Présentation du paratexte
Cette édition n’est pas mentionnée par Lawton. L’éditeur scientifique en est Joachim Camerarius l’Ancien, humaniste originaire de Bamberg. Elle paraît en 1546 chez l’imprimeur de Leipzig Valentin Bapst l’Ancien. Camerarius avait déjà publié chez lui en 1545 cinq pièces de Plaute (Amphitruo, Asinaria, Curculio, Casina, Cistellaria).
Il s’agit d’une édition scolaire où le texte des six pièces de Térence est suivi de résumés des pièces et d’annotations dues à Camerarius. Ce dernier indique également quelques variantes textuelles qu’il a observées. L’édition ne propose pas de commentaire proprement dit.
Mais elle contient plusieurs paratextes dus à Philippe Melanchthon. Le premier prend la forme d’un bref exposé théorique illustré d’exemples, et porte le titre « Exhortation à lire les tragédies et les comédies ». Melanchthon y justifie du point de vue réformé l’utilité de la lecture du théâtre antique païen par les jeunes étudiants. Il insiste sur la valeur morale tant de la tragédie que de la comédie. Le second est une lettre adressée aux enseignants. Enfin Melanchthon rédige pour chaque pièce un bref argument à visée pédagogique.
Philippe Melanchthon est le nom traduit en grec de Philipp Schwarzerd, humaniste, philosophe et réformateur protestant allemand, né le 16 février 1497 à Bretten et mort le 19 avril 1560 à Wittenberg, en Allemagne. Professeur de grec à l’université de Wittenberg, il adhère dès le début à la Réforme et devient l’ami et le collaborateur de Luther. Il donne un premier exposé systématique de la pensée de Luther dans ses Loci Communes (1521). Il se préoccupe de concilier la Réforme et l’humanisme chrétien. Il est l’auteur de la Confession d’Augsbourg présentée à la diète d’Augsbourg en 1530. À la mort de Luther en 1546, il devient le principal chef du luthéranisme. Il fait paraître en 1516 à Tübingen une édition des comédies de Térence (Comoediae metro numerisque restitutae). Voir Lawton n°154, p. 123.
Bibliographie :- HAMM, Joachim, « Joachim Camerarius d.Ä. », in W. Kühlmann et al. (éd.), Frühe Neuzeit in Deutschland 1520-1620. Literaturwissenschaftliches Verfasserlexikon. Bd. 1 (VL 16), Berlin, De Gruyter, 2011, p. 425-438
- LAWTON, Harold W., Térence en France au XVIe siècle. Editions et traductions, Paris, Jouve, 1926 (Genève, Slatkine repr., 1970-1972)
- STÄHLIN, Friedrich, « Camerarius, Joachim », in Neue Deutsche Biographie, 3, 1957, p. 104-105
- Voir Opera Camerarii : http://kallimachos.de/camerarius/index.php/Terenz,_Comoediae_sex,_1546
Cohortatio Philippi Melanchthonis ad legendas tragoedias et comoedias
Exhortation de Philippe Melanchthon à lire les tragédies et les comédies
Saepe de hominum moribus et de disciplina cogitans, Graecorum consilium ualde admiror, qui initio tragoedias populo proposuerunt, nequaquam, ut uulgo existimatur, tantum oblectationis causa, sed multo magis, ut rudes ac feros animos consideratione atrocium exemplorum et casuum flecterent ad moderationem et frenandas cupiditates, quod in illis regum et urbium euentibus imbellicitatem naturae hominum, fortunae inconstantiam et exitus placidos iuste factorum, e contra uero tristissimas scelerum poenas ostendebant.
