Jodoci Badii Ascensii familiaria in Terentium prenotamenta. De forma operibus et laude Terentii. Capi(tulum) XXVI.
Iodocus Badius Ascensius

Présentation du paratexte

CJosse Bade ouvre son commentaire aux comédies de Térence par une longue introduction qu’il nomme lui-même Praenotamenta. Il s’agit de « notes préliminaires » plutôt que d’une « préface » à proprement parler.

Cette section est composée de 26 chapitres qui forment un traité de poétique en miniature auxquels il adjoint une série de remarques préliminaires sur le prologue et la première scène de l’Andrienne. L’humaniste y développe une ample réflexion sur la comédie. Partant d’une définition de la poésie, Bade aborde ensuite l’origine de la comédie, ses caractéristiques et mène une longue réflexion sur la scénographie antique. Les deux derniers chapitres traitent de la vie et des œuvres de Térence.

Nous avons choisi de séparer ce très long paratexte, troisième de l’édition badienne, en suivant la division par chapitres de l’auteur.

Bibliographie :
  • Philippe Renouard, Bibliographie des impressions et des œuvres de Josse Badius Ascensius, Paris, E. Paul et fils et Guillemin, 1908, 3 vol.
  • M. Lebel, Les préfaces de Josse Bade (1462-1535) humaniste, éditeur-imprimeur et préfacier, Louvain, Peeters, 1988
  • Paul White, Jodocus Badius Ascensius. Commentary, Commerce and Print in the Renaissance, Oxford University Press, 2013
  • L. Katz, La presse et les lettres. Les épîtres paratextuelles et le projet éditorial de l’imprimeur Josse Bade (c. 1462-1535), thèse de doctorat soutenue à l’EPHE sous la direction de Perrine Galand, 2013
Traduction : Sarah GAUCHER

De forma, operibus, et laude Terentii. Capitulum XXVI.

Chapitre XXVI. Sur le physique, les œuvres et la renommée de Térence.

Quantum autem ad corporis formam Donatus dicit Terentium fuisse mediocri statura, gracili corpore, colore fusco, quo colore Carthaginenses fere sunt.

Donat dit du physique de Térence qu’il était de taille moyenne, mince, qu’il avait le teint brun, teint qui est celui de presque tous les Carthaginois.1

Scripsit autem primum sex comoedias quas nunc in manibus habemus, et, ut aliqui attestantur, centum et octo quas mare obruit.

Il a écrit d’abord les six comédie qui nous avons aujourd’hui en main, puis, comme certains l’attestent, les cent-huit que la mer engloutit.

De laude quam in scribendis comoediis meruit uariae sunt opiniones.

Concernant la renommée qu’il s’est acquise en écrivant ses comédies, les opinions divergent.

Seruius enim in proprietate sermonis ipsi primum locum dat, in aliis fere nouissimum.2

Servius, en effet, lui donne la première place pour la propriété des termes ; pour d’autres aspects, il lui donne presque la dernière.

Alii etiam in aliis rebus ipsum multa laude dignum censent.

Les divers commentateurs le jugent digne des plus grandes louanges dans des domaines différents.

Nam Afranius ipsum omnibus comicis praefert scribens in compitalibus Terentio non similem dices quempiam3.

En effet, Afranius le préfère à tous les autres poètes comiques en écrivant : « dans les Compitalia, personne, diras-tu, n’est comparable à Térence ».

Volcatius autem ipsum non solum, Naeuio, Plauto et Cecilio, sed etiam Liuio et Attilio postponit.

Quant à Volcacius, il le place non seulement après Naevius, Plaute et Caecilius, mais aussi après Livius et Attilius.4

Sedigitus ut diximus in VI capitulo septimum locum illi dat.

Sedigitus, comme nous l’avons dit dans le chapitre V, lui octroie la septième place.5

Caesar in puritate sermonis ipsum etiam Menandro praeferendum censet.6

Pour la pureté des termes, César juge qu’on doit le préférer même à Ménandre.

Donatus dicit quod personarum leges circa habitum aetatem officium, partes agendi nemo diligentius Terentio custodiuit, qui etiam solus ausus est in fictis argumentis cum fidem ueritatis assequerent, etiam contra praescripta comica, meretrices interdum non malas introducere quibus tamen cur bonae sint et uoluptas per ipsum et causa non desit.7

Donat dit que personne n’a observé les lois concernant les tenues, l’âge, la fonction des personnages, et leurs rôles dans la pièce mieux que Térence, lui qui a seul osé, dans des fictions, conserver un haut degré de réalisme, fût-ce contre les règles du genre comique, mettre sur la scène des courtisanes qui ne soient pas méchantes, sur la gentillesse desquelles, d'ailleurs, il ne manque pas de donner une justification, ce qui procure par là même du plaisir.

