De Genere Scripti.
Ioachimus Camerarius

Présentation du paratexte

Joachim Camerarius revient ici (§1-49) sur la métrique tragiques, les différentes parties de la tragédie, la naissance et la définition du genre. La deuxième partie du texte (§41-59) est consacrée à l’évocation des trois poètes tragiques et mêle comparaison entre les auteurs et éléments biographiques.

La première partie du texte est largement inspirée du De Tragico Carmine et illius praecipuis authoribus apud Graecos (§1-34) de 1534, avec cependant des modifications et des ajouts substanciels. Les paragraphes 41-53 sont repris sans changement depuis ce même paratexte et le De auctoribus Tragoediae et se retouveront en 1584 dans le De auctoribus Tragoediae.

Bibliographie : Traduction : Diandra CRISTACHEChristian NICOLAS

De Genere Scripti.

Sur le genre du texte.

Poema esse traogediam, nemo ignorat de cuius quidem compositione, non putauimus hoc loco differendum esse.

Personne n’ignore que la tragédie est un genre poétique ; quant à sa composition, certes, nous n’avons pas estimé qu’il fallait ici imposer un délai.

Rationem autem carminis attigit paucis Horatius, ostendens iambicum esse trimetrum, quod imparibus locis tamen spondaeos et alios aequales pedes recipiat. Reprehenditque latinos scriptores, qui non studuerint hac etiam in parte imitari Graecos ; de quo quidem, ut mihi uidetur, quaeri admodum posset, conandumne fuerit ut hanc subtilitatem quandam graecae linguae exprimere uellent, in sua multo grandiore, et quasi elatiore. 1

Or Horace a touché à sa métrique en quelques mots, faisant comprendre qu’il s’agit du trimètre iambique, quoiqu’il reçoive cependant aux endroits impairs des spondées et d’autres pieds semblables. Et il critique les auteurs latins, qui ne se soucièrent pas d’imiter les Grecs même de ce côté-là ; à propos de quoi, me semble-t-il, on pourrait tout à fait se demander s'il aurait vraiment fallu qu'ils tentent de vouloir rendre cette finesse particulière de la langue grecque dans la leur, qui est beaucoup plus sublime et d'une certaine façon plus élevée.

Nam si licet de Senecae tragoediis coniecturam eius rei facere, satis apparere existimo, istam curam uersuum, atque etiam ipsam rotunditatem Graecae linguae, cum in uerbis tum sententiis, Latinam parum decere ; esseque magis quodammodo hanc uirilem, quam quae admittere uelit quandam ueluti comptus exquisitioris uenustatem.

En effet, s’il est possible de faire une conjecture à ce propos sur les tragédies de Sénèque, j’estime que cela se montre de manière assez claire, que ce soin des vers et aussi cette rondeur de la langue grecque, autant dans les mots que dans les phrases, conviennent très peu à la langue latine et que celle-ci est trop virile pour pouvoir supporter cette sorte de chic qu'apporte une coiffure apprêtée.

Sed de his nostrum fortasse iudicium nimis audax fuerit, ut adhuc quidem suspendendum esse uideatur.

Mais à ce propos notre jugement pourrait bien être plus audacieux qu’il ne le faut, si bien qu’il semble falloir le laisser ici en suspens.

Redeamus igitur ad propositum.

Revenons donc à notre sujet.

Tragicum est carmen iambicum genere, forma τρίμετρον, non quod nullum aliud in his usurparint, sed quia trimetris frequentissime usi sint poetae tragici.

La tragédie est une poésie de genre iambique, de type trimétrique, non que les poètes n’aient pratiqué aucun autre mètre dans leurs tragédies, mais parce que les poètes tragiques ont utilisé le plus souvent le trimètre dans leurs poèmes.

Nam et χορικὰ horum sunt μέλη, et τροχαικαὶ ῥήσεις saepe inferuntur.

En effet, non seulement leurs parties chorales sont des chants, mais ils introduisent souvent des tirades trochaïques.

Est autem actionis et imitationis, id est, δραματικὸν et μιμητικὸν hoc genus totum, ut ea quae referuntur et nuntiantur (aut enim agitur, secundum Horatium, res in scenis, aut acta refertur 2 ) in personas sparsa sint.

