Présentation du paratexte
De la vie d'Aristophane grecque imprimée en tête de l'édition aldine à celle imprimée par Jean Maire en 1625 se donne à lire l'évolution d'un genre forgé dès l'Antiquité et qui se renouvelle sous la plume des humanistes.
La tradition des Vies de poètes grecs a été étudiée par Mary Lefkowitz, qui a montré le caractère topique de ces textes courts, souvent anonymes, inspirés des œuvres des poètes et que la tradition manuscrite a placés en tête des textes des poètes concernés.
Dans le corpus des éditions imprimées d'Aristophane au XVIe s., les Vies du poète comique apparaissent d'abord en grec, les textes imprimés sont repris des manuscrits. On trouve ainsi dans l'editio princeps de 1498 une vie anonyme d'Aristophane (Ἀριστοφάνους βίος) ainsi qu’un résumé de Thomas Magister (Θωμᾶ τοῦ μαγίστρου σύνοψις τοῦ τε βίου ἀριστοφάνους. καὶ τῆς τοῦ δράματος ὑποθέσεως).
Les Vitae humanistes du poète comique démarquent ces textes tout en les augmentant et en les réorientant. C'est d'abord le cas de la vie de Lambertus Hortensius (1556, Vita Aristophanis), puis de Nicodemus Frischlinus (1586, Vita Aristophanis a Nicodemo Frischlino conscripta), et enfin de Jean Maire (1625, Aristophanis Vita et Scripta).
Cette Vita, significativement intitulée Aristophanis Vita et Scripta, est imprimée en tête de l'édition dite de Scaliger parue à Leyde en 1624. Elle reprend non seulement la Vita anonyme grecque des manuscrits mais aussi celle rédigée par Nicodemus Frischlinus dans son édition de 1586, en l'augmentant.
De fait, Maire ne se limite pas à reprendre les éléments biographiques disponibles sur Aristophane; il s'efforce de les sourcer et insiste également, à la suite de Frischlin, sur son œuvre.
On retrouve certes les éléments topiques de toute vie de poète - vie, œuvre, hauts faits, mort - et de celle d'Aristophane. Sont ainsi rappelés ses origines, et notamment la question de savoir s'il était ou non étranger, son rôle dans l'évolution de la comédie ancienne et dans l'invention de la comédie nouvelle, sa querelle avec Cléon, l'estime que lui ont valu auprès des Athéniens sa détermination politique à combattre les sycophantes et à défendre la démocratie athénienne, le passage de relai à son fils Araros à la fin de sa vie.
Mais Maire, à la suite de Frischlin, source ces éléments, en ajoute d'autres issus d'autres textes et adopte une démarche philologique, notamment en listant les titres de comédies qui nous sont parvenus et en discutant leur authenticité.
Surtout, Maire fait preuve d'une grande prudence ("Bien que Thomas Magister, Suidas, d’autres auteurs grecs plus récents et finalement le très savant Nicodème Frischlin transmettent quelques éléments concernant son existence, on peut difficilement énoncer des certitudes."), sonnant ainsi le glas de la biographie légendaire largement inspirée des œuvres mêmes du poète pour laisser la place à une approche critique soucieuse de sourcer et dater les informations qu'il transmet.
Bibliographie :- Kassel-Austin, Poetae Comici Graeci, vol.III.2, Testimonia 1. = Koster, Prolegomena de Comoedia, IA, 133-150.
- Ronald Breugelmans, Fac et spera. Joannes Maire, publisher, printer and bookseller in Leiden 1603-1657. A bibliography of his publications. Houten, Hes & De Graaf, 2003.
- Mary Lefkowitz, The Lives of the Greek Poets, London, Duckworth, 1981.
Aristophanis uita et scripta.
Vie et écrits d’Aristophane.
Aristophanes quem unicum Graecae Comoediae auctorem, sed uix quarta sui parte superstitem, habemus, poeta comicus fuit, Athenis ante annos bis mille, et quod excurrit, celeberrimus.
Aristophane, que nous considérons comme l’unique auteur de comédies grecques, mais dont à peine un quart de la production survécut, fut un poète comique, très célèbre deux mille ans et quelques avant notre ère.
De eius uita quamuis Thomas Magister, Suidas, aliique recentiores Graeci, ac tandem doctissimus Nicodemus Frischlinus, aliquid tradant, certi affirmari uix quicquam potest.
Bien que Thomas Magister, Suidas, d’autres auteurs grecs plus récents et finalement le très savant Nicodème Frischlin transmettent quelques éléments concernant son existence, on peut difficilement énoncer des certitudes.
Quidam patre natum narrant Philippo ciuemque Atticum fuisse, ex tribu Cydatheniensi, curia Pandionide1 ; alii Rhodium, ex oppido Lindo2 et iure ciuitatis Atticae donatum ; alii Aeginetam, patre Aegineta ; alii Meliensem ; alii Aegyptium uel Cameirium ; alii etiam libertinum.
Certains disent qu’il eut pour père Philippos et qu’il était citoyen attique du dème Cydathénéon, de la tribu Pandionide ; d’autres en font un Rhodien, de la cité de Lindos devenu citoyen de l’Attique ; d’autres un Éginète, d’un père éginète ; d’autres qu’il était natif de Mélos ; d’autres un Égyptien ou un natif de Camiros ; d’autres aussi un affranchi.
Quando natus fuerit, aeque incertum, sed quum floruisse eum Eusebius scribat Olympiade 85, id est circa annum Vrbis Romae conditae 316, aliquot ante trecentisimum eiusdem V.C. annis natum fuisse oportet : sed Suidae codex, eum Olympiade 114 in certaminibus uersatum fuisse scribentis, corruptus est : ex ριδʹ procul dubio πδʹ aut ϟδʹ hoc est 84 aut 94, faciendum.
On ne sait pas non plus quand il est né, mais, puisqu’Eusèbe écrit qu’il connut son floruit lors de la 85ème olympiade, c’est-à-dire environ 316 ans après la fondation de Rome, il faut qu’il soit né quelque trois cents ans après cette fondation ; ainsi, le manuscrit de Suidas qui écrit qu’il a participé aux concours de la 114ème olympiade a été corrompu : sans doute faut-il faire de ριδʹ πδʹ ou ϟδʹ c’est-à-dire à 84 ou 94.
