Présentation du paratexte
Cette épître de Georg Rataller à Fredéricus Perenottus débute sur les topoi des amis enjoinant l'éditeur de publier et de la difficulté d'exposer le travail philologique aux jugements et aux critiques (§1-7). Suit un éloge du destinataire qui débouche sur l'affirmation de l'importance du travail d'éditions des tragiques (§7-9). Les tragédies permettent en effet non seulement de divertir la foule mais pourvoient également à l'éducation des puissants en faisant voir les vicissitudes de la fortune et des préceptes qui semblent à Rataller particulièrement utiles dans la situation contemporaine (§10-26). La lettre se termine par des éloges de personnalités éminentes et du destinataire auquel se joint une revendication par Rataller de son entreprise philologique (§27-38).
Traduction : Sarah GAUCHERIllustri uiro D. Frederico Perenotto Domino a Champagney Sancto Lupo etc. Georgius Ratallerus S. P. D.
A l’illustre Seigneur Fredericus Perenottus seigneur de Champagney, de Saint-Loup, Georg Rataller adresse son chaleureux salut.
Puduit me non semel toties monitum, atque appellatum ab te, toties ab illustrissimo Cardinale literarum elegantiorum studiosissimo patrono, fratre tuo, etiam tanquam ex syngrapha mecum actum, ut Sophoclis tragicorum ueterum facile principis Tragoedias, quas annis abhinc XVII et amplius Latio donatas penes me habui, in apertum proferrem, uix nunc tandem cedere.
J’ai eu honte de ce que moi, qui y étais pressé et appelé non pas une mais tant de fois par toi et qui y étais également engagé tant de fois, comme en vertu d’une obligation écrite, par ce cardinal si illustre, patron si savant des belles lettres, ton frère, j’ai peiné à concéder finalement de faire paraître les tragédies de Sophocle, sans conteste le prince des tragiques antiques, tragédies que, traduites en latin, j’ai eu entre les mains il y a maintenant plus de 17 ans.
Atque in eo quidem usu mihi uenisse comperio, quod apud Euripidem Vlyssi Hecuba ait, ἐξ ἀδοξούντων ἴοντα λόγον, κἀκ τῶν δοκούντων, αὑτὸν οὑκ ταυτὸν σθένειν 1.
Et dans cet exercice du moins je reconnais qu’il m’est arrivé ce que Hécube dit à Ulysse chez Euripide : « le même discours selon qu’il sort de la bouche d'un homme ignare, ou de celle d'un homme savant, a une valeur bien différente ».
Saepe enim amicis iisque haud uulgariter eruditis editionem tantum non efflagitantibus restiti, multisque de causis, quae tum me mouebant.
En effet, j’ai souvent résisté à des amis assez instruits qui ne se contentaient pas de demander avec insistance l’édition pour de nombreuses raisons qui alors m’y poussaient.
Quas tamen omnes, ut uerum fatear, regebat pudor mihi a natura insitus, seu potius δυσωπία quaedam: quam neque nunc penitus excussam sentio, quando ita adhuc haereo, ut non uideam, quo modo uobis etiam auctoribus, mihi hoc tempore imperare potuissem, ut a carie tineisque uindicatas lucem uidere permitterem, nisi inter cetera eo me incitasset id, quod non mediocriter futurum uerebat, ne inscio me tandem aliquando neque recognitae, uulgarentur, in aliquot iam exemplaria ab intimis familiaribus, atque necessariis meis olim transcriptae.
Et ces raisons cependant, pour dire la vérité, c’est ma pudeur naturelle qui les motivait, ou plutôt une fausse honte : or, je sens à présent qu’elle n’a pas été arrachée à la racine, puisque j’y suis encore si accroché que je ne vois pas comment j’aurais pu à ce moment-là, même avec votre garantie, m’ordonner de laisser paraître ces tragédies délivrées de la pourriture et des mites, si ne m’y avait pas incité entre autres raisons l’immense crainte que, recopiées par des intimes ou des relations dans un certain nombre d’exemplaires, elles ne soient un jour finalement publiées à mon insu et sans avoir été passées en revue.
