Présentation du paratexte
- Ekkehard Stärk, « Camerarius’ Plautus », Joachim Camerarius, éd. Rainer Kössling et Günter Wartenberg, Tübingen, 2003, p. 235-248. Prete, Sesto; “Camerarius on Plautus”, in: Frank Baron (Hg.): Joachim Camerarius (1500 – 1574). Beiträge zur Geschichte des Humanismus im Zeitalter der Reformation,éd. F. Banon, München 1978, p. 223 – 230.
- Ritschl, Friedrich: Über die Kritik des Plautus, in: Ders.: Opuscula philologica, Bd. 2, Leipzig 1868, 1 – 165.
- Ritschl, Friedrich: Bio-bibliographisches zu Camerarius’ Plautus-Studien, in: Ders.: Opuscula philologica, Bd. 3, Leipzig 1877, 67 – 119.
- Projet Opera Camerarii : http://kallimachos.de/camerarius/index.php/Plautus,_Comoediae_viginti,_1558
Epistula nuncupatoria. Prooemium Ioachimi Camerarii, de fabulis Plautinis, ad Illustrissimos pueros Franciscum Othonem & Fridericum fratres, Ernesti FF. Principes Brunsuici & Luneburgi.
Épître dédicatoire nominative1. Préambule de Joachim Camerarius sur le théâtre de Plaute, aux illustres jeunes frères François-Othon et Frédéric2, fils d’Ernest, Princes de Brunswick et de Lunebourg.
Anni iam sunt XX, cum nactus fui exemplum Plautinum scriptum, sane uetus, sed non exaratum tamen uel erudito saeculo, uel ab homine docto.
Voici déjà vingt ans que je suis tombé sur un manuscrit de Plaute, bien ancien mais non corrigé, ni par un siècle instruit ni par un savant.
Id repertum fuit in patria mea, inter libros clarissimi, et uirtute ac sapientia praestantis uiri, Viti Verleri Franci, unde exemptum propinquus ipsius, amicitiae sanctissimo uinculo et maximae familiaritatis usu mihi coniunctus, Micaelus Rotingus, uir optimus atque doctissimus, qui tum forte nobiscum esset, mihi utendum dedit, et ipse dominus libri postea ut uterer benigne permisit.
Je l’ai déniché dans ma patrie, parmi les livres d’un homme illustre et remarquable de vertu et de science, Vitus Verlerus de Franconie3 ; il fut emprunté par l’un de ses proches, lié à moi par les liens sacrés de l’amitié et une fréquentation de la plus grande familiarité, l’excellent et très savant Michaël Rotingus4, qui se trouvait être avec moi et le prêta à mon usage, suite à quoi son propriétaire même m’autorisa généreusement à l’utiliser.
Ego uero, qui et puer audiuissem Lipsiae Vitum Verlerum explicantem Comoedias Plautinas, et postea adolescens studium lectionis harum retinuissem, confirmato iudicio intellexi, sine cognitione huius autoris, praesertim istius generis scriptis aliis amissis et perditis, proprietatem et naturam linguae Latinae percipi non posse.
Quant à moi, qui dans ma enfance avais entendu à Leipzig Vitus Verlerus faire une explication des comédies de Plaute puis, jeune homme, avais gardé le goût de le lire, je compris, en affermissant mon jugement, que si l’on ne connaît pas cet auteur, surtout en l’absence d’autres œuvres du même genre, toutes perdues et anéanties, on ne peut apercevoir le sens propre et la vraie nature de la langue latine.
Hanc autem teneri, praeclarane res sit, et digna in qua omnibus uiribus elaboretur, alibi disseruimus et nunc, quasi ita esse uicerimus, sic positum hoc et certum nobis esto.
Cet acquis est-il chose importante et qui mérite qu’on y consacre toutes ses forces ? Nous en avons discuté ailleurs et, dès lors, comme si sur ce point nous avions gagné, admettons qu’il en est ainsi et que la chose est certaine.
Quantum uero momenti ad comprehendendam et perspiciendam ueritatem sermonis Latini habere Plautinas fabulas animaduerti, tanto dolore saepenumero me affecit infelicitas studiorum bonorum hac etiam in parte, cum cernerem optimum autorem tam foede lacerum et truncum circumferri, atque eundem medicatione in dies magis affligi atque laedi.
Mais plus je comprenais l’importance qu’à le théâtre de Plaute pour la compréhension et la perception de l’authentique latin, plus je souffrais de l’infortune de l’étude littéraire dans ce secteur, en voyant un excellent auteur circuler si affreusement défiguré et mutilé, en voyant les remèdes qu’on lui donne le rendre de jour en jour encore plus malade et invalide.
Si enim ullum cuiusquam opus miserabiliter deprauatum et corruptum scelerate fuit, hoc profecto fuit optimarum et praestantissimarum Plautinarum comoediarum.
Car s’il n’y a qu’un ouvrage de qui que ce soit qui a été criminellement dénaturé et abîmé, c’est indéniablement celui des excellentes et remarquables comédies de Plaute.
Correctiones autem comprobauerunt, prouerbium uetus et ipsae, multorum medicorum curationibus aegrotos plerunque perdi.
Les corrections ont apporté la preuve, et avec elles le vieux proverbe, que les prescriptions de plusieurs médecins font souvent mourir les malades.
Cum igitur illum librum ueterem primum uidissem, incredibili gaudio affectus fui, quod sperarem beneficio huius, tam turpiter contaminatas et mendis scatentes fabulas Plautinas repurgari, atque integritati suae restitui posse.
Dès que j’eus vu ce vieil exemplaire, je fus saisi d’une incroyable joie, dans l’espoir qu’avec son apport je pourrais expurger et rendre à leur intégrité les pièces de Plaute si gravement contaminées et bourrées de fautes.
Cum autem intueri illum attentius et rem gerere accuratius coepissem, non quidem, ut aiunt, ἄνθρακες ὁ θησαυρός5, sed multo certe minus quam speraueramus, in illo libro opis et copiae reperimus.
Mais après avoir commencé à l’examiner avec plus d’attention et de soin, ce ne fut certes pas « du charbon en fait de trésor », comme dit le proverbe, mais je trouvai dans ce livre nettement moins de richesses et de ressources qu’escompté.
Primum enim statim deprehendimus, librarium fuisse imperitum litterarum Latinarum, unum : ut apparet, ex illorum genere, qui in coenobiis ad alias quasuis occupationes sese dare quondam consueuissent, quam incumbere studio bonarum litterarum atque artium ; rectene an secus, nunc non quaeram.
La première découverte que nous fîmes est qu’il n’y avait qu’un seul scribe, ignare en latin, comme il apparaît, du genre de ceux qui, dans les monastères, étaient jadis d’ordinaire occupés à n’importe quelles autres tâches que de se pencher sur le travail littéraire et artistique ; est-ce vrai ou non, je ne poserai pas la question ici.
Sed neque librum ἀρχέτυπον, unde hic descriptus fuit, integrum et emendatum ubique fuisse, facile potuit animaduerti.
Mais il ne fut pas facile non plus de découvrir que l’archétype sur lequel cet exemplaire a été copié était partout entier et correct.
Quid uero hoc mirum, cum Varro, qui et uixit iis temporibus, quibus eruditio litterarum et doctrina floruit, et proxime ab fuit ab aetate Plauti, alicubi de analogia querens, quod non probaret quaedam de Truculento, in iis librarii mendum accuset ?6
Quoi d’ailleurs d’étonnant, puisque Varron, qui a vécu à l’époque florissante de la culture littéraire et de la connaissance et n’était pas bien éloigné de la génération de Plaute, se plaint quelque part à propos d’analogie de ne pas valider un passage du Truculentus et y voit une faute du copiste ?
Posteriores autem saepe de fide exemplorum questi et uetustissimorum quorumque testimoniis contra uulgatas lectiones usi fuerunt.
Les éditeurs suivants, quant à eux, se sont plaints de la fiabilité des exemplaires et ont utilisé à chaque fois les témoignages des plus anciens manuscrits contre les leçons des vulgates.
Nam illa semper corrupit imperitia quorundam, ut ait Priscianus, mutantium
scripturas
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Car souvent « certains ignorants ont corrompu les textes », comme le dit Priscien, « en changeant les orthographes ».
Sed nostra diligentia et industria etiam quadam, permulta de nostro illo ueteri libro in Plautinis comoediis restituta sibi fuerunt, tam in uerbis quam numeris uersuum, de quorum integritate nihil etiam dubii iam nobis relinquitur.
Mais grâce à notre zèle et même à une certaine énergie, beaucoup, à partir de notre vieux livre, a pu être rendu à son état originel dans les comédies de Plaute, tant dans les mots que dans la prosodie, et je n’ai plus aucun doute sur leur intégrité actuelle.
Ac possem annumerare non δεκάδας neque ἑκατοντάδας, sed plane χιλιάδας, si ostentare operam nostram uellemus ; sed pauperis est numerare pecus.
Et je pourrais énumérer les corrections non par décades, ni par hécatontades mais par chiliades8, si je voulais fanfaronner sur mon travail ; mais c’est l’indigent qui compte son troupeau !