Vt ut sit, Sophoclis, Euripidis, Socratis, Hippocratis, ac Democriti aeuo uixit ; nec Euripidi Socratique admodum diu superuixit.
Quoi qu’il en soit, il vécut à l’époque de Sophocle, d’Euripide, de Socrate, d’Hippocrate et de Démocrite et il n’a pas survécu longtemps à Euripide et à Socrate.
In praediis suis Aeginensibus habitasse aliquandiu uidetur ; inde quum Athenas migrasset, Comoediis scribendis animum applicuit ; quod dum agit seque pro ciue Atheniensi gerit, a maleuolis quibusdam, et praesertim Cleone demagogo, quasi peregrinus esset ac praeterea quod in Babyloniis Comoedia magistratus forte capi solitos, coram legatis exterarum gentium lacerasset, accusatus est ; causamque dicere coactus, strenue se defendit : peregrinitatisque crimen iocose et facete diluit Homericis istis uersibus :
Il semble avoir habité assez longtemps dans ses domaines d’Égine ; alors qu’il avait émigré de là à Athènes, il s’appliqua à écrire des comédies ; or, ce faisant et en se comportant comme un citoyen athénien, il fut accusé par quelques malveillants, et surtout par le démagogue Cléon, au motif qu’il était étranger et qu’il avait vilipendé, en présence des envoyés des peuples étrangers, les magistrats qu’on tirait au sort selon l’usage dans sa comédie des Babyloniens ; et, forcé de s’expliquer, il se défendit énergiquement et ruina l’accusation qu’on lui faisait d’être étranger avec humour et piquant grâce à ces vers d’Homère :
3
« Ma mère dit que je suis de ce père mais moi je l’ignore : car personne ne peut se flatter de connaître son père. »4
Pro Atheniensi itaque agnitus quidem est ; postea tamen aliis identidem calumniis petitus, uictor euasit, Cleone non represso solum, sed et male mulctato, ut mox patebit.
C’est pourquoi on le tint en tout cas pour Athénien ; cependant, ensuite, comme il était sans cesse visé par d’autres calomnies du même genre, il finit par en venir à bout, puisque non seulement Cléon fut réprimé mais aussi, comme nous le ferons voir bientôt, puni.
Ac deinceps in patriae et uirtutis amore persistens, Comoediis suis potentium insolentiam compescere, ciuiumque suorum corruptissimos mores emendare non destitit, Comoediae ueteris libertate (singulos qui deliquerant nominatim carpendo) usus.
Et ensuite, persistant dans son amour de sa patrie et de la vertu, il ne cessa, dans ses comédies, de réprimander l’orgueil des puissants et de corriger les mœurs si corrompues de ses concitoyens, usant de la liberté de l’ancienne comédie (en blâmant nommément chaque homme qui avait fauté).
In qua ita excelluit ut omnium confessione nec parem ante se, nec secum habuerit nec par ei (nedum superior) successerit.
Il y excella tant qu’il n’eut, de l’aveu de tous, aucun égal avant lui ou à son époque et qu’il n’eut après lui aucun égal (ni à plus forte raison aucun homme qui lui fût supérieur).
Scripta eius, summae eruditionis, gratiaeque Atticae plenissima, lectori quamuis inuido et inuito admirationem, imo et adplausum extorquent.
Ses écrits, pleins d’une exceptionnelle érudition et des grâces attiques, poussent le lecteur, même envieux et malgré lui, à l’admirer et, bien plus, à l’applaudir.
Quum enim uideret sagacissimi ingenii uir, rempublicam Atheniensium totam regi et uolui impudentium aliquot rhetorum, ditiumque adolescentium audacia potius quam eloquentia, alio quodam Suadelae genere populum adoriri uoluit ; aperteque mores Atheniensium carpendo et auaritiam, rapacitatem et sycophantias ob oculos omnium ponendo, tantum effecit ut multi potentiorum, censuram eius reueriti, a peccando deterrerentur adeo etiam, ut magnus Persarum rex eum Graciae populum sibi maxime timendum esse prae se ferret, cuius male consulta, Aristophanis Comoediarum censura castigarentur et emendarentur.
En effet, alors qu’il voyait, en homme tout à fait perspicace qu’il était, que la cité athénienne était tout entière dirigée et conduite par l’audace de quelques orateurs impudents et de jeunes hommes riches plutôt que par l’éloquence, il voulut attaquer le peuple par un autre genre de suasion et, en attaquant ouvertement les mœurs des Athéniens et en faisant voir à tous leur avarice, leur avidité et leurs impostures, il y réussit si bien que la crainte de sa censure détourna bien des hommes plus puissants de commettre des fautes et que le grand roi des Perses déclara ouvertement qu’il lui fallait craindre le peuple de Grèce, dont la censure des comédies d’Aristophane critiquait et corrigeait les mauvaises résolutions.5
Imprimis autem ob hoc laudatus est, atque amatus a ciuibus, quod calumniatores et Sycophantas euertisset fabulis suis ; et rempublicam Atheniensium liberam, neque ullius domini tyrannidi subiectam esse uoluerit proque eius libertate omnem industriam solertiamque adhibuerit ; ac, ut ipse in Ranis ait, in Choris suis multa recte consuluerit ciuitati.6
Et ses concitoyens l’ont surtout loué et aimé pour avoir attaqué dans ses pièces les calomniateurs et les Sycophantes et avoir voulu que la cité d’Athènes soit libre et ne soit soumise à la tyrannie d’aucun maître, pour avoir mis au service de sa liberté toute son activité et son ingéniosité, et pour, comme il le dit lui-même dans les Grenouilles, avoir donné dans ses chœurs des conseils utiles à la cité.7
Qua de causa et oleae ramo coronatus est, qui non minoris praemii loco habebatur, quam corona aurea.
Et c’est pour cela qu’il fut couronné du rameau d’olivier, qui était considéré comme une récompense non moindre qu’une courone en or.
Primus hic Comoediam ueterem, rudem adhuc, in meliorem formam traduxit, cum Cratinus et Eupolis multo acerbius ac turpius alios insectati fuerint quam decebat.