Ce genre tout entier relève de l’action et de l’imitation, c’est-à-dire est « dramatique » ou « mimétique », à savoir que ce qui est rapporté et annoncé ("tantôt l'action se passe sur la scène", selon Horace, "tantôt elle fait l'objet d'un récit") est réparti parmi les personnages.

Sed tragoediam antiquissimum carminis genus, a praemio quod poetae daretur (hircum aiunt fuisse, ut tum, non contemnendum) nomen habere perhibent.

Mais la tragédie est le plus ancien genre poétique ; elle tire son nom, à ce qu’on dit, de la récompense donnée au poète (on dit que c’était un bouc, cadeau appréciable à l’époque).

Cuius inuentum Thespidi adscribitur.

Et l’invention du genre est attribuée à Thespis.3

Nam quod aliqui ad uetustiorem multo Epigenem retulerunt, non reperit assensores.

Car l’opinion de certains de remonter à un plus ancien Epigénès4 n’a pas rencontré l’adhésion.

Hic primum oblito ore histrionum minio, et mox lineis personis uelato, fabulas, ut Horatius ait, plaustris uexit 5.

Thespis le premier, le visage enduit du rouge des histrions, puis dissimulé derrière des masques de lin, a transporté le théâtre, comme dit Horace, sur des chariots.

De minio autem et Catullus tradidit his uersibus :

Sur le rouge, Catulle aussi a dit quelque chose dans ces vers :

Agricola et minio suffusus Bacche rubenti Primus inexperta duxit ab urbe choros. 6

« Et le paysan, enduit, Bacchus, d’une lie rouge vermillon, le premier mena des chœurs depuis la ville qui n’avait jamais vu ça »

His enim ludis Bacchum celebrarunt ; itaque ad honorem deorum originem fabularum accommodant et postea excultis moribus festis semper diebus actae fuerunt, ut Graecae (de quibus loquimur) ληναίοις, διονυσίοις, χύτροις, παναθηναίοις.

Car dans ces jeux ils célébraient Bacchus ; c’est pourquoi, en l’honneur des dieux ils accommodent l’origine des mythes puis, après avoir poli leurs mœurs, ils donnèrent toujours leurs pièces à dates festives fixes, ainsi en Grèce (celles dont nous parlons) aux Lénéennes, Dionysies, Fête des Marmites, Panathénées.

Thespidem secutus Phrynichus, primus putatur mulieres introduxisse, et aliis multis modis excoluisse hoc genus poematum.

Après Thespis, Phrynicos, pense-t-on, fut le premier à mettre en scène des personnages féminins et à améliorer ce genre littéraire de multiples façons.

Plato tragoediam Homero propriam, Epicharmo comoediam7 attribuit.

Platon attribue en propre à Homère la tragédie, la comédie à Épicharme.

Alii ex Homericis carminibus utriusque faciendae occasionem datam auctoribus uolunt, ut fuerit Vlyssaea quasi fons comoediae, tragoediae Ilias.

D’autres disent que les poèmes homériques ont donné aux auteurs l’occasion de faire de l’une et de l’autre, avec L’Odyssée comme source de la comédie, L’Iliade de la tragédie.

Aliis placet utramque tragoediae scriptores excitasse, comoediae uero aliud quoddam scriptum Homericum, cui nomen esset Margitae, compositum iambicis uersibus. 8

Mais d’autres sont d’avis que les deux textes ont inspiré les auteurs tragiques alors que la comédie a pour source un autre texte homérique intitulé Margitès et composé en iambes.

Aeschylum etiam ferunt dicere solitum, sua scripta esse μικρά τινὰ τεμμάχια τῶν μεγάλων Ὁμήρου δείπνων, quod significat particulas de magnis coenis Homeri9.

Eschyle aussi avait coutume de dire, raconte-t-on, que ses œuvres étaient μικρά τινὰ τεμμάχια τῶν μεγάλων Ὁμήρου δείπνων, c’est-à-dire « des miettes des grands festins d’Homère ».

Inditum autem esse huic ab hirco poetae praemio nomen, ipsum quoque uocabulum ostendit.

Que son nom procède de celui du bouc, récompense du poète, le mot lui-même le montre.

Quod enim Horatium aliqui docere uolunt, et Athenaeus scripsit τραγῳδίαν esse quasi τρυγῳδίαν10, quam canerent agerentque peruncti faecibus ora, non uerum arbitror, cum et comoediam τρυγωδίαν11 dici inueniam, et τρυγικοὶς χόροις12 de antiqua comoedia.

