Présentation du paratexte
Cette épître dédicatoire s’adresse à un ami manceau du Manceau Jouenneaux et fait l’éloge de l’amitié sans contrepartie.
Bibliographie :Guido Iuuenalis Martino Guerrando iuris utriusque et pontificii et caesarii peritissimo atque uenerandi in Christo patris praesulis Cenomanensis secretario dignissimo S<alutem> P<lurimam> D<at>
Guy Jouenneaux donne un salut appuyé à Martinus Guerrandus1, expert dans les deux droits, le pontifical et le césarien, et très digne secrétaire du vénérable dans le Christ évêque du Mans2.
Non sine optima ratione Cicero noster memoriae proditum reliquit beniuolentiam ueram non adulescentulorum more ardore quodam amoris sed stabilitate potius et constantia esse iudicandam.
Ce n’est pas sans une excellente raison que notre cher Cicéron a laissé à notre souvenir que « la vraie bienveillance, ce n’est pas à la façon des tout jeunes gens, d’après une certaine chaleur de l’affection, mais d’après plutôt sa stabilité et sa permanence qu’il faut la juger »3.
Nam plerosque uideris se amicos iactitantes dum nulla probandae amicitiae perstat occasio, qui si eum quem a se tantopere amari profitentur fortunae reflatu afflictum cernerent, minime forent dubitaturi hirundines imitari, quae (ut ait Cicero libro IIII ad Herennium) aestiuo tempore praesto sunt ; frigore autem pulsae recedunt ; quas tunc falsos amicos imitari constat qui sereno uitae in tempore praesto sunt at simul atque hiemem fortunae uiderint, deuolant omnes4.
Car on en verrait beaucoup s’affirmer amis haut et fort sans jamais laisser une occasion de prouver leur amitié, qui, s’ils voient celui qu’ils prétendent aimer à ce point victime d’un revers de fortune, n’hésiteraient pas à imiter les hirondelles qui (aux dires de Cicéron, Rhet. ad Herenn. Livre 45) sont disponibles au temps chaud ; mais chassées par le froid, elles s’en vont ; il est clair que les faux amis les imitent, qui par beau temps de la vie sont disponibles mais dès qu’ils ont vu l’hiver de la fortune, ils s’envolent tous.
De quibus non tacuit Ouidius in haec uerba prorumpens :
À leur sujet, Ovide n’est pas resté silencieux, qui s’exprime en ces mots :
.
« Par beau temps tu auras de fort nombreux amis, Mais si le temps se couvre, alors tu seras seul ».
Alios cernere est tantisper amicitiam se tenere profitentes dum quis fortunae prospero flatu usus ad optatos exitus euehitur estque in ea causa in qua multis tales afficiat muneribus, quem si contingat reflatu fortunae opprimi, procul sunt id genus homines abfuturi, ut se profiteantur aliqua cum afflicto fuisse unquam necessitudine iunctos quod genus amicos uulgares Ouidius uocat in haec uerba :
On peut en voir d’autres qui reconnaissent conserver de l’amitié aussi longtemps que, porté sur les ailes prospères de la fortune, on est mené vers l’issue souhaitée et qu’on est dans la situation où on fait beaucoup de cadeaux ; mais si on en venait à être victime d’un revers de fortune, ces hommes s’éloigneront, en professant néanmoins avoir été unis au malheureux par un lien d’amitié, genre d’amis qu’Ovide évoque ainsi :
« Pour les gens, l’amitié s’évalue à l’utile ».
Veri autem amici nulla tempestate ac procella ab amicitia possunt dimoueri ; quin immo cuncta aduersa sibi cum amico communia putant, nec immerito, nam eiusmodi amicitia radices agit in uirtute atque etiam in dies propagatur et latius manat.
Mais les vrais amis, aucune tempête, aucun orage ne peut les faire bouger ; non, ils pensent devoir partager tous les malheurs avec leur ami, et c’est juste, car ce genre d’amitié pousse ses racines dans la vertu et se propage jour après jour et se développe.
Ficta autem omnia, Cicerone attestante, tanquam flosculi decidunt nec simulatum potest quicquam esse diuturnum8.
Mais ce qui est faux, comme le dit Cicéron, tombe comme des pétales et rien de feint ne dure longtemps.
Testes sunt illi amici apud Graecos cantatissimi qui suis ultro citroque officiis omnem iactationem superarunt, nec dubio procul iniuria quandoquidem probatio dilectionis exhibitio est operis.
En témoignent ces amis tant vantés chez les Grecs qui, par leurs bons services mutuels, ont dépassé la simple proclamation d’amitié, et indubitablement, sans mentir, puisqu’on prouve son affection en montrant un acte.
Haec est illa amicitia in qua aeque quisque altero delectatur ac se ipso, in qua etiam efficitur id quod Pythagoras uult in amicitia, ut unus fiat ex pluribus.
