Guido Iuuenalis Michaeli Burello sacrosanctae theologiae professori perquam erudito S.P.D.
Guido Juvenalis

Présentation du paratexte

Cette épître dédicatoire vient remercier un ami et ancien condisciple qui, professeur de théologie, a bien réussi dans la vie et lui demande confirmation de son amitié et de son assistance.

Bibliographie :
Traduction : Christian NICOLAS

Guido Iuuenalis Michaeli Burello sacrosanctae theologiae professori perquam erudito s<alutem> p<lurimam> d<at>.

Guy Jouenneaux donne à Michael Burellus, professeur des plus savants dans la sainte théologie, un salut appuyé.

Quemadmodum Hesiodus ille poeta moratissimus litteris mandatum reliquit uirtutem esse comparandam per quosdam gradus, in quibus primis asperitatem inesse testatur, at in extremis non facilem dictu suauitatem ; in hisce carminibus :

Hésiode, le grand poète moraliste, a légué cette idée, confiée à ses écrits, que la vertu s’acquiert par degrés, dont les premiers, dit-il, sont caractérisés par la difficulté mais les derniers par une douceur presque indicible ; voici ses vers :

Virtutem posuere dei sudore parandam.

« La vertu, grâce aux dieux, s’acquiert par la sueur.

Arduus est ad eam longusque per ardua callis.

Ardu, long, escarpé, le chemin qui y mène.

Asper et est primum sed ubi alta cacumina tanges,Fit facilis quae dura prius fuit inclyta uirtus.1

Pénible est son début, mais quand on touche aux cimes,L’immortelle vertu, d’abord dure, est facile ».

Cui sententiae plurimum consonat Maronis nostri dictum de Pythagorea littera in hunc modum :

A cette sentence ressemblent beaucoup les mots de Virgile sur la lettre de Pythagore2, à savoir :

Littera Pythagorae discrimine secta bicorni Humanae uitae speciem praeferre uidetur.

L’Y de Pythagore, avec sa double corne, Semble être le miroir de l’existence humaine.

Nam uia uirtutis dextrum petit ardua callem Difficilemque aditum primum spectantibus offert.

La vertu offre à droite un chemin escarpé, Ouvrant de prime abord un accès difficile.

Sed requiem praebet fessis in uertice summo.3

Mais le repos se trouve au sommet dans l’effort ».

Ad quem uerticem unusquisque neruis omnibus spectare debet quo possit honestam deducere uitam et ad caelestem Hierusalem recta peruenire.

À ce sommet, chacun doit de toutes ses forces examiner comment dérouler une vie honnête et marcher tout droit vers la Jérusalem céleste.

Sic mihi quoque de scientia idem posse dici uidetur, quae difficiles aditus sui offerre solet ; at ubi ad eius cacumen peruentum sit, facile plurimum ac suaue redditur quod acerbitatis non parum prius habuisset.

De même, il me semble qu’on peut dire la même chose de la science : elle offre d’ordinaire des accès difficiles ; mais dès qu’on a atteint son sommet, ce qui avait d’abord montré beaucoup d’acidité est rendu facile, abondant et doux.

Cuius quidem limen cum paene eodem tempore ego atque tu fuissemus ingressi diuque una in itinere coepto porrexissemus, ipse longe uelocior quam ego anteuortisti me laxatisque habenis longo praecurristi interuallo, idque usque eo ut uerticem summum attigeris, meipso dumtaxat paulo ultra radices progresso.

Alors que nous avions pénétré le seuil toi et moi, à peu près à la même époque, que nous avions continué quelque temps ensemble sur le trajet entrepris, beaucoup plus véloce que moi, tu m’as dépassé, as lâché la bride et mis de la distance entre nous, au point que quant tu atteignis le sommet, j’en étais moi à peine arrivé au-dessus des racines.

Quod non est magno mirandum opere, quippe qui ingenii acie polleas et ad largiendum suppetant copiae.

Il n’y a pas lieu de trop s’en étonner : tu as une intelligence supérieure et de l’argent pour pourvoir à tes dépenses.

At mihi non ita posse dicere concessum est, qui neque tantam ingenii praestantiam consequi possum neque habeam omnia mihi suppedita quae uictus cultusque quotidianus postulant.