Car la doctrine que certains prêtent à Horace et le fait qu’Athénée a écrit que tragoedia venait de trygoedia, parce qu’ils la chantaient et jouaient le visage enduit de lie, n’est pas vrai, selon moi, puisque je lis que la comédie est dite τρυγωδία et l’expression τρυγικοὶς χόροις pour l’Ancienne Comédie.

Sed hanc definiunt, repraesentationem rerum magnarum et horribilium, ac incredibilium.

Mais on la définit comme une « représentation de grandes choses, horribles et incroyables ».

Alii breuiter, comprehensionem fortunae heroicae.

D’autres, brièvement, parlent de « condensé de fortune héroïque ».

Alii prolixius, imitationem rerum grauium et ingentium, quarum exitus grata oratione explicentur, ita ut singulae partes conuenientem habeant actionem, desinentibus uniuersis in misericordiam et terrores. 13 >

D’autres, plus longuement, la définissent comme « représentation de choses graves et grandes, dont les dénouements se déroulent par un discours agréable, en sorte que chaque partie a son action spécifique, tout finissant en pitié et en terreur ».

Argumenta autem tragoediarum quae quasi materia sunt, non modo a ueritate, sed etiam similitudine ueri abhorrent.

Or les arguments des tragédies, qui en sont comme le matériau, sont incompatibles avec la vérité ou même la vraisemblance.

Caeterum omnium fabularum sex fere partes tradidere : argumentum, personas, elocutionem, sententiam, repraesentationem, modos.

Par ailleurs toutes les pièces passent pour avoir absolument six composantes : l’argument, les personnages, le discours, la pensée, l’action, les mètres.

Quae sunt Graece μῦθος, ἤθη, λέξις, διάνοια, ὄψις, μελοποιΐα.14

C’est-à-dire en grec μῦθος, ἤθη, λέξις, διάνοια, ὄψις, μελοποίια.

Tragoedias autem proprie absoluunt prologo, exodo, episodio, choro.

Les tragédies sont proprement constituées de prologue, exodos, épisode, chœur.

Quae lubet nunc sic, contra atque aliquos fecisse scio, exponere, ut prologus sit incipientis fabulam personae locutio. Exodus histrionum post choris carmina. Episodium quicquid inseritur non flagitante argumento.Arstt., Poet. 1452b14. 15

Ces notions, je souhaite maintenant (au contraire de ce que je sais que d’autres ont fait) définir, à savoir le prologue comme le discours du personnage qui commence la pièce, l’exodos le chant des acteurs après les chœurs, l’épisode tout ce qui prend place sans que l’argument le réclame.

Chorus autem, carmen inter actus solebat accinere.

Quant au chœur, il chantait d’ordinaire entre les actes.

Non fuerit, ut opinor, ineptum, tragoedias docendi causa etiam in eas partes distinguere, in quas comoediae solent.

Il ne serait pas vain, je pense, pour enseigner des tragédies, de les subdiviser ainsi qu’on subdivise habituellement les comédies.

Eae sunt, πρότασις, seu ἐσβολὴ, ἐπίτασις, καταστροφὴ : initium, incrementum, finis. 16

Ces subdivisions sont la protase, ou l’entrée en matière, l’épitase et la catastrophe : le début, le développement, la fin.

Non ignoro, auctorem libri de Poetica, qui Aristoteli inscribitur, duas partes quoque tragoediae facere, δέσιν et λύσιν, quae uidentur communes esse inuentionum omnium. 17

Je n’ignore pas que l’auteur du livre La Poétique, prêté à Aristote, subdivise la tragédie en deux parties, nœud et dénouement, qui semblent communes à tous types de fictions.

Cum autem hoc genus expositionis contineat res singulares, et minime cotidianas, ideo requirit et orationis granditatem, ac quasi tumorem.

Or comme ce type d’exposition contient des événements singuliers et très peu quotidiens, il requiert du grand style et presque de l’emphase.

Vnde quemadmodum de atrocibus casibus, ita et de uerborum elatione prouerbium usurparunt, ut dicerent, tragicum exitum, aut dictum, hoc est, πάθος ἢ λόγον.

C’est pourquoi, tant pour les événements atroces que pour les paroles de récit, elles tournent en proverbe, au point qu’on parle d’issue ou de parole tragique, c’est-à-dire πάθος ou λόγος (passion ou langage).

