De Terentii vita. Capitulum XXV.
Iodocus Badius Ascensius

Présentation du paratexte

CJosse Bade ouvre son commentaire aux comédies de Térence par une longue introduction qu’il nomme lui-même Praenotamenta. Il s’agit de « notes préliminaires » plutôt que d’une « préface » à proprement parler.

Cette section est composée de 26 chapitres qui forment un traité de poétique en miniature auxquels il adjoint une série de remarques préliminaires sur le prologue et la première scène de l’Andrienne. L’humaniste y développe une ample réflexion sur la comédie. Partant d’une définition de la poésie, Bade aborde ensuite l’origine de la comédie, ses caractéristiques et mène une longue réflexion sur la scénographie antique. Les deux derniers chapitres traitent de la vie et des œuvres de Térence.

Nous avons choisi de séparer ce très long paratexte, troisième de l’édition badienne, en suivant la division par chapitres de l’auteur.

Bibliographie :
  • Philippe Renouard, Bibliographie des impressions et des œuvres de Josse Badius Ascensius, Paris, E. Paul et fils et Guillemin, 1908, 3 vol.
  • M. Lebel, Les préfaces de Josse Bade (1462-1535) humaniste, éditeur-imprimeur et préfacier, Louvain, Peeters, 1988
  • Paul White, Jodocus Badius Ascensius. Commentary, Commerce and Print in the Renaissance, Oxford University Press, 2013
  • L. Katz, La presse et les lettres. Les épîtres paratextuelles et le projet éditorial de l’imprimeur Josse Bade (c. 1462-1535), thèse de doctorat soutenue à l’EPHE sous la direction de Perrine Galand, 2013
Traduction : Sarah GAUCHER

De Terentii uita. Capitulum XXV.

Vie de Térence. Chapitre 25.

Publius Terentius Africus ex ciuitate Carthaginensi natus fuit.

Publius Terentius Africus1 est né dans la cité de Carthage.

Unde Romam profectus post finem secundi belli Punici, seruiuit Terentio Lucano senatori apud quem ob ingenium et formae excellentiam gratiam inuenit.

De là, allant à Rome après la fin de la seconde guerre punique, il fut l’esclave du sénateur Terentius Lucanus chez qui il trouva la grâce (entrer dans les bonnes grâces) en raison de son talent et de sa grande beauté.

Nam ab eo non solum liberaliter more ingenuorum est in bonis artibus institutus, uerum etiam non post multum temporis manumissus.

De fait, il fut non seulement formé par cet homme comme un fils de famille avec l’usage des hommes libres dans les arts illustres, mais il fut aussi affranchi peu de temps après.

Quidam eum captum putant in secundo bello Punico in quo Carthago a Romanorum duce Scipione maiore subiugata et tributaria facta est.

Certains pensent qu’il a été capturé durant la seconde guerre punique dans laquelle Carthage a été mise sous le joug et rendue tributaire / soumise à l’impôt par Scipion l’aîné, général des Romains.

Sed id fieri nullo modo potuisse Fenestella docet, quia Terentius in fine secundi belli Punici natus fuit et ante initium tertii mortuus est.

Mais Fenestella nous apprend qu’en aucun cas cela n’a pu se produire, parce que Terence est né à la fin de la seconde guerre punique et est mort avant le début de la troisième.

Quod si quis dicat eum captum fuisse a Numidis aut Getulis qui populi in Africa sunt, non est uerisimile, inquit, quod ab illis ad Romanum ducem traductus fuit propterea quod ante deletam Carthaginem nullum commercium Afri cum Italis habuerant.

Parce que si on dit qu’il a été capturé par des Numides ou des Gétules, deux peuples qui sont en Afrique, il n’est pas vraisemblable, dit-on, qu’il a été conduit par eux auprès du général romain parce qu’avant la destruction de Carthage, les Africains n’avaient eu aucun lien avec les Italiens.

Neque uera est opinio dicentium hunc esse Terentium quem Valerius Maximus dicit liberatoris sui currum pileatum secutum fuisse, quia ille liber hic seruus erat.

Et la conjecture de ceux qui disent que, comme le dit Valère Maxime, celui qui a suivi le char de son affranchisseur coiffé d’un pileus est Térence n’est pas vraie, parce que le premier était un homme libre et le deuxième un esclave.

