Présentation du paratexte
Epître dédicatoire d’Erasme adressée à Jan et Stanislaw Boner (2 pages et demi in fol.)
Présentation Seweryn Boner
Bibliographie :-
Maria Citowska , De l’épisode polonais aux comédies de Térence, dans Colloque érasmien de Liège. Commémoration du 450e anniversaire de la mort d'Érasme, publisher,p. 99-106 (p. 135-145) -
Marian Hanik , Trzy pokolenia z rodziny Bonerów, publisher, pubPlace, date - Władysław Pociecha : Boner Seweryn. W: Polski Słownik Biograficzny. T. 2: Beyzym Jan – Brownsford Marja. Kraków: Polska Akademia Umiejętności – Skład Główny w Księgarniach Gebethnera i Wolffa, 1936, s. 300–301. Reprint: Zakład Narodowy im. Ossolińskich, Kraków 1989
- Encyklopedya Powszechna Kieszonkowa, zeszyt X, Nakład druk i własność Noskowskiego, Warszawa, 1888.
- Bietenholz, Peter G., and Thomas Brian Deutscher (dir.), Contemporaries of Erasmus: A Biographical Register of the Renaissance and Reformation, Toronto-Buffalo, University of Toronto Press, 1985.
-
Lachs, J. , Anselmus Ephorinus, Archiwum Historii i Filozofii Medycyny,4 date,p. 40-54 ,194-209 .
Des. Erasmus Roterodamus Ioanni et Stanislao Boneris fratribus Polonis s.d.
Érasme de Rotterdam à Jan et Stanislaw Boner, frères polonais, salut !
« In teneris », inquit ille, « consuescere
multum est »
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« C’est chez les sujets tendres », dit le célèbre écrivain, « qu’il y a beaucoup d’habitudes à prendre » ; c’est pourquoi il est pertinent de les accoutumer d’emblée au meilleur.
Sic enim fiet, ut quae natura sunt optima, eadem usu fiant et iucundissima.
En effet il arrivera que ce qui est par nature très bon devienne aussi très agréable à l’usage.
Nihil autem est homini melius pietate, cuius semina cum ipso statim lacte sunt instillanda paruulis.
Or rien n’est meilleur pour l’homme que la piété aux principes de laquelle les petits enfants doivent s’abreuver au plus tôt en même temps que du lait.
Proximum locum habent disciplinae liberales, quae licet per se uirtutes non sint, tamen ad uirtutem praeparant ingenium, dum id ex siluestri et immiti reddunt mansuetum ac tractabile.
Les disciplines libérales ont une fonction très proche qui bien qu’elles ne soient pas en soi des vertus, préparent toutefois l’esprit à la vertu en le rendant, de sauvage et farouche qu’il était, doux et malléable.
Porro quod Aristoteles negat adolescentes idoneos esse discendae morali philosophiae2, fortassis haud omnino falsum est.
En outre quant au fait qu’Aristote dit que les jeunes gens ne sont pas capables d’apprendre la philosophie morale, ce n’est peut-être pas totalement faux.
Verum id non tam accidit uel rei, uel humani ingenii uitio, quam eorum culpa, qui uel sero tradunt eam animis iam educatione praua corruptis ac malis cupiditatibus occupatis, uel moleste et operose tradunt, magis illud affectantes, ut ipsi uideantur acuti, quam ut discipulos reddant meliores.
Mais cela n’arrive pas tant par un défaut de l’objet ou de l’esprit humain que par la faute de ceux qui soit l’enseignent tardivement à des esprits déjà corrompus par une éducation dépravée et accaparés par de mauvais désirs, soit l’enseignent de manière rebutante ou laborieuse, visant davantage à paraître eux-mêmes intelligents qu’à rendre leurs élèves meilleurs.
Alioqui nihil magis secundum naturam est quam uirtus et eruditio, quae duo si adimas homini, iam homo esse desinit.
En outre rien n’est davantage conforme à la nature que la vertu et le savoir : si on enlève ces deux choses à l’homme, il cesse alors d’être homme.
Vnumquodque autem animal eius rei maxime docile est, ad quam natura compositum est, uelut equus ad cursum, canis ad uenatum, auis ad uolandum, simius ad lusum.
Or chaque être vivant apprend facilement avant tout la chose pour laquelle il a été fait par la nature, comme le cheval pour la course, le chien pour la chasse, l’oiseau pour voler et le singe pour le jeu.