Et Luciano ξυμφορὰ τραγῳδικὴ 18 , summa calamitatum, ita enim mutauit hoc Euripideum ξυμφορὰ θεήλατος 19 et, tragice loqui 20 . Hoc laudem alicubi habet ut, Sola Sophocleo tui carmina digna cothurno 21 . Quod ad tragoedias forte factas ab Octauiano referendum.

Et chez Lucien c’est le « malheur tragique », la pire des calamités. Car c’est ainsi qu’il a adapté « le malheur envoyé par les dieux » d’Euripide et l’expression « parler tragique » . Et c’est ici ou là un compliment, comme dans « seuls tes vers méritent le cothurne de Sophocle », en référence à des tragédies faites peut-être par Octavien.

Erat autem cothurnus calciamentum tragoedorum, ut comoedorum soccus, quae pro poematis etiam ponuntur Horatio : Hunc socci caepere pedem, grandesque cothurni. 22

Le cothurne, quant à lui, était la chaussure des acteurs tragiques comme le socque celle des acteurs comiques qui sont employés par Horace pour désigner les poèmes : « Les socques empruntèrent ce pied ainsi que les immenses cothurnes ».

Sed cothurnus cum ad utrunque et pedem et sexum quadraret, locum dedit prouerbio, ut ipsius appellatione notarentur uersuti, et ueteratores, atque ita dictum Theramenem unum triginta Tyrannorum Atheniensium accepimus.23

Mais comme le cothurne allait aux deux pieds et aux deux sexes, il donna lieu au proverbe qui consiste à appeler ainsi les malins et les vieux routiers et ainsi appelait-on Théramène, l’un des trente tyrans d’Athènes, dit-on.

Apud Platonem uero Socrates ait, said 24 , significans se minus usitatis uerbis uti, et quasi figurate loqui.

Mais chez Platon, Socrate dit « prendre le risque de parler tragiquement » , signifiant par là qu’il utilisait des termes rares et presque de façon figurée.

Atque hactenus de generis huius poematum appellatione, inuento, natura disseruisse, quasi praefantes nostris commentariolis, sufficiat. Auctores autem fuere tragoediae tres eximii : Aeschylus, Sophocles, Euripides.

Mais sur le nom de ce genre poétique, son invention, sa nature, qu’il nous suffise de nous arrêter là dans cette sorte de préface à nos modestes commentaires. Quant aux auteurs tragiques, il y en eut trois excellents, Eschyle, Sophocle, Euripide.

Aeschylus horum antiquissimus, iussus per quietem a Baccho tragoedias componere, ut aiunt, scenam personarum uarietate et decore instruxit. Ipse non poeta solum bonus, sed bellator etiam fuit, fortitudinis laudem Marathonio praelio adeptus.

Eschyle, le plus ancien d’entre eux, ayant reçu de Bacchus dans son sommeil l’ordre de faire des tragédies, dit-on, équipa la scène de plus de personnages et de décor. Lui-même n’était pas seulement un bon poète mais aussi un soldat courageux, qui se couvrit de gloire à la bataille de Marathon.

Huic aetate inferiores Sophocles et Euripides, elegantiora poemata fecerunt, referentes in scenam pleraque Aeschyli perpolita, et tanquam correcta, cum illius fabulae decreto ciuitatis agendae essent.

Plus jeunes que lui, Sophocle et Euripide firent des pièces plus élégantes, traitant à nouveau sur scène plusieurs sujets qu’Eschyle avait élaborés, et les améliorant puisqu’on fit jouer les pièces de Sophocle par un décret de la cité.

Vnde gloriatur apud Aristophanem, non interiisse secum poesin, quemadmodum cum Euripide. 25

Aussi se glorifie-t-il chez Aristophane que sa poésie n’ait pas péri avec lui, au contraire du cas d’Euripide.

Faciunt autem Sophoclem natu minorem Aeschylo annis nouem, uigintiquator Euripidem.

On considère Sophocle plus jeune qu’Eschyle de vingt ans, Euripide de vingt-quatre.

Quorum ille grauior simpliciorque putatur, hic uersutior et disertior.26

Sophocle est, dans l'opinion, plus grave et plus simple, Euripide plus ingénieux et plus bavard.

Atque ad hunc modum Aristophanes illos ἐχαρακτήρισε.