Non pauca autem confido nos, si non emendasse, at non edidisse deterius, neque peruersius, quam priores.
Sur de nombreux passages, à défaut de les avoir corrigés, je suis sûr de ne pas les avoir édités plus mal ni plus à contresens que mes prédécesseurs.
Quae uero corrupta et falsa esse plane cernerem, ea indicare studui, indignum ratus, lectorem securo animo errare perpeti.
Les passages que je voyais clairement corrompus et fautifs, j’ai pris soin de les signaler, dans l’idée qu’il était indigne de laisser le lecteur dans l’erreur l’esprit tranquille.
Nam primum laudandus, qui erranti comiter monstrat uiam.
Car il faut en premier lieu louer qui montre la voie à celui qui erre.
Secundo uero loco gratiam meretur is, qui, si non possit uiam rectam demonstrare, indicet illam ueram non esse, ne pergat errare uiator, et de uia diligentius quaerat ac perconctetur.
En second lieu, mérite notre gratitude celui qui, à défaut de pouvoir montrer la bonne route, signale que celle-ci n’est pas la vraie, pour que le voyageur ne continue pas son errance et se renseigne fasse des demandes plus judicieuses sur la route.
Sed quid ego praestiterim longo sane tempore, et assiduo studio et diuturno labore meo, alii statuent atque iudicabunt.
Mais de mon apport à moi, après cette bien longue période d’un travail acharné et d’un labeur constant, les autres décideront et jugeront.
Quae uulnera inflicta Plauto fuerunt, ea sunt in conspectu omnium.
Les blessures infligées à Plaute sont désormais visibles de tous.
Hoc quaedam minus sanabilia, quo ueluti cicatrice in opinione curationis obducta non apparent omnibus, κρυπτά καὶ ὑπόνομα, ut medici loquuntur.
Certaines sont d’autant moins curables que, cachées par une espèce de cicatrice en guise de soin, elles n’apparaissent pas à tous, des maladies « cryptées et souterraines », comme disent les médecins.
Ego tamen si mihi et otii plus et profundior quies contigisset, neque tam uarie distractum fuisset temporibus et casibus studium meum, fortasse cum aliis in musicis quasi certaminibus tum in hoc spatio edere aliquid praeclarioris operis potuissem.
Pour ma part, si j’avais eu plus de loisir et une tranquillité plus grande, si ma recherche n’avait pas été autant distraite par des circonstances et des accidents divers, alors peut-être, tant dans d’autres joutes impliquant les Muses que dans cette arène-ci, aurais-je pu produire quelque travail plus éclatant.
Nunc in hac aduersatione fortunae, in tanta penuria adiumentorum omnium, hac etiam communi quadam calamitate saeculi nostri, id quod nos perfecimus, neque prorsus nihili pendi neque sperni debeat.
Mais dans ce revers de fortune, dans cette pénurie complète d’outils, et même dans ce malheur commun de notre époque, le peu que nous avons pu mener à bien ne doit pas être complètement dévalorisé ni dénigré.
Atque de illis praecipuis, perturbatione rerum publicarum et nostrarum difficultate, nihil nunc quidem dicemus.
Et des principaux empêchements, le désordre dans nos affaires publiques et leur difficulté, nous n’en dirons rien pour le moment.
Adiumenti uero quid fuit, praeter nostrum ueterem codicem, non raro frustrantem et spem et uestigationem meam, et destituentem conatus ?
Et comme outil, qu’ai-je eu, en dehors de notre vieux manuscrit, souvent frustrant et décevant notre attente et la recherche ?
Nam interpretes noui usque adeo nihil subsidii auxiliiue nobis tulerunt, ut aliquantum etiam nocuerint, audacissime mutantes et uertentes atque torquentes omnia, suaque commenta ad ueterum codicum fidem referentes.
Car les commentateurs, jusqu’ici, ne nous ont apporté aucun secours nouveau, aucune aide, au point même parfois de nuire en changeant, inversant, tordant tout, en rapportant leurs notes à la fiabilité des vieux manuscrits.
Veteres autem Grammatici, profuere illi quidem non nihil, sed et ipsi mendose editi, et nonnunquam in inquirendo indiligentories, saepe multumque fefellerunt opinionem nostram.
Quant aux grammairiens anciens, ils me furent certes de quelque utilité, mais eux aussi, édités fautivement et parfois trop peu attentifs dans leurs enquêtes, ont déçu souvent et beaucoup ce que j’en attendais.
Quid, quod ueterum summorum uirorum multiplex in Plautinis comoediis enucleandis studium effecisse uidetur, celeriter ut exempla non consentirent, sed scriptura plerisque in locis diuersa proferretur ?
Que dire du fait que le travail hétérogène de plusieurs importants anciens dans l’épluchage des comédies de Plaute a eu pour effet, semble-t-il que rapidement les exemples n’étaient plus conformes et que les orthographes dans bien des passages se sont trouvées diversifiées ?
Memorantur enim Plautinae quaestiones conscriptae a Varrone, itemque Scauri ac Sisennae et aliorum commentationes in fabulas Plautinas.
Car on se souvient que des Questions plautiniennes ont été rédigées par Varron9, ainsi que des commentaires sur le théâtre de Plaute par Scaurus10, Sisenna11. et d’autres.
Sed apud quem non etiam Grammaticorum
ueterum, quorum qualiacunque scripta ad nos peruenerunt, auctoritatem diminuerent
tales explicationes, quas ex aliis saepe incogitantius descriptas apparet : cor esse generis masculini, quod sic docuisse
Caesellium Vindicem
Gellius reprehendit12 ;
fidele pro fideliter, ut Captiuis, ‘fac fidele’, cum
ibi plane legatur ‘Fac fidelis sis fideli’
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Mais qui ne sentirait pas diminuer l’autorité des grammairiens, même anciens, dont des écrits de toute qualité nous sont parvenus, en lisant des explications telles que celles-ci : cor est du masculin, selon l’enseignement de Caesellius Vindex, blâmé par Aulu-Gelle14 ; fidele se dit pour fideliter, comme dans les Captifs de Plaute : ‘fac fidele’, alors qu’on lit clairement ‘fac fidelis sis fideli’ ?
Eliserunt autem ueteres, ut nemo fere ignorat, uitantes sibilum huius elementi.
C’est que les anciens, comme presque personne ne l’ignore, élidaient le s de ce mot et l’évitaient.15
Item, in his et similibus, ‘Deum uirtutem’
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milia sex nummum
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De même, avec ces exemples et d’autres du même type, la Deum uirtutem et sex milia nummum, accusatifs singuiers mis pour des génitifs pluriels18, alors qu’à l’évidence il s’agit de formes syncopées19.
Item, genium esse parsimoniam20.
De même genium au sens de parsimonia.
Item, ‘qui serius honores adhamauerunt
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De même qui serius honores adhamauerunt, alors qu’il est évident que l’insertion d’une aspirée est une erreur et qu’il faut adamauerunt.
Sed in his recensendis non occupabimur, praesertim cum non esse nefas de illorum Grammaticorum traditis quaerere amplius, ex istis paucis intelligi posse uideatur.
Mais nous ne dresserons pas la liste complète de ces erreurs, d’autant que, de ces quelques exemples, il semble assez clair qu’il n’est pas inutile de faire une enquête approfondie sur les passages transmis de ces grammairiens.
Atque ita demonstratum esse confido, quantulumcunque sit, quod nos in Plautinis fabulis integritati suae restituendis perfecerimus, id studiosis linguae Latinae gratum acceptumque esse debere.
Et je suis sûr d’avoir démontré, même si ce n’est qu’en quelques lignes, que nos interventions pour rendre à son intégrité le théâtre de Plaute doivent être bien reçues et bien acceptées de la part des spécialistes.
Nos quidem ita sumus animati, ut aliorum studio nostras operas plane obscurari expetamus.
Notre intention est évidemment de viser à ce que le travail d’autrui rende à l’avenir notre œuvre obsolète.
Sed dicat aliquis : ‘Ergo hic auctor, ut ais, ad linguae Latinae cognitionem necessarius est ?
Mais, dira-t-on : ‘cet auteur, à tes dires, est nécessaire à l’apprentissage du latin ?
Quo uero argumento, cum et aliorum egregia scripta extent et Plautina aetas sermone Latino non satis polito usa esse uideatur ?’
Quelle preuve, alors qu’il existe des œuvres excellentes d’autres auteurs et que la génération de Plaute semble avoir utilisé un niveau de langue latine insuffisamment correcte ?’
De his sane, si quis rem penitus exquirere uelit, plurimum uerborum faciendum et oratione prolixa opus esset.
Pour y répondre, si l’on souhaite une enquête approfondie, il faudrait écrire bien des pages et un discours abondant.
Sed nos breuiter aliquid de utroque disseremus.
Mais nous ferons sur les deux points quelques brèves remarques.
Primum extare, conseruata quidem, ut mihi persuadeo, diuinitus, egregia scripta auctorum linguae Latinae fateor et scio.
D’abord, il existe, préservés par miracle, selon moi, des œuvres remarquables d’auteurs latins, je l’admets et le sais bien.
