De ludis romanis et festivitatibus in quibus agi fueuerunt comoediae. Capitulum XVII.
Iodocus Badius Ascensius

Présentation du paratexte

Josse Bade ouvre son commentaire aux comédies de Térence par une longue introduction qu’il nomme lui-même Praenotamenta. Il s’agit de « notes préliminaires » plutôt que d’une « préface » à proprement parler.

Cette section est composée de 26 chapitres qui forment un traité de poétique en miniature auxquels il adjoint une série de remarques préliminaires sur le prologue et la première scène de l’Andrienne. L’humaniste y développe une ample réflexion sur la comédie. Partant d’une définition de la poésie, Bade aborde ensuite l’origine de la comédie, ses caractéristiques et mène une longue réflexion sur la scénographie antique. Les deux derniers chapitres traitent de la vie et des œuvres de Térence.

Bibliographie :
  • Philippe Renouard, Bibliographie des impressions et des œuvres de Josse Badius Ascensius, Paris, E. Paul et fils et Guillemin, 1908, 3 vol.
  • M. Lebel, Les préfaces de Josse Bade (1462-1535) humaniste, éditeur-imprimeur et préfacier, Louvain, Peeters, 1988
  • Paul White, Jodocus Badius Ascensius. Commentary, Commerce and Print in the Renaissance, Oxford University Press, 2013
  • L. Katz, La presse et les lettres. Les épîtres paratextuelles et le projet éditorial de l’imprimeur Josse Bade (c. 1462-1535), thèse de doctorat soutenue à l’EPHE sous la direction de Perrine Galand, 2013
Traduction : Sarah GAUCHER

De ludis romanis et festiuitatibus in quibus agi consueuerunt comoediae. Capitulum XII.

Chapitre 12. Sur les jeux romains et les fêtes où l’on avait l’habitude de représenter des comédies.

Hactenus uidimus de loco et apparatu comoediarum.

Jusqu’ici, nous avons parlé du lieu et du matériel des comédies.

Nunc de tempore in quo agi consueuerunt pauca deinceps dicemus.

À présent, nous allons traiter brièvement des occasions où l’on avait l’habitude de les représenter.

Ludorum autem seu solemnitatum in quibus comoediae agebant quattuor species esse Donatus afferit.1

Donat rapporte qu’il y avait quatre sortes de jeux et de fêtes où l’on représentait des comédies

Quos quidem ludos aediles curules munere publico curabant.

Et c’étaient les édiles curules qui se chargeaient officiellement de ces jeux.

Aediles autem sunt qui aedibus curandis et etiam ut uolunt eduliis praeficiebantur.

Or, les édiles sont ceux qui s’occupaient de l’entretien des édifices et même, d’après certains auteurs, du ravitaillement.

Quorum officium erat prospicere ne aedes in detrimentum alicuius corruant aut iniuste aedificentur, itemque ne comestibilia nimis caro pretio uendantur, aut ut iusto sint pondere aut ut non sint corrupta.

Et leur rôle était de veiller à ce qu’on ne détruise pas des édifices en causant du tort à quelqu’un ou qu’on ne les construise pas illégalement, et de même, à ce qu’on ne vende pas les aliments à un prix trop élevé ou à ce qu’ils aient le poids juste ou ne soient pas gâtés.

Item inter aediles qui in primo dignitatis gradu erant dicebantur curules eo quod in sella curuli uehi potuerunt.

En outre, parmi les édiles, ceux qui occupaient le premier rang de cette dignité étaient qualifiés de curules parce qu’il leur était permis de se faire porter sur la chaise curule.

Hi autem spectaculorum publicorum quae in aede publica fiebant curam gesserunt.

Ils eurent la charge des spectacles publics, qui se déroulaient dans un édifice public.

Qui aere publico tragoedias, comoedias, mimos atque alia id genus dramata emerunt et postea in ludis publicis populo exhiberi fecerunt.

Et ils achetèrent avec de l’argent public des tragédies, des comédies, des mimes et d’autres pièces de ce genre et les firent ensuite jouer pour le public dans des jeux publics.

