Bernardus Iuncta Lectori Sal
Bernardus Iunta

Présentation du paratexte

L'épître de Bernardus Junta au lecteur recommande l'édition de Rataller se concentre d'abord sur la recommandation de l'ouvrage (§1-8) avant de louer l'art de Sophocle (§9-12). Junta termine sur des considérations philologiques et sur une ultime recommandation (§13-19).

Traduction : Christian NICOLAS

Bernardus Iuncta Lectori Sal.

Bernardus Iuncta au lecteur, salut.

Cum in auctoribus graecis, Humanissime lector, qui olim ex officina nostra prodierunt, hoc nobis propositum maxime fuisset, ut quam emendatissimi exirent, in tragoediis Sophoclis, quas eo tempore una cum scholiis excusimus, ita nos studiose et sollicite gessimus: ut putaremus in ea editione, totius laboris et diligentiae, quam in caeteris auctoribus adhibebamus, iudicium subituros.

Alors que, pour les auteurs grecs, très érudit lecteur, qui sont sortis naguère de nos presses, notre but principal était de les faire paraître le plus propres possible, pour les tragédies de Sophocle, qu’à cette époque nous avons éditées avec leurs scolies, nous avons travaillé avec tant d’application que, à notre avis, dans cette édition, nous pourrions supporter d’être jugés sur l’intégralité de notre travail et notre zèle, identique à ceux des autres éditions.

Itaque non contenti eum librum a multis nec minimis mendis perpurgasse, dedimus etiam operam, ut auctiorem aliquanto quam antea fuerat, emitteremus, declarationesque non paucas addidimus, quas ex antiquis codicibus erutas, docti et perdiligentes uiri nobis benigne communicarant et omnino eum multis partibus meliorem nobis reddidisse uisi sumus.

Aussi, loin de nous contenter de débarrasser ce livre de nombreuses fautes assez graves, nous avons aussi pris soin de faire un tirage quelque peu augmenté, nous avons ajouté un certain nombre d'éclaircissements1 tirés de vieux manuscrits et que des savants très consciencieux nous ont obligeamment communiqués et il nous a semblé que nous l’avions amélioré à beaucoup d’égards.

Tulimus itaque statim diligentiae nostrae non mediocrem fructum ; nam et consilium nostrum praeclare eruditis probari audiebamus et libros ipsos cupidissime a studiosis arripi uidebamus, ut breui, ex magna illorum librorum copia, perpauci reliqui nobis forent.

Aussi avons-nous aussitôt tiré un bon profit de notre travail ; car d'une part nous entendions dire du bien de notre projet par les érudits, d’autre part nous voyions les spécialistes s’arracher avidement ces livres au point que, en peu de temps, du grand nombre d’exemplaires au début, il ne nous en reste que très peu.

Sed cum saepius studiosi graecarum litterarum eum a nobis repeterent, atque in dies impensius efflagitarent coacti tandem sumus, eorum desideriis satisfacere.

Mais comme les spécialistes du grec ne cessaient de nous le réclamer et même de nous harceler chaque jour, nous fûmes contraints de satisfaire à leur attente.

Itaque eundem auctorem iterum diuulgamus: multis etiam nunc scholiis auctum et locupletatum.

C’est pourquoi nous rééditons ce même auteur, augmenté et enrichi de nombreuses scolies.

Iisdem enim codicibus adhibitis, et diligentius pertractatis, multa quae tunc nos fugerant, animaduertimus et nonnulla loca, quae temporum iniuria corrupta aut etiam hominum incuria deprauata fuerant, ad pristinam integritatem reuocauimus.

Car en utilisant les mêmes manuscrits, mais traités avec plus d’application, nous avons noté bien des points qui nous avaient échappé la première fois, et des passages, corrompus par l’injure du temps ou abîmés aussi par l’incurie des hommes, nous les avons rendus à leur authentique intégrité.

Cum uero in hoc negotio imprimendorum librorum: hoc semper nobis spectandum esse duxerimus ut non solum gloriae, siqua hoc artificio comparari potest, aut etiam utilitatibus nostris: uerum etiam multo magis commodis studiosorum inseruiremus atque propterea summam in eo munere industriam atque fidem adhibuerimus ; id certe nunc in Sophocle excudendo multo maxime praestitimus.

Et vu que, dans le travail d’impression de livres, nous avons toujours pensé qu’il fallait veiller non seulement à servir notre gloire (s’il y en a du moins à récolter avec cette activité), mais aussi nos profits et aussi et surtout l’intérêt des spécialistes et, pour ce faire, à mettre à la tâche l’énergie et la loyauté la plus grande ; c’est ce que nous avons fait du mieux possible dans l’impression de Sophocle.

Nam praeter quam quod in ea re officii nostri existimationem agi putauimus, illam etiam haud paulo iustiorem causam habuimus eximium amorem, quo semper in hunc candidissimum auctorem flagrauimus, ut in eo purgando, omnem nostram operam, non modo quadam cum utilitate, sed multa etiam cum uoluptate, positam putauerimus.

Car outre le fait que dans cette affaire nous avons pensé que se jouait la réputation de notre entreprise, nous avons aussi eu cette raison encore plus légitime : la passion dont nous avons toujours brûlé pour cet auteur si limpide, en sorte qu’à le corriger nous avons mis tout notre zèle non seulement utilement mais aussi agréablement, à notre avis.