Sed nos de puritate et simplicitate sermonis nunc loquimur, quae de quodam ueluti filo orationis popularis ac cotidianae perspicitur atque colligitur tantum, propter cum res ratione et cura inexquisitas, tum elocutionem inelaboratam et popularem, uel ut ita uocem, uulgarem atque uernaculam.
Mais ce dont nous parlons pour l’heure, c’est de pureté et de simplicité du style, celle qui se perçoit comme par le fil de la conversation des gens de tous les jours et ne se récolte que par le biais de situations qui manquent de délicatesse intellectuelle et de soin, d’autre part d’une parlure non travaillée et populaire et même, pour l’appeler ainsi, vulgaire et vernaculaire.
In quo genere solo proprietas et natura inest, atque cernitur, tanquam fundamenta quaedam nondum extructa domo.
C’est le seul genre où le sens propre et la nature de la langue se trouvent et s’observent, comme les fondations d’une maison non encore sortie de terre.
Sic enim communiter loquuntur, ut et uerbis significantibus res de quibus illa fiunt, et figuris orationis exprimentibus sententiam animi, uti uelint, sine ambagibus et quadam ueluti pompa.
Car ils s’expriment de façon commune en utilisant des mots qui désignent les choses d’où ils découlent et des figures de mots qui expriment des tropes sans ambages et sans cette sorte de pompe.
Idque faciunt alii quidem aliis melius, ut in oppidis quam pagis, in bene institutis familiis quam secus.
Certains le font mieux que d’autres, comme dans les villes mieux que dans les villages, dans les familles bien élevées mieux que dans d’autres.
Ideoque Cicero plurimum putat contulisse Gracchis eloquentiam matris Corneliae, quae esset soror Africani22.
C’est pourquoi Cicéron estime que les Gracques avaient surtout profité de l’éloquence de leur mère Cornélie, qui était sœur de Scipion l’Africain.
Nam et haec est domestica disciplina, ut animum, ita etiam os fingere paruulorum.
Car l’éducation familiale consiste à modeler l’esprit mais aussi la bouche.
Qui haec igitur fundamenta non iecerint et fortuito coeperint, quasi super arena exaggerare et educere molem quandam orationis, horum opus labet, et uitiosum sit necesse est.
Ceux qui donc n’auront pas jeté des bases mais auront commencé au hasard à, pour ainsi dire, remblayer et faire sortir le bâti de leur discours sur du sable, verront leur ouvrage s’écrouler et il est nécessairement défectueux.
Sed Terentium esse in medio, aliquis inquiat, qui puram orationem quodam in prologo etiam ostentet.
‘Mais Térence est là’, dira-t-on, ‘qui fait montre dans tel prologue d’un style pur’.
Hic quidem poeta et legatur et ediscatur et nunquam de manibus deponatur.
Oui : qu’on lise et apprenne ce poète et qu’il ne quitte jamais les mains.
Cur autem, si uel paris, uel maioris etiam commoditatis aliunde copiae offeratur, illam studiosus bonarum artium negligat et amittat ?
Alors pourquoi, si on trouve ailleurs un avantage égal ou même supérieur, un spécialiste des belles lettres le négligerait-il et le laisserait-il filer ?
Atque utinam quam plurima huiusmodi scripta ad nos ab antiquitate peruenissent, ut esset quasi officina musica instructior !
Et j’aimerais que nous soient parvenu un si grand nombre d’œuvres de ce genre de l’antiquité que l’on ait une sorte de boutique des Muses bien achalandée !
Atque Terentius, quo carere non posset hoc studium, est tamen mirifica quadam attentione et cura nimis artificiosus, et dum hoc unum agit, ut comoedia morata23 sit, nescio quo pacto simplicitatem sermonis non tuetur, et dum studet uti populi oratione, utitur erudita.
Et Térence, dont nos études ne sauraient se passer, est pourtant trop artificiel dans sa recherche et son soin excessifs et, quand il n’a pour unique objectif que de faire une comédie de caractère, il n’observe pas ce je ne sais quoi qui fait la simplicité du style et, quand il cherche à imiter la parlure populaire, il la fait savante.
Omnes autem qui de Terentio scripserunt, hanc laudem illi tribuisse scimus, ut praestare hunc aliis arte et affectibus exprimendis perhiberent.
Tous ceux qui ont écrit sur Térence lui ont attribué un mérite, nous le savons bien, et le présentent comme supérieur aux autres par la technique et l’expression des sentiments.
Contra in Plauto illa ueluti popularitas orationis et uulgaritas iocorum a quibusdam etiam improbata fuit. Noti enim sunt uersus Horatiani :
En revanche, chez Plaute, certains ont pu reprocher une certaine familiarité de style et de la vulgarité dans les plaisanteries. On connaît les vers d’Horace :
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Immo illi merito et recte atque sapienter Plautum laudarunt et admirati fuerunt, tuque ad Graecitatem omnia, quasi regulam, poemata gentis tuae exigens, immerito et perperam atque incogitanter culpas.
Mais c’est à juste titre, à bon droit et sagement qu’ils ont loué et admiré Plaute et c’est toi, qui juges tout à l’aune du grec, comme si c’était la règle quand on recherche des poèmes nationaux, qui lui fais des griefs injustes, faux et inconséquents.
Varro reliquit hoc scriptum : In argumentis Caecilius poscit palmam, in ἤθεσι Terentius, in sermonibus Plautus
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Varron a laissé ce jugement : « Pour les arguments c’est Caecilius qui a la palme, pour les caractères, Térence, pour la langue, Plaute ».
Qui est sermo ?
De quelle langue s’agit-il ?
Qui in circulis, disputationibus, congressionibus familiarium, ut Cicero ait,
uersatur, persequitur etiam conuiuia
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De celle « qui a cours dans les cercles, les débats, les rendez-vous entre amis », comme dit Cicéron, « qui continue aussi dans les banquets ».
Haec nimirum est populi oratio.
C’est, sans surprise, le style des gens.
De qua Cicero, etsi putat praecepta dari posse, quod attentatuit Pontanus, nulla tamen fatetur esse27.
Même s’il pense qu’on pourrait en donner des préceptes, ce qu’a tenté Pontano28, Cicéron reconnaît qu’il n’y en a pas.
Hic igitur sermo, id est communis locutionis facultas et conseruata forma consuetae et omnino urbanae orationis in Plauto reprehenditur ab Horatio, quia non redoleat peregrinam culturam et expolitionem.
C’est donc ce niveau de langue, à savoir celui de l’échange et la forme conservée de la langue usuelle et tout à fait urbaine qui est reproché à Plaute par Horace, parce qu’il ne fleure pas la culture étrangère avec son poli.
Quo nomine aio a nobis plurimi hunc fieri, et diligentissime legi oportere.
Mais c’est à ce titre, dis-je, qu’il nous faut la valoriser le plus et la lire avec la plus grande constance.
Quod enim nobis et patria et tempus non concedit, ut domi a matribus, nutricibus, paedagogis, imbuamur cognitione linguae huius, id praestabit lectio talium librorum, quales reliquit optimos et eximios in hoc quidem genere Plautus, quos tamen non modo bonitas ipsorum, sed aliorum similium amissio et penuria nobis commendat.
Car ce que notre patrie et notre époque ne nous permettent pas, d’être chez soi imprégnés par nos mères, nourrices, pédagogues de la connaissance du latin, c’est la lecture de livres tels que ceux, excellents et remarquables, qu’a laissés dans ce genre-là Plaute qui nous le fournira, et d’ailleurs ce qui les recommande c’est non seulement leur qualité propre mais aussi la perte et le manque des autres œuvres équivalentes.
Nam de antiquitate multis in partibus postea mutata, cum quidem litterarum eruditioni et doctrinae proposita sit ad imitandum Ciceroniana aetas, qua eloquentiam perfectam et absolutam fuisse constat, de illa igitur antiquitate quod a quibusdam dicitur, nihil est.
Car pour l’ancienneté, à bien des égards modifiée par la suite, alors qu’on donne à imiter aux études littéraires d’aujourd’hui la génération de Cicéron, dont l’éloquence était à l’évidence parfaite et absolue, pour l’ancienneté, donc, ce qu’on lit chez certains ne vaut rien.
Hac enim, ut in nummis antiquissimi quique cupidissime expetuntur, ab iis qui diuitias congerunt, ita studiosis linguae Latinae nihil debet esse antiquius, non ut temere et fortuito proferre, et quasi necessariis usibus impendere, sed potius tempori, loco, rebus reseruare uelint.
Car, de même qu’en matière de monnaie ce sont les pièces les plus anciennes qui sont le plus avidement recherchées par ceux qui amassent de l’argent, de même, pour les latinistes, rien ne doit être plus antique que cette antiquité-ci, en hommes qui veulent non pas distribuer à l’aveugle et au petit bonheur et dépenser pour leurs besoins personnels, pour ainsi dire, mais plutôt thésauriser pour en user selon le moment, le lieu et la situation.
Hoc quale sit, dici neque breuiter, neque omnino plane potest ; sed et in ipsis istis scriptis a doctis demonstrari solet et a non stupidis per se etiam cogitatione comprehendi.
