Présentation du paratexte
La Vie de Térence ici présentée est tirée d’un travail de Pétrarque issu de compilations de lectures sur Térence1 et datable de 1340 environ mais qui ne figure pas dans la tradition manuscrite de Pétrarque et que lui-même ne mentionne jamais. Le texte figure dans des éditions de Térence antérieures, particulièrement la première portant une date et opérée à Venise en 1471 par Vendelin de Spire et révisée par Giovenzoni, dont voici le descriptif BNF : Terentii Comoediae sex : Andria, Eunuchus, Heautontimorumenos, Adelphoe, Phormio, Aecyra, Raphaele Zovenzonio emendante.] - ("Fol. [1,] r°" :) Terentii vita excerpta de dictis D. F. Petrarce̡. - ("Fol. [3,] r°" :) Natus in excelsis tectis Carthaginis alte̡... ["i. e." epitaphium Terentii]. - Argumentum [Andriae, Sulpicii Apollinaris]. - Prooemium. - ("À la fin, ce distique" :) Callippi calamo fuit exemplare repertum/ Unde est impressum quod legis hospes opus. - ("Puis" :) Vale, vir optime, Raphael Jovenzonius ister. p. emendavi. Joannes Agrippinae Coloniae decus impressit, anno Domini Nostri Jhesu Christi M.CCCC.LXXI. divo Nicolao Throno Venetiarum duce. Finis felix. Le texte est donné avec traduction espagnole dans Ruiz Arzálluz, op. cit., pp. 138-149. Liste des paratextes (titre, auteur, destinataire, folios) N.B. les paratextes p3-p14 figurent à l’identique dans l’édition de Térence chez Grüninger de 1496 et sont traités à cet endroit.
list Bibliographie :- Hermand-Schebat (L.), « Texte et image dans les éditions latines commentées de Térence (Lyon, Trechsel, 1493 et Strasbourg, Grüninger, 1496) », Camenae 10 (2011).
- Lawton (H.W.), Térence en France au XVIe siècle, Genève, Slatkine repr., 1970-1972 (1ère éd. : Paris, Jouve, 1926), 2 vol., vol. 1 : « Éditions et traductions ».
- Ritter (F.), Catalogue des incunables alsaciens de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg, Strasbourg, 1938, 448.
- Villa (C.), La ‘lectura Terentii’, t. 1 Da Ildamaro a Petrarca, p. 191-216.
- Ead., « La Vita Terentii di Francesco Petrarca », in Estravaganti, disperse, apocrifi petrarcheschi, a c. di C. Derra e P. Vecchi Galli, Milano, Cisalpino, 2007, p. 573-582.
Vita Terentii, excerpta de dictis D. F. Petrarca
Vie de Térence, extraite des propos de Pétrarque
De Terentii uita in antiquis libris multa reperiuntur, plura etiam in modernis scripta per uarios scolasticos rerum ignaros, ueris falsa miscentes.
Sur la vie de Térence, on trouve beaucoup dans les livres antiques, et bien plus encore dans les modernes, écrits par différents savants ignorants des faits et qui mêlent le faux au vrai.
Illud primum rei totius fundamentum.
Voici les bases de l’ensemble.
Multi ponunt Carthaginensem patria fuisse Terentium, quod haud dubie uerum est sicut epithaphium eius clare indicat, quamuis hoc ipsum quidem negent ut inferius patebit.
Beaucoup mettent que Térence était Carthaginois de naissance, ce qui est indéniable, comme l’indique clairement son épitaphe, même si certains le nient, comme on le verra plus bas.
Ceterum et qui hoc dicunt uero huic falsum illud implicant : dicunt enim Scipione Romam reuertente euersa Carthagine interfecto Annibale hunc Terentium inter ceteros captiuos solutum et pileatum incessisse post triumphalem Scipionis currum, quae res multipliciter a ueritate semota est : nam in primis Scipio Carthaginem quidem uicit et tributariam fecit, non euertit tamen ipsam Carthaginem, sed nepos eius adoptiuus Africanus minor, Annibalem praeterea bello uicit fugauitque sed nequaquam interfecit nempe qui uictus in Asiam profugit et sub Antiocho rege Syriae militans consilio atque opera sua et regis potentia nouum cum Romanis bellum denuo gessit.