Hic enim is est, qui cum grauitate sententiarum et admirabili quodam orationis sono, tum maxime exquisita coagmentatione rerum fabulaeque structura ita praecipuus est, ut parem non habeat.

Car il est, avec la gravité de ses pensées et la manière admirable dont sonne son discours, avec surtout l’assemblage exquis des événements et la structure de la pièce, à ce point le premier qu’il est sans égal.

Et licet non desint, qui Euripidem sapientiorem arbitrentur eumque scenicum philosophum2 appellent, hic tamen primas omnium eruditorum consensu in grandi hoc poemate consequutus est, et prope Sophoclaeus cothurnus in prouerbium abiit.

Et même s’il y en a qui jugent Euripide plus sage et l’appellent le philosophe de la scène, c’est pourtant Sophocle, selon l’opinion unanime de tous les érudits, qui a obtenu la palme dans cette pièce sublime et le cothurne de Sophocle est devenu quasi-proverbial.

Hic (inquam) est, quem Diuinum poetam 3 Cicero, Dii immortales Delicias suas 4 appellauerunt.

C’est lui, dis-je, que Cicéron appelle le divin poète, les dieux immortels leur favori.

Quod si Lacedaemonius Lysander rem longe gratissimam Diis fecisse putatus est, qui cum plenus irarum, Athenas infesto exercitu tunc obsideret, cum politissimus hic Musarum alumnus, excessit e uita, tamen Liberi Patris rogatu, pacem clarissimo funeri dedit quanto sane ampliora praemia eos consequi uerisimile est qui non cadauer eius humare, sed scripta potius, ueras illius diuini animi reliquias ab interitu uendicare, et totis uiribus illustrare pergunt?

Et si le Lacédémonien Lysandre est supposé avoir fait une chose très agréable aux dieux, lui qui, alors que, plein de haine, il assiégeait Athènes avec son armée ennemie au moment où ce parfait nourrisson des Muses mourut, autorisa pourtant, sur ordre de Bacchus, ces funérailles en grande pompe, combien plus grandes sont les récompenses que reçoivent vraisemblablement ceux qui, au lieu d’enterrer son cadavre, sauvent au contraire de la ruine ses œuvres, reliques authentiques de son esprit divin et contribuent de toutes leurs forces à les rendre illustres ?

Nonne fatendum est, eos sibi laudem ingentem hoc suo studio reperisse, et illis ipsis rem multo iucundiorem hominibus etiam utiliorem effecisse?

Ne faut-il pas reconnaître qu’ils se sont octroyé une gloire immense par leur travail et ont fait pour eux-mêmes une tâche agréable et pour les lecteurs utile ?

Sed ut haec nunc omittamus, quae non sunt temporis tam augusti, illud te studiose Lector admonemus, in utroque Oedipo et in Trachiniis, quaedam a nobis immutata esse multaque ad fidem uetustorum codicum restituta.

Mais pour ne pas s’éterniser sur des faits qui ne relèvent pas d’une époque aussi faste, nous te prévenons, érudit lecteur, que dans les deux Œdipe et dans Les Trachiniennes nous avons procédé à certains changements et que beaucoup de passages ont été restitués sur la foi de vieux manuscrits.

Habuimus enim mirae uetustatis et fidei exemplaria ex quibus et haec ipsa et declarationes quae ibidem additae sunt, hausimus.

Car nous avons eu en main des témoins d’une ancienneté et authenticité exemplaires, d’où nous avons tiré le texte même et les énoncés ajoutés ici-même.

Quae quidem a Docti uiri, et adiuuandi ueteres auctores mirifice cupidi, sedulitate profecta sunt.

Tout cela procède de l’assiduité d’un homme savant et au plus haut point désireux de sauver les auteurs anciens.

Quod si in caeteris, idem nobis per eius occupationes licuisset, profecto non ueremur affirmare nobilissimum poetam perfecte pleneque suo nitori restituisse.

Si pour le reste nous avions eu même possibilité au milieu de ses occupations, je n’ai certes pas peur de dire qu’il a rendu parfaitement et pleinement à ce très noble poète sa splendeur.

Quod tamen aliquando, Deo iuuante, nos praestaturos putamus.

Mais nous pensons qu’avec l’aide de Dieu nous y arriverons aussi un jour.

Valete, atque interim de his laboribus, quod uos pro uestra humanitate facturos confidimus, nos amate.

Adieu et au milieu de ces travaux -nous savons de confiance que vous le ferez, dans votre générosité-, aimez-nous.

VI. IDIBVS Nouemb. M. D. XLVII.

8 novembre 1547.


1. Declarationes semble désigner plutôt des "éclaircissements" que des "déclarations". Cf. Ae1557_Victorius_p1, §31.
2. La référence demeure introuvable.
3. Cic., Div. 1.54.
4. Plin., Nat. 7.109.. Sophoclem tragici cothurni principem defunctum sepelire Liber pater iussit, obsidentibus moenia Lacedaemoniis, Lysandro eorum rege in quiete saepius admonito ut pateretur humari delicias suas.