Sur cela, on ne peut ni s’exprimer brièvement ni tout à fait clairement ; mais dans ces textes mêmes, les doctes le démontrent d’ordinaire et ceux qui ne sont pas sots peuvent le comprendre par une réflexion personnelle.
Nam mediocris prudentia in hac parte omne facile et incommodum uitauerit et uitium ac horrorem, sicut uidetur, antiquitatis detergere et ruditatem expolire possit.
Car un tant soit peu de clairvoyance dans ce domaine pourrait facilement éviter chaque inconvénient, éliminer ce qui semble un défaut ou une horreur antique et polir la rudesse de la langue.
De his igitur iam satis.
En voilà donc assez sur ce sujet.
Cum autem hoc totum de quo loquor, puerile sit studium, uideo a piis et seueris non immerito quaeri, sitne uerendum ut talium scriptorum lectione et cognitione, non inquinentur ac contaminentur, aut saltem profanescant mentes tenerae et ingenia simplicia ac proba, cuius modi in pueris, qui ad spem uirtutis et sapientiae educuntur, esse uolumus et optamus. Nam omnes occasiones impuritatis ab hac aetate remouendae, ut secundum poetam,
Mais vu que tout ce dont je parle concerne les enfants, je vois que des âmes pieuses et rigoureuses demandent à bon droit s’il ne faudrait pas craindre que la lecture et la connaissance de tels auteurs ne polluent, ne contaminent ou même ne profanent de jeunes esprits et des intelligences naïves et honnêtes comme celles que nous voulons et souhaitons voir chez les enfants que nous éduquons dans l’espoir de les rendre vertueux et sages. Car toutes les occasions de pécher contre la pureté doivent être éloignées de cet âge, comme le dit le poète :
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et quae alia in hanc sententiam uere et grauiter dici consueuerunt. Hoc sane est, ut uerum fatear, difficile.
et tout ce qu’on a l’habitude de dire à ce sujet de vrai et de grave. Mais, pour dire le vrai, c’est bien difficile.
Ac ueteres quidem tam nostrae religionis quam externorum quidam uiri docti et sapientes, quo pacto legi deberent poetarum fabulae, accurate docuerunt.
Et les Anciens, tant ceux de notre religion que les savants et sages païens, ont enseigné précisément comment il faut faire lire les pièces des poètes.
Non solum enim iracundia habitat in auribus30, secundum Herodotum, uerum etiam profecto impietas, leuitas, libido.
Car non seulement la colère habite dans les oreilles, selon l’expression d’Hérodote, mais aussi bien sûr l’impiété, la légèreté, la libido.
Quae enim audiuntur facta aut dicta nefarie, flagitiose, turpiter, ea mentem sauciant, tam iudicium saepenumero corrumpentes, quam deprauantes uoluntatem.
Car les actions ou les paroles criminelles, scandaleuses, honteuses, blessent l’esprit en corrompant souvent autant le jugement qu’en dépravant la volonté.
Quid igitur attinet circumspicere et quaerere medicinam potius uulneris, quam cauere ne plaga infligatur ?
À quoi sert alors de regarder partout pour trouver un remède au lieu de chercher à éviter la blessure ?
Omnino res est impedita et magna.
La chose est tout à fait embarrassante et d’importance.
Sed quid faciemus ?
Mais que faire ?
Aut ubi reperiemus bonum, cui non sit adiunctum malum ?
Ou bien où trouver un bénéfice qui ne soit pas accompagné d’un mal ?
Omnia in tota uita plena sunt periculis, neque quicquam horum est expers in ulla aetate, conditione genereque hominum, ut si quis haec uitare uelit, hanc lucem relinquere, et terris excedere debeat.
Tout, dans une vie entière, regorge de dangers et aucun n’épargne aucun âge, aucun statut, aucune espèce d’hommes, au point que si l’on voulait les éviter, il faudrait abandonner la lumière et quitter cette terre.
Puerili autem aetati in primis hoc impendet, morum sanctitatis et innocentiae atque pudoris.
Or dans l’enfance, les menaces les plus graves concernent la sainteté des mœurs, de l’innocence et de la pudeur.
Quem si simpliciter, et quasi ex professo laedunt poemata, multo erat satius penitus illa aboleri et ut περίεργα βιβλία concremari, quam omnino inspici, nedum proponi studiis puerilibus.
Si des poèmes, ingénument ou presque en conscience, blessent la pudeur, mieux valait les faire totalement disparaître et les brûler comme des livres de sorcellerie31, plutôt que les faire voir à des enfants, a fortiori les faire étudier.
Atque fuerunt quaedam semper, et nunc sunt talia, quae exterminanda de scolis existimamus.
Et il y a eu, et il y a encore, de ces ouvrages qu’il faut supprimer des écoles.
Nam quod ille ait defendens lasciuiam
carminum suorum, Vita uerecunda est, Musa iocosa mea
32
Si sint molliculi et parum pudici
33
Car pour ce que dit ce poète pour défendre l’érotisme de ses vers : « Ma vie est chaste mais ma Muse est libertine », ou ce que cet autre ose dire, que ses vers ont du sel et du charme « pourvu qu’ils soient coquins et fort peu pudibonds », ils ont tous les deux tort et ne doivent pas nous mettre d’accord avec eux.
Nam tu, qui ais tuam esse uitam pudicam, quare sine causa in flagitio perhiberi te mendacem cupis, qui commemores ipse tua illa praeclara facinora diurna et nocturna, uoluptatis obscenae ?
Car toi, qui prétends que ta vie est chaste, pourquoi souhaites-tu sans raison être pris en flagrant délit de mensonge dans un scandale, toi qui rappelles toi-même les illustres forfaits diurnes et nocturnes de tes plaisirs obscènes ?
Idem negas indicium animi librum esse.
C’est toi aussi qui nies qu’un livre soit un indice de l’âme.
Immo ille est certe, si non propositi atque consilii, at uoluntatis et cupiditatum, quas in turpitudine prodi quid attinet ?
Et pourtant, il l’est, si ce n’est du thème ou du projet, du moins de la volonté et des désirs : quel intérêt de les publier, quand ils sont honteux ?
Ille uero alter quam causam assert sententiae suae ?
Et le deuxième, quelle preuve avance-t-il de son opinion ?
An quia τὸ ὅμοιον πρὸς τὸ ὅμοιον
34
Sauf si c’est parce que ce qui se ressemble s’assemble35 que ces vers semblent jolis et charmants, donc à des dévergondés et à des libertins.
Quid enim per se laudabile in turpitudine esse potest ?
Que peut-on trouver de louable en soi dans ce qui est honteux ?
Falsum hoc est, non esse in uerbis obscenitatem, ut quidam ostendere conati fuerunt.36
Il est mensonger de dire que l’obscénité ne réside pas dans les mots, comme certains ont tenté de le montrer.
Obscenitate uero risum et oblectationem quaerere, etiam nocens, et ueritati ac uirtuti contrarium.
Utiliser l’obscénité pour susciter le rire et la gaieté est également nuisible et contraire à la vérité et à la vertu.
Praeclare autem et hoc Persae
seruarunt, ut pleraque omnia, ne quid factu foedum suo nomine unquam eloquerentur,
ὁπόσα, inquit Herodotus, αὐτοῖς ποιέειν οὐκ ἔξεστι, ταῦτα οὐδὲ λέγειν
ἔξεστι
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Or même les Perses ont magnifiquement préservé le précepte, parmi beaucoup d’autres, de ne jamais parler en leur nom d’un acte honteux : « tout ce que, dit Hérodote, ils n’ont pas le droit de faire, ils n’ont pas non plus le droit de le dire ».
His igitur nequaquam assentiemur, commendatoribus obscenitatis, multo autem minus illi scurrae, qui obscene loquentes ait Romana simplicitate loqui.38
Nous ne serons donc jamais d’accord avec les promoteurs de l’obscénité, et encore moins avec ce bouffon qui affirme que ceux qui parlent de façon obscène parlent le vrai latin.
Et talia scripta prorsus excludemus e scolis puerilibus et ab illis tanquam a peste bonae mentis, abducemus oculos, aures, animos teneros.
Et ces œuvres nous les exclurons aussitôt des écoles pour enfants et tiendrons loin d’eux, comme d’une peste des âmes pures, leurs yeux, leurs oreilles et leurs esprits.
Atque si qua scripta tota sunt huius modi, tota exigantur ac reiiciantur ; sin minus et in illis est alicubi aliquid quasi purulentum et γαγγραινῶδες illud recidatur, ut reliqua depulso ueneno, tuto attingi possint.
Et si des œuvres sont entièrement de ce genre, qu’on les chasse et les repousse ; pour les autres, là où se trouve quelque purulence ou gangrène, qu’on la coupe pour que le reste, une fois le venin chassé, puisse être approché.
Idque et in aliis libris et in Plauto factum esse apparet, et nunc etiam faciendum esse censeo.
Cela, il s’avère qu’on l’a fait dans d’autres livres que dans Plaute et je pense qu’il faut continuer à le faire.
Praestaret enim uel ineruditissimum esse aliquem, quam per eruditionem imbui spurcitia et impuritate, uel etiam impietate, scelere, furore.
Car mieux vaudrait voir quelqu’un même parfaitement inculte plutôt imprégné par sa culture de cochonneries, de saletés, voire d’impiétés, de crimes, de folies.