Quand souvent je songe aux mœurs des hommes et à l’enseignement, j’éprouve la plus vive admiration pour la sagesse des Grecs qui les premiers ont présenté des tragédies au peuple, non pas, comme on le pense communément, en vue du seul divertissement, mais bien plutôt pour infléchir les esprits grossiers et farouches, par la considération des exemples et des circonstances affreuses, et les amener à la modération et à brider leurs désirs parce qu’au travers de ces destins de rois et de villes, ils montraient la faiblesse de la nature humaine, l’inconstance de la fortune et les destins paisibles de ceux qui ont agi de manière juste, ainsi qu’au contraire les très sinistres châtiments réservés aux crimes.
Qua in re et hoc singularis prudentiae fuit eligere argumenta non uulgarium casuum, sed insignium et atrocium, quorum commemoratione cohorrescerent tota theatra.
Et dans ce domaine ils ont eu la clairvoyance singulière de choisir comme sujets des destins non pas ordinaires, mais distingués et affreux tels que leur mention fasse frémir des théâtres entiers.
Non enim mouetur populus leuium aut mediocrium miseriarum cogitatione, sed terribilis species obicienda est oculis, quae penetret in animos et diu haereat et moueat illa ipsa commiseratione, ut de causis humanarum calamitatum cogitent, et singuli se ad illas imagines conferant.
Le peuple en effet n’est pas ému par la considération de malheurs légers ou modérés ; il faut au contraire lui mettre sous les yeux un cas effrayant qui pénètre son esprit, y demeure longtemps et le touche par cet appel même à la pitié afin que les gens songent aux causes des malheurs humains et se comparent individuellement à ces images.
Nec fuit exigua facultas et ars grandiloquentia sermonis et gestuum uarietate magnitudinem rerum utcunque exprimere.
Et ce ne fut pas une mince compétence ni un mince talent que de représenter dans tous les cas l’importance du sujet au moyen de la grandeur du style et de la variété des gestes.
Ego ipse saepe toto corpore cohorresco legens tantum, non etiam intuens ut in theatro agentes Sophoclis aut Euripidis tragoedias.
Moi-même souvent je frémis de tout mon corps quand je lis seulement, sans même voir comment elles sont jouées dans un théâtre, les tragédies de Sophocle ou d’Euripide.
Nec uero quisquam tam ferreus est qui sine animi consternatione legat fratrum Thebanorum certamen et matris Iocastae exitum, quae diremptura proelium cum tardius uenisset, ex alterius filii uulnere ensem extrahit et hoc ipso ense qui filii cruore madebat, miserrima mater sese transfigit.
Et personne n’est à ce point insensible qu’il puisse lire sans que son esprit en soit bouleversé le combat des frères thébains et la mort de leur mère Jocaste qui, alors qu’elle était arrivée trop tard pour interrompre la bataille, retira l’épée de la blessure de son second fils et de l’épée qui dégoulinait du sang de son fils se transperça, elle la plus malheureuse des mères.
Postea se mediam inter filios abicit, brachia spargens, quasi in utriusque complexu moritura.
Elle se jeta ensuite au milieu de ses deux fils, étendant ses bras comme si elle allait les embrasser en mourant.
Quid hac imagine lugubrius cogitari potest ?
Que peut-on concevoir de plus sinistre que cette image ?
Haec igitur agebantur, spectabantur, legebantur, audiebantur a sapientibus et a populo, non ut erotica, sed ut doctrina de gubernatione uitae.
Ces sujets donc étaient joués, regardés, lus, écoutés par les sages et par la foule, non pas comme des objets de plaisir, mais comme enseignement sur la manière de conduire sa vie.
Euentus isti commonefaciebant homines de causis humanarum calamitatum, quas accersi et cumulari prauis cupiditatibus, in his exemplis cernebant.
Ces dénouements rappelaient aux hommes les causes des malheurs humains qu’ils voyaient, dans ces exemples, produits et augmentés par les désirs mauvais.
Et sicut Pindarus inquit, Ixionem implicitum rotae apud inferos clamitare
hanc uocem quam Virgilius reddidit :
1
Et Pindare affirme qu’Ixion enchaîné à sa roue crie aux enfers ce que Virgile a rendu ainsi : « Apprenez la justice par mon avertissement et ne méprisez pas les dieux » ; tel est le principal sujet de toutes les tragédies.
