Présentation du paratexte
Eloge de Térence et surtout du travail d’édition de Grüninger, particulièrement des illustrations, présentées comme la vraie valeur ajoutée pédagogique du livre. Liste des paratextes (titre, auteur, destinataire, folios) N.B. les paratextes p3-p14 figurent à l’identique dans l’édition de Térence chez Grüninger de 1496 et sont traités à cet endroit.
list Bibliographie :- Dietl (C.), Die Dramen Jacob Lochers und die frühe Humanistenbühne im süddeutschen Raum. De Gruyter, Berlin und New York 2005.
- Hehle (J.), « Locher, Jakob », dans Allgemeine Deutsche Biographie (ADB), vol. 19, Leipzig, Duncker et Humblot, 1884, p. 59-63.
- Hermand-Schebat (L.), « Texte et image dans les éditions latines commentées de Térence (Lyon, Trechsel, 1493 et Strasbourg, Grüninger, 1496) », Camenae 10 (2011).
- Kühlmann (W.) et Niehl (R.) : Locher (Philomusus), Jakob, in : F.-J. Worstbrock (éd.): Verfasserlexikon Deutscher Humanismus 1480-1520, vol. 2. Walter de Gruyter, Berlin + New York 2009, pp. 62–86.
- Lawton (H.W.), Térence en France au XVIe siècle, Genève, Slatkine repr., 1970-1972 (1ère éd. : Paris, Jouve, 1926), 2 vol., vol. 1 : « Éditions et traductions ».
- Mertens (D.), Jacobus Locher Philomusus als humanistischer Lehrer der Universität Tübingen, in : Bausteine zur Tübinger Universitätsgeschichte 3 (1987), pp. [11]-38.
- Ritter (F.), Catalogue des incunables alsaciens de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg, Strasbourg, 1938, 448.
- Ukena (P.), « Locher, Jakob », dans Neue Deutsche Biographie (NDB), vol. 14, Berlin 1985, Duncker et Humblot, p. 743–744.
IACOBUS LOCHER PHILOMUSUS POETA ET ORATOR LAUREATUS Iohanni Grüninger librorum impressori ac ciui Argen[tino] prudenti et honesto, in laudem Terentii, salutem plurimam dat.
Jakob Locher ami des Muses1, poète et orateur couronné, à Johann Grüninger2, imprimeur et citoyen strasbourgeois habile et honorable, Eloge de Térence, salut3
Publii Terentii
Afri Comoediarum scriptoris eminentissimi, sex integras fabulas ex
Menandro Graeco translatas, a te nuper
impressas, concinnatas ac lepide collectas oculis (ut Plautinus
ait Euclio) emissiciis
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Les six pièces intégrales de Publius Térence l’Africain, excellent auteur de comédies, traduites du Grec Ménandre, récemment imprimées par toi, bien disposées et agréablement réunies pour « un regard inquisiteur » comme dit l’Euclion de Plaute, je les ai examinées ; non seulement j’y ai trouvé l’éloquence comique épurée, son joli monde et ses dialogues subtils, mais j’ai aussi contemplé les acteurs masqués, les comédiens railleurs, et les images claires et parfaitement adaptées de tous les personnages mis en scène.
Placuere et mihi inter cetera quae Terentianis fabulis inserta conspexi : marginalis expositio, interlinealis explanatio et antiquitatum pura sinceraque commemoratio, cur fit, fidelissime Iohannes, ut dubitare non possim quin si Terentius a superis descenderet aut ab Elysiis campis pedem huc reuocaret, hasceque suas nouiter exasciatas fabulas conspicaretur, haud dubie suas esse et de primo fonte haustas autumaret.