D’ailleurs même ceux qui l’affirment mêlent erreur et vérité : ils disent en effet que c’est au retour à Rome de Scipion, après la destruction de Carthage et la mort d’Hannibal, que ce Térence, au milieu d’autres captifs, sans chaînes et avec le bonnet, défila derrière le char de triomphe de Scipion, ce qui est plusieurs fois erroné car d’abord, s’il est vrai que Scipion a vaincu et rendu tributaire Carthage, il n’a pas détruit Carthage (c’est son neveu et petit- fils par adoption, le Second Africain qui l’a fait), en outre il a défait et mis en fuite Hannibal mais ne l’a pas tué, puisque, vaincu, il trouva refuge en Asie et guerroyant pour le roi Antiochus de Syrie, avec l’accord, l’aide et la puissance du roi, il mena une nouvelle guerre contre les Romains.
Deinde Scipionis
triumphantis currum, non hic Terentius pileatus
persecutus est, sed alter huius nominis, Romanus ciuis et ut Valerius Maximus testatur : praeterea familia ortus et inter paucos senatorii ordinis
splendidus
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Ensuite, celui qui défila derrière le char de triomphe de Scipion, ce n’est pas notre Térence coiffé du bonnet, mais un homonyme, citoyen romain et, comme en témoigne Valère-Maxime, « en outre issu d’une bonne famille et très distingué dans l’ordre sénatorial », qui même peu après, quand le frère de Scipion fut accusé, était préteur à Rome.
Hic ergo triumphantis currum Scipionis prosecutus est pileo capiti imposito quod donatae libertatis signum erat.
C’est donc lui qui suivit le char triomphal de Scipion, coiffé du bonnet, qui symbolisait l’octroi de la liberté.
Quattuor milia siquidem Romanorum ciuium qui bello Punico capti erant et in seruitutem redacti, uictor Scipio liberatos in patriam reduxit, inter quos fuit hic Terentius de quo dixi, et tam memor beneficii accepti, tamque singulariter ante omnes gratus, ut per omnem uitam liberatorem suum Scipionem, omni obsequio ac patrociniis debita uereratione coluerit, triumphi autem die post eum pileatus incessit hoc est liberti habitu quasi per illius uiri uirtutem se libertati redditum populo Romano pileo testante denuntians.3
De fait, ce sont 4000 citoyens romains, qui avaient été faits prisonniers pendant les guerres puniques et réduits en esclavage, que Scipion vainqueur libéra et ramena dans leur patrie ; parmi eux, le Térence dont je viens de parler, qui n’oublia jamais le bienfait reçu et resta, parmi tous, si plein de gratitude que toute sa vie il appela Scipion son libérateur, l’honora de l’obéissance et de la vénération qu’on doit à ses patrons, qu’au jour du triomphe il défila derrière lui en bonnet, donc en costume d’affranchi, pour montrer au peuple romain, par le symbole du bonnet, que c’était au courage de cet homme qu’il devait sa liberté recouvrée.
Quae omnia apud Titum Liuium celeberrimum historicum nota sunt.
Tout cela est bien connu de Tite-Live, le plus célèbre historien.
Sed minus miror scolasticos hoc errore deceptos cum Paulus Orosius hoc scripserit4 de quo admodum mirarer nisi quod interdum magna quidem ingenia et in multis occupata et inter difficultates erecta, equorum instar, propter incautam securitatem in plano caespitant.
Mais je m’étonne moins de l’erreur de nos érudits quand je la trouve écrite chez Orose, ce qui me surprendrait beaucoup si la raison n’en était que les esprits supérieurs, occupés à bien des choses et dressés au milieu des difficultés, tout comme les chevaux, trébuchent parfois sur le plat par excès de confiance.
Identitas nominis, ni fallor, errorem fecit quod scilicet uterque Terentius.
C’est l’identité de l’homme, si je ne me trompe, qui est cause de l’erreur, puisque tous deux s’appellent Terentius.
Sed circumspectus homo non uidit quod se
oculis ingerebat, in primis diuersitatem cognominum quae ad discretionem nominum
sunt inuenta, quod scilicet ille Terentius Culeo,
hic Terentius Afer, ut tituli huius operis indicant,
ille Romanus, iste Carthaginensis, ille e seruitute in libertatem, iste autem contra
e libertate in seruitutem ductus, ille senator, hic poeta, ille iam senior aeuo, hic
puer eo tempore5
quo a Romanis ducibus captus est, in qua captiuitate ob elegantiam morum ad magnorum
uenit amicitias utque ait Eusebius libro de temporibus, ob ingenium et formam libertate donatus
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Mais quoique circonspect, Orose n’a pas vu ce qui s’offrait à ses yeux, d’abord la différence des surnoms (qui ont été inventés pour distinguer les homonymes), puisque l’un est Terentius Culeo, l’autre Terentius Afer, comme l’indiquent les titres de ses œuvres, l’un Romain, l’autre Carthaginois, l’un passé d’esclave à homme libre, l’autre au contraire d’homme libre à esclave, l’un sénateur, l’autre poète, l’un plus vieux, l’autre un enfant au moment où les généraux romains le capturèrent, durant laquelle captivité l’élégance de ses manières le fit entrer dans le cercle des amis des grands et, comme le dit Eusèbe dans sa Chronique, « son talent et sa beauté lui valurent la liberté ».
