Henricus Stephanus Lectori φιλοσοφοκλεῖ S. P. D.
Henricus Stephanus

Présentation du paratexte

L'épître d'Henri Estienne au lecteur ami de Sophocle insiste sur les éléments hérités de l'édition sophocléenne de Turnèbe publiée en 1553 et des scholies de Démétrius Triclinius. Le texte comprend également quelques éléments de comparaisons entre Sophocle et Euripide et se clôt sur des remarques d'ordre philologiques (signes diacritiques, renvois au Thesaurus de la langue grecque).

Traduction : Sarah GAUCHER

Henricus Stephanus Lectori φιλοσοφοκλεῖ S. P. D.

Henri Estienne adresse son salut au lecteur "ami de Sophocle".

Aeschylum meum sequitur tandem Sophocles.

Sophocle suit enfin mon Eschyle.

Meum autem Aeschylum appello quem mea editio prima omnium nitori suo ex parte restitutum dedit, et ita quidem ut uix ulla multo maioris restitutionis (quae alioqui optanda esset) spes affulgeat.

J’appelle mon Eschyle celui que ma première édition a fait paraître restitué en partie à son éclat et en tout cas de telle sorte que peine à luire l’espoir d’une restitution bien plus importante (qui aurait été souhaitable par ailleurs).

In Sophoclem certe non itidem tantum iuris mihi uendicare possum ut eum quoque appellare meum ausim siquidem editioni eius (utpote multo minus Aeschylo uitiati) laboris multo minus idque post alios quosdam, impendendum mihi fuit.

Pour Sophocle je ne peux assurément pas réclamer ce même droit si important d’oser l’appeler « mien », puisqu’il m’a fallu dépenser bien moins de travail pour l’éditer (parce qu’il est bien moins corrompu qu’Eschyle) et que je l’ai fait après d’autres.

Inter quos principem locum Adrianus Turnebus tenet ; quem ego quum honoris causa nominare solerem dum uiueret, idem mihi, postquam uitam cum morte commutauit, impensius etiam faciendum existimo.

Parmi eux, Adrien Turnèbe occupe la première place ; moi, alors que j’avais coutume de le nommer pour l’honorer lorsqu’il vivait encore, j’ai pensé devoir faire de même avec plus d’empressement maintenant que sa vie a été emportée par la mort.

Is dum simul regius literarum Graecarum professor et regius typographus esset, inter alios scriptores Sophoclem edidit, exemplari usus quod Aemarus Ranconetus e sua bibliotheca depromptum ei commodauerat, Triclinianas σημειώσεις, στιχογραφίας, ἐξηγήσεις, διορθώσεις habens atque adeo quod βιβλιακῆς Triclinii supellectilis (ut ipse Ranconetus dictitabat) pars olim fuerat.

Lui, alors qu’il était en même temps professeur royal des lettres grecques et imprimeur royal, a fait paraître, au milieu d’autres auteurs, Sophocle : il utilisait l’exemplaire qu’Aemarus Ranconetus avait tiré de sa bibliothèque et lui avait mis à disposition et avait en sa possession les notes, les commentaires, les marques de fin de vers, les corrections de Triclinius et, bien plus, ce qui avait été jadis une partie du mobilier littéraire (comme Ranconetus lui-même le répétait) de Triclinius.

Sed nec istud exemplar omni ex parte (ut ita loquatur) fuisse emendatum, illamque Turnebi editionem multum laboris mihi reliquisse, docebunt meae in hunc poetam annotationes, quae licet seorsum excusae, una tamen eduntur adque annotationibus in Euripidem consociatae, patefacturis illis quidem pestiferam emendandi audaciam, quae ultimam Euripidis editionem emendando, menda horrenda in eam instruxit.

Mes annotations sur ce poète, qui, bien que publiées à part, sont cependant produites en association avec mes annotations sur Euripide et qui feront voir la désastreuse audace du correcteur qui, en corrigeant la dernière édition d’Euripide, y a inséré des erreurs terrifiantes, enseigneront que cet exemplaire n’a pas été complètement (pour ainsi dire) corrigé et que l’illustre édition de Turnèbe m’a laissé bien du travail.

Ad scholia autem quod attinet, ego quae sub Demetrii Triclinii nomine seorsum edita erant caeteris adiunxi.

Quant à ce qui touche aux scholies, je les ai pour ma part ajoutées à toutes celles qui ont été éditées à part sous le nom de Démétrius Triclinius.

Multa etiam menda in iis castigaui, quae uidelicet castigari tuto poterant ; caetera tuo arbitrio reliqui (donec alius exemplaris copia fiat) quum praesertim pleraque sint eiusmodi quae tibi non multum negotii exhibere possint.

J’ai y corrigé beaucoup d’erreurs qui pouvaient être corrigées de manière certaine ; les autres, je les ai laissées à ton jugement (jusqu’à ce que nous puissions disposer d’un autre exemplaire) d’autant que la plupart sont de nature à ne te causer que peu de travail.