C’est cette amitié dans laquelle chacun est aimé à égalité de l’autre et de soi-même, dans laquelle se réalise aussi ce que Pythagore préconise dans l’amitié, que plusieurs ne fassent plus qu’un.9
Qua quidem amicitia, uir praestantissime Martine, sic erga me frui uoluisti ut nulla ductus spe utilitatis semper me intimum habueris, ex quo tuam bono omine mihi contigit gratiam inire et quidem usque eo ut omnes uias fueris me absente persecutus, quibus me in uigilantissimi pastoris nostri gratiam pedetemptim insinuares.
C’est de cette amitié, excellent Martinus, que tu as voulu disposer chez moi, sans être attiré par aucune espérance d’utilité mais pour être avec moi comme un intime ; c’est pourquoi j’ai eu la chance d’entrer dans tes bonnes grâces, jusqu’au point que, en mon absence, tu as suivi toutes les routes capables de m’ouvrir discrètement les faveurs de notre si vigilant pasteur.10
Quod profecto sensi ex te effectum esse una cum ceteris mihi beniuolis.
Cela, sûrement, j’ai le sentiment que tu l’as fait avec tous ceux qui me veulent du bien.
Pro quibus beneficiis ac prompto affectu, quibus tecum agere uerbis debeam in agendis gratiis penitus me latet.
À ces bienfaits, à ton affection spontanée, par quels mots répondre au moment de te remercier, la chose m’échappe tout à fait.
Video enim pro tantis officiis uile esse munus orationis.
Car je vois bien que pour de tels services, l’offrande d’un discours ne vaut rien.
At uenire in mentem solet identidem mira in tuos mansuetudo, qua sic in me praecipue frui soles ut cumulatam tibi gratiam me retulisse credas si me nonnihil gratiarum habere perspicias.
Mais je pense souvent à ta constante mansuétude à l’endroit des tiens, que tu pratiques d’ordinaire à mon égard surtout, au point de croire que je t’ai rendu la pareille de toutes tes faveurs accumulées quand tu t’aperçois que je t’ai fait un bout de remerciement.
Quod animi genus quam mihi gratum accidat, ipse sum mihi testis locupletissimus.
Du plaisir que me procure cet état d’esprit, je suis pour moi-même le témoin le plus prolixe.
In qua animi promptitudine ut tibi uni concedam facile patiar, praeterea nemini, quandoquidem tali me sentio natum esse ingenio ut uehementissime abhorream alienusque sim a taeterrimo inuisissimoque ingratitudinis flagitio, adeo ut si gratiae referendae sit denegata facultas, habendae certe puto mihi facultatem nunquam iri denegatum.
Dans cet empressement de l’âme, je pourrais facilement te faire à toi seul des concessions, et à personne d’autre, d’autant que j’ai le sentiment d’être par nature vivement étranger et hostile à la honte abominable et odieuse de l’ingratitude, au point que, si on supprimait la possibilité de témoigner sa reconnaissance, je crois quand même que la possibilité de remercier ne me serait jamais supprimée à moi.
Et ne tuas aures delicatas obtundam, te etiam rogo ut si ad institutam in me beneuolentiam aliquid posse accedere, accedat ; sin minus, nihil saltem unquam detrimenti accipiat.
Et pour éviter d’assommer tes oreilles délicates, je te demande même, si quelque chose peut être ajouté à la bienveillance que tu as instaurée à mon égard, de l’ajouter ; sinon, que rien n’en soit retranché.
Hoc mihi gratius facere nihil potes.
Tu ne peux rien me faire de plus agréable.
Vale.
Adieu.
beneuolentiam non adulescentulorum more ardore quodam amoris sed stabilitate potius et constantia iudicemus.
Id est huiusmodi : ‘ita ut irundines aestiuo tempore praesto sunt, frigore pulsae recedunt’ ex eadem similitudine nunc per translationem uerba sumimus : ‘item falsi amici sereno uitae tempore praesto sunt ; simul atque hiemem fortunae uiderunt, deuolant omnes’, « Comme dans cet exemple : ‘comme les hirondelles sont disponibles en été, elles se retirent quand le froid les chasse’ ; selon la même analogie, nous transposons métaphoriquement en : ‘de même les faux amis, quand il fait beau dans la vie, sont disponibles ; dès qu’ils ont vu l’hiver de la fortune, ils s’envolent tous’ ».
donec eris sospes, multosetc. La variante ici proposée reste métrique.
uera gloria radices agit atque etiam propagatur ficta omnia celeriter tamquam flosculi decidunt nec simulatum potest quicquam esse diuturnum.
fit ut aeque quisque altero delectetur ac se ipso efficiturque id quod Pythagoras uult in amicitia ut unus fiat ex pluribus.