Erudito uiro Ioanni Feuyno Furnio, Iuris utriusque Doctori, Scholasteri et Canonico S. Donatiani apud Brugenses Adrianus Barlandus S. P. D.
Adrianus Barlandus

Présentation du paratexte

Bibliographie :
  • E. Daxhelet, Adrien Barlandus, humaniste belge, Louvain, Librairie universitaire, 1938 (p.77-82, description de l’édition ; p. 320-324, éditions des liminaires).
  • M. Ferrand, « Pratiques de Térence : le commentaire des six comédies par Adrien Barlandus, professeur humaniste (Louvain, Rutger Rescius, 1530) », Exercices de rhétorique,10 (2017), mis en ligne le 26 décembre 2017, consulté le 04 février 2022. URL : http://journals.openedition.org/rhetorique/565 DOI : https://doi.org/10.4000/rhetorique.565
Traduction : Mathieu FERRAND

Erudito uiro Ioanni Feuyno Furnio, iuris utriusque doctori, scholasteri et canonico S. Donatiani apud Brugenses Adrianus Barlandus S. P. D.

A Joannes Fevynus Furnius1, docteur en droit civil et canon, écolâtre et chanoine de Saint-Donatien de Bruges, Adrianus Barlandus adresse son salut2.

Si quis publici boni amantior et prouehendis studiis inuigilans opus a se lucubratum in lucem emiserit publicamque fecerit materiam, scinditur incertum studia in contraria uulgus3, ut Poeta inquit,

Si quelque amateur du bien public, soucieux de promouvoir les études, porte à la lumière du jour le résultat de ses veillées nocturnes et le rend public, « la foule incertaine se partage en avis contraire », comme le dit le Poète.

Et hic quidem applaudit et quod legit dignum laude praedicat ; alii uero aut spiritu inuidiae quae pestis nusquam non plus nimio inualuit, agitati, etiam bene dictis detrahunt et bene tornatos uersus ad incudem reuocandos censent.

L’un applaudit et prétend que ce qu’il lit mérite des éloges ; d’autres, par esprit de jalousie – peste qui n’a jamais cessé de croître – rabaissent même de belles paroles et jugent que tels vers bien tournés doivent être rapportés sous l’enclume.

Mirum est, quando cuncta, quae creauit Deus, fons unicus orbis, ualde bona creata sunt, genus humanum in tantam degenerasse prauitatem ut ad sugillandum quam ad ignoscendum pronius sit ; ut de maxima hominum parte uero uerius dici possit Dauidicum illud :

Il est étonnant que, tandis que tout ce qui a été créé par Dieu, source unique de l’univers, l’a été parfaitement, le genre humain ait pu descendre à une telle bassesse, de sorte qu’il est plus enclin à insulter qu’à pardonner. Ainsi, de la plus grande part de l’humanité on peut bien dire le mot de David, très véridique :

Os tuum abundauit malitia, et lingua tua concinnabat dolos. Sedens aduersus fratrem tuum loquebaris. 4

« Ta bouche a débordé de malice, et ta langue n’inventait que des ruses. Assis, tu parlais contre ton frère ».

Hoc ego metuens, Feuyne, ingeniorum uirtutumque patrone, diu in animo habui, quas paucis mensibus absoluissem in Terentium enarrationes, aut spongia delere, ut ille Aiacem suum, aut certe quoad in uiuis agerem, in occulto habere.

Craignant cela, Fevynus, défenseur de l’intelligence et de la vertu, j’ai longtemps songé soit à faire disparaître d’un coup d’éponge ces commentaires sur Térence que j’avais achevés en quelques mois, comme celui-là le fit d’Ajax, soit à le tenir caché, tant que je vivrais.

Tandem cogitanti mihi neque Ciceronem, neque Vergilium (quo quid maius habuit lingua latina ?) mordacibus et liuidis caruisse detractoribus, et a morte hominis incipere humanum fauorem, et uitae finem principium esse gloriae, uisum est publicam latinae linguae dignitatem, si aliqua ex parte per me iuuari possit, non esse deferendam, sed meditandum et scribendum potius quod nostrae tempestatis iuuentuti fructum aliquem adferat, quam rabiosulis quibusdam cedendum esse, quos eleganter Cato uitilitigatores appellauit, litigandi potissimum uitio ueluti morbo laborantes.

Mais enfin, comme je pense que ni Cicéron, ni Virgile (qu’eut de plus grand la langue latine ?) n’ont manqué de détracteurs, mordants et envieux, que la faveur des hommes ne commence qu’après leurs morts, et que seul le terme de la vie marque le commencement de la gloire, il m’a paru que l’honneur de la langue latine, s’il m’est permis d’y contribuer en quelque façon, ne devait pas être négligé, qu’il fallait au contraire méditer et écrire tout ce qui est susceptible d’apporter quelque fruit à la jeunesse de notre époque plutôt que de céder à certains enragés ; Caton les a élégamment appelés des « chicaneurs », eux qui souffrent, comme d’une maladie, d’un penchant vicieux pour la chicane.

