Ioanni Glorierio christianissimi Gallorum regis secretario, et primario Insubriae quaestori Franciscus Asulanus S.
Franciscus Asulanus

Présentation du paratexte

Notice BnF : « L’auteur de cette nouvelle révision est Francesco Asolano, d'après son épître à Jean Grolier, dans laquelle il dit avoir continué l'œuvre de son beau-frère, Alde l'Ancien, qui signe à la fin de chaque comédie : "Aldus recensui". Le texte même de l'épître a été attribué aussi à Andrea Navagero. »

Bibliographie :
Traduction : Mathieu FERRAND

Ioanni Glorierio1 Christianissimi Gallorum regis secretario, et primario Insubriae quaestori Franciscus Asulanus S.

A Jean Grolier2, secrétaire du très Chrétien roi de France et premier trésorier du duché de Milan, Franciscus Asulanus3 adresse son salut.

Quicumque Volcatius ille Sedigitus fuit qui iudicium de Latinis Comicis, in his qui circumferuntur iambis, tam audacter tulit ut nihil eum qui contra sentiat, sentire dixerit, ne ille mihi omni ipse prorsus uidetur sensu caruisse.

Un certain Volcatius Sedigitus donna si hardiment son avis sur les auteurs comiques, dans ces vers iambiques que l’on trouve partout, qu’il prétendit qu’il se tromperait tout à fait, celui qui ne serait pas d’accord avec lui. Mais pour sûr, il me semble lui-même avoir manqué de tout bon sens.

Caecilio palmam statuit, facilius id fortasse quam decuit.

Il décida d’attribuer la palme à Cécilius, et cela un peu trop facilement peut-être.

Quamquam enim de eo cuius nulla exstent scripta iudicari nihil possit, non parui tamen Ciceronis iudicium, qui nunc malum eum esse latinitatis auctorem4, nunc male locutum5 dicit, faciendum est.

Car, quoiqu’on ne puisse rien juger de celui qui n’a laissé aucun écrit, il faut faire grand cas du jugement de Cicéron : il dit ici que c’est un mauvais auteur latin, là qu’il ne s’exprimait pas correctement.

Sed ob ipsam tamen hanc caussam, quod omnia eius scripta interciderunt, ne temere in eum, quem non legimus, pronuntiasse quidquam uideamur, quum praesertim et Horatius etiam grauitate eum dicat uincere6, condonemus sane hoc Ciceronis iudicium et recte Caecilio delatam palmam existimemus.

Mais, pour cette raison même, à savoir que tous ses écrits ont disparu, et afin de ne pas paraître nous prononcer à la légère sur un auteur que nous n’avons pas lu, d'autant que, surtout, Horace lui-même affirme que Cécilius « l’emporte par la gravité », faisons-lui grâce du jugement de Cicéron et considérons que la palme a été légitimement octroyée à Cécilius.

Quid, quod Plautum tum caeteros superare, ac sexto demum loco consequi Terentium asserit ?

Mais que penser de ce que Plaute, affirme-t-il, l’emporte sur tous les autres et de ce que Térence, selon lui, occupe seulement la sixième place ?

Vllone id pacto assentiri possumus ?

Pouvons-nous, d’une manière ou d’une autre, être d’accord avec cela ?

Ego uero tantum abest, ut in hac sim sententia, ut longo interuallo post Terentium Plautum arbitrer collocandum.

Bien loin d’être de cet avis, je pense que Plaute doit être placé bien après Térence.

Neque uero ut hoc sentiam, sermonis solum elegantia moueor, qua Terentium facillime omnes excellere nemo est qui neget.

Et ce qui me conduit à penser cela, ce n’est pas seulement cette élégance du discours par laquelle, selon l’avis général, il l’emporte très facilement sur tous les autres.

Volo in hoc parem illi Plautum esse.

Je veux bien qu’en cela Plaute lui soit comparé !

Volo, quod hominis fortasse uitium sit, aetati adscribere.

Je veux bien que, ce qui est peut-être un défaut de l’homme, on l’attribue à son époque !

Durior est Plautus, asperis quibusdam atque obscuris uerbis utitur.

Plaute est plus dur, utilise des mots âpres et obscurs.

Sic enim tum loquebantur. Non poterat ille alio quam aetatis suae sermone uti.

De fait, on parlait comme cela, alors. Il ne pouvait pas parler un autre langage que celui de son époque.

