Eunuchus. Argumentum per Philippum Melanchthonem
Philippus Melanchthon

Présentation du paratexte

Cette édition n’est pas mentionnée par Lawton. L’éditeur scientifique en est Joachim Camerarius l’Ancien, humaniste originaire de Bamberg. Elle paraît en 1546 chez l’imprimeur de Leipzig Valentin Bapst l’Ancien. Camerarius avait déjà publié chez lui en 1545 cinq pièces de Plaute (Amphitruo, Asinaria, Curculio, Casina, Cistellaria).

Il s’agit d’une édition scolaire où le texte des six pièces de Térence est suivi de résumés des pièces et d’annotations dues à Camerarius. Ce dernier indique également quelques variantes textuelles qu’il a observées. L’édition ne propose pas de commentaire proprement dit.

Mais elle contient plusieurs paratextes dus à Philippe Melanchthon. Le premier prend la forme d’un bref exposé théorique illustré d’exemples, et porte le titre « Exhortation à lire les tragédies et les comédies ». Melanchthon y justifie du point de vue réformé l’utilité de la lecture du théâtre antique païen par les jeunes étudiants. Il insiste sur la valeur morale tant de la tragédie que de la comédie. Le second est une lettre adressée aux enseignants. Enfin Melanchthon rédige pour chaque pièce un bref argument à visée pédagogique.

Philippe Melanchthon est le nom traduit en grec de Philipp Schwarzerd, humaniste, philosophe et réformateur protestant allemand, né le 16 février 1497 à Bretten et mort le 19 avril 1560 à Wittenberg, en Allemagne. Professeur de grec à l’université de Wittenberg, il adhère dès le début à la Réforme et devient l’ami et le collaborateur de Luther. Il donne un premier exposé systématique de la pensée de Luther dans ses Loci Communes (1521). Il se préoccupe de concilier la Réforme et l’humanisme chrétien. Il est l’auteur de la Confession d’Augsbourg présentée à la diète d’Augsbourg en 1530. À la mort de Luther en 1546, il devient le principal chef du luthéranisme. Il fait paraître en 1516 à Tübingen une édition des comédies de Térence (Comoediae metro numerisque restitutae). Voir Lawton n°154, p. 123.

Bibliographie :
  • HAMM, Joachim, « Joachim Camerarius d.Ä. », in W. Kühlmann et al. (éd.), Frühe Neuzeit in Deutschland 1520-1620. Literaturwissenschaftliches Verfasserlexikon. Bd. 1 (VL 16), Berlin, De Gruyter, 2011, p. 425-438
  • LAWTON, Harold W., Térence en France au XVIe siècle. Editions et traductions, Paris, Jouve, 1926 (Genève, Slatkine repr., 1970-1972)
  • STÄHLIN, Friedrich, « Camerarius, Joachim », in Neue Deutsche Biographie, 3, 1957, p. 104-105
  • Voir Opera Camerarii : http://kallimachos.de/camerarius/index.php/Terenz,_Comoediae_sex,_1546
Traduction : Théophane TREDEZSarah GAUCHER

Eunuchus. Argumentum per Philippum Melanchthonem

L’Eunuque. Argument par Philippe Melanchthon.

Comoediae ut hominum uitam, casus, consilia imitentur, pericula continent quod et consiliis, et fortunae in periculis maxime locus sit.

Les comédies, puisqu’elles imitent la vie, les vicissitudes et les intrigues humaines mettent en scène des épreuves vu qu’intrigues et hasard ont une large place dans les épreuves.

Itaque cum discutere periculum ratione contendant personae, uaria finguntur consilia, in quibus alia fallunt, alia felicia sunt.

C’est pourquoi, alors que les personnages s’efforcent de surmonter l’épreuve par la raison, ils imaginent des intrigues variées dont certaines échouent et d’autres réussissent.

Saepe plus casus potest quam ratio.

Souvent le hasard a plus de pouvoir que la raison.

Dominatur fere in rebus fortuna.

La fortune est généralement maîtresse de la situation.

Superiore fabula proposuit modesti adolescentis exemplum.

La pièce précédente a présenté un modèle du jeune homme mesuré.

Is de officio suo honeste consultat.

Celui-ci s’interroge honnêtement sur son devoir.

Hic nulla sunt honesta exempla, nullum honestum consilium.

Ici, il n’y a aucun modèle d’honnêteté, ni de modèle d’honnête intrigue.

Nam meretricii amores describuntur, ut in hoc exemplo cernant iuuenes tanquam in speculo amentiam huiusmodi amatorum.