Et c’est ainsi qu’Aristophane les a caractérisés.

Aeschylus collapsis inter ludos, quibus fabulam dedisset, spectaculis, Athenas deseruit, et in Sicilia paulo post mortuus est, ictus testudine, cuius tale fertur epitaphium :

Eschyle, alors qu’au milieu des jeux les gradins du théâtre dans lequel il avait représenté sa pièce s’étaient effondrés , quitta Athènes et mourut en Sicile peu de temps après, frappé par une tortue, ce que rapporte son épitaphe.

Αἰσχύλον Ἐυφορίωνος ἀθηναῖον τόδε κεύθει μνῆμα καταφθίμενον πυροφόροιο Γέλα. ἀλκὴν δʹἐυδόκιμον Μαραθώνιον ἄλσος ἂν εἴπῃ, καὶ βαθυχαιτήεις Μῆδος ἐπιστάμενος 27

« Eschyle fils d’Euphorion, Athénien, repose dans ce tombeau ; il s’est éteint dans la féconde Géla. Sa force glorieuse, le bois de Marathon pourrait en parler ainsi que le Mède aux longs cheveux, en connaissance de cause. »

Euripides et rhetores et philosophos, inque primis Anaxagoras audiuerat, cuius casu etiam territum, putant philosophica studia hunc reliquisse.

Euripide avait été auditeur de rhéteurs et de philosophes, particulièrement d’Anaxagore, dont la mort l’avait terrifié et incité à abandonner la philosophie.

Sunt igitur in hoc omnia argutiora, et pleraque sententiae philosophicae, ut Cicero quoque testatur exponens hanc e Theseo :

Il y a donc chez lui toutes sortes d’arguties et de très nombreuses maximes philosophiques, comme Cicéron aussi l’atteste en citant ces paroles du Thésée :

Ἐγὼ δὲ τοῦτο παρὰ σοφοῦ τινὸς μαθὼν, εἰς φροντίδας νοῦν συμφοράς τʹἐβαλλόμην, φυγάς τʹἐμαυτῷ προστιθεὶς πάτρης ἑμῆς, θανάτους τʹἀωρους, καὶ κακῶν ἄλλας ὁδοὺς ὡς εἴ τι πάσχοιμʹὧν ἐδόξαζόν ποτε, μή μοι νεαρὸν προσπεσὸν μᾶλλον δάκοι. 28

Ἐγὼ δὲ τοῦτο παρὰ σοφοῦ τινὸς μαθὼν, εἰς φροντίδας νοῦν συμφοράς τʹἐβαλλόμην, φυγάς τʹἐμαυτῷ προστιθεὶς πάτρης ἑμῆς, θανάτους τʹἀωρους, καὶ κακῶν ἄλλας ὁδοὺς ὡς εἴ τι πάσχοιμʹὧν ἐδόξαζόν ποτε, μή μοι νεαρὸν προσπεσὸν μᾶλλον δάκοι.

Nam qui haec audita a docto meminissem uiro, Futuras mecum commentabar miserias, Aut mortem acerbam, aut exilii moestam fugam, Aut semper aliquam molem meditabar mali : Vt si qua inuecta diritas casu foret, Ne me imparatum cura laceraret repens. 29

« Car depuis que j'ai appris cette leçon de sages lèvres, j'ai médité dans mon cœur les maux à venir : à la mort prématurée, à la fuite maussade de l'exil, ou à tout autre poids du malheur j'ai réfléchi à chaque instant, afin que si un hasard redoutable devait apporter la calamité, aucun souci soudain ne me prenne au dépourvu. ».

Huic in libro Aristotelis titulo edito de Poetica, oeconomiae laus adimitur : tribuitur autem altera, tragicae excellentiae. 30

Dans le livre d’Aristote, édité sous le titre de Poétique, l’éloge de l’arrangement est supprimée : il lui en est accordée une autre, celle de l’excellence tragique.

Eidem obiecta ignobilitas generis fuit a comicis, quod multi refellerunt.

Lui fut reprochée par les Comiques la bassesse de sa naissance, ce que beaucoup ont démenti.

Fabulas edidit, ut alii, septuagintaquinque, ut alii, nonaginta tres. Palmam quinquies obtinuit, atque adeo quater in uita tantum ; nam quinta iam mortuo obtigit.