Postquam tamen libertatem bene uiuendo acquiserat cum multis nobilibus familiariter uixit,

Néanmoins, après avoir obtenu la liberté vivant honnêtement, il vécut dans l'intimité de beaucoup de nobles,

et praecipue cum Scipione et cum Laelio quem sapientem uocabant, quibus etiam corporis gratia complacuit.

et en particulier avec Scipion et Laelius qu’on appelait le sage, et il leur plut aussi à cause de son corps.

Sed Fenestella hoc reprehendit dicens ipsum utroque seniorem fuisse quamuis Cornelius Nepos unius aetatis omnes tres fuisse tradat.

Mais Fenestella réfute cela en disant qu’il fut lui-même plus vieux que les deux hommes alors que Cornelius Nepos rapporte que tous trois avaient le même âge.

Portius autem ostendit eum familiaritatem et consuetudinem cum nobilibus habuisse et inde in paupertatem redactum et in Graeciam prae pudore abiisse.

Or, Portius montre qu’il était lié intimement et eut des relations avec des nobles, qu'ensuite il a été réduit à la pauvreté et que par honte, il est parti en Grèce.

Dum enim inquit lasciuiam et pompas nobilium et pingues lances petit, dum Scipionis Africani diuinam uocem auidis captat auribus, dum apud Furium et Laelium frequenter cenare putat pulchrum, dum se amari ab his credit, in flore aetatis suae ipsius sublatis rebus ad summam inopiam redactus est.

Tandis qu’en effet, dit-on, il sollicite la débauche et les apparats des nobles et les plats lourds, tandis qu’il saisit la divine voix de Scipion l’Africain avec ses oreilles avides, tandis qu’il trouve beau de dîner fréquemment chez Furius et Laelius, tandis qu’il pense être aimé par ces hommes, c'est dans la fleur de son âge qu'il perdit tout cela et qu'il fut réduit au plus grand dénuement.

Itaque e conspectu omnium abiit in Graeciam in terram ultimam mortuusque est in Stymphalo Arcadiae oppido.

C’est pourquoi loin de la vue de tous il partit en Grèce dans la terre la plus éloignée et il mourut à Stymphale, ville d'Arcadie.

Nihil autem et Publius Scipio profuit, nihil Laelius, nihilque Furius qui tres per idem tempus uiuebant nobiles.

Or, Scipion ne lui a été d'aucun secours, ni Laelius, ni Furius, trois nobles qui vivaient durant la même époque.

Quorum auxilio et opera Terentius in externis horis non potuit habere domum saltem conductam ut haberet locum in quem seruulus corpus domini exangue referret.

Mais Térence n’a pas pu avoir une maison, du moins louée, et des activités dans ses heures libres avec leur assistance afin d’avoir un lieu dans lequel le jeune esclave rapporterait le corps pâle du maître.

Haec ille quibus ostendit Portius, stultos esse qui se in maximorum dominorum auxilio fidentes suas res prodigaliter expendunt.

Ce Portius montre ces choses pour lesquelles ils sont insensés, eux qui, se fiant à l’aide des grands maîtres, dépensent leurs propres biens avec prodigalité.

Nam licet Terentius in magna esset nobilissimorum et potentissimorum gratia.

De fait, Terence peut avoir été dans les bonnes grâces de très nobles et de très puissants hommes.

Nihilominus tamen pauperrimus et misserrimus in externis horis obiit.

Cependant, tout de même, il finit sa vie en étant très pauvre et très malheureux.

Ex his autem (quae ipse Terentius de se in prologis suis attestatur) colligi potest quod iuuenis adhuc has sex comoedias scribere inceperat,

Or, Terence lui-même d’après lui dans ses prologues confirme qu’il peut être remis de ces choses parce que, encore jeune homme, il avait commencé à écrire ces six comédies,

item quod in nobilissimorum uirorum gratia erat.

pareillement, le fait qu’ il était dans les bonnes grâces d’hommes très nobles.

Unde aemuli et aduersarii eius dixerunt ipsum non suas sed Scipionis aut Laelii comoedias pro suis edidisse.

C’est pourquoi ses émules et ses adversaires ont dit que Terence n’a pas édité ses comédies mais celles de Scipion et Laelius à la place des siennes.

Alii dicebant ipsum ab illis in comoediis adiutum esse.

D’autres disaient que Terence a été aidé par eux en ce qui concerne les comédies.

Quod non multum est uerisimile quia omnium iudicio istae comoediae Terentianae dicuntur.

