Guido Iuuenalis Nicholaum Peletarium iuris legum consultissimum atque in omni doctrina conspicuum multa salute iubet impartiri
Guido Juvenalis

Présentation du paratexte

Cette épître dédicatoire se pose comme un remerciement du dédicataire, présenté comme le Mécène de Guy Jouenneaux. Occasion pour l’auteur de revenir sur ses années de jeunesse, ses origines modestes et la dette morale contractée à l’égard de son bienfaiteur.

Bibliographie :
Traduction : Christian NICOLAS

Guido Iuuenalis Nicholaum Peletarium iuris legumque consultissimum atque in omni doctrina conspicuum multa salute iubet impartiri.

Guy Jouenneaux prie Nicolas Le Pelletier1, expert en droit et en jurisprudence et habile en toute science, de recevoir son salut cordial.

Non me praeterit, uir praestantissime, apud te saepius increpuisse Maecenatem Augusti Caesaris intimum ac familiarem sua sponte et quasi quadam natiua liberalitate et benificentia adeo in poetas fuisse propensum ut ei ipsi uideantur Musae Latinae omnia debere, quippe cuius patrocinio atque benegnitate principes poetarum Maro, Varus et Horatius non solum sustentati uerum etiam ad eas opes dignitatemque subuecti sint ut illis in quietissimo otio exclusa omni necessitate ingenium et excitare et in maximis rebus exercere licuerit.

Il ne m’échappe pas, excellent ami, que chez toi on a souvent entendu dire que Mécène, intime et familier de l’empereur Auguste, avait spontanément et par une sorte de générosité et de bienfaisance innée, une telle propension pour les poètes que les Muses latines semblent tout lui devoir, puisque c’est sous son patronage et sa bienveillance que les princes des poètes, Virgile, Varus et Horace, non seulement ont été soutenus mais aussi poussés à une telle richesse et un tel rang que, dans une tranquillité absolue et sans aucun besoin, ils ont pu solliciter leur génie et l’exercer dans les plus grands domaines.

Legitur enim eius beneficio aliorumque amicorum Virgilium paene centies sestertium possedisse, Romaeque domum habuisse in Esquiliis iuxta hortos Maecenatis.2

Car on dit que grâce aux dons de Mécène et d’autres de ses amis, Virgile avait amassé une fortune de près de dix millions de sesterces et qu’il avait à Rome une maison sur l’Esquilin jouxtant le parc de Mécène.

In cuius gratiam satis liquido constat eum praeclarum illud opus Georgicorum condidisse ut tanto immortalitatis munere beneficia accepta quanta daretur facultas compensaret.

C’est pour le remercier que (la chose est établie assez clairement) il a composé la magnifique œuvre des Géorgiques pour compenser, par cette rémunération si immortelle, les biens qu’il avait reçus du mieux qu’il pouvait.

Horatius quoque, cum Brutianas partes secutus ad poeticam se referre penitusque in eam sese abdere necessitate coactus esset, Virgilii Varique intercessione Maecenati adeo carus acceptusque euasit ut illius cum liberalitate non mediocriter rem suam familiarem auxerit, tum maxime auctoritate atque gratia (qua ille apud imperatorem plurimum polleret) ueniam aduersae factionis prius ab Augusto meruerit ac deinde paulatim eidem familiarissimus sit effectus.

Horace aussi, qui, après avoir suivi le parti de Brutus, avait été forcé par la nécessité à se retirer dans la poésie et à s’y réfugier, grâce à l’intervention de Virgile et de Varus, fut si bien reçu et accueilli par Mécène que sa générosité fit avantageusement croître son patrimoine et que, surtout, son autorité et son charisme (qui lui donnaient tant de pouvoir auprès de l’empereur) lui firent d’abord obtenir le pardon du parti adverse de la part de l’empereur puis peu à peu fit de lui un de ses meilleurs amis.

Ea re subnixus reliquam aetatem per summum otium et philosophiae studiis et poeticae facultati penitus addixit uixitque mente tranquilla, quippe qui cum necessaria abunde suppeterent maiores diuitias magno animo contemneret.

Fort de ces avantages il passa le reste de sa vie dans le plus grand calme à s’adonner pleinement à l’étude de la philosophie et à son talent poétique et vécut l’esprit tranquille, capable, ses besoins étant largement assurés, de mépriser les richesses avec constance.