Hanc sententiam uolunt omnium animis infigere, esse aliquam mentem aeternam, quae semper atrocia scelera insignibus exemplis punit, moderatis uero et iustis plerunque dat tranquilliorem cursum.
La maxime qu’ils veulent graver dans les esprits de tous est qu’il existe un esprit éternel qui punit toujours les crimes atroces au moyen d’exemples insignes, mais donne aux hommes mesurés et justes une vie plus tranquille.
Et quanquam hos etiam interdum fortuiti casus opprimunt, sunt enim multae arcanae causae, tamen illa manifesta regula non propterea aboletur, uidelicet semper Erinnyas et saeuas calamitates comites esse atrocium delictorum.
Et bien que parfois ces hommes soient aussi accablés par des malheurs accidentels (il y a en effet beaucoup de causes mystérieuses), cette règle visible n’en est pas pour autant supprimée ; par exemple les Erinyes et les malheurs cruels accompagnent toujours les fautes atroces.
Haec sententia multos ad moderationem flectebat quae nos quidem magis mouere debet qui scimus eam et Ecclesiae clara Dei uoce saepe traditam esse.
Cette maxime poussait (jadis) bon nombre d’hommes à la mesure ; elle doit nous toucher davantage (aujourd’hui) nous qui savons qu’elle a souvent été transmise aussi à l’Eglise par la voix claire de Dieu.
Quare tragoediarum lectionem ualde utilem adolescentibus esse non dubium est, cum ad commonefaciendos animos de multis uitae officiis et de frenandis immoderatis cupiditatibus, tum uero etiam ad eloquentiam.
C’est pourquoi la lecture des tragédies est sans aucun doute très utile aux jeunes gens, à la fois pour leur rappeler les nombreux devoirs de leur vie, pour brider leurs désirs immodérés et pour l’éloquence aussi.
Summus est enim splendor uerborum et gestus maxime incurrentes in oculos ad omnes animorum motus ciendos accomodati.
Sont en effet de la plus grande importance l’éclat des mots et les gestes, surtout quand ils s’offrent au regard, propres qu’ils sont à mettre en branle tous les mouvements de l’âme.
Sunt autem haec duo lumina orationis2 praecipua.
Tels sont les deux ornements du style.
Et quanquam multae causae recitari possunt quae studiosos ad tragoediarum lectionem inuitant, tamen uel haec una persuadere sanioribus debet, quia omnes omnibus aetatibus degustata hac lectione, quo saepius easdem tragoedias relegunt, eo magis consilia operum et seriem ac formam expositionis mirantur, et sese ad cogitationem de uitae humanae miseriis, remediis et gubernatione exsuscitant.
Et bien que beaucoup de raisons puissent être invoquées pour inviter les étudiants à lire les tragédies, cette unique raison doit même persuader les plus sensés parce que tous à tous les âges, après avoir savouré cette lecture, admirent les conseils de ces ouvrages ainsi que l’agencement et la forme de l’exposition d’autant plus qu’ils relisent souvent ces mêmes tragédies et s’enflamment pour la méditation sur les malheurs, les remèdes et la conduite de la vie humaine.
Appetuntur ergo auidius quo magis introspectae sunt.
Elles (=les tragédies) sont donc désirées avec d’autant plus d’ardeur qu’elles ont été examinées en profondeur.
Ac ut in excellenti pictura, non potest ars subito contuitu iudicari, ita in his operibus sapientissime scriptis non statim perspici omnia membra possunt.
Et de même que dans un excellent tableau on ne peut juger de l’art d’un rapide coup d’œil, dans les œuvres écrites avec la plus grande sagesse on ne peut apercevoir tout de suite tous les aspects.
Quare usitatum fuit saepe in theatra easdem fabulas referre.
C’est pourquoi on a pris l’habitude de souvent transposer à la scène ces mêmes pièces.