Horum autem ludorum, ut dixi, quattuor sunt species.

Quant à ces jeux, comme je l’ai dit, ils sont de quatre sortes.

Quidam enim dicebantur megalenses, alii funebres, alii plebei, alii Apollinares. Megalenses magnis diis consecrati fuerunt.2

Les uns, en effet, étaient appelés jeux mégalésiens, d’autres jeux funèbres, d’autres jeux plébéiens, d’autre jeux apolliniens. Les jeux mégalésiens étaient consacrés aux grands dieux.

Magni autem dei dicebantur ut multi uolunt et praecipue Cassius Hemina, quos Aeneas ex Troia in Italiaque traduxit : qui secundum aliquos erant Neptunus, Apollo et Vesta, secundum alios Iuppiter, Minerua, Iuno et Tellus.3

D’après nombre d’auteurs et notamment Cassius Hemina, étaient qualifiés de grands les dieux qu’Énée avait transportés de Troie en Italie : selon certains, il s’agissait de Neptune, d’Apollon et de Vesta, selon d’autres de Jupiter, Minerve, Junon et la Terre.

In horum autem solemnitate plurimae comoediae agebantur.

Lors de leur célébration, on jouait un très grand nombre de comédies.

Funebres ludi fiebant sub funeratione magnorum et praecipue patriciorum uirorum. Qui ad retinendum populum instituti sunt ut pompa funeri decreta plene institueretur.4

Les jeux funèbres avaient lieu lors des funérailles des grands hommes et surtout des patriciens. Ils furent institués officiellement pour contenir le peuple afin que la cérémonie décrétée pour les funérailles soit pleinement officielle.

Nam populus spectacula uisurus pompas et magnificentias quas in sepultura patriciorum hoc est eorum qui senatores aut de sanguine senatorum erant, excipiebat.

En effet, le peuple qui allait assister aux spectacles voyait les cortèges et les somptuosités que l’on déployait à l’enterrement des patriciens, c’est-à-dire de ceux qui étaient sénateurs ou apparentés aux sénateurs.

Plebei autem ludi instituti erant ad salutem plebis quomodo apud nos rogationes fiunt.5

Quant aux jeux plébéiens, ils avaient été institués pour le salut de la plèbe, à la manière de nos rogations. 6

In his quoque spectacula exhibebantur.

Dans ces jeux, on produisait aussi des spectacles.

Apollinares autem dicebantur qui Apollini erant consecrati.7

On appelait jeux apollinaires ceux qui avait été consacrés à Apollon.

Varii autem Apollini erant ludi consecrati.

Or, divers jeux avaient été consacrés à Apollon.

Nam Augustus Caesar ludos saeculares ei instituit, in quibus nobiles pueri eidem hymnos canebant, et nobiles puellae Dianae sorori eius.8

En effet, Auguste César institua pour lui des jeux séculaires où de garçons de bonne famille chantaient des hymnes à sa gloire et des filles de bonne famille à la gloire de sa sœur Diane.

Erant et alii Apollinares ludi qui in centum annis nisi semel celebrabantur.

Il y avait aussi d’autres jeux apolliniens qui n’étaient célébrés qu’une fois tous les cent ans.

Erant et alii qui inulto ante Augusti tempora instituti fuerunt ex libris Sibillinis qui singulis annis fiebant auctore Lucio Cornelio Rufo decemuiro, qui propterea Sibilla nominatus. Ac deinde corrupto uocabulo ceptus est primus uocari Silla. Erant enim in carminibus Martii uatis quorum duo uolumina in senatum fuerant delata haec uerba. Hostem Romani si9 ex agro expellere uoltis uomicamque quae gentium uenit longe, Apollini censeo uouendos ludos, qui quotannis communiter Apollini fiant. His ludis faciendis praesit is praetor, qui ius populo plebique dabit summum. Decemuiri Graeco ritu hostiis sacra faciant. Hoc si recte facietis, gaudebitis semper fietque respublica melior. Nam is diuus extinguet perduelles uestros, qui uestros campos pascant placide etc. 10 Haec autem eadem carmina cum decemuiri in libris sibillinis reperissent, decreti sunt ludi apollinares. Et ob eam rem XII milia aeris et duae hostiae maiores praetori datae, decemque uiri Graeco ritu iussi sunt Apollini sacrificare boue aurato et duabus capris albis auratis, Latonae autem matri Apollinis uacca aurata. Ludos hos in circo populus coronatus spectabat atque finito sacrificio comoediae saepe exhibebantur. 11