Sed ad nos quidem quae prorsus essent uitiosa scripta ueterum, nulla uel paucissima peruenerunt.
Mais comme œuvres vraiment vicieuses de l’antiquité, il ne nous est rien parvenu ou fort peu.
In aliis non est maius periculum, quam in cotidiano usu uitae.
Dans les autres, il n’y a pas plus de risque que dans la vie quotidienne.
Non potest enim fieri ut omnes occasiones uitiorum auferantur.
Car on ne peut pas parvenir à éradiquer toutes les tentations du vice.
Sed has rapiunt oculi, aures, manus, undique secundum insitam prauitatem animi uniuscuiusque. Vt enim Tiresias in Tragoedia inquit :
Mais les yeux s’en saisissent, et les oreilles, les mains, de toutes parts, selon la malice d’esprit innée de chacun. Car de même que Tirésias dans la tragédie dit :
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« La sagesse est innée en toute occasion »
sic etiam in animis origo est malorum
omnium. Itaque improbi ac nequam homines prouerbio memorantur, κακ’ ἐφ’ αὑτοὺς ἕλκειν ὥσπερ καικίας νέφη
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de même c’est dans les âmes que niche l’origine de tous les maux. C’est pourquoi, comme le rappelle le proverbe, les malhonnêtes et les méchants « attirent sur eux-mêmes les malheurs, comme des nuages par vent du nord ».
Atque hi, ut ea quae φάρμακα a medicis nominantur, uitiosos humores attrahunt, quaeque similes illos sibi, nam et χολαγωγὰ et φλεγματαγωγὰ sunt, ita alii alia admittunt probra, et peccata accersunt.
Et, de même que les substances que les médecins appellent Pharmaka attirent à elles les humeurs vicieuses et les autres de même type, car elles sont cholagogues et phlegmagogues, de même ils admettent chacun tel ou tel vice et attirent le péché.
Qui non bonae frugi est et, ut Graeci nominant, ἀκόλαστος, luxus, libidinis, uoluptatum illecebris capitur.
Celui qui n’est pas bon et, comme on dit en grec, akolastos41, se laisse séduire par le luxe, la libido, les plaisirs.
Theodoreae autem et Diagoreae naturae, contemptum Dei et hominum asciscunt ; ferocia ingenia, crudelitatis exempla probant ; excelsa et superba fastu inflantur et contumeliosa redduntur.
Les natures théodoriennes et diagoriennes42 adoptent le mépris de Dieu et des hommes ; elles approuvent les esprits farouches et les exemples de cruauté ; leurs hauts faits pleins d’orgueil sont gonflés par leur morgue et deviennent outrageants.
Non illa quidem de libris tantum, sed profecto de picturis ac sermonibus quoque, deque iis quae in aliam partem fiunt atque dicuntur.
Et cela ne vaut pas que pour les livres mais assurément aussi pour les peintures et les discours et pour tout ce qui se fait à l’inverse de ce qui se dit.
Quin etiam plerique uitiorum insectationes et reprehensiones, ad uitia in se stabilienda assumunt.
Bien plus, beaucoup se chargent de poursuivre et de réprimer les vices pour les affermir chez eux.
Audiui de quodam, qui affirmaret se quandam causam non aliter quam de aduersariorum disputationibus cognouisse.
J’ai entendu parler de quelqu’un qui affirmait instruire une affaire seulement avec le point de vue des adversaires.
Eodem uero modo, non pauci ex iis praeceptis quibus contra uitia animi instrui possent, uitiorum doctrinam sibi faciunt.
De la même manière, il y en a peu qui se donnent une connaissance des vices à partir des préceptes susceptibles d’armer les âmes contre les vices.
Eodem uero modo, non pauci ex iis
praeceptis quibus contra uitia animi instrui possent, uitiorum doctrinam sibi
faciunt. Haec est occulta quaedam uis naturae, ut omnia impellat ad sui similium
appetitionem, atque ita ὡς γλυκὺ μὲν γλυκὺ μάρπτε, πικρὸν δ’ ἐπὶ πικρὸν
ὄρουσεν
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C’est une loi naturelle cachée que de pousser toute chose à rechercher ses semblables, et ainsi : « Le doux saisit le doux, l’amer va vers l’amer » ; selon le mot d’Empédocle.
Atque hoc est perpetuum certamen in
bonis et haec assidua lucta cum uitiis et cura atque contentio perueniendi eo
laudis, quo se quisque incitari et ad id perficiendum, ad quod sibi diuinitus
adiumenta collata esse sentit, ne quid inuita, ut dicitur, Minerua
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Et c’est le combat permanent chez les bons et la lutte constante avec les vices, la tentative et l’effort pour atteindre ce degré de louange vers lequel chacun se pousse et pour réaliser ce pour quoi on sent que la providence a donné à chacun des outils, pour éviter à Minerve d’essayer quelque chose malgré elle.
Haec sunt manifestiora, quam ut demonstratione magnopere indigeant.
C’est trop évident pour qu’on ait besoin d’une longue démonstration.
Causas quidem sapientia humana non uidet.
Mais la sagesse humaine n’en voit pas les causes.
Vno uerbulo libidinosus, auarus, malitiosus, abblandiente morbo suo, mirifice commouetur et alimoniam mali apprehendit.
Un petit mot qui flatte sa maladie suffit au libertin, à l’avare, au méchant pour s’emballer et trouver de quoi nourrir son vice.
Hoc alteri aut non nocet, aut prodest etiam.
Mais le même mot ou bien ne nuit pas à tel autre, ou bien même lui est utile.
Cuius prauitatis respectu, ea quae
uel ipsa perniciosa non sunt, uel etiam fructum afferre bonis possunt,
praetermittenda aut explodenda non sunt, οὔτε γὰρ φύσις οὔτε οἰκονόμος ἀγαθὸς οὐδὲν ἀποβαλεῖν
εἴωθεν ἐξ ὧν ἔστι ποιῆσαί τι χρηστόν
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Ce n’est pas parce qu’existe cette dépravation que ce qui en soi n’est pas nocif, voire peut apporter du profit aux bons, doit être évité ou rejeté, « car ni la nature ni un bon gestionnaire n’ont coutume de rejeter ce dont on peut tirer quelque profit », comme dit Aristote.
Si enim hoc fieri oporteat, nullam uirginem aut matronam exornatam in publicum prodire propter libidinosos, non signari aurum et argentum propter auaros, denique non rationem collatam fuisse hominibus propter malitiosos, rectum esse uideatur.
S’il fallait qu’il en fût ainsi, il paraîtrait juste de ne jamais montrer en public une jeune fille ou une femme maquillée, à cause des libertins, de ne faire aucune marque dorée ou argentée, à cause des cupides, de n’avoir enfin jamais rendu de comptes aux hommes à cause des jaloux.
Immo caeli ipsius pulcherrima species occasionem atrocissimo sceleri εἰδωλολατρείας praebuisse credatur, in qua admirati homines solem, lunam, sidera et horum motus et in hoc incredibilem ordinem atque constantiam et admirabiles quasdam effectiones, pro deis illa colere ac uenerari et simulacra effingere et fana consecrare coeperunt.
Au contraire, le splendide aspect du ciel a offert, croit-on, l’occasion de l’abominable crime de l’idolâtrie, dans laquelle les hommes, admirant le soleil, la lune, les astres et leurs mouvements avec leur agencement incroyable, leur permanence et leurs étonnantes conséquences, se mirent à les honorer et vénérer comme des divinités, à leur fabriquer des statues, à leur consacrer des temples.
Voluit etiam hoc Ouidius docere in illa epistola scripta Augusto Caesari, nihil esse quod non prodesse et laedere idem possit46.
C’est même ce qu’Ovide a voulu illustrer dans cette lettre écrite à Auguste, où il dit que rien n’existe qui ne soit en même temps utile et blessant.
Atque ibi uerissimam sententiam eleganti uersu pronuntiauit :
Et il a produit à ce titre une sentence très vraie en ce vers élégant :
Omnia peruersas possunt corrumpere mentes.
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« Lorsque l’âme est perverse, alors tout la corrompt ».
Quapropter de poetis quidem quasi uirus quoddam instillandum non est pueritiae.
Aussi, pour ce qui est des poètes, il ne faut pas instiller cette sorte de poison, pourrait-on dire, aux enfants.
Atque illa quae ueluti sauciare mentes et simplicitatem animi uitiare possent, ne recitanda quidem coram illis, nedum explicatione agitanda sunt.
Et tout ce qui est de nature à blesser leurs âmes et la naïveté de leur esprit, il ne faut pas même le réciter en leur présence, à plus forte raison leur consacrer le temps d’une explication.
Quod nos mouit, ut quaedam in Plauto, quorum emendatio fuisset in promptu, inducere maluerimus, quam in talibus ostentare eruditionem nostram.
C’est ce qui nous a incité, pour certains passages de Plaute dont la correction était toute prête, à préférer les cacher plutôt que de montrer en l’espèce une érudition ostentatoire.