Nec nihil causae est cur in Plautino quodam prologo dictum sit :
3
Et ce n’est pas sans raison qu’il est dit dans un prologue de Plaute : « Ceux qui profitent d’un vieux vin, je les juge sages, Ainsi que ceux qui aiment regarder de vieilles pièces. Puisque les ouvrages et les mots des anciens vous plaisent, Il est normal que vous plaisent aussi les vieilles pièces. Car les nouvelles comédies qui paraissent de nos jours Valent encore moins que les nouvelles pièces de monnaie ».
Dixi prolixius quo consilio excogitatae sint tragoediae et quam sint utiles ad mores regendos et ad eloquentiam quia et morum et eloquentiae exempla sunt illustriora in tragoediis quam in comoediis.
J’ai dit assez longuement dans quel but les tragédies ont été inventées et combien elles sont utiles à la direction morale et à l’éloquence parce que les exemples moraux et les exemples d’éloquence sont plus brillants dans les tragédies que dans les comédies.
Etsi autem comoediae ioci et oblectationis causa magis fictae sunt, tamen consilium paene est simile.
Mais même si les comédies ont davantage été forgées pour la plaisanterie et le divertissement, leur but est presque le même.
Et quidem uetus comoedia propior est tragoediae.
D’ailleurs la comédie ancienne est plus proche de la tragédie.
Apud Aristophanem non sunt meretricum, amatorum, lenonum colloquia, sed exempla ciuium, quorum alii rempublicam bene rexerunt, alii turbarunt ac euerterunt.
Chez Aristophane il n’y a pas de conversations de courtisanes, d’amants, de proxénètes, mais des exemples de citoyens parmi lesquels certains ont bien gouverné l’Etat et d’autres l’ont troublé et renversé.
Et dissimilitudo uoluntatum, consiliorum et euentuum proponitur ad commonefaciendos spectatores aut lectores, quales singuli gubernatores sint, qui probandi, qui imitandi, qui fugiendi.
Et les différences entre les volontés, les buts et les résultats sont proposées pour rappeler aux spectateurs et aux lecteurs de quelle nature est chaque gouvernant, lesquels doivent être approuvés, lesquels imités, lesquels évités.
Etsi autem hominum uita nec solis praesidiis humanis defendi, nec regi sola diligentia humana potest, et respublica multas habent fatales mutationes, tamen plerunque est utilius moderari impetus et uidere metas officii, nec extra has euagari, nec adpetere maiora.
Même si la vie des hommes ne peut pas être défendue seulement par les protections humaines ni régie seulement par le soin des hommes, même si l’Etat connaît de nombreux bouleversements dus au destin, il est toutefois assez utile la plupart du temps d’imposer une mesure à la violence, de voir les limites de ce qui nous incombe et de ne pas les transgresser ni de désirer des choses trop grandes.
Haec diligentia aliqua ex parte in potestate nostra est, et cum accedit inuocatio Dei, ualde utilis est.
Ce soin est en partie en notre pouvoir, et quand s’y ajoute l’invocation de Dieu, il est très utile.
Tenebat imperii Romani partem Antonius florentissimam, late dominabatur, habebat opes maiores quam quisquam regum toto orbe terrarum nunc habet.
Antoine dirigeait la partie la plus prospère de l’empire romain, exerçait une large domination et possédait des richesses plus grandes que n’en possède aujourd’hui dans le monde entier un quelconque roi.
His frui poterat securus non impediente Octauio.
Il pouvait en jouir tranquillement puisque Octave ne l’en empêchait pas.
Sed dum extra metas sui muneris prouehitur ac solus uniuersum imperium concupiscit, bellum non necessarium Octauio infert, in quo uictus, cum supplex ab irato uictore uitam impetrare non posset, ipse sibi mortem consciscit.