Turnebum certe, licet eorum typographum, typographicae διορθώσεως operam illis non impendisse, ex eo coniicio quod foedissimus quidam per totum librum fuerit commissus error, nimirum ἤως pro ἤγουν, idque ex non intellecta uel potius ex non bene lecta ueteris codicis compendiaria nota.

Le fait que Turnèbe, bien que leur éditeur, n’a pas mis beaucoup de soin à la correction de l’édition, je le déduis d’une erreur absolument atroce qui a été commise à travers tout le livre, ἤως mis pour ἤγουν : cette erreur a découlé de passages qui n’ont pas été compris ou plutôt des abréviations d’un vieux manuscrit qui n’ont pas été bien lues.

Atqui ἤως Graecum non est ; ἠὼς autem retracto in posteriorem accentu, est Aurora : quae quid commune habere potuit cum particula ἤγουν, uidelicet aut id est significante ?

Mais ἤως n’est pas grec ; ἠὼς, avec l’accent sur la finale, c’est l’Aurore : mais qu’aurait-elle pu bien avoir en commun avec la particule ἤγουν, qui signifie « bien sûr » ou « c’est-à-dire » ?

Sed en tibi et aliud cuius super his Tricliniis commentariis monendus es : nimirum quae Turnebus sub eius nomine edidit scholia in tres posteriores tragoedias, eadem illa esse quae et antea ἀνωνύμως edita fuerant, ac idem passim fere in utrisque, aut certe mutatis tantum aliquibus uerbis dici.

Voici encore autre chose dont tu dois être prévenu sur les commentaires de Triclinius : les scholies que Turnèbe a éditées sous nom de Triclinius dans les trois dernières tragédies sont les mêmes que celles qui avaient déjà été éditées sans nom et presque partout les deux textes présentent les mêmes mots ou seulement quelques mots d’écarts.

Quod ego sane initio ualde mirari, et uix credere, sed tandem ubi rem ita se habere comperi, nolui nomen Triclinii scholiis illis praefigere.

Au début je m’en étonnais et je peinais à le croire, mais finalement, lorsque j’ai reconnu qu’il en allait ainsi, je n’ai pas voulu mettre devant ces scholies le nom de Triclinius.

Quum tamen (uti dixi) idem interdum non iisdem uerbis diceretur, scholia illa ἀνώνυμα ex illis Tricliniis ψευδωνύμοις alicubi emendaui, aut saltem paulo concinniora reddidi : quod tamen adiumentum uicissim his illa praestare alicubi poterant.

Cependant puisque (ainsi que je l’ai dit) elles disaient quelquefois la même chose mais de manière différente, j’ai corrigé ces scholies anonymes à partir de celles attribuées à Triclinius ou du moins je les ai rendues un peu plus élégantes ; par ailleurs, les premières pouvaient à leur tour fournir ce secours aux secondes.

Expectet forsitan lector ut de tam decantato Sophoclis cothurno aliquid et ipse dicam: sed huius poetae μεγαλοφωνία alium quempiam μεγαλοφωνότερον praeconem sibi poscit.

Le lecteur espérerait sans doute que je dise également quelque chose de la si mélodieuse tragédie de Sophocle : mais la magnificence du langage de ce poète réclame un autre héraut à la voix plus forte.

Haec certe primum tenere locum mihi uidetur inter ea quibus Sophoclis stylus ab Euripideo differt.

C’est là la première différence, me semble-t-il, entre le style de Sophocle et celui d’Euripide.

Alioqui et hoc de poetis istis dicere soleo, Sophoclem esse φιλυπέρβατον, Euripidem φιλοσύνθετον.

Par ailleurs, j’ai également coutume de dire de ces poètes que Sophocle est amateur d’hyperbate, Euripide amateur de composition.

Notarum autem quarumdam mihi peculiarium, quibus hac in editione usus sum, significationes, ex Anthologia Graecorum epigrammatum a me edita, aut ex magno poematum uolumine, quod a me inscriptum fuit, Poetae Graeci principes heroici carminis, didicisse iam aut certe discere nunc potes.

D’autre part, tu peux avoir déjà appris, grâce à l’anthologie des épigrammes grecques que j’ai éditée ou à un grand volume de poèmes, Poetae Graeci principes heroici carminis que j'ai annoté, ou apprendre maintenant les significations de certaines abréviations qui me sont propres et que j’ai employées dans cette édition.

Hoc quoque nolim te latere, lector, ubicunque meus Thesaurus linguae Graecae aliquem ex Sophocle locum affert, paginam simul indicans, ad numeros paginarum huius meae editionis te remitti.

Je ne voudrais pas, lecteur, qu’il te demeure également inconnu que, chaque fois que mon Thésaurus de la langue grecque rapporte un passage de Sophocle et indique en même temps sa page, c’est aux numéros des pages de mon édition que tu es renvoyé.

Vale.

Adieu.