Ab iis autem quae minus grauiter, quae scurriliter, quae improbe dicuntur, quibus cotidianae uitae et temporum uitia ac peccata notantur, nemo afficietur ullo detrimento, nisi qui eruere ultro, seseque damno ipse afficere uoluerit.
Pour ceux qui relèvent d’un niveau de langue moins sérieux, bouffon, impoli, qui dénotent la vie quotidienne, les vices du temps et le péché, personne ne manquera rien sauf ceux qui auraient voulu d’eux-mêmes se précipiter et causer un dommage à eux-mêmes.
Vbi quidem, quod ad pueritiam attinet, cui cupimus ad proprietatem linguae Latinae percipiendam proponi hunc auctorem, permultum situm erit in magistris et explicatoribus, qui si erunt prudentes et uiri boni, non modo a sensibus et cogitationibus puerorum omnem iniuriam propulsabunt commoditate interpretationis, sed illis etiam maximam utilitatem salutarium praeceptorum conciliabunt.
Mais même là, pour ce qui concerne les enfants, à qui nous souhaitons proposer cet auteur pour qu’ils perçoivent le sens propre des mots latins, il y aura beaucoup d’options pour les maîtres et les exégètes qui, à condition d’être avisés et hommes de bien, non seulement chasseront toute blessure des sens et des pensées des enfants par la mise à disposition de l’interprétation, mais aussi leur apporteront le très grand profit des préceptes salutaires qu’on y trouve.
Nam si qui sunt, qui se in iis locis quibus mentio sit flagitii alicuius, iactitant atque uolutant, ut porcus in caeno, quid cum his nobis rei aut negotii sit ?
Car si certains se délectent et se vautrent dans les passages où il est fait mention de quelque acte scandaleux, comme des porcs dans la fange, qu’avons-nous à faire avec eux ?
Qui ab institutione puerili et de scolis tanquam pestis mala et lues morum extorres agendi sunt.
Il faut les renvoyer des établissements et des écoles pour enfants comme une male peste et une maladie morale.
Ego quidem, fatebor enim uerum, non semel cogitaui animo meo, an opera haec propter euentus dubiam fortunam placere posset Deo et non aliena esse pofessione Christiana uideretur.
Moi-même d’ailleurs, pour dire la vérité, j’ai pesé maintes fois dans mon esprit la question de savoir si ce mien travail, à cause de l’incertitude de son issue, pouvait agréer à Dieu et s’il n’était pas étranger à la profession de chrétien.
Ac non pauca contra hoc in mentem mihi uenerunt.
Et beaucoup de contre-arguments me sont venus à l’esprit.
Sed ratio tamen uicit, neque impium hoc studium, neque rem indignam esse cupido pietatis et uirtutis.
Mais finalement la raison l’a emporté : ce travail n’est pas impie ni indigne de qui souhaite la piété et la vertu.
Quod si aliter uideretur, et contraria sententia probaretur nobis, abiiceremus potius haec studia θυμόφθορα et imbuentia animos flagitiorum aut scelerum quasi foetore et non augeremus prioris uitae delicta, neque peccata uetera nouis in dies accumularemus.
Si je pensais autrement et que je fusse de l’avis contraire, je préfèrerais renoncer à ce travail mortifère pour l’âme48 et qui teinte les esprits de scandale et de crime comme une infection et je n’ajouterais pas de délits à ce premier âge de la vie, je n’augmenterais pas de jour en jour le nombre des anciens péchés en en rajoutant de nouveaux.
Sed mihi cogitanti in mentem uenit, duo esse quae tradi hominibus uelit Deus, cognitionem sui et eruditionem uitae.
Mais quand j’y pense, il me vient à l’idée que Dieu a voulu que se transmettent deux choses aux hommes, la conscience de son existence et la culture.
Quorum alterum diuinum totum et humanam intelligentiam superans, ipsius proprium est opus, in quo ingenii acrimonia ac uis et grauitas, nihil loci habet ; et quibus illa contigit, ii gloriari uere possunt se adeptos esse id quod homini euenire atque tribui possit optimum et maximum ; sed haec est disciplina instaurans naturam nostram et cor atque intelligentiam reparans, denique nouum creans atque gignens hominem, quam rem philosophia penitus ignorat et omnis sapientia, omnisque doctrina in terris comprehendere nequit, de quo in praesentia nihil dicendum est.
La première des deux, entièrement divine et au-dessus de le l’intelligence humaine, est son œuvre propre, dans laquelle l’acuité, la force et la profondeur de l’esprit n’ont aucune place ; et ceux qu’elle touche peuvent vraiment se glorifier d’avoir acquis ce qui peut advenir à l’homme et lui être octroyé de meilleur et de plus grand ; mais cette discipline instaure une nouvelle nature, répare notre cœur et notre intelligence, enfin crée et engendre en nous un homme nouveau, chose que la philosophie ignore entièrement, que toute forme de sagesse ou de savoir terrestre ne peut appréhender, sujet sur lequel, pour l’heure, il ne faut rien dire.
Alterum uero, diuinum quidem donum et ipsum, collatum tamen et attributum mentibus hominum, sui quasi possessores illos habet et non modo quale sit intelligi captu humani ingenii, sed uiribus etiam huius elaborari potest.
La seconde, elle aussi, bien sûr, don de Dieu, mais conféré et attribué à l’esprit des hommes, fait d’eux en quelque sorte des possesseurs d’eux-mêmes et non seulement sa nature peut être comprise par la portée de l’intelligence humaine mais peut même être élaborée par ses forces.
Inseuit enim Deus animis nostris iudicium boni et mali et cupiditatem ac appetitionem illius, huius odium atque fugam.
Car Dieu a semé dans nos esprits le pouvoir de juger du bien et du mal avec le désir et l’appétit du premier, la haine et l’évitement du second.
In bonis autem hoc ponit uel solum, uel certe praecipuum ac maximum et singulare officium, decus, laudem, non falsae et inanis gloriae, sed uirtutis atque dignitatis.
Or chez les bons il le place comme seul, ou du moins comme principal, plus grand et singulier devoir, honneur, mérite non pas d’une fausse et vaine gloire mais de vertu et de dignité.
Ad haec igitur propria atque peculiaria bona, institui Deus humanum genus uult ac iubet, ut haec diuina ueluti stirps exculta suos fructus ferat, consiliorum et actionum ueritate et pulchritudine praestantium et Respublicae et priuatae cum constituuntur, tum conseruantur.
C’est donc pour acquérir ces biens propres et particuliers que Dieu veut et ordonne que les hommes soient éduqués, pour que cette sorte de souche divine, bien traitée, puisse porter ses fruits que sont les idées et les actions éminentes de vérité et de beauté, et que les choses publiques et privées se constituent et se conservent.
Haec est hominis excellentia et naturae illius, ut ita loquar, exaggeratio.
Telle est l’excellence humaine et l’élévation, si je puis dire, de sa nature.
His sublatis, multis bestiis humanum genus inferius reperietur.
Enlevons cela et on trouvera que le genre humain est inférieur à bien des espèces animales.
Atque horum ludus et palaestra quaedam sunt litterae et studia bonarum artium, quibus animi pueriles praeparantur et finguntur ad humanitatem et uirtutem et quasi ad conspectum bonorum suorum deducuntur, conuersa acie mentis ad contemplationem horum, ut quid in se insit quod ad hominum societatem et utilitatem generis sui proferri possit, quisque norit ac sciat.
Et leur arène et leur palestre, pour ainsi dire, ce sont les études littéraires et artistiques, par lesquelles les esprits des enfants sont entraînés et modelés à l’humanité et à la vertu et sont amenés à voir comme le spectacle de leurs biens en tournant leur regard mental vers cette contemplation, pour que chacun sache et connaisse les forces internes qu’il pourra mettre au service de la société humaine et de l’utilité de sa race.
Nam et hoc uetus uerbum subiicit atque iubet, quo praecipitur quisque sese ut nosse studeat49, bona quoque, et haec quidem in primis sua ut norit.
Car cette ancienne locution suggère et ordonne à chacun de s’occuper à se connaître soi-même, ainsi qu’à connaître les biens et surtout les siens propres.
Ad haeccine uero, inquiat aliquis, Plauti leuissima scripta momenti quippiam allatura esse uideantur ?
‘Mais pour ce faire, dira quelqu’un, y a-t-il quelque apparence que ces gaudrioles de Plaute puissent apporter leur lot ?’.
Hoc scilicet hic dicit, nihil conferre regiae domui cementa et calcem, neque paruis quoque rebus magna iuuari. Non ego enim nunc hoc disputabo, quod multi et de quo Horatius : sic enim ille scribens Augusto,
Ce qu’il veut dire, je suppose, c’est que le ciment et la chaux n’ont aucune utilité pour construire le palais et que les petites choses n’aident pas les grandes. Je n’en parlerai par pour l’instant, après beaucoup ; et à ce sujet, voir Horace ; car il écrit ceci à Auguste :
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Sed haec non petenda esse dicam de Plauto.
Mais, dirais-je,ce n’est pas ce qu’il faut attendre de Plaute.
