Présentation du paratexte
- Maria Teresa Laneri, « Sulle dediche di Giovanni Calfurnio a Marco Aurelio, umanista mecenate », Sandalion, 26-28 (2003-2005), p. 239-258
- Maria Teresa Laneri, « Un corrispondente epistolare di Marsilio Ficino : l’umanista veneziano Marco Aurelio », Sandalion, 29-30 (2006-2007), p. 215- 237
- Didier Marcotte, « La bibliothèque de Jean Calphurnius », Humanistica Lovaniensia, 36 (1987), p. 184-211
- John Monfasani, “Calfurnio's Identification of Pseudepigrapha of Ognibene, Fenestella, and Trebizond, and His Attack on Renaissance Commentaries”, Renaissance Quarterly, 41.1 (1988), p. 32-43
Calphurnius Brixiensis Marco Aurelio uiro praeclarissimo salutem
Calfurnio de Brescia 1 à Marco Aurelio 2, homme éminent, bonjour.
Constat antiquos scriptores, Marce Aureli, qui disciplinarum omnium multa et uaria cognitione praediti erant, animum magis pro uirili intendisse ad edendum sua quam ad interpretandum aliorum scripta, quod in altero plus laudis, in altero uero paene plus laboris et minus fauoris assequerentur.
Il est clair que les auteurs antiques, Marco Aurelio, qui étaient dotés de connaissances multiples et variées dans tous les domaines, se sont plus qu’à leur tour attachés à éditer leurs propres œuvres plutôt qu’à commenter celles d’autrui, dans l’idée que dans le premier cas on acquiert plus de gloire et dans le second, en revanche, presque plus de travail et moins de faveur.
Fuere tamen nonnulli qui uiam quandam perutilem et compendiosam tenentes ea quae abstrusa tantum uidebantur commode et breuiter explicuerunt.
Il y en a eu toutefois qui, tenants d’une sorte de méthode fort utile et fructueuse, ont expliqué commodément et brièvement ce qui semblait abscons.
Qua in re Varro, togatorum omnium eruditissimus (ut in omnibus praecipuam meruit laudem qui omnis antiquitatis et Latinae linguae indagator acutissimus3), nonnulla quae apud poetas paucis intellecta credidit summa cum diligentia inuestigauit.
Dans ce genre, Varron, le plus érudit de tous les vieux Romains, a, ô combien, mérité la palme. Auteur très pointu de recherches sur toute l’antiquité et sur la langue latine, il a exercé sa perspicacité avec le plus grand zèle sur quelques points de critique des poètes, qu’il a estimés compris de seulement quelques-uns.
Cuius operis pars utinam ad nos non sic imminuta et ad nil ferme redacta peruenisset !
Quel dommage que de son œuvre seule une part infime et presque réduite à rien nous soit parvenue !
Hunc secuti alii, sed permutato ordine, utpote qui totum opus interpretandum susceperunt.
D’autres l’ont suivi mais en modifiant son plan, par exemple ceux qui ont entrepris de commenter un ouvrage entier.
Inter quos Aelius Donatus, grammaticorum peritissimus, principatum mihi obtinuisse uidetur.
Parmi eux Aelius Donat, le plus aguerri des grammairiens, me paraît avoir obtenu la première place 4.
De quo, ut paucis absoluam, si meum requiras, ut consueuisti, iudicium, hic est solus qui nobis uiam qua Terentii comici sensus ormnis, Plautinam dicendi consuetudinem ceterorumque comicorum, si extarent, perciperemus non tam accurate quam discrete aperuit.
À son sujet, pour le dire brièvement, au cas où tu réclamerais, comme souvent, mon avis, il est le seul à avoir, avec autant de scrupule que de discernement, ouvert la voie d’accès à toute la portée du comique Térence, à la phraséologie plautinienne et à celle de tous les autres comiques, s’ils nous étaient parvenus.
In eo est summa dicendi breuitas, cuiuslibet partis quae ad artem spectat summa examinatio.
Chez lui, il y a une extrême concision, un extrême souci du détail de toutes les parties qui relèvent de la technique.
Adde quod in ui et significatione uocabulorum exponenda tantus insurgit ut huius enarratione nihil expressius sit aut significantius.
En outre, dans l’explication de la valeur et du sens des mots, il est si grand que, en regard de son exposé, il n’y a rien de plus expressif ni de plus significatif.