Longe Terentius cultior. Nihil in eo non lene, nihil non elegans.

Térence est beaucoup plus soigné. Tout chez lui est doux, élégant.

Limatior tum scilicet Latina lingua facta est.

Alors, c’est vrai, la langue latine était devenue plus châtiée.

Non eius haec propria existimanda laus, sed communis illius aetatis omnium.

Il ne faut pas y voir un mérite personnel ; il est commun à son époque.

Vt haec inquam ita esse concedam, quid ? Caetera quae multo maioris artis sunt, possuntne ulla ratione paria in utroque fieri ?

Et même si les choses sont comme je dis, eh bien quoi ? Le reste, qui relève d’une bien plus grande maîtrise, ne peut-il en aucune manière être comparé chez nos deux auteurs ?

Omnibus mihi Plautus in rebus (liceat libere proferre, quod sentio) uidetur nimius.

En tout chose Plaute me semble en faire trop (qu’on me permette de dire franchement ce que je pense).

Ita illo Terentius parcior, ut nihil ab eo tamen, quod desiderari possit, relinquatur.

Ainsi Térence est plus sobre, mais sans renoncer à rien de ce qui pourrait manquer.

Hiant nonnumquam, neque satis cohaerent Plauti comoediae.

Parfois, dans les comédies de Plaute, tout ne s’enchaîne pas parfaitement ; elles manquent de cohérence.

Ita omnia Terentii inter se nexa, ita ex omnibus unum quoddam conficitur, ut nihil aptius illius fabulis, nihil magis fieri ad unguem possit.

Chez Térence, tout est bien lié, de l’ensemble il fait un seul tout, si bien que rien ne peut être imaginé de plus cohérent que les pièces de notre auteur, rien de plus parfaitement conçu.

Atqui hoc id est quod praecipue praestari et ab poetis et ab scriptoribus omnibus debeat ac maximam, si aliud quidpiam, artem exigat.

Eh bien, voilà ce dont les poètes et tous les écrivains doivent faire preuve par-dessus tout et qui exige, plus que tout, un maximum de maîtrise.

Iam decorum illud, quod in omnibus tantopere custodiendum rebus est, in fabulis uero ubi congrua unicuique personae effingenda sunt omnia, nisi seruetur, nihil prorsus fiat.

D’autre part, dans les pièces de théâtre où tout doit être imaginé conformément à chaque personnage, si l’on ne respecte pas le principe de convenance, auquel on doit veiller avec attention en toutes choses, alors on n’arrive à rien.

Nemo Terentio attentius obseruauit.

Or, personne n’a observé ce principe avec plus de soin que Térence.

At huius nonnumquam Plautus obliuiscitur.

Plaute, lui, le perd parfois de vue.

Ac mihi quidem aliquando haec quae diximus consideranti ob id Plautus minus in his fortasse posuisse curae uideri solet.

Voilà pourquoi, quand je m’arrête sur ce dont nous venons de parler, en général, Plaute me semble y avoir consacré moins de soin.

Quod unum illi studium facetiarum fuit.

Car il ne s’intéressait qu’aux plaisanteries.

Nihil ille aliud propositum comico poetae credidit, quam populo risum mouere.

Il pensait que le poète comique n’avait d’autre but que de faire rire le peuple.

Id dum unum captat, uni huic rei dum inseruit ut id, quod uoluit maxime, assecutus sit et urbanissimus sit spectatoribus uisus, multa certe alia et potiora omisit.

Pendant qu’il cherchait cela seul, qu’il se consacrait au seul projet d’obtenir ce qu’il a par-dessus tout désiré, de passer aux yeux des spectateurs pour le plus spirituel, il a omis beaucoup d’autres choses, assurément, de plus grand prix.

Atque ipsi tamen etiam illi sales, dum undique eos colligit, undique ex omni re aucupatur, hebetes plerumque ac scurriles sunt, nec quos, extra illum in theatro concitati uulgi plausum, sedatus probare lector possit.

Mais ces bons mots eux-mêmes, tandis qu’il les recueille partout, qu’il les traque en chaque chose, sont souvent sans saveur et bouffons, et ne sont pas de ceux que le tranquille lecteur peut approuver loin des applaudissements de la foule en délire dans le théâtre.

Qua in re ita sibi Terentius moderatus est, ut in hoc quoque non minus, quam in caeteris, quae a nobis dicta sunt, praestitisse omnibus uideatur.