Non huic decori custodiam, non discrimina personarum, non studium morum, non iocorum elegantiam et urbanitatem nunc tribuam, adimam etiam iudicium, quod exactius esse in una Terentiana fabula Erasmus pronuntiat, quam in Plautinis omnibus.51
Non, je n’attribuerais pas à son genre de beauté la surveillance, la distinction des personnages, la moralité, l’élégance des jeux de mots et leur côté spirituel, j’enlèverais même le jugement, dont Érasme dit qu’il est plus précis dans une seule pièce de Térence que dans toutes celles de Plaute.
Non enim de his iam agimus.
Car ce n’est pas ce cela que nous parlons.
Quid est igitur quod auctorem hunc commendare puerilibis studiis debere uideatur ?
Qu’est-ce donc qui semble devoir recommander cet auteur aux études des enfants ?
Paruum quiddam et admodum exile, quod de illius lectione ostendimus posse eis contingere, simplicis et proprii sermonis copiola quaedam.
Un point de détail, tout à fait menu, qui, nous l’avons montré, peut survenir quand ils le lisent : un petit stock de vocabulaire simple et authentique.
Hoc ego aio esse id quo instructi illi, egregiae honestatis et recti ac ueri munera exequi aliquando possint.
C’est là, dis-je, qu’ils peuvent s’instruire et en tirer parfois les dons qu’apportent l’exquise honnêteté, le juste et le vrai.
Hoc fortasse mirum alicui ex magnorum et honoratorum numero uideatur, tantillam curam puerilis aetatis, illa incrementa et excitare et perficere posse.
Voici qui pourrait paraître étrange à tel ou tel de nos grands couverts d’honneurs, qu’un si petit travail de l’enfance puisse susciter et parachever de si grands résultats.
Atque erit, ut opinor, qui uerum esse neget.
Et il y en aura, je pense, pour en nier la véracité.
Mihi autem non modo sic nunc esse hoc uerum libet52 , ut ait Terentius, sed ratio etiam uincit ac concludit.
Non seulement ce n’est pas un caprice de ma part que ce soit vrai, comme dit Térence, mais c’est la raison qui l’emporte et le prouve.
Nam constat, ad uirtutem et laudem uitae omnem, more et assuefactione perduci homines.
Car à l’évidence, c’est à la vertu et à une vie d’éloge que les hommes sont conduits par le caractère et par l’entraînement.
Ea enim quae actione tota continentur, agendo etiam obtineri et comparari solent.
Car ce qui est entièrement contenu dans l’action, c’est par l’action aussi qu’on l’acquiert et l’obtient.
Quid autem sine ueritate et constantia pulchrum atque praeclarum ?
Qu’y a-t-il de beau et d’illustre sans la vérité et la constance ?
Immo quid absque his non turpe atque uituperandum fuerit ?
Au contraire, qu’y a-t-il qui, sans elles, ne soit hideux et blâmable ?
Est et hoc manifestum, qui certa et exquisita et bona oratione utatur, in eo sententiam et cogitationem non esse uagam, neque futilem et leuem ; illa uero, ut dixi, certa, exquisita, bona oratio, proprietate et simplicitate et puro quasi fonte sermonis neglecto atque praeterito, acquirine unquam poterit ?
Il est également évident que celui qui use d’une langue choisie et de bon aloi a l’opinion et la pensée dirigées, utiles et graves ; mais cette langue (comme je l’ai dit) précise, choisie et de bon aloi, peut-on jamais l’acquérir si l’on néglige le sens propre, premier et authentique, cette source du langage, si l’on peut dire ?
Nemo hoc dicet, au suspicabitur.
Personne ne dira ni ne pensera cela.
Relinquitur igitur hoc quod cupimus probare, ad uirtutem et sapientiam, hoc studium sermonis proprii et certi, quamuis paruum atque minutum, tantum tamen conferre, quantum maximis et praeclarissimis quibusque effectionibus, ea sine quibus illae uel inchoatae, uel absolutae nunquam fuissent.
Reste donc ce que nous souhaitons prouver, que, pour acquérir vertu et sagesse, cette étude de la langue propre et précise, fût-elle de faible portée et pointue, apporte tout de même autant à toutes les réalisations immenses et illustres que les activités sans lesquelles ces dernières ne pourraient jamais être mises en œuvre ni achevées.
Nam quales ii sint etiam in excellentia ingenii et doctrinae abundantia, qui ista parua aut spreuerunt, aut assumere nequiuerunt, qui uolet consideret atque uideat, oculos intendens in omnem aetatem et populum.
Car la qualité de ceux qui, même pourvus d’une très bonne intelligence et d’une grande culture, ont soit méprisé ces petits détails, soit n’ont pas pu les prendre en compte, si on veut on peut l’examiner et la voir, en tendant les yeux vers chaque époque et chaque peuple.
Semper enim reperiet, cum aut errore et stultitia hominum, aut perturbatione et calamitate temporum, illa tenuitas et paruitas studii huius neglecta exclusaue fuisset, et rempublicam labefactatam et domesticam disciplinam peruersam esse, obortis uariis et multiplicibus nec non absurdis et inconsentaneis opinionibus, cum non magis diserta esset elocutio, cumque quasi confusis sonis, non intelligeretur ab uno id quod alter memoraret.
Car l’on découvrira alors que, dès que l’erreur et la sottise humaines ou le trouble et le malheur des temps ont fait négliger ou exclure comme peu important et sans intérêt ce genre d’études, l’état a été renversé et la discipline privée détournée par l’émergence d’opinions variées, hétérogènes, absurdes et contradictoires, dès que la manière de parler manquait d’éloquence, que la confusion des sons rendait inintelligible à l’un ce que l’autre essayait de faire savoir.
Atque ita etiam hoc tum usu uenit, ut quemadmodum Cicero in exordiis quibusdam huius erroris et neglectionis queritur, nihil sit loci pudori, probitati, uirtuti, rectis studiis, bonis artibus, utque tandem omnia pessumeant et confundantur.53
Et dans ce cas, alors, il se produit, comme Cicéron s’en plaint dans certains exordes où il fait grief de cette erreur et négligence, qu’il n’y a plus de place pour la réserve, l’honnêteté, la vertu, les saines occupations, les bonnes techniques, que tout enfin part à vau l’eau et dans la confusion.
Atque fit saepe, ut in quadam ueluti ueterno ignorantiae, cum uera pro falsis homines amplectantur, dubia pro certis, fluxa pro firmis, obscura pro manifestis, tum quasi sopitum malum non sentiatur ; ubi uero commoueri coepit, ibi tanquam Camarinae cuiusdam foeditas54 exagitatur et uitia illa conspicua fiunt, atque erumpentia plerumque et quasi curationi repugnantia in corpore humoribus malis referto, tumultuantur.
Et il arrive souvent que, dans cette sorte de somnolence de l’ignorance, les hommes d’une part prennent le vrai pour le faux, le douteux pour le certain, le flou pour le net, l’obscur pour l’évident, que d’autre part on ne se rende pas compte de ce mal comme endormi ; mais dès qu’il a commencé à bouger, alors s’exhale comme la puanteur de ce marais de Camarina, les vices deviennent patents, et, souvent éruptifs et rétifs au remède, dans un corps rempli d’humeurs mauvaises, ils pullulent.
Ita fit, ut respublicae tum grauissime concutiantur, cum innotescunt et aperiuntur errores ac peccata saeculi atque hominum.
Ainsi se produit que des états soient sérieusement ébranlés quand les erreurs se font connaître et voir avec les péchés du siècle et des hommes.
Quapropter si expetenda uirtus est et fugiendum uitium, non contemnantur neque parui fiant ea, quorum est quamuis exiguorum ea tamen uis, ut uirtutis iter patefaciant, et quae cum negliguntur aut denegantur, neque obtinentur, uitam55 ueluti sentes uitiorum obducere soleant.
Donc, s’il est vrai qu’il faut rechercher la vertu et fuir le vice, il ne faut pas mépriser ni amoindrir les éléments qui, même s’ils sont minces, sont capables d’ouvrir la voie à la vertu ; au contraire, quand on les néglige et dédaigne et qu’on ne les poursuit pas, les ronces du vice, pourrait-on dire, viennent ordinairement obstruer notre vie.
Quorum exempla euidentia suppeditant nostra etiam tempora, quibus cum diuinitus prolati et indicati fuissent errores multiplices, ea indignatio hominum fuit, ut non illis neque suae uel improbitati uel infelicitati succenserent, sed in reprehensionem et salutaria praecepta sese inferrent atque inueherentur.
Nous en avons des exemples évidents pour notre époque où, alors que des erreurs de tout type contre la religion se trouvaient proférées et indiquées, l’indignation fut non pas de se courroucer contre elles ou contre leur propre méchanceté ou leur malheur, mais de porter ses attaques et ses invectives contre des principes salutaires.
Facile enim passi fuere et pertulere
omnia homines, quousque abfuit aduersatio, uel affuit potius obsecundatio, et ut
Plautus ait, obsequela56 et est secundum
Platonem, νοσοῦντι πᾶν ἡδὺ τὸ μὴ ἀντιτεῖνον
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Car les hommes peuvent tout supporter et endurer tant qu’il n’y a pas d’opposition, ou, mieux, tant qu’il y a de la complaisance, et, comme dit Plaute, de l’obsequela, et il en va selon le mot de Platon, « quand on est malade, c’est tout miel quand rien ne s’oppose à vous ».