En effet, on y décrit les amours d’une courtisane, pour que dans cet exemple les jeunes gens distinguent, comme dans un miroir, la folie de ce genre d’amants.

Est autem duplex propemodum fabula, propterea geminum argumentum censeo.

La pièce est presque double, car je recense deux thèmes.

Primas Thraso in hac fabula tenet.

Dans cette pièce Thrason tient le premier rôle.

Ei cum pollicita esset Thais facturam se sui copiam dies aliquot, fallitur is tamen.

Alors que Thaïs lui avait promis qu’elle serait à sa disposition pendant quelques jours, elle lui fait pourtant défaut.

Eaque protasis fabulae est.

Voici la protase de la pièce.

Cum Thrasone confertur Phaedria : nisi enim riualem haberet Thraso, nihil periclitaretur in amore.

Phédria s’entretient avec Thrason : en effet si Thrason n’avait pas de rival, il n’y aurait aucune épreuve amoureuse.

Epitasis fabulae est, cum minatur illi se oppugnaturum ui aedeis Thaidis.

Voici l’épitase de la pièce, quand il menace d’entrer de force dans la maison de Thaïs.

Catastrophe ridicula est.

La catastrophe est drôle.

Nam Thraso iam fractus, precibus impetrat, ut aliqua saltem in parte apud Thaidem haereat.

En effet, Thrason, déjà abattu, obtient par des prières de pouvoir garder au moins un petit rôle auprès de Thaïs.

Porro quia haec fabula uaria est, multumque habet turbarum, casu exoritur alius tumultus, uitiatur uirgo, quam Thaidi miles donarat.

Parce que d’autre part cette pièce est variée, et qu’elle est remplie de rebondissements, naît par hasard un autre désordre : une jeune fille que le soldat avait offerte à Thaïs est déshonorée.

Sed est laeta eius quoque periculi catastrophe : nam uxor datur haec adolescenti qui eam compresserat.

Mais la catastrophe de cette épreuve est aussi joyeuse : en effet, la servante est donnée pour femme au jeune homme qui l’avait outragée.

Vt Thrasonem ridiculum amatorem fingeret, addit Gnathonem qui eius mores mirifice depingit ut ardelionem agnoscas.

Pour figurer Thrason comme un amant risible, l’auteur ajoute Gnathon qui fait une extraordinaire peinture de son caractère afin que l’on reconnaisse l’ardélion.

In superiore fabula plurimae sunt consultationes, et tota fere consistit in genere deliberatiuo.

Dans la pièce précédente se multiplient les délibérations, et la pièce consiste presque entièrement en un genre délibératif 1.

Hic plus est expostulationum, et accusatorio seu iudiciali genere similior est.

Il y a ici plus de plaintes, et cela ressemble plus au genre accusatoire ou judiciaire.

Nullum autem uitae genus est, ubi non plurimum Thrasonum reperias, neque ulli fere rebus humanis perniciosiores sunt, quam id genus, si contingat imperare.

Mais il n’y a aucun genre de vie où l’on ne retrouverait pas de nombreux Thrasons, et presque aucun n’est plus pernicieux pour les affaires humaines que ce genre d’homme, s’il arrive à avoir le pouvoir.

In templis, in aulis, in rebus publicis, omnibus omnia miscent, ut emereantur uulgi plausum.

Dans les temples, dans les palais, dans les affaires publiques, tout se mélange pour gagner l’approbation du peuple.

Quare diligenter est intuenda contemplandaque Thrasonis imago in hac fabula, ut discas quam sint inepti, quam nihili ardeliones isti.

C’est pourquoi il faut scrupuleusement considérer et contempler le portrait de Thrason dans cette pièce, pour apprendre l’inutilité et le peu de valeur de ces ardélions.

Somnia uerius hominum quam homines dicas.

On trouverait les songes des hommes plus sincères que les hommes.

Refert autem conferre cum hac similes alicubi descriptiones ; qualis est apud Martialem Attali2, apud Catullum Sufeni3.

Il est aussi important d’y comparer des descriptions semblables dans d’autres œuvres, par exemple, celle d’Attale chez Martial et celle de Suffenus chez Catulle.

Nec piget adscribere ut addiscant pueri.

Et je ne répugne pas à les ajouter pour que les enfants les connaissent.


1. Allusion à l’Andrienne.
2. Mart., Ep. 1.79 ; 2.7 ; 4.34.
3. Catul., Ep. 22.