Mais on ne peut pas en dire autant de moi : je ne peux pas prétendre à une intelligence aussi grande et je n’ai pas à disposition tout ce que réclament le couvert et le gîte quotidiens.

Non ea tamen pressi penuria caelesti numine sumus, qua studia ipsa litterarum missa facere cogamur ; quin immo in erudiendis iuuenibus studium curamque contulimus necessitate consulentes quam complures adducti ab inceptis supersedere conspiciuntur, quibus tamen si faueretur maiora spectandi animus non deesset.

Nous ne sommes tout de même pas dans une pauvreté divine qui nous force à renoncer aux études littéraires ; bien au contraire, dans notre expérience de l’enseignement aux jeunes gens, nous avons comparé le zèle et le travail et constaté combien sont menés par la nécessité à surseoir à leur projet, qui pourtant, dans une situation plus favorable, auraient eu le cœur de viser plus haut.

Vires quidem consulendae sunt et audendum aliquando est neque ita cadendum animis ut abiectione quadam animi labores uideamur refugere et ab illis declinare.

Il faut certes veiller sur ses forces et parfois oser et ne jamais déchoir psychologiquement jusqu’à s’abaisser à paraître fuir les efforts et y renoncer.

Nam ut ait Cicero :

Car comme le dit Cicéron :

Simul ac iuuenes esse coeperunt, magna spectare et ad eas rectis studiis debent contendere quod eo firmiore animo facient quia non modo non inuidetur illi aetati uerum etiam fauetur4

« dès le début de leur jeunesse, ils doivent viser haut et y tendre par des efforts en droite ligne, ce qu’ils feront avec d’autant plus de fermeté d’âme que non seulement on n’a pas de haine pour cet âge mais qu’au contraire on l’avantage ».

Quod si iuuenis pietatem accuratius colat Deumque feruenti caritate complectatur, agat liberrime et operetur, quandoquidem res eius ac operationes a Deo in dies magis magisque secundabuntur, facileque ipse deprehendet ut de uirtute in uirtutem ambulauerit sic suas bene beateque uiuendi facultates in dies maius sumpsisse incrementum, cuius rei testes sint locupletissimi qui in ea re periculum se fecisse gaudent.

Et si un jeune homme ne manque pas à ses devoirs pieux et entoure Dieu d’une charité fervente, qu’il agisse et œuvre librement, puisque ses actions et œuvres seront secondées de Dieu de plus en plus chaque jour et il se rendra compte facilement que, comme il a cheminé de vertu en vertu, de même ses aptitudes au bonheur ont progressé de jour en jour, ce dont pourraient témoigner prolixement ceux qui, en la matière, en ont fait pour leur bien l’expérience.

Sed ut eo unde digressa est se nostra referat oratio, carissime Michael, non possum non te uehementer amare tuisque optimis uoluntatibus non inseruire qui fere usque a puero te mihi familiarem praebuisti, neque (quantaecumque accessiones tibi factae sint et fortunae et dignitatis) maiestate ulla in me uti uoluisti, illius Ouidiani dicti non immemor, quod non bene conueniunt nec in una sede morantur maiestas et amor5.

Mais, pour qu’après cette digression notre épître reprenne son cours, très cher Michael, je ne peux pas ne pas t’aimer avec force ni refuser de servir tes excellentes volontés, toi qui presque depuis l’enfance t’es montré mon ami sans jamais (malgré les accès que tu t’es faits de fortune et de situation) user à mon égard de supériorité, en te souvenant de ce mot d’Ovide selon lequel : « On voit mal s’assortir et mal cohabiterLa morgue et l’amitié ».

Posita enim omni grauitate (qua citra omnem reprehensionem uti posses tanta praesertim dignitate), mecum familiariter agere non dubitas et quidem usque eo ut saepe tuae dignitatis oblitus identidem in sermonem nimium familiarem incidam, qui ueniret reprehendendus nisi omnia excusaret amicitia non longe a teneris (ut Graeci dicunt) unguiculisinstituta et crescentibus annis accuratissime conseruata et aucta, quae quidem, ut facile perspicio, nulla ex parte est acceptura detrimentum, praesertim cum facta accessione tanta et fortunae et dignitatis a te adeo diligenter colatur, alatur et frequentibus officiis roboretur, Siquidem ipse ornandi mei rationes inire quotidie paras animumque mihi ita expeditum propensumque praestas ut uidearis toto molimine de meis ornamentis cogitare et commodis measque utilitates nullis perpetuorum amicorum commodis posthabere.