Le premier il a fait passer l’ancienne comédie, jusque là inaboutie, à une forme meilleure, alors que Cratinos et Eupolis étaient, dans leurs attaques, beaucoup plus vifs et offensants qu’il ne convenait.8
Nec tamen plane a uerborum amarulentia in primis suis Comoediis abstinebat, sed eam postremis, iusta moderatione usus, plurimum mitigauit.
Mais il ne s’abstenait pas dans ses premières comédies de ce ton sarcastique, qu’il adoucit beaucoup dans les dernières comédies, en y appliquant une modération de bon aloi.9
Decreto demum Athenis promulgato, ne quis actor aut ludio nominatim aliquem in Comoedia perstringeret, Nouam Comoediam paene primus inuenit, tentato tamen prius alio quodam genere (quod Mediam Comoediam uocant) quo Homerum atque Tragicos solum carpebat, Aeolosicona et similes fabulas exhibens.
Juste après la promulgation d’un décret interdisant à un acteur ou à un ludion de s’en prendre nommément à quelqu’un dans une comédie10, il fut précurseur de la comédie nouvelle, non sans s’être auparavant essayé à un autre genre (qu’on appelle comédie moyenne) où il n’attaquait qu’Homère et les Tragiques, en produisant l’Aiolosicon et des pièces de ce genre.
Nouae autem Comoediae primum specimen ostendit in Cocalo ; ubi non ueras, ut in Veteri, sed fictas personas introducit, Interitum seu Corruptelam, et recognitionem, et alia eiusmodi ; quae imitati postea Menader et Philemon, a Nova Comoedia non recesserunt.
Il montre le premier spécimen de comédie nouvelle avec le Cocalos, où il met en scène des personnages non plus réels comme dans l’ancienne mais fictifs, Mort ou Corruption, une reconnaissance, et d’autres procédés de ce genre11 ; et Ménandre et Philémon, suivant ces exemples, perpétuèrent la comédie nouvelle.
Ipse quidem Aristophanes in scenam statim non uenit, quod natura esset uerecundior ; sed Callistrato usus est actore seu histrione in Comoediis quas publicas uocant, contra potentes uiros aut magistratus ; Philonide uero in Comoediis priuatis, quales erant eae quae contra Socratem aut Euripidem institutae ; unde et ab Aristonymo ac Amipsia conuiciis petitus est, qui eum quarta Luna natum dicebant12, quasi aliis iuuandis operam daret, sibi ipsi inutilis.
Aristophane pour sa part ne monta pas tout de suite sur scène, car il était d’un naturel trop pudique13 ; mais il employa comme acteur ou comme histrion Callistrate dans les comédies que l’on qualifie de publiques, contre les puissants ou les magistrats, et Philonidès dans les comédies privées, comme celles qui furent faites contre Socrate ou Euripide ; il fut critiqué pour cela dans des saillies d’Aristonyme et Ameipsias, lesquels disaient de lui, selon le vieux proverbe, qu’il était né de la quatrième lune, c’est-à-dire qu’il faisait briller les autres sans s’aider lui-même.14
Tandem tamen quum Equites Drama agendum esset, nemoque ex histrionibus personam Cleonis auderet exprimere, ipse Aristophanes, facie minio illita, in scenam prosiluit, et personam Cleonis egit, metu omni deposito ; adeoque strenue in eo negotio se gessit, ut damnatus a populo Cleo, mulctam quinque talentorum soluere coactus sit.
Cependant, alors qu’il fallait finalement jouer la pièce des Cavaliers et que personne parmi les histrions n’osait prendre les traits de Cléon, c’est Aristophane lui-même, le visage enduit de rouge, qui sauta sur scène et joua le rôle de Cléon, ayant mis de côté toute crainte ; et il mit tellement d’ardeur à la tâche que, Cléon, condamné par le tribunal populaire, fut forcé de payer une amende de cinq talents.15
Comoedias scripsisse plerisque memoratur quatuor et quadraginta, seu ut in Suida legitur, quinquaginta quatuor.16
On rapporte le plus souvent qu’il écrivit quarante-quatre comédies, ou, comme on le lit dans Suidas, cinquante-quatre.
Harum undecim dumtaxat integrae supersunt, de quibus paucula in lectoris gratiam praedicenda nobis sunt.
De ces comédies, seuls onze nous sont parvenues dans leur intégralité, dont nous devons dire quelques mots pour le plaisir du lecteur.
Primam eius Comoediam Acharnenses fuisse, quidam autumant, quam per Callistratum, alienoque nomine edidit, Euthymene Athenis summum magistratum gerente, Olympiadis 85 anno quarto, Romae conditae 316 ; alii eum Acharnenses post mortem Periclis, tertio anno belli Peloponnesiaci ; alii post primam cladem Siculam docuisse scribunt ; ac rursus alii primam eius Comoediam (cuius tamen nomen non exprimunt) actam fuisse afferunt nouennio serius, Archonte Philotimo, seu, ut Iosephus Scaliger emendat, Diotimo, Olympiadis 88 anno primo.
Certains pensent que sa première comédie fut les Acharniens, qu’il fit paraître par l’intermédiaire de Callistrate et sous un pseudonyme sous l’archontat d’Euthyménès à Athènes, la quatrième année de la 85ème olympiade, 316 ans après la fondation de Rome17 ; d’autres écrivent qu’il la fit représenter après la mort de Périclès, la troisième année de la guerre du Péloponnèse ; d’autres après la première défaite de Sicile ; et d’autres encore racontent que sa première comédie (dont ils ne donnent cependant pas le nom) fut jouée neuf ans plus tard, sous l’archontat de Philotime, ou, comme le corrige Scaliger, de Diotimos, la première année de la 88ème olympiade18.
Eiusdem autem Olympiadis anno quarto, Archonte Stratocle, A.V. 328, belli Peloponnesiaci septimo, quum Sphacteria obsideretur, Equites Comoediam, de qua supra dictum, contra Cleonem egit.
La quatrième année de la même olympiade, sous l’archontat de Stratoclès19, 328 ans après la fontation de Rome, la septième année de la guerre du Péloponnèse, pendant le siège de Sphactérie, il joua contre Cléon la comédie des Cavaliers dont nous avons déjà parlé.