Il a donné des pièces au nombre de soixante-quinze selon les uns, quatre-vingt-treize selon d’autres. Il a eu cinq fois la palme mais seulement quatre fois de son vivant car la cinquième lui fut octroyée à titre posthume.

Narrat Plutarchus in Nicia, Euripidis tragoedias in tanta admiratione fuisse omnium, ut Atheniensium complures qui sententias de illis aliquas et ῥήσεις scirent recitare, capti in Sicilia, hoc quasi redemptionis pretio liberati fuerint, cum Euripidea docerent Siculos. 31

Dans son Nicias, Plutarque rapporte que les tragédies d’Euripide jouissaient d’une telle admiration de la part de tout le monde que plusieurs Athéniens, qui étaient esclaves en Sicile furent libérés parce qu'ils étaient capables de réciter quelques vers de ses tragédies, pour ainsi dire prix de leur délivrance, parce qu’ils enseignaient aux Siciliens les pièces d’Euripide.

Notum autem et hoc est tantum tribuisse Ciceronem huic autori, ut plane scripserit, said 32

D’autre part, on n’ignore pas que Cicéron appréciait tellement cet auteur, qu’il avait écrit noir sur blanc que chacun de ses vers pouvait servir de témoignage.

In Athenaei autem libris hic poeta σκηνικὸς φιλόσοφος 33 appellatur.

Dans les livres d’Athénée, ce poète est appelé « philosophe de la scène ».