M’ont plu aussi tout particulièrement ce que j’ai vu inséré dans les pièces de Térence : l’interprétation en marge, l’explication interlinéaire et le rappel précis et fidèle des réalités antiques ; c’est pourquoi, très cher Johannes, je ne puis douter que, si Térence descendait du ciel ou posait le pied ici depuis les Champs Élysées et examinait ces pièces qui sont les siennes comme ébauchées à nouveaux frais, il n’est pas douteux qu’il les jugerait siennes et puisées à leur source première.
In hoc opere amphiteatri spatiosus circulus conspicitur, subsellia theatrica auleis amicta, tapetis ornata ostroque Tyrio decorata, et synthesi quadam elegantissima, picturisque admirantibus uermiculata cernuntur.
Dans cet ouvrage, on voit le vaste cercle de l’amphithéâtre, on distingue les bancs du théâtre couverts par les rideaux, ornés de tentures et rehaussés de pourpre tyrienne et d’un agencement exquis, et on voit des boiseries aux mosaïques étonnantes.
In caueis stant ordines spectantium : in scammati et proscenio histricus imperator cum delegata ludionum caterua gestit : plausumque ab spectatoribus aucupatur.
Dans les travées se tiennent les spectateurs en rang ; dans l’arène et sur le proscenium le meneur de jeu s’agite avec la troupe choisie des acteurs et guette les applaudissements de la part des spectateurs.
Quis non existimet, cum pictum spectaculum, effigiatasque fabellas, in hoc facundissimo ac politissimo opere conspicit, se Romanum Pompeianumque Theatrum inuisere.
Qui ne jugerait, en voyant le spectacle peint et les pièces de théâtre mises en images dans cet ouvrage très éloquent et très soigné, qu’il visite un théâtre romain comme celui de Pompée ?
Viua omnia sunt quae tamen ad umbram theatricam, ad harenam palestricam ac uitae imagines a poeta nostro excogitata sunt.
Tout est vivant de ce que notre poète a pourtant conçu pour l’ombre du théâtre, pour le sable de la palestre et comme images de la vie.
Marcum Accium Plautum uatem clarissimum huic nostro Terentio ob uetustatis acrimoniam natiuamque latialis linguae uiuacitatem grallatorio quodam gradu antepositum uideo ; hic tamen cum ingenio maxime polleat et artificio summo cuncta faciat, meritis laudibus efferendus est et etiam uetustissimis comoediarum scriptoribus adnumerandus.
Je vois que, du fait de la puissance de l’ancienneté et de la verdeur originelle de sa langue latine, le très illustre poète Marcus Accius Plaute5 est placé un grand pas avant notre Térence ; Térence cependant, qu’on estime surtout pour son talent naturel et parce qu’il fait toutes choses avec le plus grand art, doit être vanté par des éloges mérités et doit être compté aussi parmi les plus anciens auteurs de comédies.
Sententiis namque crebris multas, ad bene beateque uiuendum optimitates et uerborum iocorumque elegantiis atque dicteriis refertissimas, consilio opiparas, produxit.
Car, avec ses nombreuses sentences, il a produit beaucoup d’excellentes formules pour vivre heureux selon le bien, pleines de tournures élégantes et de jeux de mots, de piques, riches en sages jugements.
Sed quia meum non est iudicare quem locum inter comicos poetas Terentius habere mereatur, audiamus , si lubet doctissimum litterariae rei publice censorem Volcacium Sedigitum, qui auctore Aulo Gellio hisce uersiculis iambicis de comicorum poetarum reputatione ac gradu censet :
Mais parce que ce n’est pas à moi de juger quelle place Térence mérite de tenir parmi les poètes comiques, écoutons, s’il vous plaît, l’éminent critique de la chose littéraire qu’est Volcacius Sedigitus. Selon Aulu-Gelle, voici ce qu’il déclare dans ces petits vers iambiques à propos de la réputation et du rang des poètes comiques6.
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Istud est, mi Ioannes, iudicium de praestantia comicorum poetarum inter quos solius Terentii sex integrae fabulae nobis ab interitu, ac carie uetustatis oblatae sunt, cum tamen multis cognitum fuerit, ut Aelius Donatus testatur, Terentium plures comoedias scripsisse quae ad posteritatis memoriam non peruenere9.