Reflante autem uento et exagitante iudicia opinionesque et sententias hominum, eam scimus exortam miseriam, cum qua conflictamur iamdudum, cuius utinam καταστροφὴ complectatur συμφορὰς ἀγαθάς.
Quand souffle un vent contraire qui agite en tout sens le jugement, l’opinion et les sentiments des gens, nous savons que c’est le début de cette misère contre laquelle nous luttons depuis longtemps et dont nous souhaitons que la catastrophe engendre des événements heureux58.
Sed euentum permittamus Deo : causa certe perturbationis uel commotae uel auctae, est inhumanitas et imperitia ac barbaria.
Mais laissons-en l’issue à Dieu : assurément la cause de la mise en branle ou de l’accroissement de la perturbation, c’est notre inhumanité, notre stupidité et notre barbarie.
De qua re neque dicemus, neque queremur in praesentia quidem amplius.
Sur ce sujet, nous n’en dirons pas plus et cesserons pour l’instant nos plaintes.
Me autem credo uel potius certo scio, si aliud quicquam est quod credam aut certo sciam59, ut noster inquit Sosia, credo ego, me et pio et non experte utilitatis studio, hanc operam nauasse institutioni puerili, quam Plautinarum fabularum castigationi impendi eamque, oro Deum, ut ad Christi potissimum gloriam adiungat, deinde et ad rerum humanarum compositionem atque prosperitatem accommodet, adductis sententiis et lingua hac in parte ad certam quandam rationem, in obseruatione et notatione proprietatis sermonis, de principiis simplicis et puri ac cotidiani usus illius.
Quant à moi, je crois, ou plutôt je suis sûr (autant qu’on peut croire ou être sûr) que, comme le dit notre cher Sosie, avec ce travail dévoué et non dénué d’intérêt, j’ai bien œuvré pour l’éducation des enfants en consacrant de l’énergie à l’édition critique du théâtre de Plaute et je prie Dieu de l’ajouter principalement à la gloire du Christ, puis de la faire servir à l’utilité et à la prospérité des affaires humaines par l’ajout de sentences et d’une langue qui participe d’une certaine analogie, dans l’observation et la connaissance des sens premiers, sur les principes d’un usage linguistique simple, pur et quotidien.
Vt enim meum quantulumcunque profectum in litterarum studio, ita omnium incoepta et conatus et diligentiam cupio et opto inseruire nomini Christi et dirigi ad celebrationem illius et illustrationem doctrinae Euangelicae.
Car tant pour le peu que je peux apporter à la culture littéraire, que pour les entreprises, efforts et zèle de chacun, je souhaite les voir servir le nom du Christ et prendre le chemin de sa célébration et de la mise en lumière de la doctrine évangélique.
Id autem quod nos praestitimus, aestimandum aliis relinquo.
Quant à ma part personnelle, je laisse à d’autres le soin d’en juger.
Meos autem labores et uigilias et qualemcunque industriam impensam huic studio ac operi, uobis dicandam putaui, illustrissimi principes60, Francisce Otho et Frideriche, illustrissimi et multiplici uirtutis laude celebris principis Ernesti Brunsuicensium ac Luneburgensium Ducis, filii quos ille ita curauit atque curat nostris litteris institui, ut de uestro profectu singularem uoluptatem capiat et gaudeat hanc etiam curam suam ab aliis animaduerti atque perspici, id quod ex eo facile intelligi potest, cum aliae sint multae et euidentes significationes, quod uoluerit specimen edi a uobis studii uestri, publicatis uersibus uestris et pietate plenis, neque expertibus eruditionis.
Quant au labeur de mes veilles et toute l’énergie que j’ai dépensée à ce travail et à cet ouvrage, j’ai pensé devoir vous le dédicacer, Princes très illustres, François-Othon et Frédéric, fils de l’illustrissime et célébré pour les mérites si variés de sa vertu, le Prince Ernest, Duc de Brunswick-Lunebourg, fils que ce père glorieux a tellement voulu et veut encore voir éduqués dans les lettres qu’il tire un plaisir rare de vos progrès et se réjouit de faire savoir et voir aux autres le soin qu’il a de vous, chose qui se laisse facilement concevoir du fait que, parmi beaucoup d’autres signes évidents, il a voulu que vous éditiez un exemplaire de vos travaux en faisant publier vos vers, pleins de piété et non dépourvus de culture.
Ego uero mihi etiam, quod fortasse miremini, partem quandam uendicare possum institutionis uestrae, qui optimum et doctissimum uirum praeceptorem uestrum Vilhelmum, aliquando mea quantulacunque doctrina instruxi, quem uobis obtigisse et uos iam laetari credo et futurum scio hoc magni aliquando ut beneficii uos diuinitus collati loco ducatis.
Mais moi aussi, ce qui peut-être vous étonnera, je peux revendiquer une part de votre éducation, dans la mesure où votre précepteur, l’excellent homme et très savant Guillaume, c’est moi qui autrefois lui ai appris le peu de savoir que j’avais ; je crois que vous vous réjouissez qu’il vous soit échu et je sais qu’un jour vous ferez grand cas de ces bienfaits que la providence divine a placés en vous.
Nam si maximo diligentiae summae studio quaereretur, non facile eruditior atque doctior, non autem ullus omnino magis idoneus aut fidelior magister reperiri potuisset.
Car même en cherchant avec le plus grand soin, le meilleur zèle, on n’aurait pas pu trouver un maître plus cultivé et savant, ni non plus personne de plus capable ou de plus fidèle.
Sed de hoc minus laudandi causa dicam, ne uobis scribens, ad ipsum hunc laudare uidear.
Mais je ne ferai pas davantage son éloge pour éviter, alors que c’est à vous que je fais cette épître, de paraître faire son éloge à lui.
Vobis autem ita hunc libellum fabularum Plautinarum mitto, ut hac in parte uoluntatem et cupiditatem meam incitandi currentes quoque, ut dicitur, ad amorem et cultum litterarum nostrarum, hanc igitur ut studeam communicari cum uestris fratribus et ipsis illustrissimis Principibus, nec non toto Musico coetu, quem apud uos congregat et tuetur atque custodit Vilhelmus meus.
C’est donc à vous que j’envoie ce recueil des pièces de Plaute comme un témoignage, ici, de ma volonté et de mon désir de stimuler aussi ceux qui courent, comme on dit, vers l’amour et le culte de nos belles-lettres, donc dans l’idée de les faire partager aussi à vos frères, eux aussi princes très illustres, et également à tout le cortège des Muses qu’amène chez vous, protège et surveille mon cher Guillaume.
Quid autem huius cura et attentio in has uobis explicando, et in his demonstrando ea quae tanti facienda esse, et illa bona quasi conserere, de quibus integritas quaedam uirtutis ac laudis postea enascatur atque existat, nos censemus, in his igitur quid in enarratione huius libelli, prudentia et eruditio Vilhelmi uestri, immo nostri, utilitatis allatura uobis sit, res declarabit.
Le soin et l’attention qu’il portera à ces pièces, lorsqu’il vous les expliquera et montrera ce que je pense qu’il faut y valoriser et qui est comme une semence de ces avantages desquels pourront pousser et se développer à terme une certaine pureté de vertu et de mérite, ce que donc la prudence et l’érudition de votre, ou plutôt de notre cher Guillaume pourra vous apporter d’utile, la suite le prouvera.
Meam autem hanc existimationem de uobis et praedicationem etiam studiorum nostrorum, peto ut gratam uobis esse patiamini et hanc quasi compellationem, uel erga uos cupiditatis, uel in Vilhelmum amoris caussa, boni aequique faciatis.
Quant à mes sentiments à votre endroit et la promotion de nos chères études, je vous prie de bien vouloir les agréer, ainsi que cette sorte d’apostrophe que je vous fais, soit pour la considération que j’ai pour vous, soit pour notre affection commune pour Guillaume.
Quod si qua forte in parte aut re uestra honestissima studia a mea tenuitate adiuuari posse uideantur, in eo peto ut uobis persuadeatis, nihil me neque prompti atque parati animi, neque singularis studii, neque maximae diligentiae, ut uobis gratificer, praetermissurum esse.
Et si l’on vient à penser que, pour partie ou en réalité, je peux avec mes faibles moyens contribuer à vos belles études, je veux que vous soyez persuadés que je n’épargnerai rien de mon esprit entièrement disposé et dévoué, ni de mon soin extrême, ni de mon zèle le plus grand pour vous en rendre grâces.
Christo Iesu seruatori nostro uitam, fortunas, studiaque uestra commendo, qui uos uniuersos, Illustrissimam Illustrissimi parentis sobolem, protegat ac conseruet, ad gloriam nominis sui et incrementa ecclesiae Christi et Reipublicae salutem.
Je confie votre vie, votre fortune et vos études au Christ Sauveur pour que, tous tant que vous êtes, rejetons illustres d’un illustre père, il vous protège et préserve pour la gloire de son nom, l’accroissement de l’église chrétienne et le salut de notre état.
Lipsiae, III. Id. Quintilis
Leipzig, 13 juillet.