C'est une chose peu vraisemblable parce que ses comédies sont attribuées à Térence de l'avis de tous.

Ipse tamen Terentius in prologo Adelphorum non multum dicit contra hoc opinantes uolens nobilibus blandiri.

Cependant, Terence lui-même dans le prologue des Adelphes ne dit pas grand-chose contre ceux qui croient cela, voulant flatter les nobles.

Dicit enim sibi hoc dari ad magnam laudem si adiutus fuerit ab his uiris quos sibi principes omnes constituunt, et a quibus rempublicam gubernari omnes summopere optauerunt et quibus placere omnes uoluerunt.

En effet, il dit que cela aurait été une grande louange pour lui s’il fût aidé par ces hommes que tous les princes érigent pour eux, et tous choisirent avec le plus grand soin qu’ils dirigent l’État et tous ont voulu leur plaire.

Dicit praeterea Cornelius Nepos se coinperisse autore certo, Catum Laelium in Puteolano ab uxore admonitum ut citius discumberet petiisse ab ea ne interpellaretur, et cum tarde triclinium ingressius esset dixisse ait, non saepe sibi in scribendo magis successisse.

En outre, Cornelius Nepos dit qu’il donna des ordres au véritable auteur, qu’il a sollicité Catus Laelius à Puteolano, averti par son épouse, pour qu’il se couche plus vite afin qu’il ne soit pas dérangé par celle-ci, et il affirme qu’il a dit que, puisqu’il s’est mis à table tardivement, il ne lui succéderait pas souvent pour écrire plus.

Et dum ipsum precarentur ut scripta quae tunc fecerat proferret pronunciasse ait uersus qui sunt in Heautontimorumeno Terentii : « Satis pol proterve me Syri promissa huc induxerunt. »2

Et tandis qu’ils le suppliaient de révéler, les écrits qu'il avait déjà faits, on affirme qu’il a prononcé les vers qui sont dans L’Héautontimorouménos de Terence : « Pollux, protège-moi bien de ce Syrus, ses promesses m’ont conduit ici »

Quod si uerum est satis constat eum Laelii opera pro suis edidisse : quamuis non cogamur ex eo hoc fateri.

Et si cela est assez juste, c’est un fait établi qu’il a édité les œuvres de Laelius à la place des siennes : à cause de cela, nous sommes contraints de l’avouer en quelque sorte.

Propterea quod uterque Graecum stilum in Latinum conuertentes potuissent consimiles et quasi eosdem uersus edidisse.

Parce qu’à cause de cela, chacun des deux, traduisant le style grec en latin, auraient pu publier presque les mêmes vers entièrement semblables.

Nam et Strabo dicit si adiutoribus Terentius eguisset quod non tam Laelio ac Scipione usus fuisset qui tunc adolescentuli fuerunt quam Sulpicio Gallo homine docto et qui consularibus ludis initium fecerit dandarum fabularum, uel Quinto Fabio Labeone, et Marco Pomponio, consulari utroque et poeta.

De fait, Strabon aussi dit que si Terence avait besoin de ceux qui l’ont aidé, il n’aurait pas autant fréquenté Laelius et Scipion, qui étaient alors des jeunes gens, que Sulpicius Gallus, un homme savant et qui a débuté les jeux consulaires en donnant/faisant représenter des pièces de théâtre, ou Quintus Fabius Labeo, et Marcus Pomponius, l’un et l’autre d’anciens consuls et poètes.

Et ideo dicit in prologo ipse Terentius se gaudere usum fuisse uiris quorum opera in bello et in pace populus expertus sit, quales non fuerunt Scipio et Laelius adhuc tunc temporis adolescentes.

Et pour cette raison Terence lui-même dit dans le prologue qu’il se réjouit d’avoir fréquenté des hommes dont le peuple a fait l’expérience du travail dans la guerre et dans la paix, ainsi Scipion et Laelius étaient alors jeunes à l’époque.

Quamquam enim opinio est quod de Scipione et Laelio in prologo Adelphorum loquatur nullum tamen nominat.

En effet, bien qu’on croie qu’il parle de Scipion et Laelius dans le prologue des Adelphes, il ne nomme néanmoins personne.

Itaque Strabo de aliis loqui ipsum sentit.

C’est pourquoi Strabon pensa qu’il parlait de d’autres personnes.

Quia igitur Suspicio erat eum ab aliis adiuntum fuisse.

Parce qu’on soupçonnait donc qu’il fut aidé par d’autres personnes.