Car, renonçant à toute gravité (dont sans aucun reproche tu aurais pu user, surtout dans ta haute situation), tu n’hésites pas à me traiter en ami, au point même que souvent, oubliant ta situation, j’en viens comme toi à un degré de familiarité dans la conversation qui pourrait m’être reproché si l’amitié n’excusait pas tout, qui s’est installée entre nous presque depuis nos premiers ongles (comme disent les Grecs)6, puis, avec les années, s’est conservée et augmentée, qui, à coup sûr, ne subira aucun dommage, surtout quand après ton accès à ce degré de fortune et de situation, tu continues à la cultiver, la nourrir et la renforcer par de fréquents services, puisque tu fais ton possible chaque jour pour me valoriser et me montres des sentiments de franchise et d’inclination tels qu’on dirait que tous tes efforts tendent à me valoriser et à m’avantager et à privilégier mes besoins sur tous les avantages que tu donnes à tes amis permanents.

Quam quidem beniuolentiam summopere cupio nulla ratione iri detritum ; quin potius si quid illi accedere possit, accedat quaeso et in dies maius incrementum suscipiat.

Cette bienveillance, je souhaite de tout mon cœur que rien ne vienne l’user ; au contraire, si quelque chose peut s’y ajouter, qu’il s’y ajoute, c’est ma demande, et qu’elle s’accroisse de jour en jour.

Quod si fuerit factitatum, quantum mihi per facultatem licebit, usque adeo illi a nobis iri responsum studebitur ut nulla nostri pars officii requirenda censeatur.

Si cela se fait, de toutes les forces qui me seront concédées, je veillerai toujours à lui donner réponse, de sorte que rien ne puisse sembler manquer à ma reconnaissance.

Vale.

Adieu.


1. Traduction d’Hésiode, Trav. 289-292 : τῆς δ’ ἀρετῆς ἱδρῶτα θεοὶ προπάροιθεν ἔθηκαν/ ἀθάνατοι· μακρὸς δὲ καὶ ὄρθιος οἶμος ἐς αὐτὴν / καὶ τρηχὺς τὸ πρῶτον· ἐπὴν δ’ εἰς ἄκρον ἵκηται,/ ῥηιδίη δὴ ἔπειτα πέλει, χαλεπή περ ἐοῦσα, « mais devant le mérite, les dieux immortels ont mis la sueur. Long, ardu est le sentier qui y mène, et âpre tout d’abord. Mais atteins seulement la cime, et le voici dès lors aisé, pour difficile qu’il soit » (trad. P. Mazon, C.U.F.). Cette traduction latine, dont Érasme a réutilisé le premier vers dans son Adage 3769, semble être l’œuvre d’Hubertinus Clericus dans son commentaire aux Familières de Cicéron, chez Buono Accorsi en 1480. Voir la page en question de l’exemplaire de la BM de Lyon, en ligne).
2. Il s’agit de Y.
3. Il s’agit des premiers vers (avec remaniement du premier, Littera sum Samii discrimine secta bicorni) de la description du Y dans l’anonyme Versus de nominibus litterarum. Le texte cité par Jouenneaux et qu’il attribue à Virgile est d’un certain Maximinus : voir F. de Ruyt, « L’idée du ‘Bivium’ et le symbole pythagoricien de la lettre Y », Revue belge de philologie et d’histoire¸1931, 10.1-2, 137-145.
4. Cic. Off. 2.45. Cicéron parle là, comme Jouenneaux, des jeunes gens méritants et sans fortune.
5. Ov. Met. 2.846-847a.
6. Reprise d’une expression de Cicéron, Fam. 1.6.2 : sed praesta te eum qui mihi a teneris, ut Graeci dicunt, unguiculis es cognitus, « mais montre-toi tel que je t’ai connu depuis les premiers ongles tendres, comme disent les Grecs ». L’expression grecque est ἐξ ἁπαλῶν ὀνύχων.