Sed omissis uituperatoribus uenio ad Comicum.

Mais laissons ces censeurs et venons-en au Comique.

Ante annos aliquammultos quum Louanii publice Terentium enarrarem, Augustinus quidam Reymarius, patria Mechliniensis, et ipse tum eloquentiae unius exercendae gratia meus auditor, iuuenis ea literatura ut unus omnem Brabantiam ingenio suo, si uita longior contigisset, illustrare potuerit, me praelegente non pauca excepit, non pauca ex nostris autographis descripsit.

Comme, à Louvain, il y déjà assez longtemps, j’expliquais Térence en public, un certain Augustin Reymarius de Malines, l’un des auditeurs, alors, de mes cours de rhétorique, jeune homme si doué pour les lettres qu’il aurait pu, s’il avait vécu plus longtemps, illustrer de son seul génie tout le Brabant, prit des notes abondantes pendant mes cours et abondamment les compléta, à partir de mes propres notes autographes.

Ex ueteribus quoque grammaticis non parum multa collegit, quae postea ego ad manus meas perlata relegi, castigaui, et nonnullis tamquam uerrucis deformibus recisis, in unum corpus restitui.

Il recueillit aussi de nombreux éléments chez les grammairiens anciens que j’ai, par la suite, reportés de mes propres mains, corrigés et rassemblés en un seul volume, après les avoir débarrassés pour ainsi dire de quelques laides verrues.

Vtque iustus esset commentarius, adieci figuras, adieci quae ad consilium et oratorium pertinerent artificium, sperans fore, ut per huius poetae sic enarrati publicationem aliqua ex parte eloquentia in antiquam illam, e qua deiecta est, dignitatem restitueretur, et quae ante annos haud ita multos, Italiae tantum finibus continebatur, nunc breui tempore in nullas non totius orbis partes perueniret.

Et pour que mon commentaire soit tout à fait convenable, j’ai ajouté des figures, j’ai ajouté ce qui pouvait être utile à la formation du jugement et du discours, espérant rendre, en publiant une telle édition commentée de notre auteur, une partie de son éloquence à cette ancienne dignité dont il fut privé, et qu’ainsi, ce qui, il y a peu d’années encore, était contenu dans les seules limites de l’Italie, à présent se répande, en peu de temps, dans toutes les contrées de la terre.

In more esse uideo non paucis interpretibus ut eum quem interpretantur autorem, uberius laudent ac longiore prosequantur encomio.

Je vois qu’il est dans l’habitude de nombreux commentateurs de louer trop abondamment celui qu’ils commentent et de lui adresser des éloges trop longs.

Ego de Terentio tantum dicam non alium esse scriptorem, qui loqui elegantius doceat.

Pour ma part, sur Térence, je dirai seulement que nul autre écrivain n’enseigne à parler avec plus d’élégance.

Quod uero ad argumentum pertinet, audiendi non sunt, qui clamant : Multa Terentius de amoribus, pauca de moribus.

Pour ce qui relève du contenu, il ne faut pas écouter ceux qui crient haut et fort : « Térence parle beaucoup d’amour, bien peu des mœurs ».

Permulta enim de moribus is tractat, qui personarum colloquiis tamquam in speculo hominum mores et uitam inspiciendam proponit.5

Car il traite abondamment des mœurs celui qui donne à voir, par le dialogue de ses personnages, les mœurs et la vie des hommes comme en un miroir.

Improbe luxuriantes adolescentes coercet, seueriusque increpat ac moderatur.

Il corrige les jeunes gens qui s’adonnent honteusement aux excès, les blâme fort sévèrement et les modère.

Peccantes uerbo correptionis castigat, et sermonibus doctrinae salutaris incitat ad probitatem.

Il châtie ceux qui fautent par des mots de reproche et les pousse à la probité par des propos d’une salutaire doctrine.

Quem cum lego, contemplor profecto uarium esse lectionis fructum et utilitatem ampliorem, quam ut uerbis exprimi possit.

Quand je le lis, je vois, assurément, que les fruits de cette lecture sont variés et leur utilité plus grande que mes mots ne peuvent le dire.

In tantum poetam nostras qualesquales enarrationes tibi dicamus, Feuyne humanissime, et omnino inscribimus nostrae erga te beneuolentiae testimonium perpetuum.

Nos commentaires sur ce si grand poète, quels qu’ils soient, nous te les offrons, très savant Fevyn, et pour tout dire, nous signons là un témoignage perpétuel de notre amitié pour toi.