Dicunt ipsum anno XXXV suae aetatis in Graeciam abiisse causa cuitandae opinionis quia putabatur aliena pro suis edere, seu gratia percipiendi Graecorum instituta et mores quos interdum postea in scriptis suis exprimeret.

On dit qu’il partit lui-même en Grèce à 35 ans à cause d’une opinion om cuitandae parce qu’on pensait qu’il avait publié ce qui appartient aux autres à leur place, ou pour la perception des institutions et des coutumes des Grecs, qu’il représentait ensuite quelquefois dans ses scripts.

Postquam autem egressus est nunquam rediit.

Or après être parti, il ne revint jamais.

De morte autem eius sic Volcatius tradit, sed ut Afer, hoc est Terentius ex Africa sex populo edidit comoedias.

Volcanius rapporte sa mort ainsi, mais en tant qu’Africain, c’est Terence, d’origine africaine, qui publia six comédies pour ce peuple.

Iter hoc est a Roma in aliam fecit nauim postquam semel ascendit.

Il a fait ce trajet depuis Rome dans un autre bateau après y être monté une seule fois.

Nunquam uisus est amplius et sic uita priuatus est.

Jamais on ne le vit aussi imposant et il quitta la vie ainsi.

Quintus Consetius redeuntem e Graecia periisse in mari dicit cum centum et octo fabulis conuersis a Menandro.

Quintus Consetius dit qu’il a péri dans la mer en revenant de Grèce avec cent huit pièces traduites par/à partir Ménandre

Ceteri mortuum esse dicunt in Arcadia stiphali sinu Leucadiae quo tempore Romae consules fuerunt.

Le reste/les autres dit/disent qu’il est mort à Arcadie dans le Stymphale de Leucade à l’époque où ils furent consuls à Rome.

Eneus Cornelius Dolobella et Marcus Fuluius Nobilior dicuntque ipsum morbum contraxisse ex dolore et taedio amissarum fabularum quas in naui praemiserat et simul ex amissione fabularum quas ipse nouas fecerat.

Eneus Cornelius Dolobella et Marcus Fulvius Nobilior disent qu’il contracta la peste par suite d’une blessure et de la fatigue causée par les pièces qu’il a perdues, pièces qu’il avait envoyé préalablement dans un bateau et à la suite de la perte des pièces, il en avait fait des nouvelles.

Certum enim ipsum intendisse nouas fabulas facere et non semper Graecas transferre.

En effet, déterminé, il a eu la volonté de faire de nouvelles pièces et de ne pas toujours les traduire en grec.

Miratur ergo Donatus quomodo Portius dixerit ipsum -prae pudore et inopia- abiisse praesertim cum diuitias satis abundantes Romae dereliquisset.

Donatus est donc surpris de la manière dont Portius dit qu’il partit -en raison de la pudeur et du manque de ressources- notamment puisqu’il délaissa des ressources assez abondantes à Rome.

Nam filiam unam habuit legitimam quae equiti Romano nupsit.

De fait, il eut une fille légitime qui épousa un cavalier romain.

Hortulos autem habuit uiginti iugerum in uia Appia ad Martis uillam.

Il avait 20 jardins de 25 ares environ sur la voie Appienne vers la villa de Mars.

Nihilominus tamen potuit pauper et miser mortuus esse siue in mari siue in Arcadia mortuus sit.

Néanmoins, il a pu tout de même mourir en étant pauvre et malheureux, soit en mer soit en Arcadie.

Quia diuitias quas Romae dereliquerat illic non habebat.

Parce qu’il avait laissé à Rome les ressources qu’il n’avait pas là-bas.

Potuit etiam retentis immobilibus, mobilia uiuendo luxuriose consumpsisse, et ita ne paupertas sua nota fieret prae pudore abisse.

Il a pu aussi avoir dissipé ses biens meubles en vivant au-dessus de ses moyens, tandis qu’il a conservé ses biens immuables, et pour ne pas que sa pauvreté soit remarquée, il est parti par pudeur.

Nam, si domos et posessiones uendidisset, non potuisset abeundo paupertatem celasse.

De fait, s’il avait vendu ses demeures et ses biens, il n’aurait pu cacher sa pauvreté en partant.

Sed haec de uita eius.

Mais voilà les informations au sujet de sa vie.


1. « Africain » ≠ de son cognomen
2. Terence, Heautontimorumenos, v. 723.