Mais en outrepassant les bornes de sa fonction et en désirant tout l’empire pour lui seul, il déclare à Octave une guerre qui n’était pas inéluctable ; vaincu dans cette guerre, alors qu’il ne pouvait en suppliant obtenir la vie sauve du vainqueur en colère, il s’est lui-même infligé la mort.
Hic fuit exitus belli non necessaria causa moti.
Telle fut l’issue d’une guerre déclenchée par une cause non inéluctable.
Ita exagitantur apud Aristophanem multi ambitiosi, inquieti, turbulenti, πολυπραγμόνες, leues, uertumni, inflectentes se subinde ad aliam partem, aut rixatores, morosi, pertinaces, φιλονεικεῖς4, ueteratores, sycophantae, architecti prauorum consiliorum, arte aliorum animos praeparantes et occupantes.
Ainsi étaient critiqués chez Aristophane de nombreux ambitieux, agités, séditieux, magouilleurs, se ralliant soudainement à un autre parti, ou encore chicaneurs, grincheux, opiniâtres, querelleurs, briscards, délateurs, artisans de mauvaises décisions, préparant avec art et se ménageant les esprits d’autrui.
Tales sunt Cleon, Paches, Alcibiades, Stenelaidas, Antipho, Hyperbolus et multi alii.
Il s’agit par exemple de Cléon 5, Pachès 6, Alcibiade, Stenelaidas 7, Antiphon, Hyperbolos 8 et beaucoup d’autres.
E contra iusti, moderati, fugitantes non necessaria bella, constantes in sententiis honestis, condonantes multas iniurias publicae tranquillitati Cimon, Nicias, Diodotus et pauci alii.
Au contraire d’autres sont justes et modérés, évitent les guerres non inéluctables, sont constants dans leurs jugements honnêtes, pardonnent de nombreuses offenses pour la tranquillité publique, comme par exemple Cimon, Nicias, Diodote et quelques autres.
Cum autem semper in gubernatione ciuitatum similes sint alii bonorum, alii malorum quos comoediae describunt, utile est imagines utrorumque uirtutes, uitia, euentus, euentuum causas diligenter considerare, ut commonefacti eligamus iusta et moderata consilia, nec accendi nos ambitione, iracundia, cupiditate uindictae, auaritia sinamus, ut extra metas officii prouehamur, aut moueamus res iniustas aut non necessarias.
Or comme pour gouverner les cités, les uns ressemblent aux bons, les autres aux méchants que décrivent les comédies, il est utile d’examiner avec soin les portraits des uns et des autres, les vertus et les vices, les évènements et les raisons des évènements pour qu’en connaissance de cause nous prenions des décisions justes et mesurées, sans nous laisser consumer par l’ambition, la colère, le désir de vengeance, la cupidité qui nous feraient outrepasser les bornes de notre fonction et mettre en place des choses injustes et non nécessaires.
Nec tantum res considerentur, sed etiam orationis lumina quae sunt insignia in harum imaginum descriptione.
Et n’examinons pas que le contenu, mais aussi les ornements du discours qui sont remarquables dans la description de ces figures.
Vt piscatores, inquit Aristophanes, non capiunt anguillas9, nisi prius agitato et turbato stagno, ita Cleo quotiens inconcessam aliquam utilitatem aucupatur, prius turbat ciuitatem ; nam iniusta obtineri non possunt, donec legum et iudiciorum autoritate audacia frenatur.
De même que les pêcheurs, comme le dit Aristophane, n’attrapent pas d’anguilles sans d’abord agiter et troubler l’étang, de même Cléon, chaque fois qu’il est à l’affût d’un intérêt défendu, commence par troubler la cité. Car on ne peut obtenir des choses injustes tant que l’impudence est bridée par l’autorité des lois et des tribunaux.
Hic circumspice animo, quotiens quam multos haec aetas uiderit, qui utilitatis suae causa rempublicam mouere, aut abolere iudicia conati sunt.