Olympiadis 89 anno primo, Isarcho magistrate, Primas Nubes egit, quae a sequacibus Alcibiadis, fautoribus Socratis, explosa est.
La première année de la 89ème olympiade, sous l’archontat d’Isarque20, il joua Les premières Nuées, qui furent huées par les partisans d’Alcibiade, les défenseurs de Socrate.
Sequente uero anno, qui erat V.C. 330, Amynia Archonte, Secundas Nubes, quae hodie extant, docuit, cum maximo populi adplausu ; quae quum ageretur, Socrates ipse in Theatrum ingressus, oportuno loco sedit, peregrinisque quisnam esset ille Socrates, sciscitantibus, ad dubitationem ex animis eorum tollendam surrexit, totumque Drama stans spectauit, tamquam conuitia ista ipsum non tangerent21 ; quae reuera (ut quidam annotant) Aristophanes non in Socratem ipsum dicta uoluit, falsa enim esse sciebat, sed in uanos quosdam rhetores, qui Socratici audire et illius nomine ignauiam, immo impietatem suam ac nouam de recepta Atheniensium Religione opinionem tegere uolebant ; quod ex Platonis Apologia patet, et ex Atheniensium sera paenitentia, quod Socratem falsi criminis damnatum, quasi male de Diis sentientem, cicuta necassent.
L’année suivante, 330 ans après la fondation de Rome, sous l’archontat d’Aminias22, il fit représenter les Secondes Nuées, qui nous restent aujourd’hui, sous les applaudissements ininterrompus du peuple ; et comme on jouait cette pièce, Socrate lui-même, après s’être rendu au théâtre, se plaça à un endroit opportun et alors que des étrangers demandaient qui donc était ce Socrate, pour répondre à la question de ces étrangers, se leva et pendant toute la pièce il assista au spectacle debout 23, comme si ces clameurs ne le touchaient pas ; mais (comme le précisent certains) en vérité, Aristophane n’a pas voulu que ses attaques visent Socrate, car il savait qu’elles étaient fausses, mais les vains rhéteurs, qui voulaient se voir qualifiés de Socratiques et couvrir de son nom leur lâcheté ou plutôt leur impiété et leur nouvelle conception de la religion athénienne ; en effet, l’Apologie de Platon et le regret tardif des Athéniens rendent clair qu’ils avaient condamné Socrate à la ciguë suite à l'accusation fallacieuse d'avoir nourri, au sujet des dieux, de mauvaises opinions.
Mercede autem conductum fuisse Aristophanem ab Anyto et Melito, ut Nubes has in Socratem effunderet, tamquam rem tanto uiro indignam, ne ipsos quidem Plutarchum aut Aelianum (qui paene soli hunc poetam uituperare ausi sunt24) credidisse uerisimile est, praesertim quum ne ipsi quidem Melito parcat in Dramatibus suis hic poeta : et post actas Nubes ad mortem Socratis anni elapsi sint plus quam sedecim.
Il est vraisemblable que même Plutarque ou Élien25, qui sont presque les seuls à avoir osé critiquer ce poète, n’ont pas cru qu’Aristophane fût payé par Anytos et Mélitos pour écrire ces Nuées contre Socrate, parce que c’était indigne d’un si grand homme, d’autant que dans ses pièces ce poète n’épargna pas non plus Mélitos et que, de la représentation des Nuées à la mort de Socrate, il s’écoula plus de seize ans.
Sane inefficaces nummos fuisse dicendum esset, quos in hanc faublam Anytus et Melitus expenderunt, qui sedecimo demum anno Socratem ad mortem adegerint.
Il faudrait admettre que les paiements effectués pour cette pièce par Anytos et Mélitos auraient été parfaitement sans effet, s’ils avaient finalement poussé Socrate à la mort seize ans plus tard.
Eodem anno, post alteram cladem Siculam, per Philonidem histrionem suum, Comoediam Vespas proposuit, quibus Athenienses ut litium nimis amantes perstringit ; nec non Charetem, quem ille Laberem tecto nomine uocat, qui cladem illam Atheniensibus ductu suo inauspicato attulerat.
La même année, après la seconde défaite de Sicile, il fit donner par son histrion Philonide la comédie des Guêpes, où il pique les Athéniens passionnés des procès et Charès, qu’il dissimule sous le nom de Labès, qui valut cette défaite aux Athéniens en menant l’attaque contre les auspices26.
Pax Comoedia, quae hodie extat, acta uidetur anno Peloponnesiaci belli decimotertio, post mortem Cleonis et Brasidae, quum foedus quinquaginta annorum inter Athenienses et Lacedaemonios esset factum, quod tamen septem annos non durauit.
La comédie de la Paix, qui nous reste aujourd’hui, semble avoir été jouée la treizième année de la guerre du Péloponnèse, après la mort de Cléon et de Brasidas, alors qu’une alliance de quarante ans avait été conclue entre Athéniens et Lacédémoniens, alliance qui cependant ne dura pas sept ans.
Narrant et Secundam Pacem ab autore editam, de qua Eratostenes ipse dubie scribit, sed Crates manifeste eam δευτέραν εἰρήνην uocat aitque passim reperiri quosdam uersus, qui in Pace quae hodie extat non reperiuntur.
On raconte que l’auteur fit paraître une Seconde Paix, dont Ératosthène lui-même parle sans certitude mais que Cratès appelle clairement Seconde Paix et dont il dit avoir trouvé partout des vers qu’on ne retrouve pas dans la Paix que nous possédons aujourd’hui.
Est qui Lysistratam eandem esse cum Secunda Pace arbitretur.
Il en est même un pour penser que Lysistrata est la même comédie que la Seconde Paix.
Quicquid sit, credibile est Lysistratam, quae hodie extat, circa dicta tempora turbulentiae plena scriptam fuisse, fortassis quum nouum foedus centum annorum fractum esset.
Quoi qu’il en soit, il est vraisemblable que la Lysistrata que nous possédons aujourd’hui ait été écrite en ces temps fort troublés, peut-être alors que le nouveau traité de cent ans avait été brisé.