Qui uiri litteratissimi non ea forsitan nobis monumenta reliquissent nisi suum sibique propitium Maecenatem habuissent.

Ces génies littéraires ne nous auraient peut-être pas laissé leurs œuvres s’ils n’avaient pas eu leur Mécène pour les protéger.

Quandoquidem ut ait Ouidius :

C’est ce que dit Ovide :

Proueniunt uacuae carmina mentis opus.3

« Les vers sortent, travail d’un cœur inoccupé ».

Et Satyrus :

Et le satirique :

Pectora nostra duas non admittentia curas Magnae mentis opus nec de lodice paranda Attonitae currus et equos faciesque deorum, Aspicere et qualis Rutulum confundat Erinnys 4.

« Nos cœurs n’admettent pas deux soucis à la fois ; C’est l’esprit élevé, et non pris par l’achat D’un drap, qui voit chevaux, chars, visages des dieux, Et comme est l’Érinye qui abat le Rutule ».

Eam ob rem, non citra optimas causas quae cultiori sermone uti solent, otii nomine litterarium studium declarare non uerentur rati quod uerissimum puto studiis rite indulgentes negotiosos esse minime oportere.

C’est pourquoi, en dépassant les meilleures causes qui usent d'un discours plus orné, ils ne craignent pas de qualifier du nom d’otium5 l’activité littéraire, dans l’idée (pour moi très exacte) que si l’on traite de sujets studieux, il ne faut pas du tout être occupé.

Propterea memoriae prodidit Cato maior P. Africanus superiorem dicere solitum se nunquam minus otiosum esse quam cum otiosus esset neque minus solum quam cum solus, tanquam si innuere uellet (libet enim mihi nunc ita interpretari) quanto longius semotus erat a negotiis, tanto se proximius ad otium, id est ad studium litterarium accedere, adeo ut in otio esset studiosus et in solitudine quasi cum mortuis familiari colloquio uti uideretur in eorum monumentis attentius euoluendis.

Pour cette raison Publius Caton l’Ancien (l’Africain) a rappelé qu’il avait coutume de dire qu’il n’était jamais moins oisif que quand il était oisif, jamais moins seul que quand il était seul6, comme pour accréditer l’idée (car c’est ainsi que je veux le comprendre) que plus on est éloigné des affaires, plus on se rapproche de l’otium, c’est-à-dire de l’activité littéraire, au point que celui qui étudie est dans l’otium et dans la solitude, semblant être dans une sorte de conversation particulière avec des morts quand on lit attentivement leurs écrits.

Tu autem, mi Nicolae, ut interim ad te se nostra conuertat oratio, fidissimus Maecenas mihi fuisti, qui cum ipse humili loco natus animo conniterer et labore contenderem ut ad maiora peruenirem neque tamen suppeterent ad id moliendum facultates, suscepisti meam primam aetatem, quae propter humilitatem et obscuritatem in hominum ignoratione uersabatur, cuique adeo angusta res erat ut non facile potuisset emergere suis solius subnixa uiribus.

Quant à toi, mon cher Nicolas, pour que désormais notre discours se recentre sur toi, tu as été mon plus fidèle Mécène qui, alors que mon humble naissance me forçait à batailler d’ingéniosité et à rivaliser de travail pour m’élever vers les sommets sans pourtant y trouver les ressources pour y arriver, t’es occupé de ma première jeunesse, qui en raison de mon humilité et mon obscurité restait ignorée des hommes et tellement serrée qu’elle n’aurait guère pu émerger en s’appuyant sur ses propres forces.

Nam ut satyrus ait :

Car, comme le dit le satirique :

Non facile emergunt quorum uirtutibus obstat Res angusta domi.7

« ils montent rarement, ceux aux vertus desquels Leur pauvreté s’oppose ».

Tanto tamen illi fuisti adiumento ut non fuerit quicquam praeterea requirendum.

Mais, à cette jeunesse, tu as apporté une aide telle qu’il ne lui a rien manqué de plus.

Effecisti enim una cum aliis quibusdam optimatibus ut eo praeceptore nobis uti liceret qui quam humanitatis artem uocant optime calleret, ad quam eruditionem cum maxime foret libris opus nullo pacto tuis pecuniis parcendum ratus ea in re te liberalissimum praebuisti.