Ea enim tantummodo attingit quae ad operis interpretandi expositionem faciunt. In eo nihil est superfluum, nihil uerbosum.
Car l’explication lexicale, chez lui, se contente d’effleurer ce qui sert à l’interprétation de l’œuvre à commenter : rien chez lui de superflu, rien de verbeux.
Qua in re aetatis nostrae homines non possum non uehementer admirari, qui inclusi scribentes5 nil aliud edere festinant quam commentatiunculas quasdam, in quibus quae abstrusa sunt et interpretatione non parua indigerent, sicco, ut fertur, pede praetereunt, in rebus uero leuioribus ac facilioribus hunc et illum auctorem in testimonium adducentes multa scisse multaque lectitasse uideri uolunt.
À ce sujet, je ne peux manquer de marquer ma vive admiration pour nos contemporains qui, écrivant comme en prison, n’ont d’autre hâte que de publier des sortes de petits essais dans lesquels ce qui est abscons et qui mérite une explication approfondie, ils le longent en gardant le pied sec, comme on dit, alors que pour ce qui est des points de détail plus faciles, invoquant alors tel ou tel auteur, ils veulent montrer qu’ils savent tout, qu’ils ont tout lu.
Est qui ineptiolas quasdam in epistolam Sapphus edidisse gloriatur, alter in Priapeia Maronis aut in Tibullum. De iis nihil loquor, qui tantum pauca admodum obscura colligunt.
Celui-ci se flatte d’avoir publié quelques babioles ineptes sur la lettre de Sapho, celui-là sur les Priapées de Virgile ou sur Tibulle ; à leur sujet, je ne dis rien : ils se contentent de rassembler quelques idées tout à fait obscures.
Illud sane minime ferendum, quod noui quidam impressores nuper inceperunt, qui, ut uoluminibus suis gratiam et auctoritatem acquirant et eo pluris uendant, falso praeclarissimorum uirorum nomina quibusdam insulsissimis nugis inscribunt, ut is qui in Lucanum uerbosissimas expositiones et eiiciendas impressit, quas sub nomine Omniboni, uiri integerrimi et eruditissimi, praeceptorisque mei amantissimi, non tam temere quam sacrilege edidit.
Mais il y a une pratique tout à fait insupportable, qu’ont mise en œuvre depuis peu certains nouveaux imprimeurs qui, pour donner à leurs ouvrages faveur et autorité et, par là, les vendre plus cher, inscrivent fallacieusement le nom d’hommes très illustres auprès du titre de leurs très insipides balivernes : par exemple celui qui a imprimé un commentaire de Lucain très verbeux et bon à jeter, qu’il n’a pas craint d’éditer de façon sacrilège sous le nom d’Ognibene, un homme très intègre, très savant, qui fut mon maître et qui avait beaucoup d’affection pour moi6.
Manes certe Omniboni me orant, obsecrant ut illum a tanta contumelia uindicem.
Bien sûr, les Mânes d’Ognibene me prient, me supplient de tirer vengeance du si grand affront qu’on lui a fait.
Nonne ego Omnibonum intus et in cute noui ?
Est-ce que je ne connais pas Ognibene intimement ?
Nunquam has ineptias effudit.
Jamais il n’a répandu de telles inepties.
Immo tanti uiri animus a nulla re magis alienus erat quam ab huiuscemodi commentatiunculis.
Au contraire, l’esprit de ce grand homme était on ne peut plus étranger aux petits essais de ce genre.
Paulo ante illius interitum Vicentia discendens Bononiam sum profectus, necdum ad aliquid tale animum intenderat, uerum odio insectabatur, detestabatur mirum in modum huiuscemodi homines, qui auctores antiquos ineptis commentationibus coinquinarent.
Peu avant sa mort, j’ai quitté Vicence pour Bologne et jusqu’alors il ne s’était attaché à rien de tel ; bien au contraire, il poursuivait de sa haine, il détestait au plus haut point ce genre d’hommes capables de couvrir de boue les grands auteurs dans leurs ouvrages.
Quis illam de Georgio Trapezuntio falsam ferat inscriptionem ? Quis commentariolos in Ciceronis Antonianas editos ab hoc praestantissimo rhetore putet ? Non possum nisi risu soluto opusculum illud de magistratibus inspicere quod Lucio Fenestellae, quoniam et is de magistratibus scripsit, sed non extat, ascribitur.