Ac si omnino edendae erant, maluissem equidem suppresso meo nomine in uulgus exire, atque quod fecisse Apellem legimus, libera hominum iudicia post tabulam delitescens excipere.
Et si vraiment elles avaient dû paraître, j’aurais préféré pour ma part les voir circuler délivrées de mon nom et recueillir les libres jugements des hommes en me cachant derrière un tableau, ce qu’a fait, lit-on, Apelle.
Sed quo minus hoc commode fieret, obstitere tres illae Sophoclis Tragoediae annos plus minus XX. e Graeco a nobis in Latinum conuersae, atque Lugduni formis Sebatiani Gryphii expressae ; quibus etiam nunc ultimam manum addidi, ut mundiore ac politiore paulum habitu, cum reliquis in tuo nomine apparerent.
Mais les trois tragédies de Sophocle que nous avons traduites du grec en latin il y a plus ou moins vingt ans et éditées aux presses lyonnaises de Sébastien Gryphe ont empêché que cela advienne dans de bonnes conditions ; je les ai aujourd’hui remaniées une dernière fois afin qu’elles paraissent avec les autres en ton nom sous un aspect un peu plus élégant et plus poli.
Sub cuius enim patrocinio potius prodirent, quam sub illius, qui uitae illis auctor extitit, qui tenebris carcerique mancipatas in lucem protraxit?
En effet sous quel autre patronage pourraient-elle paraître que sous celui de l’homme qui a été le garant de leur existence, qui les a poussées dans la lumière alors qu’elles étaient abandonnées aux ténèbres et à leur prison ?
Quando itaque uentis uela commisi, fratris tui amplissimi illustrissimique uiri, tuisque auspiciis fretus, non dubito quin mare ingressum a monstris, quae per immensum oberrant pelagus nauim, nauisque magistrum sitis defensuri.
C’est pourquoi, puisque, me fiant aux auspices de ton frère, un homme très généreux et très illustre, et aux tiennes, j’ai exposé les voiles aux vents, je ne doute pas que vous protègerez la mer que j’emprunte face aux monstres qui, au travers du vaste flot, font obstacle au navire et à son capitaine.
Nam quod quidam seueriore censura hos labores meos, tanquam in rebus ludicris positos notare possent, et in hac praesertim aetate atque dignitate constituto grauiora tractanda arbitrabuntur, hos ego, quorum errorem res ipsa conuincit, ne confutandos quidem puto.
En effet, alors que certains pourraient marquer de leur censure trop sévère mes travaux sous prétexte qu’ils seraient le fruit d’oisives récréations et jugeront que surtout à mon âge et vu ma dignité il faut traiter des sujets plus graves, je pense qu’il n’est même pas nécessaire de détromper ces hommes, dont l’erreur est démontrée par la réalité des faits.
Neque enim ad ludum iocumque, neque ut multitudinis tantum animos recrearent, aut plausus risusque in theatris excitarent, id genus fabulas sapientissimi homines scripsisse existimari debent, sed ut maximarum rerum imagines nobis ob oculos proponerent, e quibus cum ad uitam recte instituendam moresque formandos, tum ad Rempublicam bene gubernandam exempla depromant Principes et Magistratus, ut utranque Fortunam constanter ferendam, ut bonos praemia uirtutis suae manere, improbos poenas flagitiorum tandem luere ostenderent.
Car des hommes si sages ont nécessairement pensé qu’ils écrivaient des pièces de ce genre non par amusement, par jeu, pour divertir la foule seulement ou pour exciter les applaudissements et les rires dans les théâtres mais pour que des représentations des plus grands récits apparaissent devant nos yeux, afin que les princes et les magistrats en tirent des exemples pour régler convenablement leur existence en même temps que pour bien administrer l’État pour faire voir qu’il faut invariablement supporter ces deux destinées : les gens de bien attendent les récompenses de leur vertu, tandis que les mauvais subissent les châtiments finalement pour leurs actions scandaleuses.