Lege et iudica an in his enarrandis tam commodis et amoenis fabulis satis ego interpretis munere functus sim, et librum tibi non repudiandum miserim.

Lis, et juge si, en commentant ces pièces si agréables et si charmantes, je me suis suffisamment acquitté de mon rôle d’interprète et si je t’ai adressé un livre que tu peux accueillir chez toi.

Si bene, ut spero, cesserit, si iacta nunc feliciter ceciderit alea, pari cura laborem suscipiemus alterum, pluraque indies ad prouehenda optima studia in apertum referre conabimur.

Si, comme je l’espère, c’est réussi, si, les dés jetés, j’obtiens à présent un heureux tirage, j’entreprendrai, avec le même soin, un autre travail et nous nous efforcerons de publier davantage encore, jour après jour, pour la promotion des meilleures études.

In Terentio edendo, multum ac supra quam dici possit nostrum iuuit laborem Rutgerus Rescius, linguae graecae hic professor, etiamque latinae impense doctus et bonus ut melior uir non alius facile quisquam.

Pour la publication de Térence, Rutger Rescius 6, professeur de grec ici mais aussi remarquable latiniste, compétent comme personne, a apporté une aide considérable, plus grande que je ne saurais dire.

Hunc ut ames, non moneo.

Mais je ne te demande pas de l’aimer.

Scio enim tibi non posse non carissimum esse, qui ad optimos quosque in utraque lingua scriptores domi suae excudendos comparatis magna pecunia characteribus rem sacram molitur et immortalem.

Car je sais bien que tu ne peux que tenir en très haute estime un homme qui, pour publier sur ses presses chacun des meilleurs auteurs, dans les deux langues, accomplit, avec les caractères d’imprimerie qu’il a assemblés à grand frais, une œuvre sacrée et immortelle.

Quum a Graecis auspicatus latina quoque excudere statuisset, comicorum principem, Terentium scilicet intulit officinae suae impressoriae, quo eloquentiae studiosis fidem faceret se nihil posthac in hominum manus emissurum, quin idem sit optimum.

Comme il avait décidé, après avoir commencé par les Grecs, d’imprimer aussi les Latins, c’est évidemment le prince des comiques, Térence, qu’il a voulu confier à son atelier d’imprimeur ; par-là, il s’engageait, auprès de ceux qui cultivent l’éloquence, à ne placer désormais, entre les mains de l’humanité, rien qui ne soit tout aussi excellent.

Libros enim formis excudere coepit, non ut ditescat, sed ut rem literariam, quam hactenus Ioannes Frobenius Basileae, Badius et Colineus Lutetiae, multi alii locis aliis pro sua uirili promouerunt, ipse quoque sua industria porro promoueat.

En effet, il commença à imprimer des livres, non pour s’enrichir, mais pour promouvoir lui-même, de sa propre initiative, ces belles lettres que jusque-là, Joannes Froben, à Bâle, Bade et Coline, à Paris, et beaucoup d’autres, en d’autres lieux, avaient promues à proportion de leurs forces.

Id nulla re alia melius facere se posse arbitratur, quam si pro pessimis optimos, pro sordidissimis, quibus bellum et odium indixit, luculentissimos scriptores imprimendos susceperit.

Il pensait ne pas pouvoir mieux y parvenir qu’en confiant à l’impression les meilleurs auteurs plutôt que les pires, les plus brillants, plutôt que les plus vils, contre lesquels il porta le fer et sa haine.

Vale.

Porte-toi bien.

Louanii. Anno a Christo nato MDXXX. XV Calen. Nouemb.

A Louvain, le 18 octobre 1530.


1. Jean de Fevyn, né à Furnes en 1490, étudia le droit à Louvain, où il fit la connaissance de Barlandus, puis Bologne, où il obtint son doctorat. Il enseigna comme écolâtre du chapitre de l’église Saint-Donatien de Bruges et se lia aux plus grands humanistes du temps.
2. Adrien Barlandus (1486-1538), ami d’Erasme, premier professeur de latin du Collège Trilingue, fut un grand praticien de la pédagogie, qui publia aussi de nombreux ouvrages (éditions de textes anciens, colloques et manuels scolaires, etc.) à l’attention des étudiants louvanistes.
3. Virg., En. 2.39.
4. Psaumes 49.19-21.
5. Evanthius, De fabula 5.1 et 5.5, .
6. Rutger Ressen, fut le premier professeur de grec au Collège trilingue de Louvain ; en 1529, il prit la suite de Thierry Martens comme imprimeur, avec le projet de fournir aux étudiants louvanistes les textes nécessaires à l’étude. Barlandus fut l’un des premiers à lui confier ses travaux