Nonagesimae primae Olympiadis anno secundo, Charia27 Archonte, V.C. 338 Comoediam Aues docuit, Athenienses hortatus ut Decellam, quam Nephelococcygiam uocat, contra Lacedaemonios munirent, priusquam ab illis (quod biennio post accidit) occuparetur : cui salutari consilio si paruissent, post in maximum malum non incidissent.
La deuxième année de la 90ème olympiade, sous l’archontat de Charias, 308 ans après la fondation de Rome28 il fit paraître la comédie des Oiseaux, exhortant les Athéniens à fortifier Décélie (qu’il appelle du nom inventé de Néphélococcygie29) contre les Lacédémoniens avant qu’ils ne puissent l’occuper : si les Athéniens avaient obéi à ce conseil salutaire, ils ne seraient pas tombés dans le pire des malheurs.30
Thesmophoriazusas Euripide uiuo egisse, id est durante etiamnum bello Peloponnesiaco, uerisimile est ; quo Dramate non tam Euripidem (aduersus quem institutum uidetur) quam totum femineum genus traducit, peculiari sibi cauillandi charactere usus et quasi genio suo obsecundatus : dum enim Euripidem a Feminis condemnatum fingit, quasi de eis male in Tragoediis locutum, multo plura earum flagitia narrat in unica hac Comoedia, quam in omnibus suis Tragoediis Euripides umquam scripserat ; atque ita Euripidem accusando absoluit ; Mulieres uero laudando excusandoue maxime denigrat.
Il est vraisemblable qu’il ait joué les Thesmophories du vivant d’Euripide, c’est-à-dire pendant la guerre du Péloponnèse ; et, dans cette pièce, il n’accuse pas tant Euripide (contre qui il semble s’élever) que l’ensemble du genre féminin, faisant usage d'un genre de moquerie particulier et pour ainsi dire se conformant à son génie : en effet, lorsqu’il peint Euripide condamné par des femmes pour avoir dit du mal d’elles dans ses tragédies, il expose dans cette seule comédie bien davantage de leurs infamies qu’Euripide n’en avait jamais écrit dans toutes ses tragédies ; et de cette façon il acquitta Euripide en l’accusant ; quant aux femmes, ils en peignit le plus noir des portraits en les louant ou les disculpant.
Notandum uero, duas hoc nomine Comoedias ab auctore scriptas fuisse ; et eam quae hodie extat, Primas Thesmophoriazusas uocatam, teste Agellio.
Mais il faut remarquer que l’auteur écrivit sous ce titre deux comédies et que celle qui nous reste aujourd’hui sont les Premières Thesmophories, selon le témoignage d’Agellius.
Concionatrices circa eadem tempora docuisse suspicantur, sed Platonis Rempublicam ea derideri credibile non est : quod aliis diiudicandum linquo.
L’Assemblée des femmes a semble-t-il été représentée à peu près à la même époque, mais il n’est pas vraisemblable qu’elle parodie la République de Platon : je laisse à d’autres le soin de trancher cette question.
Olympiadis demum 93 anno tertio, V.C. 341, sub Callia, qui post Antigenidem Archon fuit, anno Peloponnesiaci belli penultimo, Ranas fabulam docuit, contra Euripidem iam defunctum aut potius contra Atheniensium praeposteros mores, qui, quum homines rustici aut militares essent, re bellica, cui nati erant, neglecta, primis uix literis gustatis, iudicium de summis uiris Sophocle ac Euripide ferre uolebant et leuicula quaedam in iis carpentes aut (ut in Acharnensibus et alibi) ignobile maternum Euripidis genus cauillis disserentes, sapere sibi summopere uidebantur.
La troisième année de la 93ème olympiade, 341 ans après la fondation de Rome, sous l’archontat de Callias qui suivit celui d'Antigène31, l’avant-dernière année de la guerre du Péloponnèse, il fit représenter la pièce des Grenouilles contre le défunt Euripide ou plutôt contre les débauches des Athéniens, qui, alors qu’ils étaient des hommes rustiques ou des soldats, après avoir mis de côté l’art de la guerre auquel ils étaient destinés et avoir à peine goûté aux prémisses des lettres, voulaient porter un arrêt sur les plus grands héros, Sophocle et Euripide, et qui, alors qu’ils y cueillaient des fruits sans goût ou que (comme dans les Acharniens et ailleurs) ils se moquaient de l’extraction de la mère d’Euripide, se trouvaient extrêmement avisés.
Iis postea temporibus, quibus ex interdicto magistratus Attici neminem in Comoedia nominatim carpere licebat, Plutum composuit, ultimam earum Comoediarum quibus nomen suum praefixit, anno Olympiadis 97 quarto, Antipatro Archonte, A.V. 358 ; eamque filio suo Araroti agendam dedit, quum eum Populo commendare in locum suum subrogare uellet ; ac paulo post, duas alias Comoedias per eudem filium suum Populo exhibuit, Cocalum nimirum, et Aeolosicona.
Après l’époque où, suite à l’interdiction qui en était faite par un magistrat athénien, il n’était plus permis d’outrager nommément quelqu’un dans une comédie, il composa le Ploutos, la dernière des comédies sur laquelle il apposa son nom, la quatrième année de la 97ème olympiade, sous l’archontat d’Antipatros, 358 ans après la fondation de Rome32 ; et il la donna à jouer à son fils Aratôs, puisqu’il voulait le faire élire par le peuple à sa place ; et peu après, il donna à voir deux autres comédies par l’intermédiaire de son fils au peuple, Cocalos et l’Aiolosicon.
Alii afferunt eum adhuc secundam Plutum quinquennio post primam edidisse, anno V.C. 363.
D’autres rapportent qu'il fit paraître un Second Ploutos cinq ans après le premier, 363 ans après la fondation de Rome.33
Ceterum Plutus illa, quum ultima propemodum Comoediarum Aristophanicarum fuerit, primum locum inter editas obtinet.
Du reste cette comédie du Ploutos, alors qu’elle a été presque la dernière des comédies d’Aristophane, obtient la première place entre les pièces éditées.