Voici, mon cher Johannes, un jugement sur l’excellence des poètes comiques. Parmi eux, l’unique Térence, dont six pièces entières ont été pour nous préservées de la destruction et de la pourriture de l’âge, alors qu’il était connu de beaucoup, Aelius Donat l’atteste, que Térence avait écrit davantage de comédies, qui ne sont pas parvenues à la postérité.
Hunc igitur elegantissimum comicum, et pueri et senes, omneque mortalium genus perlegant qui morum atque uirtutum doctor est affabilis.
C’est donc cet auteur comique, à l’élégance extrême, qu’il faut que lisent tous les mortels, les jeunes comme les vieux, lui, l’affable connaisseur des mœurs et des vertus.
In cuius denique fabulis, ueluti in purgatissimo quodam speculo, quisque et uitia et uirtutum dotes contueri potest.
C’est dans ses pièces, enfin, comme dans un miroir très propre, que chacun peut observer les vices et la valeur des vertus.
Humanae uitae cursum optimis ac saluberrimis consiliis instituit : infantes lacte dulcissimo fouet et omnis homines qualicunque conditione praeditos, dictis et scriptis sustentat ut uix a uero tramite, calleque sincero aberrare ualeant.
Il règle le cours de la vie humaine par des conseils les meilleurs et les plus salutaires ; il nourrit les jeunes enfants d’un lait très doux et, tous les hommes, quelle que soit leur condition, il les soutient de ses dits et de ses écrits, si bien qu’ils peuvent à grand peine s’écarter du vrai chemin et du pur sentier.
Hunc quicumque comicus uideri cupit imitari debet, in quo sententiarum grauitas, inductionum subtilitas, uerborum copia atque iucunditas, tanquam ex fonte limpido semper fluentis indesinentibus scaturiente manant.
Quiconque désire paraître un auteur comique doit l’imiter, lui chez qui la gravité des sentences, la finesse des raisonnements, l’abondance et la grâce des mots coulent comme d’une source limpide jaillissant d’un flot toujours ininterrompu.
Quemadmodum enim, ut diuus et gloriosus Hieronymus scribit : Romani duces, Camillos, Fabricios, Regulos, Scipiones imitantur ; poetae itaque Homerum, Vergilium, Menandrum et Terentium aemulentur, praecipue, inquit, Terentium10
En effet, de même que, selon le divin et glorieux Jérôme, « les chefs romains imitent les Camilles, les Fabricius, les Regulus, les Scipions ; que les poètes rivalisent donc avec Homère, Virgile, Ménandre et Térence ; et principalement Térence », dit-il.
In quo mira dicendi copia, magna personarum pompa, sollicitaque amatorum cura continetur.
C’est chez lui qu’on trouve cette étonnante abondance verbale, ce long cortège de personnages, les soucis et les tracas des amants.
Sed tibi inprimis studiosa iuuentus grates gratias referre debet quod ad communem studiosorum adolescentum commoditatem frugemque et dicendi et uiuendi iucundissimam hoc opus figuris, explanationibus scaenisque pulcherrimis effigiatum.
Mais c’est à toi surtout que la jeunesse studieuse doit témoigner sa gratitude et ses remerciements, d’avoir fait, pour la commodité de tous les jeunes étudiants et l’agrément de leurs progrès dans l’art de parler et de vivre, illustrer cet ouvrage de figures, d’explications et de très belles scènes.
In quo opere quidem, ut in Pantheo omnes dii spectabantur, ita mores cunctorum hominum factaque mortalia conspitiuntur.
Dans cet ouvrage, comme au Panthéon on voyait tous les dieux, on voit de même les mœurs de tous les hommes et les actions des mortels.
Vale ex Ingolstadensi.
Adieu depuis Ingolstadt.