Non est igitur quod naturam incusemus, sed magni refert unde pietatis et eruditionis elementa primum hauriantur, tum quem ad haec ducem nanciscatur puer, praesertim rudibus illis annis, quibus ingenium etiamnunc a uitiis purum, ueluti cera mollis in omnem fingentis habitum sequax est et obsecundans.
Il n’y a donc pas de raison d’accuser la nature, mais ce qui est important, c’est la source où puiser en premier les éléments de piété et de savoir, et le guide dans ces domaines à trouver pour l’enfant, surtout dans ces jeunes années au cours desquelles son esprit est encore exempt de vices, comme une cire tendre qui prend toutes les formes données par celui qui la modèle et s’y fond.
Itaque multis nominibus uos felices iudico, ornatissimi pueri, primum quod hoc seculo nati sitis, quo ut uerae pietatis, ita et melioris literaturae sinceritas mirifice reuixit.
C’est pourquoi je vous estime heureux à beaucoup de titres, enfants si remarquables : la première raison est que vous êtes nés dans ce siècle qui a vu renaître de manière prodigieuse la pureté tant de la vraie piété que de la meilleure littérature.
Nam me puero multum superstitionis habebat religio, et in scholis adolescentes summo cruciatu nihil fere discebant, nisi dediscendum.
En effet, quand j’étais enfant, la religion comportait beaucoup de superstition, et les jeunes gens dans les écoles à grand renfort de tortures n’apprenaient presque rien sauf ce qu’il aurait fallu désapprendre.
Deinde quod is uobis pater contigit, qui liberos suos parum beatos fore iudicat, si opum ac dignitatis, quibus inter Polonicae gentis proceres praecipuum tenet locum, eos parauerit haeredes, nisi et ueris animi bonis tum locupletes reddiderit tum expolitos.
La deuxième raison est que vous avez, par chance, un père qui estime que ses enfants ne seront pas heureux s’il les prépare à hériter des richesses et des honneurs, pour lesquels parmi les nobles du peuple polonais il occupe un rang excellent, sans aussi les rendre à la fois riches et parés des vrais biens de l’âme.
Nec enim ille sibi uidetur parentis munus ad plenum obiisse, nisi quemadmodum genuit corpora, ita fingat et animos, haud ignarus hanc esse meliorem hominis partem, hanc esse praecipuam hominis possessionem.
En effet il ne pense pas avoir accompli pleinement sa tâche de parent si, après avoir engendré des corps, il ne forge pas aussi des âmes sans ignorer que c’est la meilleure partie de l’homme, que c’est la propriété essentielle de l’homme.
Vir enim pius non tam sibi uos educat quam Christo et Reipublicae.
En effet un homme pieux ne fait pas tant votre éducation pour lui-même que pour le Christ et l’État.
Quod uos genuit, naturae est ; quod uos curat statim e nutricum sinu egressos, honestissimis disciplinis imbuendos, uerae pietatis est ; prudentiae uero quod ad haec Anselmum Ephorinum delegerit, uirum integritate, prudentia, fide, doctrina uigilantiaque cum primis spectatum et exploratum.
Qu’il vous ait engendrés relève de la nature ; qu’il prenne soin de vous à peine sortis du sein des nourrices, pour vous imprégner des savoirs les plus honorables, relève de la vraie piété. Quant à ce qui relève de la sagesse, c’est d’avoir choisi pour cela Anselm Ephoryn, un homme à l’honnêteté, la sagesse, la foi, le savoir et la vigilance avant tout éprouvés et avérés.
Quo nimirum acrius uobis enitendum est, ne quum omnia ad felicitatem suppeditata sint, ipsi uobis ipsis defuisse uideamini.
Vous devez assurément fournir d’autant plus d’efforts pour ne pas paraître, alors que vous avez tout pour réussir, avoir fait défaut à vous-mêmes.
Magna de uobis, de te praesertim, Ioannes Bonere, expectatio est.
On attend beaucoup de vous, de toi surtout Jan Boner.
Declarant hoc tam multae principum uirorum ad me literae, quibus indolem tuam mihi diligenter commendant, in primis prudentissimi regis Sigismundi, dein ornatissimorum praesulum Cracouiensis et Plocensis, clarissimi uiri Christophori a Schydlouuitz, Sarmatici regni praefecti, ne iam commemorem Antoninum medicum et Iustum regis a secretis, dignitate quidem inferiores, sed beneuolentia pares.