Et quemadmodum in Comoediis, quae exhibentur, simulacra quaedam sunt communem hominum uitam repraesentantia, sic in Tragoediis magnorum Regum casus, Regnorum mutationes, uarietas Fortunae, rerumque imbecillitas humanarum tanquam in speculo oculis subiiciuntur.
Et, de même que dans la comédie ce sont des images et des simulacres représentant la vie ordinaire des hommes qui sont dévoilés, de même en tragédie, ce sont les déchéances des grands rois, les changements de règne, les vicissitudes de fortune, la faiblesse des affaires humaines qui s’offrent aux yeux.2
Adde quod uix alibi de gubernanda bene Republica praecepta tam dextre, tamque apte mutua communicatione atque συζητήσει explanantur.
Ajoute que nulle part ailleurs on ne trouve d’aussi utiles préceptes de bonne gouvernance, aussi adroitement, aussi harmonieusement développés par le dialogue et la discussion.
Quae utinam diligenter legerentur, aut lecta ab iis, qui gubernaculis Reipublicae admoti sunt, si expenderentur, rectius se res humanae haberent, neque tam uariis fluctibus τῆς τῶν πολυπραγμόνων περιεργίας ἐκβλησαμένης sursum ac deorsum omnia iactarentur.
Et ces préceptes, si seulement ils étaient lus avec soin, et, une fois lus, mis en œuvre par ceux qui aspirent à gouverner, corrigeraient les affaires humaines, si bien qu’elles ne seront pas ballottées comme elles le sont par les flots de la curiosité déplacée des courtisans indiscrets.
Quam suauis foret et personarum, et rerum omnium harmonia, si Rempublicam sic constitutam cernere liceret, ubi suo quisque munere contentus, in ea, quam nactus esset, Sparta ornanda, praecellere potius quam in aliis, quae ab officio suo aliena sunt, exercendis operam ponere pulchrum duceret !
Quel agrément il y aurait à posséder cette harmonie des personnes et des choses, si l’on pouvait voir un état ainsi fait que chacun, content de sa fonction, jugeât bon d’y exceller en ornant la Sparte qui lui serait échue plutôt que de faire son chef-d’œuvre en s’exerçant à d’autres activités éloignées de son office !
Tum uero ἀναλογίας τῆς γεωμετρικῆς, quam Plato grauiter uereque non uno in loco δῶρον θεῶν
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C’est alors que nous verrions de façon évidente le pouvoir et l’utilité de cette analogie géométrique, que Platon, avec gravité et vérité, appelle plus d’une fois un « cadeau des dieux » et dont chez Euripide Ulysse témoigne qu’elle est si importante et si influente que sans elle aucune forme d’État ne peut ni être convenablement constituée ni demeurer.
Atqui eo rediere hominum mores, quod Tragoediarum scriptores luculenter ob oculos ponunt, ut nil nisi magnum plerique animo concipiant ; ut, simulatque tollere se humo possunt, sine alarum, quod dicitur, remigio aethera affectent ; ut Pygmaei onera, quibus uix Atlas par sit, non uereantur subire.
Or les mœurs humaines en sont arrivées au point (et les auteurs tragiques le décrivent dans leur art), que l’on ne conçoit que du grand, que, dès qu’on a pu se lever du sol sans le soutien des ailes (comme on dit), on vise les astres, que l’on ne peut soutenir un fardeau de pygmées alors qu’on se croyait plus fort qu’Atlas.
Quae quidem temeritas etiamsi quibusdam ex sententia succedat, alii tamen poenas luunt, et Icari in morem diffluentibus solis ardore ceris alis praecipites ex alto ruunt ; alii, quorum pernicies etiam in proximos redundat, Phaetontis exemplo, se, et totas Respublicas concutiunt atque subuertunt.