Maintenant examine attentivement combien de fois notre époque a vu tant de ces gens qui ont entrepris d’ébranler l’Etat à leur propre profit ou d’abolir la justice.
Haec collatio adferet lucem comoediis et ostendet quo consilio scriptae sint.
Cette comparaison jettera de la lumière sur les comédies et montrera dans quel but elles ont été écrites.
Hunc eundem Cleonem pingit in contione ouium balaenae specie praesidentem et dictantem sententiam perterritis ouibus ituris in suffragium.10
Aristophane dépeint ce même Cléon présidant une assemblée de moutons sous l’apparence d’une baleine et imposant son avis à des moutons terrifiés au moment d’aller voter.
Haec imago mihi incurrit in oculos quotiens cogito de synodis in quibus doctorum et piorum uox terrore potentum oppressa est.
Cette image se présente à mes yeux chaque fois que je pense aux synodes dans lesquels la voix des hommes sages et pieux a été écrasée par la terreur qu’inspirent les puissants.
Hunc ipsum Cleonem alibi dicit alterum pedem in castris, alterum in curia habere.11
Il dit ailleurs que ce même Cléon a un pied au camp militaire, un autre à l’assemblée.
Ita semper multi sunt et fuerunt profani, indocti, πολυπραγμόνες, qui alterum pedem in aulis, alterum in ecclesiastica contione habent ac pariter leges ferunt de imperiis et de doctrina.
Ainsi beaucoup furent et sont toujours impies, ignorants, magouilleurs parmi ceux qui ont un pied à la cour, l’autre dans l’assemblée ecclésiastique et font voter des lois de la même manière au sujet de l’empire et au sujet de la doctrine.
Harum figurarum in comoediis animaduersio simul et de uita hominum multa monet, et conducit ad eloquentiam.
La critique de ces figures dans les comédies est à la fois un enseignement important sur la vie humaine et un chemin vers l’éloquence.
Possumus enim et haec ipsa exempla ad praesentia negotia apte transferre et hic lectis multa ipsi excogitare similia.
Nous pouvons en effet parfaitement transposer ces exemples-là aux affaires présentes et méditer à partir de ces lectures beaucoup de choses semblables à cela.
Fuit autem initio non ingrata Athenis haec libertas nominatim taxandi ciues ac uirtus ducebatur quae monebat potentes ut populi iudicia uererentur ; deinde metu potentum ingeniosi homines praesertim in ciuitate otiosa, in qua amisso imperio studium uirtutis languidius erat et plus uoluptatum et populus tranquillam seruitutem magis amabat quam imperii gloriam quae sine magnis laboribus, certaminibus et periculis retineri non potest, transtulerunt comoedias ad priuatorum, immo ad iuuenum, meretricum et seruorum ludos, pericula et inexpectatos casus qui cum exitus sunt laeti, magna cum uoluptate audiuntur.
Au début cette liberté de blâmer nommément les citoyens ne déplaisait pas à Athènes et on considérait comme une vertu d’exhorter les puissants à respecter les jugements du peuple ; ensuite par crainte des puissants les hommes intelligents, surtout dans une cité oisive où après la perte de l’empire le goût pour la courage s’était émoussé et où le peuple préférait une servitude tranquille à la gloire de l’empire, gloire qu’on ne peut garder sans de grands effort, combats et dangers, ils firent dériver les comédies vers des spectacles mettant en scène des particuliers, ou plutôt des jeunes gens, des courtisanes et des esclaves, ainsi que des malheurs inattendus qu’on écoute, comme les dénouements sont heureux, avec un grand plaisir.
Et tamen consilium in describendis personis idem fuit in hac noua comoedia quod in ueteri.
Et cependant le but recherché dans les descriptions des personnages était le même dans cette comédie nouvelle que dans l’ancienne.