Car tu as réussi, avec quelques autres notables, à me doter d’un professeur qui puisse briller dans la technique qu’on appelle humanités ; pour cette éducation, alors surtout qu’il fallait des livres, tu as pensé qu’il ne fallait rien ménager de ton argent et t’es montré en cette occasion très généreux.

Quippe a quo omnia adeo cumulate mihi fuerint suppeditata ut, nisi in ea doctrina aliquantum processissem, non iniuria mihi ipse solus defuisse uideri potuissem.

Car c’est toi qui m’as tout fourni, avec une telle abondance que, si je n’avais fait aucun progrès dans la discipline, j’aurais pu honnêtement me faire l’effet de m’être manqué à moi-même.

Cuius quidem praeceptoris copiam cum amisissem, nauasti iterum diligentem operam ne tunc quasi in limine ipso pedem sisteremus, sed potius in penitissimas usque aedes alacri animo ingrederemur.

Quand j’eus perdu l’accès vers mon professeur, tu as à nouveau déployé ton énergie opérante pour m’éviter de rester bloqué au seuil même et pour qu’au contraire j’entre jusqu’au fond de la maison avec un esprit allègre.

Tuis itaque auspiciis Parisios petiuimus atque (si tuo dicto fuissemus audientes) ipsas etiam Alpes celeri gradu transcendissemus.

Donc sous tes auspices, nous avons gagné Paris et même (si nous avions obéi à tes requêtes) nous aurions traversé d’un pas rapide les Alpes.

Quibus animaduersis, non possumus non esse maxime tuis beneficiis obnoxii, quibus tantopere liquet nos ipsos cumulate fuisse affectos.

Après ces remarques, nous ne pouvons pas ne pas être redevable de tes bienfaits dont, à l’évidence, nous avons été abondamment pourvu.

Propterea si contingeret ut tibi in aliquo morem gerere possemus, nihil nobis forte antiquius quam ut apud te quam gratissimi esse cognosceremur.

Aussi, si l’occasion m’était donnée de pouvoir t’obéir d’une manière ou d’une autre, rien ne me serait plus important que d’être reconnu comme le plus reconnaissant à ton égard.

Quocirca si quid fit quod nostra opera tibi efficere possit, admoneto tantum, non rogato.

C’est pourquoi, s’il y a quelque chose que mon activité puisse réaliser pour toi, fais-le seulement savoir, n’ordonne pas.

Ipse enim admonitus tuae uoluntati equis uelisque (ut aiunt) studebo morigerari.

Car quand tu l’auras fais savoir, je m’emploierai à te satisfaire à cheval et à voile (comme on dit)8.

Vale.

Adieu.


1. Juriste qui a eu son floruit vers 1450 ; voir B. Hauréau, Histoire littéraire du Maine, 4 vols (Paris, 1843) I 234.
2. L’information vient presque mot pour mot de la Vita Vergilii transmise par Suétone : prope centiens sestertium ex liberalitatibus amicorum habuit que domum Romae Esquiliis iuxta hortos Maecenatianos.
3. Ov. Her. 15.14.
4. Juv. 7.65-68. Le satirique écrit pectora uestra au premier vers cité.
5. Le terme est plusieurs fois utilisé plus haut au sens de tranquillité d’esprit, décharge de toute autre occupation que littéraire ; nous pensons qu’il est ici pris dans son sens latin, très large, et ne le traduisons pas. De même dans la phrase suivante, le jeu de mot entre otium/ otiosus et neg-otium est intraduisible.
6. Voir Cic. Off. 3.1 : P. Scipionem, Marce fili, eum qui primus Africanus appellatus est dicere solitum scripsit Cato qui fuit eius fere aequalis numquam se minus otiosum esse quam cum otiosus nec minus solum quam cum solus esset. Jouenneaux attribue ce bon mot à « Caton l’Ancien Africain » ; en fait c’est Caton l’Ancien qui l’attribuait à Scipion l’Africain.
7. Juv. 3.165-155a. Le satirique écrit Haud facile au premier vers cité.
8. Cette expression (plutôt dans l’ordre inverse uelis equis) ne paraît pas antique. Elle fleurit avec Érasme.