1. Hor., P. 251-269.
2. Hor., P. 179.
3. Ici commence une reprise d'abord littérale, puis partielle de Soph1534_Camerarius_p2.
4. On doit à Epigène de Sicyone d’avoir osé le premier affronter des sujets non dionysiaques et d’ouvrir donc à la tragédie tout le champ de la mythologie. Cf. Tragoedia dans le Daremberg-Saglio.
5. Hor., P. 274-276.
6. Tib., El. 2.1.55-56. Le texte habituel donne ab arte au lieu de ab urbe.
7. Plat., Theaet. 152e.
8. Aristt., Poet. 1428b34. Ὥσπερ δὲ καὶ τὰ σπουδαῖα μάλιστα ποιητὴς Ὅμηρος ἦν (μόνος γὰρ οὐχ ὅτι εὖ ἀλλὰ καὶ μιμήσεις δραματικὰς ἐποίησεν), οὕτως καὶ τὸ τῆς κωμῳδίας σχῆμα πρῶτος ὑπέδειξεν, οὐ ψόγον ἀλλὰ τὸ γελοῖον δραματοποιήσας· ὁ γὰρ Μαργίτης ἀνάλογον ἔχει, ὥσπερ Ἰλιὰς καὶ ἡ Ὀδύσσεια πρὸς τὰς τραγῳδίας, [1449a] οὕτω καὶ οὗτος πρὸς τὰς κωμῳδίας.
9. Ath., Deipn. 8.39.
10. Suid., Lexicon 1068. Τρυγῳδία: κωμῳδία· ἤτοι διὰ τὸ τρύγα ἔπαθλον λαμβάνειν, τούτεστι νέον οἶνον· ἢ διὰ τὸ μὴ ὄντων προσωπείων τὴν ἀρχήν
11. Ath., Deipn. 2.11.. ἀφ’ οὗ δὴ καὶ τρυγῳδία τὸ πρῶτον ἐκλήθη ἡ κωμῳδία.
12. Ar., Ach. 628. L’expression est chez Aristophane : ἐξ οὗ γε χοροῖσιν ἐφέστηκεν τρυγικοῖς ὁ διδάσκαλος ἡμῶν. Et la scolie ad loc. propose τρυγικοῖς· κωμικοῖς.
13. Arstt., Poet. 1449b24.. On a là à peu près la traduction de la définition aristotélicienne : Ἔστιν οὖν τραγῳδία μίμησις πράξεως σπουδαίας καὶ τελείας μέγεθος ἐχούσης, ἡδυσμένῳ λόγῳ χωρὶς ἑκάστῳ τῶν εἰδῶν ἐν τοῖς μορίοις, δρώντων καὶ οὐ δι᾽ ἀπαγγελίας, δι᾽ ἐλέου καὶ φόβου περαίνουσα τὴν τῶν τοιούτων παθημάτων κάθαρσιν, « la tragédie est la représentation d’une action sérieuse et achevée, dotée d’une durée, dans un langage agréable et séparé pour chaque partie qui la compose, en action et non en récit, réalisant par la pitié et la terreur la purgation des passions de ce type ».
14. Arstt., Poet. 1450a9. Les six catégories grecques sont listées dans cet ordre chez Aristote. Les équivalences de traduction vers le latin ne sont pas partout évidentes. Notamment ἤθη/ personae (on attendrait mores ‘caractères’, calque sémantique traditionnel), ὄψις/ actio (on attendrait plutôt spectaculum), μελοποιΐα/ modi (on attendrait musica).
15. On ne reconnaît pas complètement la liste et les définitions d’Aristote : Μέρη δὲ τραγῳδίας οἷς μὲν ὡς εἴδεσι δεῖ χρῆσθαι πρότερον εἴπομεν, κατὰ δὲ τὸ ποσὸν καὶ εἰς ἃ διαιρεῖται κεχωρισμένα τάδε ἐστίν, πρόλογος ἐπεισόδιον ἔξοδος χορικόν, καὶ τούτου τὸ μὲν πάροδος τὸ δὲ στάσιμον, κοινὰ μὲν ἁπάντων ταῦτα, ἴδια δὲ τὰ ἀπὸ τῆς σκηνῆς καὶ κομμοί. Ἔστιν δὲ πρόλογος μὲν μέρος ὅλον τραγῳδίας τὸ πρὸ χοροῦ παρόδου, ἐπεισόδιον δὲ μέρος ὅλον τραγῳδίας τὸ μεταξὺ ὅλων χορικῶν μελῶν, ἔξοδος δὲ μέρος ὅλον τραγῳδίας μεθ᾽ ὃ οὐκ ἔστι χοροῦ μέλος· χορικοῦ δὲ πάροδος μὲν ἡ πρώτη λέξις ὅλη χοροῦ, στάσιμον δὲ μέλος χοροῦ τὸ ἄνευ ἀναπαίστου καὶ τροχαίου, κομμὸς δὲ θρῆνος κοινὸς χοροῦ καὶ ἀπὸ σκηνῆς.
16. Evanthius, De fabula 4.5., Le texte qui sert de préface au commentaire térentien de Donat, lequel utilise également les trois notions dans chaque pièce commentée.
17. Arstt., Poet. 1455b24.
18. Luc., J. tr..Οὐκ ἔστιν οὐδὲν δεινὸν ὧδ’ εἰπεῖν ἔπος,/ οὐδὲ πάθος οὐδὲ συμφορὰ τραγῳδική,/ ἣν οὐκ ἰαμβείοις ὑπερπαίω δέκα.
19. Eur., Or. 1-3.
20. Erasme, Adagia 1439, .
21. Virg., Buc. 8.10.
22. Hor., P. 79.
23. Erasme, Adagia 94, .
24. Plat., Rsp. 413b4.
25. Ar., Ran. 868-870.
26. Ar., Ran. 830-904.
27. Anth. Gr. « Appendice », 3. Le texte est dans la Vie d’Eschyle avec une variante insignifiante : Αἰσχύλον Εὐφορίωνος Ἀθηναῖον τόδε κεύθει/ μνῆμα καταφθίμενον πυροφόροιο Γέλας/ ἀλκὴν δ’ εὐδόκιμον Μαραθώνιον ἄλσος ἂν εἴποι/ καὶ βαθυχαιτήεις Μῆδος ἐπιστάμενος
28. Eur., Frag. 964. (avec quelques variantes par rapport au texte cité par Camerarius) : ἐγὼ δὲ ταῦτα παρὰ σοφοῦ τινος μαθὼν / εἰς φροντίδας νοῦν συμφοράς τ’ ἐβαλλόμην, / φυγάς τ’ ἐμαυτῷ προστιθεὶς πάτρας ἐμῆς / θανάτους τ’ ἀώρους καὶ κακῶν ἄλλας ὁδούς, / ἵν’ εἴ τι πάσχοιμ’ ὧν ἐδόξαζον φρενί, / μή μοι νεῶρες προσπεσὸν μᾶλλον δάκοι.
29. Cic., Tusc. 3.29. Vu les petites nuances de la traduction cicéroniennes, il est possible que l'Arpinate ait eu sous les yeux un texte légèrement différent.
30. La référence demeure introuvable.
31. Plut., Nic. 29.
32. Cic., Fam. 16.8.2.
33. Ath., Deipn. 13.11.