Sed tecte, fictis nominibus et priuatis personis, potentiores significabantur, et miscebantur consilia de omnibus uitae partibus, ac tantum uenustatis et leporis in Menandri fabulis fuit qui autor est praecipuus nouae comoediae, ut dixerint illo sale conspersas esse, ex quo Venus quam fingunt mari ortam, nata dicitur ; cum autem eadem aetate multi Athenis in eodem genere scribendi elaborarint et egregia monumenta plurima reliquerint, magnopere dolendum est, seu hominum barbarie seu propter excidia urbium omnia funditus interiisse.
Mais c’est de manière cachée, sous des noms fictifs et avec des personnages qui sont des particuliers qu’on désignait les puissants, on y mêlait des intrigues sur tous les caractères de la vraie vie, et il y a dans les pièces de Ménandre qui est le principal auteur de la comédie nouvelle tant de charme et de douceur qu’on dirait qu’elles ont été assaisonnées avec le sel à partir duquel, dit-on, est née Vénus que les auteurs font naître de la mer. Or comme à la même époque beaucoup d’auteurs à Athènes ont travaillé dans ce même genre littéraire et ont laissé de très nombreux écrits remarquables, il faut profondément s’affliger que soit à cause de la barbarie des hommes, soit en raison de toutes les destructions de villes, ils aient complètement disparu.
Nam et ex Latinis utcunque aestimari potest, quantum uenustatis in Graecis fuerit, et fragmenta sunt elegantissima.
Car pour autant qu’on puisse en juger à partir des Latins, combien il y a eu de charme chez les auteurs grecs ! Et les fragments sont des plus raffinés.
Denique consentaneum est homines Atticos ingeniis et eruditione excellentes, lepore inter se certantes, cum et honos esset huic studio et alii ab aliis tum excitarentur, tum adiuuarentur, non insulsos iocos, quales nunc sunt scurrarum aulicorum in theatra attulisse, sed sapienter excogitata argumenta et uarietate doctrinae et orationis suauitate dulcissime ornata.
Enfin on s’accorde à dire que les hommes de l’Attique, brillant par leur talent et leur érudition, rivalisant entre eux de grâce, alors que leur travail jouissait aussi d’un grand prestige et que tantôt ils se stimulaient tantôt ils s’aidaient les uns les autres, ont apporté dans les théâtres non pas des plaisanteries sans saveur, telles celles que font aujourd’hui les bouffons de cour, mais des intrigues intelligemment pensées et très délicatement ornées de la richesse de leur savoir et de la douceur de leur style.
Postquam uero monumenta horum interierunt, reliquiis fruamur, Plauti et Terentii fabulis, et has saepius legamus, cum ut sermonem Latinum inde hauriamus, tum uero ut morum et uoluntatum dissimilitudines in personis consideremus.
Mais maintenant que les écrits de ces auteurs ont disparu, profitons de ce qu’il en reste, à savoir les pièces de Plaute et de Térence, et lisons-les très souvent à la fois pour y puiser le style latin et pour examiner les différences de caractères et d’intentions chez les personnages.
Aiunt Antiphanem comicum Alexandro comoediam recitantem, cum animaduerteret regi in quo urbanitas et elegantia summa erat, ineptias aliquas displicere, dixisse iis demum placere comoedias qui et ipsi commessatores essent, et a mulierculis plagas accipere et eis dare plagas consueuissent.12
On dit que l’auteur comique Antiphane 13 lisait une comédie à Alexandre ; et comme il remarquait que certaines sottises déplaisaient au roi dont l’esprit et le raffinement étaient extrêmes, il dit que ses comédies plaisaient finalement à ceux qui étaient aussi ses compagnons de fête parce qu’ils avaient l’habitude de recevoir des coups de femmes de petite vertu et de leur en donner.
Natura quidem ita fit ut maxime eorum seu ludorum seu studiorum commemoratione moueamur quae exercuimus.
<En lisant des comédies>, il arrive naturellement que nous soyons surtout concernés par le souvenir de badineries ou d’actions que nous avons effectivement vécues.
Sed in fabulis non tantum ioci sunt amatorii.