Haec cum artificiosissima Terentius fecerit8, etiam illud praecipue seruauit quod in scribenda comoedia modum et mensuram retinuit.

Alors que Térence a surmonté ces difficultés avec une très grande maîtrise, il a également surtout conservé ce qui, dans l’écriture de la comédie, en garant de la mesure et de la modération.

Nam affectus sic temperauit ut nusquam in tragoediam transiliret.9

En effet, il a modéré les passions, si bien qu’il ne verse jamais du côté de la tragédie.

Eo enim eius fabulae sunt temperamento ut neque extumescant ad tragicam celsitudinem neque abiiciantur ad histrionicam.10

Ses comédies, en effet, sont d’un caractère qui ne s’enfle pas pour atteindre la hauteur de la tragédie ni ne s’abaisse à la bouffonnerie.

Adde, inquit Donatus, ad laudem Terentii quod nihil abtrusum ab eo ponatur aut quod ab historicis requirendum sit quod saepius Plautus facit et propterea est obscurior in pluribus locis.11

Ajoute, nous dit Donat, à la louange de Térence qu’il n'y a chez lui rien d'abscons ou qui mérite une enquête historique, au contraire de ce qui se passe fréquemment chez Plaute, qui, pour cette raison, est obscur en maint endroits.

Adde quod argumenti ac stili ita attente memor est ut nusquam claudicarit aut errauerit quae obesse potuerunt uel ideo quodque media primis et postremis ita nexuit, ut nihil additum aut appositum alteri sed aptum et solidum et ex se totum ex uno corpore uideatur esse compositum.12

En outre, il est si scrupuleusement attentif à l'intrigue et au style que jamais il ne fait boiter ou claudiquer ce qui pourrait aller à leur encontre, et il noue si bien le milieu au début et à la fin que rien n'a l'air d'être un ajout superflu mais que tout est solidaire et paraît avoir été composé d'un seul tenant.

Illud quoque mirabile est in Terentio quod non ita miscet personas ut obscura sit earum distinctio ; item quod nihil ad populum facit actorem loqui uelut ex tragoedia quod uitium Plauti est frequentissimum.13

Il est remarquable également qu'il ne mélange pas les personnages sans qu'on puisse les distinguer ; ensuite, il ne fasse jamais parler un acteur au public, comme s'il sortait de la comédie, défaut très fréquent chez Plaute.

Adde est illud inter cetera eius artificia laude digna quod locupletiora argumenta ex duplicibus negotiis delegerit ad scribendum.14

Ajoute, entre autres choses dignes de louanges le fait qu’il ait choisit d'écrire des intrigues enrichies d'une double histoire d'amour.

Nam excepta Hecyra in quam scribit solius Pamphili amorem ceterae quinque comoediae binos adolescentulos habent.

En effet, à l’exception de L’Hécyre, où il écrit l’amour d’un seul homme, Pamphile, les cinq autres comédies comprennent chacune deux jeunes hommes.

Harum autem sex comoediarum nomina sunt : Andria, Eunuchus, Heautontimorumenos, Phormio, Adelphi et Hecyra quas nunc exponendas aggredior.

Quant à ces comédies, en voici les noms : L'Andrienne, L’Eunuque, L’Heautontimoroumenos, Le Phormion, Les Adelphes et L’Hécyre, comédies que j’entreprends à présent de présenter.


1. Suétone, Vita Terentii, 6.
2. Référence nécéssaire voir Te1504_Ascensius_p3x
3. Afranius, frag. 29 donne Terenti numne similem dicent quempiam ?
4. La première place du classement de Volcacius revient à Caecilius. Mais les critères sur lesquels se fonde la liste établie ne sont pas explicités. Sur le classement de Volcacius Sedigitus, voir LEHMANN A. 2011, « Volcacius Sedigitus, auteur du premier 'canon' des poètes comiques latins », Latomus 70, p. 330-355.
5. En réalité la sixième.
6. César, Carmina fragmenta, 1.
7. Donat, Excerpta ex comoedia, 3.4.
8. Donat, Excerpta ex comoedia, 3.4.
9. Adapté de Donat, Excerpta ex comoedia, 3.5.
10. Donat, Excerpta ex comoedia, 3.5.
11. Donat, Excerpta ex comoedia, 3.6.
12. Légèrement adapté de Donat, Excerpta ex comoedia, 3.7.
13. Légèrement adapté de Donat, Excerpta ex comoedia, 3.8.
14. Adapté de Donat, Excerpta ex comoedia, 3.9.