Qui pourrait supporter le fameux faux titre impliquant Georges de Trébizonde ? Qui pourrait croire que ces ergotages sur les Philippiques de Cicéron émanent de ce remarquable rhéteur ? Je ne peux sans éclater de rire regarder cet ouvrage intitulé Des magistratures qui porte le nom de Lucius Fenestella, dans la mesure où lui aussi a écrit un Des magistratures (ouvrage perdu).
Piget plura de iis referre ; sed hos cum sua ignorantia relinquamus.
On a scrupule à en dire davantage sur ces escrocs. Mais laissons-les à leur ignorance
Sequamur potius Donatum, celeberrimum expositorem, in quo, etsi non parua iactura facta est, quod multa sint loca manca adeo et corrupta ut ad integrum redigi non possint, maiori tamen ex parte sui ad nos peruenit et in multis nostro fortasse labore factus integer et emendatior multis studiosis magis quam antea proderit.
Suivons plutôt Donat, le plus célèbre commentateur : même si chez lui la perte est importante, parce que de nombreux endroits sont lacunaires et à ce point corrompus qu’on ne peut les restituer dans leur intégrité, il en reste pourtant une grande partie authentique qui nous est parvenue et, dans bien des cas, suite peut-être à notre travail critique, restitué dans son intégrité et mieux émendé, il pourra servir à de nombreux savants encore plus qu’auparavant.
Insuper annotatiunculas quasdam perbreues in Heautontimorumenon te potissimum, quem plurimi facio, adhortante, adiunxi, quas me ex tempore dictante Antonius Moretus Brixiensis, adolescens eruditissimus, exscripsit, qui, ut sane de litteris Latinis bene meritus est, hae ut una cum Donato diligenter imprimerentur curauit.
En outre, j’ai ajouté quelques brèves annotations à L’Heautontimorumenus, principalement sur ta demande à toi, que j’estime tant ; c’est en direct, sous ma dictée, qu’Antonio Moretti de Brescia, jeune homme fort savant, les a transcrites : il a vraiment bien mérité des lettres latines ! Il s’est chargé de les faire imprimer en même temps que Donat.
Nullius autem iudicium secutus sum, quippe cum nemo adhuc id quod ego ausus fuerit. Nec id possum dicere quod Donatus :
Je n’ai suivi l’avis de personne dans la mesure où jusqu’ici personne n’avait osé ce que j’ai osé et je ne peux pas répéter ce que dit Donat :
"ego adhaesionem sequor, qui recte intellexerit Terentium
7
« Mais pour ma part, je cherche à coller avec celui qui connaît si bien Térence ».
Non ignoro tamen indoctos quosdam
paedagogos non meum probaturos opusculum quod eorum natura sit insolens et, ut Fabius ait, "peritis cedere dedignantur
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Je n’ignore pourtant pas qu’il y aura certains professeurs incultes pour ne pas approuver mon petit ouvrage, parce que leur caractère est indolent et que, comme dit Quintilien, « ils ne daignent pas céder aux spécialistes ».
Sed sat erit, Marce, si id a te comprobari sensero.
Mais, cher Marco, il me suffira d’avoir ton approbation.
Te enim tanti et merito facio quanti Varronem illum prisca aetas.
Car je fais de toi, et à juste titre, autant de cas que cette génération antique en faisait de Varron.
Nam praeter summam quae in te est doctrinam, quis illud conticescat, quantus in re publica Veneta uir sis et habearis, et quo gradu ac potius cursu ad summa quaeque ascendas?
Car, en plus de toutes ces connaissances qui sont en toi, qui pourrait passer sous silence la place que tu occupes dans la république de Venise, réellement et en réputation, la marche ou plutôt le pas de course qui te mène à tous les sommets ?
Quicquid igitur id est a Calphurnio tuo pro munusculo accipe donec te maioribus muneribus, ut par est, onerem.
Quoi que cela vaille, reçois cet ouvrage de ton ami Calfurnio en petit cadeau, jusqu’à ce que, comme il se doit, je puisse te couvrir de cadeaux plus grands.
Vale, decus litterarum
Salut à toi, flambeau de la littérature.