Inter tot diuersitates fallere una non debuisset identitas.
Avec tant d’éléments discriminants, il aurait fallu ne pas se tromper sur cette unique ressemblance.
Hic sane Terentius a principio iuuentutis suae fertur a Terentio quodam Lucano emptus a quo et nomen ipsum fortasse potuit accipere, aliter antea dictus apud suos.
Notre Térence, dit-on, fut dès sa prime jeunesse acheté par un certain Terentius Lucanus dont il a peut-être pu prendre le nom alors qu’il en avait un autre dans sa patrie.
De hoc tamen praeter coniecturam habeo nihil.
Mais, hormis des conjectures, je n’ai rien sur ce point.
Id quod constat, litteras Latinas Romae didicit, ad poeticam pronus et praecipue comoediam, quo in genere facile, ut mihi uidetur, omnes ante se uicit, nam sequentes etiam a scribendo deterruit nec fere quem nouerim comoediae scriptor clarus post Terentium fuit.
Ce qui est sûr, c’est qu’à Rome il apprit à écrire en latin, eut du goût pour la poésie et particulièrement pour la comédie, genre dans lequel, je crois, il surpassa facilement tous ses prédécesseurs car il dégoûta même ses successeurs d’écrire et il n’y eut presque plus après Térence d’auteur comique célèbre, que je sache.
Scripsit comoedias forsan plures, sed quae habeantur in manibus,. sex sunt quae per ordinem hoc uolumine continentur, quamuis ipse ordo non in omnibus uoluminibus unus sit.
Il en a écrit peut-être davantage, mais les comédies que nous possédons sont au nombre de six, qu’on trouve dans l’ordre dans ce volume, quand bien même cet ordre n’est pas identique dans tous les manuscrits.
Vtcumque uero sunt aliae, ubique prima omnium est Andria, quam comoediam priusque aedilibus uenderet et, ut Eusebius idem ait, Caecilio multum se miranti legit7.
Mais quoi qu’il en soit des autres, partout la première de toutes est L’Andrienne, comédie que, avant de la vendre aux édiles, il lut à Caecilius qui, comme le dit le même Eusèbe, lui témoigna beaucoup d’admiration.
De materia comoediarum loqui prolixum est, de expositione prolixius, sed cuiusque materiam in argumento eius perbreuiter comprehensam lector inueniet, expositionem studio et ingenio molietur.
Parler du matériau des comédies est chose copieuse, plus encore de leur explication mais pour chacune le lecteur trouvera dans son argument le matériau résumé très brièvement ; quant à l’explication, il la fera lui-même avec attention et intelligence.8
Vt nempe ait Rufinus, comoedia Terentii
concinna est argumento, consuetudine congrua, utilis sententiis, grata
sodalibus et apta metro.
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Comme le dit Rufin, la comédie de Térence vaut par la composition de son intrigue, sa conformité à l’usage, l’utilité de ses maximes, l’agrément de ses jeux de mots, la régularité de sa métrique.
Hic autem noster Terentius Eusebio teste in Arcadia defunctus est.10
Or notre Térence, selon Eusèbe, est mort en Arcadie.
Sed quid plura ?
Quoi d’autre ?
Ille diuus Hieronymus hunc nimirum Terentium inter quattuor poetas, duos scilicet Graecos Homerum, Menandrum, duos ueros Latinos Virgilium et hunc ipsum Terentium, commemorat.11
Saint Jérôme rappelle le nom de Térence justement parmi quatre poètes, deux Grecs, Homère et Ménandre, deux authentiquement Latins, Virgile et notre Térence précisément.
Hic quod Graecam nouit12 linguam quia insectatus Menandrum Graecum signanter in primis quattuor comoediis Andria, Euunucho, Heauton., et Adelphos plane ostenditur .
La preuve qu’il savait le grec est donnée par le fait qu’il a significativement imité le grec Ménandre dans ses quatre premières comédies, L’Andrienne, L’Eunuque, L’Heautontimoroumenos, et Les Adelphes.
Haec uel ad notitiam habendam uel ad errorem declinandum breuiter de Terentio dicta sunt.
Voilà ce qu’on a dit brièvement de Térence, soit pour que l’on en garde connaissance soit pour éliminer une erreur.