Il y en avait aussi d’autres, qui, avant l’époque d’Auguste, furent institués d’après les livres sibyllins : ces jeux avaient lieu chaque année à l’instigation du décemvir Lucius Cornelius Rufus, qui avait reçu pour cette raison le surnom de Sibylle. Et ensuite, par une corruption du mot, il fut le premier à être appelé Sylla. En effet, on trouvait, dans les vers du devin Marcius dont deux volumes avaient été déposés au Sénat, les mots suivants : « Si, Romains, vous voulez chasser de votre pays l'ennemi et le fléau des nations venant de loin, je suis d’avis qu’il faut voter en l’honneur d’Apollon des jeux qui seront célébrés chaque année pour le dieu aux frais de l’État. Qu’à la célébration de ces jeux préside le préteur qui rendra la justice suprême sur le peuple et la plèbe. Que les décemvirs offrent des sacrifices avec des victimes à la manière des Grecs. Si vous faites cela correctement, vous connaîtrez toujours la joie et l’État prospèrera toujours. En effet, ce dieu détruira dans vos combats les ennemis qui paissent placidement dans vos champs etc. » Puisque les décemvirs avaient découverts ces vers dans les livres sibyllins, on décréta l’institution des jeux apollinaires. Et pour ce faire on donna au préteur douze mille as ainsi que deux grandes victimes et l’on ordonna aux décemvirs de sacrifier à Apollon, selon le rite grec, un bœuf doré et deux chèvres blanches dorées, puis de sacrifier à Latone, mère d’Apollon, une vache dorée. Le peuple couronné assistait à ces jeux dans le cirque et, une fois le sacrifice terminé, on y jouait souvent des comédies.

Et haec de ludis.

Voilà ce qui concerne les jeux.

Non autem spectat ad hunc locum dicere de ludis militaribus quos Graeci instituerunt neque de exercitiis rerum bellicarum aut ineptis alearum chartarumque ludis, cum de scaenicis hic tantummodo loquamur.

Il n’y a pas lieu ici de parler des jeux militaires que les Grecs ont institués ni des exercices guerriers ou des stupides jeux de dés et de cartes, puisque nous ne parlons que des jeux scéniques.


1. Evanthius, De fabula 8.2, .
2. Evanthius, De fabula 8.2, .
3. Serv., En. 1.378. « Idem Varro hos deos Dardanum ex Samothraca in Phrygiam, de Phrygia Aeneam in Italiam memorat portavisse. alii autem, ut Cassius Hemina, dicunt deos penates ex Samothraca appellatos θεοὺς μεγάλους, θεοὺς δυνατοὺς, θεοὺς χρηστούς. quorum diversis locis ita meminit “natoque penatibus et magnis dis”, hoc est θεοὺς μεγάλους, et iterum “Iunonis magnae primum. dominamque potentem” τοὺς δυνατούς, et “bona Iuno” τοὺς χρηστούς ».
4. Evanthius, De fabula 8.2, .
5. Evanthius, De fabula 8.2, .
6. Les rogations sont les prières publiques faites le 25 avril, fête de saint Marc, et pendant les trois jours qui précèdent la fête de l'Ascension pour attirer la bénédiction divine sur les récoltes et sur les travaux des champs.
7. Evanthius, De fabula 8.2, .
8. Hor., O. 1.21.
9. Ajouté d’après Liv., Ab urbe condita, 25.12.9 et Macr., Sat. 1.17.28.
10. Liv., Ab urbe condita 25.12.9. Ce passage de Tite-Live est rapporté par Macrobe.
11. Macr., Sat. 1.17.27.