En la matière, Térence s’est à ce point modéré que sur ce point comme sur d’autres, dont nous avons parlé, il semble l’emporter sur tous.

Duo sunt facetiarum genera: in re alterum, alterum in uerbo est positum.7

Il y a deux genres de plaisanteries : celles qui reposent sur les faits, et celles qui reposent sur les mots.

Multo id uenustius, et grauius, quod re tractatur. Acutum nonnumquam, et elegans, quod in uerbo est.

Quand elles portent sur les faits, elles sont plus gracieuses et plus graves ; elles sont souvent subtiles et élégantes, celles qu’on trouve dans les mots.

Sed frigidum tamen plerumque est et facillime in scurrilitatem delabitur, si quis sibi in eo non moderetur.

Mais en général elles deviennent froides et tombent très aisément dans la bouffonnerie, si l’on ne garde pas la mesure sur ce point.

Creber primo in genere, in secundo parcus Terentius.

Térence use beaucoup des premières, peu des secondes.

Econtra Plautus in primo rarus, in secundo frequentissimus.

A l’inverse, Plaute se livre rarement aux premières, très souvent aux secondes.

Hinc factum est, ut rudi fortasse populo et spectatoribus, quippe qui scurra saepius, quam poeta, delectentur, salsior sit Plautus uisus.

C'est pourquoi, au peuple grossier, très probablement, et aux spectateurs, parce qu’ils préfèrent bien souvent les bouffons aux poètes, Plaute a semblé avoir plus de sel.

Peritis certe auribus, et sapienti lectori nihil Terentio festiuius uideri debet.

Mais assurément, aux oreilles expertes et au lecteur instruit, rien ne doit paraître plus plaisant que Térence.

Illius quae lepida dicta sunt, placere semel possunt: huius, quo magis inspiciuntur, eo uenustiora apparent.

Chez le premier, ce qui a été qualifié de charmant peut bien plaire une fois ; plus on examine ce que le second a de charmant, plus cela paraît gracieux.

Risum ille persaepe, sed et saepe cachinnum mouet ; numquam cachinnum Terentius.

Le premier fait très souvent sourire, et souvent rire aux éclats ; jamais Térence ne fait rire aux éclats.

Atque, ut uno omnia uerbo complectar, in illo dicacitas, in hoc urbanitas conspicitur maxima.

Bref, pour résumer le tout en un mot, chez Plaute, on trouve du mordant ; chez Térence, la plus grande urbanité.

Atque hanc quidem ego de poetis his non tam libere fortasse dixissem sententiam, nisi maximos quos sequerer uiros, Horatium et Afranium8, eius auctores habuissem, quos multo ego pluris, quam Sedigitum hunc nescio quem, facio.

Quant à moi, je n’aurais sans doute pas donné si librement mon avis sur les poètes s’il n’avait eu pour garants les hommes les plus éminents, bien dignes d’être suivis : Horace et Afranius. D’eux, je fais bien plus de cas que de cet obscur Sedigitus.

Acerrimo inter poetas omnes iudicio mihi fuisse Horatius uidetur.

Parmi tous les poètes, Horace me semble avoir eu le jugement le plus aiguisé.

Nemo illo uetustiores poetas diligentius excussit.

Personne n’a examiné les poètes anciens avec plus de diligence que lui.

At is de Plauto :

Il dit sur Plaute :

At nostri proaui Plautinos numeros, Laudauere sales ; nimium patienter utrumque,Ne dicam stulte, mirati, si modo ego, et uosScimus inurbanum lepido seponere dictoLegitimumque sonum digitis callemus et aure. 9

« Mais nos ancêtres ont célébré les vers de Plaute, ses bons mots ; ils ont admiré les uns et les autres avec trop de complaisance, pour ne pas dire de déraison, si seulement nous savons, vous et moi, distinguer la grossièreté du mot d’esprit, et reconnaître une cadence exacte avec le doigt et l’oreille. »

Et numeros, et sales Plautinos non probat Horatius.

Horace n’approuve ni les vers ni les bons mots de Plaute.

Nos de salibus diximus multa.

Nous avons beaucoup parlé de ses bons mots.

Quae de numeris dici possent, ne longiores essemus, ac nimis omnia inquirere uideremur, praetermittere, ac condonare uoluimus.