Nouae autem Comoediae specimen hoc in ea
cernitur, quod nomina personarum ficta sint, Chremylus nempe, Blepsidemus, et
Carion, commune plurium seruorum nomen, quod Cares plerumque conditione serui essent
illo aeuo, unde prouerbium Ἐν Καρὸς ἄτῃ
34
On y voit un exemple de nouvelle comédie parce que les noms des personnages sont inventés, bien sûr Chrémyle, Blepsidème et Carion, nom largement répandu parmi les esclaves parce qu’ à cette époque les Cariens étaient la plupart du temps de condition servile, d’où subsiste le proverbe « dans le malheur du Carien » (ou, comme Joseph Scaliger le corrige, « dans sa destinée »).
Interpolatam autem hanc Plutum quidam ab ipso Aristophane aut eius filio putant : aiuntque hic quaedam legi quae ex Secunda Pluto desumpta sunt.
Certains pensent que ce Ploutos a été modifié par Aristophane ou par son fils et ils disent qu’on y lit certaines répliques qui sont prises du Second Ploutos.
Saepe enim eaedem fabulae (quod Sophoclis Tragoediis quoque accidit) uel nulla in re mutatae uel interpolatae, diuersis locis ac temporibus actae aut, ut loquuntur, repositae sunt.
En effet, souvent les même pièces (et cela arrive aussi pour les tragédies de Sophocle) n’ont en rien été bouleversées ou modifiées mais ont été jouées ou, comme on dit, replacées en des lieux et des temps différents.
Reliquarum Aristophanis Comoediarum nomina (quae apud Athenaeum, Erotianum, Galenum, Scholiastas aliquot Graecos, aliosque autores ueteres exstant, una cum pauculis Fragmentis, mutilis ac plerumque corruptis) recensebimus tantum suntque haec :
Nous recenserons seulement les titres du reste des Comédies d’Aristophane (qui demeurent chez Athénée, Érotianus, Galien, quelques scholiastes grecs et d’autres auteurs anciens avec un petit nombre de fragments mutilés et souvent corrompus). Les voici :
1.Ageros, seu non senescens, aut Senectae expers. 2. Aeolosicon. 3. Aeolosicon sucundus. 4. Anagyrus. 5. Amphiaraus uel Amphiareos. 6. Apocottabizontes, seu Cottabo ludentes. 7. Autolycus. 8. Babylonii. 9. Bacchae. 10. Boeotius. 11. Agricolae aut Rustici. 12. Gerytades, uel Fabulator. 13. Geras, uel Senectus. 14. Daedalus uel En Daedalides. 15. Daetaleis, Daetalees uel Daetalei, seu Epulones. 16. Danaides, aliis Danai dolia. 17. Delia. 18. Dionysus, aut Bacchus. 19. Dramata, seu Fabulae, uel Niobe. 20. Erastae Achilleos, seu Amatores Achillis. 21. Eirene seu Pax secunda. 22. Electra. 23. Heroes. 24. Thesmophoriazusae seu quae Cerealia celebrarunt, secundae. 25. Centaurus, aut Centauri. 26. Le joueur de cithare aut Citharista. 27. Cocalus seu Animalium quorumdam testa. 28. Colax, ceu Assentator. 29. Lemniae. 30. Lysistrate. 31. Nauagus, seu Naufragus. 32. Nephelae seu Nubes primae. 33. Insulae. 34. Victoriae. 35. Niobis, diuersa a Niobe, seu Fabulis. 36. Holcades, Naues onerariae. 37. Pelargi aut Pelasgi, Ciconiae seu Grues. 38. Pelasii. 39. Plutus secundus. 40. Perianges, aut forte Periages. 41. De Atheniensibus meretriculis. 42. Poastriae seu Runeatrices. 43. Poesis. 44. Polyidus. 45. Proagon. 46. Progoni, seu Progenitores. 47. Pythagori aut Pythagorei. 48. Scenae, seu Tentoria. 49. Scenae apprehendes, aut potius Tentoria incautos opprimentia. 50. Scythes, seu Scytha. 51. Tagenistae, aut Tagenitae, Frigentes seu Sarragine coquentes. 52. Telmissontes uel Telmisseis, Telmissenses. 53. Triphaletes, Ter medicus uel tres cristas in galea gerens, uel Tryphalides, seu Colostra. 54. Philonides. 55. Phoenissae. 56. Horae.
1. Ageros, ou Non senescens, ou Senectae expers. Celui qui ne vieillit pas. 2. Aeolosicon. Éolosicon. 3. Aeolosicon secundus. Second Éolosicon. 4. Anagyrus. Anagyros.35 5. Amphiaraus ou Amphiareos. Amphiaros. 6. Apocottabizontes, ou Cottabo ludentes. Ceux qui jouent au cottabe. 7. Autolycus. Autolycos. 8. Babylonii. Les Babyloniens. 9. Bacchae. Les Bacchantes. 10. Boeotius. Le Béotien. 11. Agricolae ou Rustici. Les Paysans. 12. Gerytades, ou Fabulator. Gérytadès. 13. Geras, ou Senectus. La vieillesse. 14. Daedalus ou En Daedalides. Dédale. 15. Daetaleis, Daetalees ou Daetalei, ou Epulones. Les Banqueteurs. 16. Danaides, pour d’autres Danai dolia. Les Danaïdes. 17. Delia. Delia. 18. Dionysus, ou Bacchus. Dionysos.36 19. Dramata, ou Fabulae, ou Niobe. Drames ou Niobos. 20. Erastae Achilleos, ou Amatores Achillis. Les Amants d'Achille.37 21. Eirene ou Pax secunda. La seconde Paix. 22. Electra. Electre. 23. Heroes. Les Héros. 24. Thesmophoriazusae ou Quae Cerealia celebrarunt, secundae. Les Secondes Thesmophories ou Les femmes célébrant Cérès. 25. Centaurus, ou Centauri. Drames ou Le Centaure. 26. Citharistes ou Citharista. 27. Cocalus ou Animalium quorumdam testa. Cocalos. 28. Colax, ou Assentator. Le Flatteur. 29. Lemniae. Les Lemniennes. 30. Lysistratus. 31. Nauagus, ou Naufragus. Dionysos naufragé.38 32. Nephelae ou Nubes primae. Les premières Nuées. 33. Insulae. Les îles. 34. Victoriae. Les Victoires. 35. Niobis, différente de Niobe, ou Fabulis. Niobè. 36. Holcades, Naues onerariae. Les Cargos. 37. Pelargi ou Pelasgi, Ciconiae ou Grues. Les Cigognes. 38. Pelasii. 39. Plutus secundus. Le second Ploutos. 40. Perianges, ou sans doute Periages. La déviance.39 41. De Atheniensibus meretriculis. Les Prostituées athéniennes. 42. Poastriae ou Runcatrices. Les Sarcleuses.40 43. Poesis. La Poésie. 44. Polyidus. Polyidos. 45. Proagon. La Présentation générale. 46. Progoni, ou Progenitores. Les Ancêtres. 47. Pythagori ou Pythagorei. Les Pythagores. 48. Scenae, ou Tentoria. Le campement des femmes. 49. Scenae apprehendes, ou plutôt Tentoria incautos opprimentia. Les Preneurs de scène. 50. Scythes, ou Scytha. Le Scythe. 51. Tagenistae, ou Tagenitae, Frigentes ou Sarragine coquentes. Les Rôtisseurs. 52. Telmissontes ou Telmisseis, Telmissenses. Les gens de Télémessos. 53. Triphaletes, Ter medicus ou tres cristas in galea gerens, ou Tryphalides, ou Colostra. Triphalès. 54. Philonides. Philonide. 55. Phoenissae. Les Phéniciennes. 56. Horae. Les Heures.41
An autem alias praeter has composuerit, quarum ne nomina quidem extent, nemo est qui nobis dicere queat.