Mais dans les pièces de théâtre il n’y a pas seulement des plaisanteries grivoises.
Alia multa sunt plena sapientiae.
Beaucoup d’autres choses sont pleines de sagesse.
Viderat Alexander in aula multos Demeas, Phormiones, Gnathones.
Alexandre avait vu à sa cour beaucoup de Déméa 14, de Phormion 15, de Gnathon16.
Viderat in exercitu multos Thrasones.
Il avait vu dans son armée beaucoup de Thrason.
Vsitatum est autem nobis omnibus a talibus interdum contumelia adfici.
Il est normal que nous soyons tous parfois choqués par de tels personnages.
Horum imagines in Plauto et Terentio propositas diligenter intueatur iuuentus ut agnoscere, odisse et fugere morosos, rixatores, sycophantas, ardeliones, arrogantes, assentatores, quorum plenae sunt ciuitates, discat.
Ces portraits mis en avant chez Plaute et Térence, que la jeunesse les observe soigneusement pour apprendre à reconnaître, haïr et fuir les grincheux, les chicaneurs, les délateurs, les ardélions, les arrogants, les flagorneurs dont sont remplies les cités.
Nec Terentius ipse cum Demeam et Micionem conferret, ciues obscuros et ignobiles mente intuebatur.
Et Térence lui-même, quand il comparait Demea et Micion, n’avait pas à l’esprit des citoyens obscurs et de basse naissance.
Sed Catonis morositatem irridebat et Laelii seu Scipionis grauitatem lenitate et suauitate temperatam laudabat.
Mais il se moquait de l’humeur grincheuse de Caton et louait le sérieux de Laelius et de Scipion tempéré par de la douceur et du charme.
Ita erit dulcior lectio comoediarum cum uitam hominum contemplabimur et quorum pingantur mores animaduertemus.
Ainsi la lecture des comédies sera plus agréable quand nous considérerons attentivement la vie des hommes et porterons notre attention sur les caractères de ceux qui y sont dépeints.
Interim et hoc proderit iuuenibus uidere ubi a factis uulgaribus oratio ad theses et grauissimarum rerum doctrinam transferatur.
Parfois il sera aussi utile aux jeunes gens de voir dans quels passages le style passe des faits ordinaires à des thèses et un enseignement sur les sujets les plus sérieux.
Queritur seruus apud Plautum non reddi mutuum.
Un esclave se plaint chez Plaute que son prêt ne soit pas remboursé.
Inde quam tragicam querelam exstruit de legum et bonorum morum contemptu.
A partir de cela il échafaude une plainte tragique au sujet du mépris des lois et des bonnes mœurs.
17
« Les mœurs ont désormais soumis les lois à leur pouvoir. Ces malheureuses ont même été fixées au mur avec des clous de fer, Là où il aurait mieux valu que soient accrochés les pires scélérats »
De re magna contionatur seruus et tamen iocis est admixtus comicus, de figendis ad parietem hominibus improbis.
L’esclave discourt d’un sujet important, et cependant le comique s’y mêle par le biais des plaisanteries, à propos du fait d’accrocher au mur les méchants.
Haec commemoraui ut adolescentes commonefacti de consiliis quare primum scriptae sint tragoediae et comoediae et de earum utilitate libentius eas et saepius legant.
J’ai rappelé tout cela pour que les jeunes gens, informés des raisons pour lesquelles les tragédies et les comédies ont d’abord été écrites et de leur utilité, les lisent plus fréquemment et avec plus de plaisir.
Promitto etiam eis hoc euenturum ut quo legent saepius, eo magis admiraturos et amaturos et lecturos eas auidius.
Je leur promets aussi qu’il se passera la chose suivante : à mesure que la fréquence de leur lecture augmentera, augmentera aussi l’intérêt avec lequel ils les liront, admireront et aimeront.
Bene uale.
Porte-toi bien.
Calendis Ianuarii MDXLV.
Le 1er janvier 1545