Ce qui peut être dit de ses vers, pour ne pas être trop long et pour ne pas paraitre mener une enquête trop complète, nous avons choisi de le laisser de côté et de lui en faire grâce.

Sed quid idem de Terentio Horatius ?

Mais que dit le même Horace de Térence ?

Vincere Caecilius grauitate Terentius arte. 10

« Cécilius l’emporte par sa gravité, Térence par son art ».

Parem Caecilio Terentium facit, quum grauitate alterum, alterum arte dicit uincere.

Il fait de Térence l’égal de Cécilius, quand il dit que l’un l’emporte par la gravité, l’autre par son art.

Atqui ego ne grauitate quidem uideo quomodo ab ullo uinci potuerit Terentius.

Mais moi je ne vois pas même comment on pourrait l’emporter sur Térence « par la gravité ».

Quaecumque in comico esse aut potest aut debet grauitas, in illo est.

Toute la gravité qui peut ou qui doit se trouver chez un poète comique, on la trouve chez lui.

Quod si grauior Caecilius fuit, ne ille fortasse comoediae sit fines praetergressus.

Et si Cécilius eut plus de gravité, alors il a peut-être franchi les bornes du genre comique !

Quamquam enim tollat plerumque uocem comoedia necesse est11, ita tamen debet tollere ut nullo illi pacto ad tragoediam ascendendum sit.

Car, quoique souvent la comédie doive élever la voix, elle doit cependant le faire sans s’élever, en quelque manière, jusqu’à la tragédie.

Ob hoc ego Afranio libenter accedo qui neminem Terentio dici posse similem12 affirmat neque cuiusquam uerius fuisse iudicium arbitror.

Pour cette raison, je me rallie volontiers à Afranius qui dit que personne ne peut être dit l’égal de Térence et je pense qu’il n’y a pas de position plus juste.

Probatiores alii fuerint populo.

D’autres ont pu être davantage appréciés du peuple.

Vnius ego Afranii, qui ipse egregie togatas scripsit, de Comico Poeta iudicium longe omnibus totius uictricis terrarum omnium plebis Romanae plausibus anteponendum censeo.

Mais moi, je pense qu’à propos du poète comique, l’avis du seul Afranius, qui a lui-même écrit de très belles comédies en toge, doit l’emporter de beaucoup sur tous les applaudissements du peuple romain, vainqueur de la terre tout entière.

At in illa est sententia Sedigitus.

Mais Sedigitus défend l’opinion suivante.

Grauis mihi auctor opponitur.

Il m’oppose l’auteur « plein de gravité ».

Non Terentio is Caecilium solum, et Plautum, sed Atilium etiam si Diis placet (ut omittam alios) praeferendum existimat.

Et il estime qu’il faut préférer à Térence non pas seulement Cécilius et Plaute, mais aussi Atilius, s’il plaît aux Dieux (et je ne parle pas des autres).

Quid agis, bone Volcati ? Eumne etiam, quem Cicero et ferreum esse scriptorem Licinio13 assentitur, et ipse durissimum14 uocat ?

Mais quoi, mon bon Volcatius ? Veux-tu parler de celui à propos duquel Cicéron accorde à Licinius qu’il est un « auteur de fer », de celui qu’il qualifie lui-même de « très dur » ? 

Sed non est profecto quod admirer, non satis tibi elegantissimum hunc poetam placuisse.

Mais assurément, cela ne m’étonne pas que ce poète si élégant ne t’ait pas suffisamment plu !

Ne id quidem admirarer, si post Ennium, quem postremum censes, collocasses.

Et cela ne m’étonnerait pas davantage, si tu l’avais placé après Ennius, dont tu fais le dernier de ta liste.

Hoc te ego sensisse, sed dicere ausum non esse arbitror.

Je pense que telle a été ton idée, mais que tu n’as pas osé la dire !

Vnum id admiror : inuentum esse quempiam qui tua ista carmina, tamquam oraculum quoddam, sibi proferenda duxerit.

Une chose m’étonne en revanche : qu’il se soit trouvé quelqu’un pour considérer qu’il devait diffuser ton satané poème comme s’il s’agissait d’une espèce d’oracle !

Sed ualeat Sedigitus

Mais au diable Sedigitus !

Nos Afranio assentiri non pigeat ac Terentium omnibus praestitisse Comicis credamus neque uim illam comicam, quam ei unam defuisse dolet Caesar15 (si modo sunt illa Caesaris carmina) desideremus.