Bien que cette témérité s’empare de quelques-uns parfois à leur idée, les uns pourtant en sont punis et, à la manière d’Icare, leurs ailes fondant sous la chaleur du soleil, s’écroulent la tête la première et se donnent eux-mêmes la mort, d’autres, dont la prise de risque et le caractère nocif rejaillissent aussi sur les autres, frappent, à l’exemple de Phaéthon, eux-mêmes et les états et les renversent.
Neque alio ex fonte haec pestis promanat quam ex immoderata illa honorum pecuniaeque cupiditate, qua ita uidemus plurimorum animos ἄγεσθαι καὶ φέρεσθαι ut etiam non examinatis propriis uiribus, quaeuis ausint aggredi.
Et ce fléau n’a pas d’autre source que le désir immodéré des honneurs et de l’argent qui, nous le voyons, dirige les esprits de la plupart des hommes et les conduit à oser entreprendre n’importe quoi sans même examiner leurs prores forces.
Ea enim quod de Pluto apud Aristophanem uere dicitur, Καθάπερ ἰατρὸς κακὸς, Τυφλοὺς βλέποντας παραλαβὼν, πάντας
ποιεῖ
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En effet, il en va comme de ce qu’un personnage d’Aristophane dit de Ploutos: « de même un mauvais médecin reçoit des gens qui voient et les rend tous aveugles ».
Vt autem hoc hominum genus praesentem Reipublicae perniciem adfert, ita illud uituperandum grauiter monent, qui otio marcescere uitam demum putant, in eoque summum bonum collocant, nihil ad communem hominum societatem uel ornandam, uel tuendam studii, nihil operae in medium conferunt, άσύμβολοι in Republica uersantes, homines non re, sed nomine.
Or autant c’est ce genre d’hommes qui cause à nos états leur ruine actuelle, autant le blâme opposé nous est gravement rappelé par ceux qui pensent que moisir dans l’inaction, c’est justement cela, vivre, et qui y placent le souverain bien, qui ne consacrent aucune attention à enrichir ou à protéger le bien commun, aucune énergie à produire quelque chose pour le bien public et restent sans charge dans l’état, hommes de nom mais non d’action.
Quae omnia etsi ex Philosophorum libris, ubi latius ista uberiusque disputantur, peti possunt, fit tamen ut eadem in Tragoediis uarietate exemplorum καὶ δεικτικῶς illustrata magis afficiant animisque hominum inhaereant tenacius, quae quasi coram geri uidentur.
Et, même si toutes ces idées peuvent être puisées des livres des philosophes, où cette question est traitée plus largement et plus abondamment, il arrive cependant que ces mêmes idées, illustrées dans les tragédies par des exemples variés et directement prouvées, frappent plus et demeurent plus solidemment attachées aux esprits des hommes, puisqu’elles semblent être pour ainsi dire être mises en actes publiquement.
Quam egregia passim exempla obuia sunt, quibus Princeps uitam meliorem reddere, quibus alteram sortem aduersis sperare, secundis discat metuere !
Que de beaux exemples on trouve en chemin ici ou là, dont un prince pourrait améliorer sa vie, qui lui permettraient d’apprendre à espérer une meilleure fortune en cas de revers et à craindre le succès !
Quis adeo est ferreo uel obstinato ad scelera pectore, qui Œdipi aerumnas aerumnarumque causas legens, non moueatur, non mutetur, cui non meridiana luce clarius appareat diuinitus sic comparatum, ut atrocia flagitia poenae etiam consequantur consimiles ?
Qui a un cœur de fer ou une âme obstinée à faire le mal au point de ne pas être ébranlé à la lecture des malheurs et des causes des malheurs d’Œdipe, de ne pas changer, de ne pas avoir la conviction plus claire que le soleil de midi que ce sont les dieux qui sont à la manœuvre et que d’atroces châtiments attendent aussi les semblables d’Œdipe ?
Quid de Atreo, et Thyeste, quid de miserrima Priami fortuna, quid de aliis dicam?
Que dire d’Atrée et Thyeste, que dire du destin si épouvantable de Priam, que dire des autres ?
