De personis et earum indumentis et coloribus. Capitulum X.
Iodocus Badius Ascensius

Présentation du paratexte

Josse Bade ouvre son commentaire aux comédies de Térence par une longue introduction qu’il nomme lui-même Praenotamenta. Il s’agit de « notes préliminaires » plutôt que d’une « préface » à proprement parler.

Cette section est composée de 26 chapitres qui forment un traité de poétique en miniature auxquels il adjoint une série de remarques préliminaires sur le prologue et la première scène de l’Andrienne. L’humaniste y développe une ample réflexion sur la comédie. Partant d’une définition de la poésie, Bade aborde ensuite l’origine de la comédie, ses caractéristiques et mène une longue réflexion sur la scénographie antique. Les deux derniers chapitres traitent de la vie et des œuvres de Térence.

Bibliographie :
  • Philippe Renouard, Bibliographie des impressions et des œuvres de Josse Badius Ascensius, Paris, E. Paul et fils et Guillemin, 1908, 3 vol.
  • M. Lebel, Les préfaces de Josse Bade (1462-1535) humaniste, éditeur-imprimeur et préfacier, Louvain, Peeters, 1988
  • Paul White, Jodocus Badius Ascensius. Commentary, Commerce and Print in the Renaissance, Oxford University Press, 2013
  • L. Katz, La presse et les lettres. Les épîtres paratextuelles et le projet éditorial de l’imprimeur Josse Bade (c. 1462-1535), thèse de doctorat soutenue à l’EPHE sous la direction de Perrine Galand, 2013
Traduction : Sarah GAUCHER

De personis et rerum indumentis et earum coloribus. Capitulum X.

Chapitre 10. Sur les personnages, leurs costumes et leurs couleurs.

Personae quae comoediam ingrediuntur, hoc est de quarum factis comoedia facta est, sunt patres aut matres familias, item filii familias ; filiae autem non ingrediuntur ubi agnitae sunt.

Les personnages qui interviennent dans une comédie, c’est-à-dire ceux dont la comédie représentent les actions, sont des pères ou des mères de famille, de même des fils de famille ; quant aux filles, elles n'interviennent que lors des reconnaissances.

Item milites, meretrices, serui, seruae, lenones, lenae, et parasiti.

De même interviennent des soldats, des prostituées, des esclaves hommes et femmes, des maquereux et des maquerelles, ainsi que des parasites.

Plautus etiam et alii fere latini comici, sicut et Graeci fictitias personas deorum dearumque machinati sunt pro argumentis narrandis, ut larem familiarem, mercurtum, paupertatem, luxuriam et eiusmodi quae suo more ornari debent.

Plaute aussi et, en général, d’autres comiques latins comme grecs ont aussi mis en scène, pour raconter leur sujet les personnages fictifs des dieux et des déesses, par exemple le Lare familial, Mercure, la Pauvreté, la Débauche et d’autres de ce genre qui doivent être présentés à leur manière.

Terentius autem eiusmodi personas non habet, sed propter aliorum consuetudinem protaticas personas, id est extra argumentum accersitas.

Quant à Térence, il ne représente pas de personnages de ce type, mais, contrairement aux habitudes des autres, représente des personnages protatiques, c’est-à-dire qui sont extérieurs à l’intrigue.

Habet quibus argumentum aperitur : quae quidem personae semel dumtaxat et id in principio egrediuntur, ut in prima comoedia erit persona Sosiae, in tertia Daui, in ultima Syrae.

Il en représente qui introduisent l’intrigue : ces personnages, en tout cas, n’entrent qu’une seule fois et ce au début de la pièce, par exemple Sosie dans la première pièce, Dave dans la troisième et Syra dans la dernière.

Personarum autem ut recitat Donatus huiusmodi fere erat habitus.

Quant aux costumes des personnages, comme le rapporte Donat, on leur donnait généralement un costume de ce genre :

Comicis senibus candidus uestitus datur quod is antiquissimus fuisse memoratur ; adolescentulis discolor attribuitur ; serui comici amictu exiguo conteguntur paupertatis antiquae gratia uel ut expeditiones agant ; parasiti cum intortis palliis ueniunt ; laeto uestitus candidus et resplendens, aerumnoso absoletus seu obscurus dabatur ; purpureus diuiti, pauperi pheniceus competit ; militi clamis purpurea, puellae habitus peregrinus datur ; leno pallio uarii coloris utitur ; meretrici ob auariciam luteus designatur. Erant qui syrmata id est oblongas et caudaras uestes traherent quae in aliis scaenicam luxuriam et pompam significabant ; in aliis ut in luctuosis personis incuriam sui per neglegentiam. 1. Aulea quoque in scaena in terram sternuntur. 2

Aux vieillards de comédie, on donne un vêtement blanc, parce que c’est, rappelle-t-on le plus ancien costume ; les jeunes premiers se voient attribuer un costume d’une couleur qui tranche ; les esclaves de comédie sont vêtus d'un manteau court, en raison de leur ancienne pauvreté ou pour être moins embarrassés dans leur jeu ; les parasites arrivent en manteau plissés ; on donnait au ravi un costume blanc et brillant, au fâcheux un costume d’un autre âge ou de couleur sombre ; le costume pourpre convient au riche, l’écarlate au pauvre ; on donne au soldat une chlamyde pourpre, à la jeune fille un costume étranger ; le tenancier de maison close met un manteau bariolé ; à la courtisane, à cause de son caractère âpre au gain, est assigné un manteau jaune. Il y a des personnages qui sont vêtus de syrma, c’est-à-dire de robes longues et trainant au sol qui symbolisaient, chez certains personnages, le luxe et la pompe des représentations théâtrales ; chez d’autres, comme les personnages en deuil, elles symbolisaient le peu de cas qu'on fait de soi par négligence. Sur la scène, on rabat aussi à terre des rideaux.

Erant autem aulea qualia nunc tapeta fiunt in Flandria plurima.

Ces rideaux étaient très prisés, comme les tapisseries qu’on fait actuellement en Flandre.

Quae aulea dicebantur, quia in aula Attali regis inuenta sunt qui populum Romanum heredem instituit3.

Et on les appelait aulea parce qu’on les avait inventés à la cour (aula) du roi Attale, qui avait fait du peuple romain son héritier.

Solent autem aulea ut plurimum pendi et tapeta prosterni, sed confunduntur uocabulae.

D’ordinaire, les aulea sont pendus et les tapeta sont mis sur le sol, mais les deux termes se confondent.

Ob memoriam ergo Attali aulea et pendebantur et prosternebantur.

C’est donc en souvenir d’Attale que les aulea étaient à la fois pendus et mis sur le sol.

Sed ut dicit Donatus, aetas posterior pro auleis siparia accepit. Est autem siparium4 minutum5 uelum, quod populo obstitit dum fabularum actus commutantur. De cuius umbra histriones pronunciabant. 6

Mais, comme le dit Donat, à leur place, la génération suivante a connu les rideaux manœuvrables. Ce rideau est un voile fin qui est mis devant le public au changement d’acte des pièces de théâtre. C’est devant ce rideau que les histrions se produisaient.

Haec Donatus.

Voilà ce que nous dit Donat.


1. Reprise quasi-littérale de Evanthius, De fabula, 8.7.
2. Evanthius, De fabula 8.6-8.. Reprise quasi-littérale.
3. Evanthius, De fabula 8.8..
4. Nous corrigeons également.
5. Donat donne mimicum.
6. Evanthius, De fabula 8.8-9.. Les éditions de Bade donnent suppara, mais Donat dit bien siparia. De fait, les deux mots sont souvent confondus dans les manuscrits.