Ne craignons pas d’approuver Afranius ; tenons pour vrai que Térence l’emporte sur tous les auteurs comiques et ne regrettons pas l’absence de cette force comique dont César (si du moins il s’agit bien de vers de César) déplorait qu’elle lui manquât.

Nihil illi defuit ; omnia quae comico poetae praestanda sunt praestitit.

Rien ne lui a manqué ; il s’est illustré par tout ce qui doit illustrer un auteur comique.

Si quid desiderandum in illo est, desiderandum id est, ut ea aliquando in manus nostras ueniant exemplaria ex quibus emendatissimus emitti ac confusi illius restitui uersus possint.

Et si à son propos, il reste quelque chose à désirer, c’est qu’un jour nous tombent sous la main des manuscrits qui nous permettront de le publier sous une forme parfaitement corrigée et de restituer ses vers demeurés confus.

Nihil est enim difficilius, quam hos distinguere.

Rien n’est plus difficile, en effet, que de distinguer ces derniers.

Simillimos ille eos prosae orationi esse uoluit, ut nihil a sermone differre uiderentur.

Car il a voulu qu’ils soient aussi proches que possible de la prose, afin qu’ils paraissent ne différer en rien de la langue commune.

Ob id proximis his rudibus et bonarum literarum expertibus saeculis uersus crediti non sunt et ab exscribentibus librariis confusi.

Pour cette raison, ses vers n’ont pas été correctement transmis aux siècles suivants, incultes et ignorants des Belles Lettres, et les copistes y ont jeté la confusion.

Restituit horum multos Aldus sororius meus, dum uiueret ; multos nos eo mortuo ex ueteribus libris correximus.

Alde, mon beau-frère, en a restitué un grand nombre, de son vivant ; nous-mêmes, après sa mort, en avons corrigé un grand nombre, à partir de vieux livres.

Neque tamen, quod audaciores alii affirmare ausi sunt, restitutum omnino Terentium credimus.

Et pourtant, nous ne pensons pas avoir totalement restitué Térence – ce que d’autres, trop hardiment, ont prétendu faire.

Erit fortasse, quum id affirmari a nobis poterit.

Un jour viendra peut-être où nous pourrons le dire.

Nunc satis nobis sit ex nulla umquam illum officina post hunc exscribendi libros modum inuentum, castigatiorem prodiisse.

Pour l’heure, qu’il nous suffise d’avoir publié un Térence mieux corrigé que dans tout autre atelier depuis que cette façon de produire des livres a été inventée.

Plures autem ob causas  tibi is, GLORIERI Clarissime, debetur liber et promiserat iam eum tibi Aldus, et nihil est quod tibi nostro etiam nomine et ego et Andreas pater non debeamus.

Pour plusieurs raisons, mon cher GROLIER, ce livre t’est dû ; Alde te l’avait déjà promis et il n’est rien dont, en notre nom même, moi et Andreas, mon père, nous ne te soyons redevables.

Tu Aldum semper singulari quadam beneuolentia prosecutus es.

Tu as toujours honoré Alde d’un singulier dévouement.

Tu eo defuncto omnem in nos amorem illum contulisti neque umquam noua in nos quotidie beneficia congerere intermisisti, ex quo factum est ut quo tibi pacto pares umquam referri a nobis possint gratiae, non uideamus.

Après sa mort, tu as reporté sur nous tout cet amour et tu n’as jamais cessé de nous gratifier de nouveaux bienfaits, chaque jour. Si bien que nous ne voyons pas de quelle façon te rendre grâce.

Neque tamen ob id hunc tibi a me librum dicatum quisquam existimet, quod plurimis ac maximis tuis in me meritis leui hoc munere satisfactum uelim.

Mais que nul ne croie que que je t’ai dédié ce livre parce que je voudrais m’acquitter par ce petit cadeau des très nombreux et très grands services que tu m’as rendus.

Tantum abest ut id cogitem ut ob hoc tibi etiam magis debiturus sim.

Bien loin de penser cela, je serai, par cette dédicace, plus encore ton débiteur.

Ob hanc enim praecipue causam  sub tuo nomine Terentium edimus ut et is et reliqua omnia, quae aut emissa a nobis sunt aut emittentur, patrocinio tuo defendantur ac non parua ex tuo nomine auctoritas libris nostris accedat.