Quorum etsi ueterum alii libri meminere, cum tamen in aures, cum in oculos incurrunt, magis feriunt animos.
Et même si d’autres livres des Anciens se souviennent d’eux, lorsqu’ils touchent les oreilles en même temps que les yeux, ils frappent davantage les esprits.
In eiusmodi sane, ut insulsi isti rerum aestimatores putant, ludicris non piguit olim summos uiros otium consumere, uti Sophoclem, quem Marcus Tullius alicubi inter Philosophos recenset, ac doctissimum hominem poetamque diuinum nominat ad extremam paene senectutem 6, Dionem, Dionysium Siculorum tyrannum, Caium Caesarem, Octauium Augustum et alios, quos longum esset enumerare.
Il n’a pas répugné aux plus grands individus de passer leur temps libre à ce genre de bagatelles (selon l’avis de ces juges stupides) : ainsi Sophocle, que Marcus Tullius met quelque part au nombre des philosophes et nomme homme tout à fait savant et poète divin à la fin de sa vie, ainsi Dion, Denys tyran de Sicile, Caius César, Octavien Auguste et d’autres qu’il serait long d’énumérer.
Neque hac etiam aetate clarissimorum uirorum exempla desunt, qui a Reipublicae curis uacui, in hoc aut simili studiorum genere animos libenter recreant.
Et à notre époque également on ne manque pas d’exemples d’hommes tout à fait illustres qui, libérés des soucis de l’État, divertissent volontiers leurs esprits dans ce genre d’étude ou dans de semblables.
Nota est insignis, et nunquam satis laudata Nicolaiorum familia, ex qua amplissimo doctissimoque patre editi doctissimi filii, quos hic exempli honorisque causa nominare uolui, Euerardus summi, dum uiueret, apud Belgas senatus Regii Praefes ; item frater eius Adrianus Marius Cancellarius Geldriae, qui maximo reipublicae detrimento nuper e uiuis excessit ; Tertius Nicolaus Nicolai Grudius uir cum insigni multiplicique eruditione, tum morum atque ingenii admirabili suauitate : quibus omnibus nihil fuit dulcius quam lassitudinem ex Reipublicae laboribus contractam amoenissimarum Musarum studiis reficere.
Cette qualité7 est remarquable et on n'a jamais assez loué la famille des Nicolaï, où sont nés d’un père si généreux et si savant des fils si savants, qu’ici j’ai voulu nommer pour l’exemple et pour les honorer, Everardus, président du conseil souverain chez les Belges pendant sa vie ; son frère Adrien Marius, chancelier de Gueldre, qui quitta naguère les vivants causant le plus grand dommage à l’État ; le troisième Nicolaï, Nicolas Grudius, homme d’une remarquable et infinie érudition, aux mœurs et à l’esprits singulièrement doux ; or, rien ne fut plus agréable à tous ces hommes que de soigner la fatigue qu’avaient causée les labeurs de l’État grâce aux études des si douces Muses.
Ac ut alios praeteream, si hic maximum Heroam Cardinalem fratrem tuum etiam nominare fas sit, quis ignorat, quanta ipsius humeris Reipublicae sarcina incumbat quamque libenter curis confectum animum hic relaxet ?
Et pour ne rien dire des autres, si ici il m’est également permis de nommer ce très grand héros, le cardinal, ton frère, qui ignorerait quel fardeau de l’État pèse sur ses épaules et comme il a plaisir à relâcher son esprit qu’angoissent les soucis ?
Quod autem ego tantis ducibus in eius generis studiis otii aliquid posui, quod iuuenilium annorum succisiuis impensos horis labores, quas horas aleae multi poculisque dant, ego uero hoc literario exercitio consecraui, quod inquam perire labores illos nolim, quod e tenebris erui patiar, quis iure queat culpare ?
Quant à moi, qui aurait raison de me blâmer de m’être, à l’exemple de si grands hommes, reposé dans ce genre d’études ; de consacrer, durant ces années de jeunesse que bien des gens consacrent aux dés et à la boisson, des travaux à cette pratique littéraire ; de n’avoir pas voulu (dis-je) que ces travaux périssent ; de permettre qu’ils soient arrachés aux ténèbres ?