Il n’y personne qui puisse nous dire si, outre celles-là, il en a composé d’autres dont nous ne posséderions pas même les titres.
Saltem si praedictis quinquaginta sex, addantur undecim illae quae extant, simul efficient numerum sexaginta septem Comoediarum Athenaeo et aliis priscis nominatarum, quum tamen nemo Aristophani plures Comoedias quam quinquaginta quatuor adscripserit.
Du moins, si nous ajoutons aux cinquante-six que nous avons nommées les onze qui nous restent, on atteindra un chiffre de soixante-sept comédies nommées par Athénée et d’autres auteurs anciens, quoique personne n’ait prété à Aristophane plus de cinquante-quatre comédies.
Restat ergo, falsa haec esse nomina, aut corrupta ; et non Aristophanis reuera, sed alicuius alterius poetae uetoris Comoedias istis nominibus designari.
Par conséquent, il reste que ces titres sont faux ou corrompus et qu’en vérité ce ne sont pas des comédies d’Aristophane mais de quelque autre poète ancien qui sont désignées sous ces titres.
Quatuor saltem istae, Poesis, Nauagus, Insulae et Niobis, iam olim suspectae seu adulterinae habitae, et Archippo adscriptae.
Du moins il y en a quatre (Poesis, Navagus, Insulae et Niobis) qu’autrefois on considérait déjà comme suspectes ou d’une autre main et écrites par Archippos.
Hac de causa nec de Fragmentis Aristophanicis colligendis summopere solliciti fuimus ne forte summi poetae purpuram ignobilibus scrutis ac centonibus defoederamus.
C’est pour cela que nous ne nous sommes pas inquiété de recueillir avec le plus grand soin les fragments d’Aristophane, pour ne pas souiller d’aventure la pourpre du plus grand poète avec des fripes et des nippes obscures.
In his Comoediis peculiari utitur uersu, qui Aristophanicus appellatur.42
Dans ces comédies, il utilise un vers particulier, qu’on appelle aristophanien.43
Suidas Tetrametrum et Octometrum ab eo inuentum esse scribit.
Suidas écrit qu’il a inventé le tétramètre et l’octomètre.44
Dialectus, immo et eloquentia Attica in Aristophane maxime elucet.
Le dialecte ou plutôt l’éloquence attique produit sa plus belle lumière chez Aristophane.
Singulare autem in eo hoc est, quod cum risu mordeat, nihil sine facetiis impingens, ut testatur Iulius Scaliger : qui e Latinis Horatium ei comparat ; alii eum Plauto aequiparant ; saltem is quam plurimos Aristophanis iocos imitatus est.
Ce qui est chez lui singulier, c’est qu’il mord en riant, ne peignant rien sans plaisanteries selon le témoignage de Jules Scaliger qui le compare à Horace chez les Latins45 ; d’autres le comparent à Plaute46 ; du moins, ce dernier a-t-il imité le plus grand nombre possible de plaisanteries d’Aristophane.
Sed, ut praediximus, quemadmodum nec ante
se, nec secum, sic nec post ses ullum habuit parem ; et, ut scribit doctissimus
Sigismundus Gelenius, nemo Aristophanis facundiam ita uerbis
queat extollere, ut non re ipsa ille maior inueniatur.
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Mais, comme nous l’avons dit, il n’eut aucun égal ni avant lui, ni de son vivant, ni après lui ; et, comme l’écrit le très savant Sigismundus Gelenius, personne ne pourrait vanter l’éloquence d’Aristophane au point de dépasser la réalité.
In hoc enim autore omnes paene Graeci Atticam linguam, immo omnem adeo Graecismum consistere tantum non autumant ; quem adeo admiratus est Galenus, ut aliquot de uocibus Aristophani peculiaribus libros ediderit ; quos interiisse, non tam Galeni aut ipsius Aristophanis, quam reipublicae literariae interest.
Presque tous les Grecs ont pensé qu’on trouvait chez cet auteur non seulement la langue attique, mais aussi toute la Grécité ; et Galenus l’a admiré au point d’avoir fait paraître quelques livres sur les répliques particulières d’Aristophane ; leur perte n’importe pas tant pour Galenus ou Aristophane lui-même que pour la république des lettres.
Proauorum quin etiam nostrorum memoria clarissimus uir Theodorus Gaza, interrogatus quis ex Graecis autoribus assiduo legendus foret Graecas literas discere uolentibus, respondere solebat : Solus Aristophanes.
Bien plus, Théodore Gaza, homme très célèbre du temps de nos aïeux, alors que ceux qui voulaient apprendre les lettres lui demandaient qui, parmi les auteurs grecs, il fallait lire assidûment, avait l’habitude de répondre : « Uniquement Aristophane ».
