souhaiterait en retour pouvoir témoigner également sa reconnaissance ; mais elle ne voit pas qu’elle se rend égale en la témoignant.

Illa igitur per te rediuiuas surgit in auras,Vt se bis genitam dicere iure queat ;Vsque recens, et (quod cum uerbi paene pericloDixero) ui genii Virbia facta tui.

Elle se lève donc grâce à toi au milieu des brises renaissantes, Si bien qu’elle peut dire à bon droit qu’elle est née deux fois ; Toujours fraîche, et (ce que j’aurai presque dit en risquant le mot) devenue Virbia26 par la force de ton génie.

Sic Gruteri opibus res stat Romana,salusque Omnis in hoc uno nititur Ausoniae.

Ainsi demeurent les affaires romaines grâce aux ressources de Gruter, et le salut de toute l’Ausonie repose sur celui-là seul.

Quod nisi se tanto tibicine sustentaret,Iam quiuis poterat dicere : Roma fuit.

Or si elle ne se maintenait par ce si grand soutien, Désormais n’importe qui pourrait dire : Rome a existé.

At nos Hesperium stulti properamus in orbem, Et medio Romam quaerimus in Latio.

Mais nous, nous nous hâtons, dans notre bêtise, vers l’orbe d’Hespérie, Et cherchons Rome en plein Latium.

Nec tamen ullus adhuc, genium (quis crederet ?) VrbisAeternae potuit qui reperire, fuit

Et cependant il n’y a eu personne encore (qui le croirait ?) qui a pu Retrouver le génie de la Ville Eternelle.

Siste gradum ; neque tanta Vrbis (Germane) cupidoTe moueat patriis tam procul a Laribus.

Arrête-toi ; et que le si grand désir d’une Ville, Germain, Ne t’entraîne pas si loin des Lares paternels.

Nil longas opus ire uias, pete moenia Nicri.Quippe domi quod habes, cur aliunde petas ?Nosse aliquis priscae genium desiderat Vrbis ?In se Vrbis genios mille Gruterus habet.

Nul besoin de courir de longs chemins ; gagne les murailles du Neckar27.Pourquoi chercher ailleurs ce que tu as certainement chez toi ? Quelqu'un désire-t-il connaître le génie de la Ville antique ? Gruter possède en lui mille génies de cette Ville.


1. (Marcus) Manlius, dit Capitolinus, parce qu’il participa à la défense du Capitole contre les Gaulois menés par Brennus.
2. Suite au sac de Rome par les Gaulois, Véies servit d'asile aux réfugiés romains.
3. Même s’il est des hypothèses sur la présence d’un monument commémorant la bataille d’Actium sur le Palatin (https://journals.openedition.org/mefra/4446), il n’est pas fait mention d’une bibliothèque dans nos sources. Il s’agit peut-être d’une allusion plaisante à la charge de directeur de la bibliothèque « Palatine » (à Heidelberg) que Jean Gruter venait de prendre en 1602.
4. La référence demeure introuvable.Il s’agit peut-être d’une référence à la fameuse phrase du serment : « J'utiliserai le régime pour l'utilité des malades, suivant mon pouvoir et mon jugement; mais si c'est pour leur perte ou pour une injustice à leur égard, je jure d'y faire obstacle. Je ne remettrai à personne une drogue mortelle si on me la demande, ni ne prendrai l'initiative d'une telle suggestion. » (Traduit par J. Jouanna, Hippocrate, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1992).
5. C'est-à-dire du dieu de la médecine.
6. Le texte de l'édition ne faisant pas sens, nous proposons la correction de et en det.
7. Flavio Biondo, 1388-1463
8. Marc-Antoine Muret, 1526-1585
9. Sigonius, 1520-1584
10. Fulvio Orsini, 1529-1600
11. Onophrinius Panvinius, 1530-1568
12. Panvinio, Onofrio. Fasti et triumphi Rom. A Romulo rege usque ad Carolum V. Caes. Aug. sive Epitome regum, consulum, magistror. equitum, tribunorum militum consulari ... ex antiquitatum monumentis maxima cum fide ac diligentia desumpta: additae sunt suis locis impp. et orientalium et occidentalium verissimae icones, ex vetustissimis numismatis quam fidelissime delineatae. Venetiis: Impensis Iacobi Stradae Mantuani, 1557.
13. Martinus Smetius d'Oostwinkel (Maarten de Smet, c. 1525-1578) érudit flamand auteur d’un recueil d’inscriptions latines, publié en 1588 par Juste Lipse, avec l’aide de Scaliger, Velser et d’autres, à Leyde, chez F. Raphelengius : Smet, Martin de, et Justus Lipsius. Inscriptionvm antiqvarvm quae passim per Europam, liber. Lugduni Batauorum: ex officina Plantiniana, apud Franciscum Raphelengium, 1588.
14. Ses recueils poétiques récemment publiés : Gruterus, Janus. Pericula poetica, id est : Elegiarum libri IV ; Manium Guillielmianorum liberunus ; Epigrammatum libellus ; Harmosynes, sive ocellorum libellus. Heidelberg, 1587 et Pericula secunda, Heidelberg, 1590, in-12.
15. Allusion très probable à son recueil Gruterus, Janus. Lampas, sive fax artium liberalium, hoc est, Thesaurus criticus, in quo infinitis locis theologorum ... notantur ... erutus et foras prodire iussus. Francofurti: Rhodius, 1602, contenant des dissertations philologiques d’humanistes des XVe et XVIe siècles.
16. Déesse des morts.
17. Allusion au Manium Guillielmianorum liber unus des Pericula poetica publiés en 1587 à Heidelberg.
18. On aurait pu penser à un poème de Gruter intitulé Arachne, mais il semble qu’il faille devoir prendre ce terme au sens figuré, Gruter offrant bien des repères dans ses éditions.
19. Commence ensuite une énumération des travaux d’édition et de commentaire de Gruter.
20. Adrianus Turnebus : Adrien Turnèbe, ou Tournebeuf, (1512 - 1565) poète, critique et commentateur humaniste.
21. Allusion à Seneca, Lucius Annaeus. Animadversiones in Seneca Opera. Édité par Marc Antoine Muret et Janus Gruterus. Heidelberg: Ex typographeio Hieronymi Commelini, 1594.
22. Allusion à l’édition des épigrammes de Martial : Valerii Martialis Epigrammata, cum notis, Heidelberg, 1600, in-12 ; Francfort, 1602, in-16 ; Leyde, 1619, in-12.
23. Notæ ad Flori libros IV Rerum Romanarum, Heidelberg, 1597, in-8°.
24. Peut-être commentés dans la trentaine de livres de Suspiciones qu’il écrivit, outre ceux mentionnés dans la note suivante.
25. Plaute, né à Sarsina, auquel – entre autres – il consacra ses Suspicionum Libri novem, in quibus varia scriptorum loca, præcipue vero Plauti, Apuleii et Senecae, emendantur, Wittemberg, 1591, in-8°.
26. Jeu avec Virbius : divinité italique, personnifiant le Soleil.
27. Rivière de Germanie.