C’est ce que font voir les si nombreuses lettres de princes adressées à moi par lesquelles ils me recommandent avec soin ton caractère, d’abord le très sage roi Sigismond, puis les très honorés prélats de Cracovie et de Plotsk, le très illustre Krzysztof Szydlowiecki, chancelier du royaume de Pologne, pour ne pas mentionner en outre le médecin Antonin et Juste, secrétaire particulier du roi, de rang inférieur, mais de bienveillance égale.
Intelligunt enim regna nullis ornamentis melius decorari quam uiris eruditione prudentiaque praecellentibus.
Ils comprennent en effet que les meilleurs ornements possibles pour les royaumes sont les hommes qui se distinguent par leur savoir et leur sagesse.
Hanc laudis partem non minus ambit rex huius aeui regum prudentissimus quam tot ex hostibus uictoriis delectatur.
Cette partie de la gloire, le plus sage des rois de cette époque y aspire non moins qu’il ne se réjouit des si nombreuses victoires sur ses ennemis.
Et hactenus quidem sat feliciter studiis effloruit uestra Sarmatia.
Et jusqu’à maintenant votre Pologne s’est épanouie avec assez de succès dans les études.
Et si quid erat natiuae feritatis, commercio literarum exuit.
Et si elle possédait une forme de sauvagerie innée, elle s’en défait grâce au commerce des lettres.
Sed bona spes est fore, ut hoc ornamentorum genere cum qualibet regione certare ualeat, praesertim ductu auspiciisque Sigismundi regis iunioris, qui praeter alias uirtutes excellenti principe dignas, optimis quoque literis sese regno parat.
Mais il y a bon espoir que par ce genre d’ornements elle puisse rivaliser avec n’importe quelle région, surtout sous la conduite et les auspices du jeune roi Sigismond qui, outre les vertus dignes d’un excellent prince, se prépare à régner avec une très bonne culture.
Verum exhortandi gratia nonnihil et antea scripsimus tibi et in posterum quoties dabitur occasio scripturi sumus.
Mais en guise d’exhortation nous t’avons déjà écrit quelques lettres auparavant et à l’avenir nous t’écrirons chaque fois que l’occasion nous en sera donnée.
Nunc quo calcar aliquod addamus currenti3, licet Terentii comoedias, Bonerici nominis auspicio prodire uoluimus, sed multo quam antea fuerunt castigatiores.
Maintenant pour ajouter quelque stimulant à la course, nous avons certes voulu que les comédies de Térence, sous le patronage des Boner, soient publiées, mais beaucoup mieux corrigées qu’elles ne l’étaient auparavant.
Hoc ut uellem, effecit tua Stanislaique Glandini famuli tui dexteritas, qui nobis interdum aliquot scenas tam feliciter agere soletis ut et imitationem, primum ut ait Fabius, in pueris ingenii signum4, et memoriam uehementer admirarentur, quicumque nobiscum spectabant.
J’ai été amené à ce projet par ton habileté et celle de Stanislaw Aichler5, un de ta suite, vous qui avec bonheur avez parfois coutume de jouer pour nous quelques scènes afin que tous ceux qui regardaient le spectacle avec nous admirent vivement à la fois votre imitation qui, comme le dit Quintilien, est le signe du talent chez les enfants, et votre mémoire.
Non ex alio scriptore melius discitur Romani sermonis puritas, nec est alius lectu iucundior, aut puerorum ingeniis accommodatior.
D’aucun autre écrivain on n’apprend mieux la pureté du style romain, et aucun autre n’est plus agréable à lire ni plus adapté aux esprits des enfants.
Ceterum id praestabit Ephorini praeceptoris dexteritas ut et ad eloquentiam et ad mores sit utilis.
Mais l’habileté du professeur Ephorin réussira à la rendre utile à la fois à l’éloquence et au sens moral.
Quemadmodum enim bona prudentiae pars est, nosse uarios hominum mores et ingenium, ita decorum et tractatio affectuum, qui cum primis adferunt iucunditatem orationi, Graeci uocant ἤθη, ex nullo rhetorum melius discitur.
En effet, de même qu’une partie bénéfique de la sagesse consiste à connaître les caractères et les esprits variés des hommes, de même les bienséances et le maniement des affects qui apportent avant tout de l’agrément au discours, ce que les Grecs appellent êthê, ne s’apprennent mieux chez aucun orateur.
Porro quum inter oratorias partes praecipua sit argumentorum inuentio, ad hanc quoque facultatem in omni causarum genere parandam Terentiana lectio conducit plurimum.
De plus, alors que parmi les parties de l’art oratoire, la plus importante est l’invention des arguments, la lecture de Térence est des plus utiles aussi pour acquérir cette faculté dans tous les genres de causes.