Sed nolo hic esse prolixior.
Mais je ne veux pas être plus long.
Vereor enim, ne, dum anxie nimis τοῖς ἀμούσοις καὶ μισοκάλοις me purgo, in uarias doctorum hominum reprehensiones incurram, quibus ego sane placere, quam barbariei magistris, malo.
En effet, je crains, en me débarrassant trop amèrement de ce qui est étranger aux Muses et à la beauté, d’encourir les critiques des savants ; or, moi je préfère être agréable à ces derniers plutôt qu’aux maîtres de la barbarie.
Neque quicquam nunc addam aliud,
quam, si non desinant maledicere, illud quod apud Euripidem alicubi dicitur, καλὸν μέν γε τοῦτο ὄνειδος
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Et à présent je n’ajouterai rien d’autre, si par hasard ils ne cessaient pas de médire, que ce qui est dit quelque part chez Euripide « Quelle belle injure, certes, que voilà ! », que je retournerai moi contre eux.
Porro quantum in conuertendis hisce scriptis operae studiique collocatum est aut quid denique effectum, doctorum hominum atque eorum, qui in simili palaestra se exercuêre, iudicium esto.
En outre, ce que j’ai mis de soin et de zèle dans la traduction de ces écrits ou ce à quoi je suis finalement parvenu, que les savants et ceux qui se sont exercés dans une palestre de ce genre en soit les juges.
Tibi autem, illustris Domine, haec nostra dicamus, tum propter eam, quam supra explicaui, causam, tum quod primis illis tribus Tragoediis, quamuis ob praeproperam atque praematuram editionem non satis polite limatis, te audio delectatum magnopere fuisse : atque adeo has posteriores, si alium patronum quaererent, tu tuo iure uindicare manumissas, aut denique ex stipulatu mecum posses contendere.
Quant à toi, Seigneur illustre, nous te dédions nos travaux, tant pour la raison que j’ai expliquée plus haut que parce que j’apprends que ces trois premières tragédies t’ont absolument ravi, bien qu’elles n’ait pas été assez bien dégrossies parce qu’éditées à la hâte et trop tôt ; quant aux dernières, si elles demandaient un autre patron, tu pourrais à bon droit les punir de s’être affranchies ou enfin dénoncer notre contrat.
Quid multis?
Que dire de plus ?
Ita te affectum ipse uidi et multorum sermonibus accepi, etsi e Musarum sinu te Mars conetur auellere: tamen ita te totum non possidere ferocem illum Deum, quin ad amoenissima Musarum uireta interdum recurras, et in gremio suauissimarum uirginum libenter conquiescas.
Moi, j’ai vu et j’ai appris que tu étais si affecté que, même si Mars essayait de t’arracher du giron des Muses, ce dieu féroce ne te possédait pas assez entièrement pour t’empêcher de revenir en courant vers les prairies des Muses et de te reposer volontiers sur le sein de ces vierges si douces.
Quare ut aequo animo ista accipias, te uehementer etiam atque etiam oro neque longiorem hanc moram atque cunctationem in aliam partem interpretere quam aut uerecundia, quam mihi attribuit mea natura, quaeque tam longo tempore uix ullis machinis expugnari potuit, postulat, aut occupationes publicae permittunt, e quibus uix tantum subtrahere uacui temporis potui, quod hisce nostris recognoscendis satis fuisse uideri queat.
C’est pourquoi afin que tu reçoives cet ouvrage d’une âme égale, je te demande encore et encore avec véhémence de ne pas interpréter non plus ce retard trop long et cette hésitation autrement que comme des délais réclamés par la pudeur que m’a attribuée la nature et dont si longtemps j’ai peiné à venir à bout, ou par mes occupations publiques dont j’ai peiné à tirer un moment de loisir qui puisse apparaître suffisant pour passer en revue nos travaux.