Car si nous affichons ton nom en tête de ce Térence, c’est d’abord dans l’espoir que ce livre et tout ce que nous avons publié ou publierons trouvent dans ton patronage une protection et que la grande autorité que donne ton nom s’attache à nos livres.

Quod autem tibi ego, cui me plurimum debere confiteor, plura etiam debere non uerear, singularis quaedam, quae in te uno cernitur, in causa  est beneficentia.

D’autre part, je ne crains pas de te devoir davantage encore, à toi à qui, je l’avoue, je dois déjà tant ; la cause s’en trouve dans la singulière générosité que toi seul tu affiches.

Tum tu tibi cumulatissime relatum beneficium putas, quum nouo cumulas neque alium ex ipsa beneficentia fructum, quam beneficentiam ipsam, petis.

Tu penses pouvoir te tenir quitte mille fois d’un bienfait, quand tu en accordes un nouveau et tu ne cherches à tirer aucun autre fruit de ta générosité que ta générosité même.

Ac ostendunt se quidem reliquae in te uirtutes omnes, ob quas, tamquam aliquod e Gallia missum numen, Insubria te tota suspicit.

Et en toi se manifestent toutes les autres vertus pour lesquelles, comme quelque divinité envoyée depuis la France, tout le duché de Milan t’admire.

Sed nescio quo pacto tamen longe magis haec omnium in se oculos trahit, longe haec magis omnium sermonibus celebratur.

Cependant, je ne sais comment, cette vertu-là attire bien davantage encore les regards de tous, est bien davantage célébrée par les discours de tous.

Quippe et multo hanc sibi omnes magis quam caeteras, prodesse sentiunt ; neque alia uirtus est quae similiores nos Deis efficiat.

Car tous sentent bien qu’elle leur est bien plus profitable que les autres ; et aucune autre vertu ne nous rend plus semblables aux Dieux.

Atque hac tu quidem ita quotidie tibi multos deuincis, ut difficile sit, qui te nouerit, et non tuo tibi aliquo beneficio obstrictus sit, reperire.

Et par elle, assurément, chaque jour tu t’attaches un grand nombre de personnes, de sorte qu’il est difficile de trouver quelqu’un qui te connaisse et ne soit pas attaché à toi par l’un de tes bienfaits.

Ego certe praeter caeteros tibi tantum debeo, ut tibi quidem ipsi satisfacere una tantum ratione, noua beneficia accipiendo atque illustriorem beneficentiam tuam faciendo, possim.

Moi en tout cas, plus que tout autre, je te dois tant que je ne pourrais me rendre quitte à ton égard que d’une seule manière : en acceptant tes nouveaux bienfaits et en célébrant toujours plus ta générosité.

Caeteris quo me pacto non ingratum esse ostendam, non inueniam.

Pour les autres, comment ne pas me montrer ingrat, je ne trouverai pas.

Vale

Salut.


1. La notice BnF indique « Sic pour Grolierio ».
2. Il s’agit de Jean Grolier (1489/90-1565), secrétaire du roi puis trésorier de France ; en 1517, il exerce la charge de trésorier de Milan, où il vit et noue des liens avec les cercles humanistes du nord de l’Italie et notamment, avec Alde Manuce ; il est aussi correspondant d’Érasme. Il est aujourd’hui connu pour avoir été le possesseur d’une très riche bibliothèque et pour la qualité de ses reliures dites « Reliures Grolier ».
3. Gian Francesco Torresani d’Asola, fils de l’imprimeur vénitien Andrea Torresani d’Asola et beau-frère d’Alde Manuce, dirigea l’atelier après la mort de ce dernier en 1515 ; c’est à ce titre qu’il publie, en 1517, les comédies de Térence puis, en 1522, l’édition des comédies de Plaute établies par Alde et Erasme, lors du séjour de ce dernier à Venise en 1508.
4. Cic., Att. 8.3.10.
5. Cic., Br. 25.
6. Hor., Ep. 2.1.59.
7. Cic., De or. 2.202.
8. Suet., Vit. Ter. 5. Afranius, poète comique dont il ne reste que quelques fragments ; mais son opinion sur Térence est rapportée par la Vita Terenti.
9. Hor., P. 270-274.
10. Hor., Ep. 2.1.59.
11. Hor., P. 93.
12. Suet., Vit. Ter. 7.
13. Cic., Fin. 1.2.
14. Cic., Att. 14.20.3.
15. Suet., Vit. Ter. 7.