Nec enim sine causa criticorum suffragia artem huic autori tribuere.
En effet ce n’est pas sans raison que les suffrages des critiques ont considéré cet auteur comme un maître en son art.
Plus enim exacti iudicii est in una comoedia Terentiana, absit Nemesis dicto, quam in Plautinis omnibus.
Il y a en effet dans une seule comédie de Térence – que Némésis soit absente de mon propos6 – plus d’exactitude dans le jugement que dans toutes celles de Plaute.
Sed in tali autore uelut in tabula quapiam Apellis, magni refert quis adsit commonstrator.
Mais chez un tel auteur, comme pour n’importe quel tableau d’Apelle, la personnalité du guide a une grande importance.
Qui si contingat egregius artifex, haec lectio non solum ualebit ad exhilarandum animum, non tantum ad emendate loquendum, non modo ad uberiorem dicendi facultatem, uerum etiam non parum adferet philosophiae moralis, quam unam Socrates existimauit esse perdiscendam homini qui cupiat beate uiuere.
Si ce guide se révèle un artiste remarquable, cette lecture non seulement sera très efficace pour réjouir l’âme, non seulement pour parler correctement, non seulement pour enrichir la faculté oratoire, mais elle apportera aussi une quantité non négligeable de philosophie morale, la seule que selon Socrate doit apprendre de manière approfondie l’homme qui désire vivre heureux.
Itaque ni te sponte currentem uiderem, carissime Ioannes, etiam atque etiam hortarer ut reputes quantum sis Deo nomen, cuius munificentia, tam felicem indolem docileque ingenium sortitus es, cui debes et parentem Seuerinum Bonerum et Anselmum parentem alterum, tum qualium uirorum quanta de te sit expectatio, et in te coniecti oculi, postremo quam istaec aetas ad honestas disciplinas sit apposita.
C’est pourquoi, si je ne te voyais pas courir de toi-même, très cher Jan, je ne cesserais de t’exhorter à méditer quel grand nom tu es pour Dieu grâce à la générosité duquel tu as obtenu en partage un caractère si heureux et un esprit doué pour apprendre, Dieu à qui tu es redevable d’avoir à la fois ton père Seweryn Boner et ton autre parent Anzelm, combien est grande l’attente de tels hommes à ton égard et les yeux tournés vers toi, enfin combien ton âge est propice aux disciplines honorables.
Nondum enim, ut opinor, annum decimumquartum excessisti.
En effet tu n’as pas encore, je pense, dépassé ta quatorzième année.
Nam ad parandam eruditionem plus ualet in teneris annis unicus quam decem, ubi iam animus aliis occupatus curis ad docilitatem induruit.
Car pour acquérir un savoir, dans les jeunes années, mieux vaut une que dix quand l’esprit déjà occupé à d’autres soucis a perdu de sa malléabilité aux apprentissages.
Adde huc quod ea demum in omnem uitam tenacissime haerent, quae pueri imbibimus.
Ajoute à cela qu’enfin s’enracinent très profondément pour toute la vie les choses dont nous nous sommes imprégnés enfants.
Dimittam te, si prius illud admonuero ut in omni genere carminum temet diligenter exerceas, eo quod qui hanc eruditionis partem neglexerunt, minore tunc fructu, tum uoluptate uersantur in autoribus qui carmen conscripserunt.
Je prendrai congé de toi après t’avoir incité à t’exercer avec application dans tous les genres poétiques parce que ceux qui ont négligé cette partie du savoir, tirent à la fois moins de profit et moins de plaisir à fréquenter des auteurs qui ont composé des poèmes.
Iidem facilius labuntur decepti mendis codicum quos saepenumero prodit metri ratio.
Ces mêmes personnes se laissent plus facilement abuser par les fautes des manuscrits, eux que bien souvent la métrique trahit.
Quoniam autem in hoc autore perturbatior ac liberior est carminum ratio, pauca quaedam annotauimus, lucis, ut opinor, nonnihil allatura parum exercitatis.
Or puisque la métrique chez cet auteur est assez irrégulière et libre, nous avons écrit quelques remarques destinées à apporter à mon avis quelque lumière à ceux qui ont peu d’expérience.
Vale et fruere. Friburgi Brisgauiae prid. Id. Decemb. Anno a Christo nato MDXXXII
À Fribourg-en-Brisgau la veille des Ides de décembre de l’année 1532 à partir de la naissance du Christ (12 décembre 15327).