Quod autem magis mirandum, Plato, tantus Socratis propugnator, Dionysio regi Syracusano, statum reipublicae Atheniensis, et linguam ex optimo autore perdiscere cupienti, Aristophanis Comoedias misit, ut ex iis linguam et ingenium Atheniensium simul cognosceret ; quibus ille, licet Siculus, tantum profecit, ut Olympiadis 103 anno primo (qui illi ultimus uitae fuit) Tragoediam docuerit Athenis, qua et uictor euasit.
D’autre part, ce qui est admirable, c’est que Platon, si grand défenseur de Socrate, envoya au roi Denys de Syracuse, qui désirait apprendre du meilleur auteur l’état de la République athénienne et sa langue, les comédies d’Aristophane, pour qu’il y prenne connaissance en même temps de la langue et du génie des Athéniens ; et lui, bien que Sicilien, y réussit si bien que la première année de la 103ème olympiade (qui fut la dernière de son existence) il fit connaître une tragédie à Athènes, d’où il sortit vainqueur.48
Quin et Antiochenus ille Iohannes, ab oris ubertate Chrysostomus cognominatus, Constantinopoleos patriarcha, fertur bonam partem suae facundiae, tum uehementiae in corripiendis uitiis, maxime muliercularum, ex Aristophanis poene quotidiana lectione hausisse, cum, ut Alexander olim Homeri poema, sic Sanctus hic uir Aristophanis Comoedias puluillo subdere solitus fuerit.
Bien plus, le célèbre Jean d’Antioche, qui, en raison de son éloquence fut surnommé Chrysostome, patriarche de Constantinople, puisa, dit-on, une bonne partie de son éloquence et de sa virulence à corriger les vices, en particulier ceux des femmes, de sa lecture presque quotidienne d’Aristophane, puisque ce saint homme avait l’habitude de le faire avec les comédies d’Aristophane, comme autrefois Alexandre le Grand avec les poèmes homériques. 49
Itaque quum publico Graecorum sacerdotum ac monachorum consensu eliminati sint e Scholis Comici, quasi eorum lectio minus competat adolescentibus, ob nequitiam, hic tamen unus in communi crimine (si crimen est, exprimere uitia, ut ea explodamus) impetrauit ueniam ; nimirum praerogatiua eloquentiae.
C’est pourquoi, alors que le consensus des prêtres et des moines grecs bouta les Comiques hors des écoles, comme si leur lecture convenait moins aux jeunes gens à cause de leur débauche, Aristophane seul fut relaxé du crime dont ils étaient tous accusés (si tant est qu’il soit criminel de mettre en mot les vices pour les condamner), bien sûr en raison de l'excellence de son éloquence.
Atque hinc factum est, ut solus Comicorum Graecorum nunc extet et omnibus placeat Aristophanes.
Et c’est ainsi qu’il est arrivé qu’Aristophane nous reste désormais seul parmi les comiques grecs et qu’il plaît à tout le monde.
Quod enim ad obscena uerba, quae ceu naeuuli quidam faciem huius operis defoedare dicuntur, attinet, abstinere ab eis prorsus exulcerato suo aeuo non potuit Aristophanes ; quum Comicorum proprium sit singulis attribuere, ex decoro, uerba naturae et moribus ipsorum maxime accommodata ; Scythas enim, Triballos, Persas, Lacones, Boeotos proprio idiomate loquentes cum introducat, aequum etiam erat ut seruos ac scurras et uulgus Atheniensium flagitiosis uerbis et actionibus assuefactos, per histriones suos eadem dicentes et agentes, repraesentans, doceret omnes, quam honestos uiros talia dedeceant, quae in histrionibus tam turpia et indecora esse animaduertebant.
En effet, ce qui tient aux paroles obscènes, qui, dit-on, souillent le visage de son œuvre comme des petites verrues, Aristophane n’a pu s’en tenir éloigné directement puisque son existence était malmenée et que le propre des comiques est d’attribuer à chacun, selon le décorum, les mots les plus appropriés à sa nature et ses mœurs ; en effet, puisqu’il introduit des Scythes, des Triballes, des Perses, des Lacédémoniens, des Béotiens qui parlent une langue qui leur est propre, il était juste également que, comme il représentait des esclaves et des bouffons et la foule des Athéniens habitués à des paroles et des actions déshonorantes qui parlaient et agissaient à travers ses comédiens, il fasse voir à tout le monde combien les paroles et actions de ce genre, qu’on considérait si indignes et impropres chez des histrions, étaient indignes d’hommes honnêtes.
Propositum, inquam, huic poetae fuit, Comico risu Populum excitare et, quum de aliis loqui uideatur, efficere ut sua ipsius uitia agnoscat, eaque post modum uitare studeat.
L’intention de ce poète, dis-je, fut d’exciter le peuple par le rire comique et de réussir, alors qu’il semble parler des autres, à ce que chacun reconnaisse ses propres vices et cherche ensuite à les éviter.
Quod quum non ignoraret Plato, tanti eum fecit, ut Aristophanis sermonem de Amore50 (quod Plutarchus ipse narrat51) Symposio suo inserere uoluerit.
Et comme Platon ne l’ignorait pas, il fit si grand cas de lui qu’il voulut insérer le propos d’Aristophane sur l’amour (que Plutarque lui-même rapporte) dans son Banquet.52
Ad iocos Aristophanis quod attinet, qui eos frigidos esse aiunt, sane nimis quam frigent.
Quant aux traits d’humour d’Aristophane, ceux qui les trouvent fades sont vraiment trop frigides.
Ignorant enim ii, inesse quiddam reconditum Paroemiis ac Parodiis ueterum, quod aeui diuturnitas obscurat : adeo ut ne proxime quidem sequenti seculo, energeia aut uis alicuius dicterii intelligi a quoquam possit : tantum abest ut Plutarchus, tot seculis Aristophane posterior, capere (multo minus carpere) eius acumina potuerit.
Eux ignorent en effet qu’il y a dans les proverbes et les parodies des Anciens un mystère que le temps qui passe rend obscur au point que l’énergie ou la force d’un mot peuvent n’être pas même comprises par un homme du siècle suivant : il s’en faut de beaucoup que Plutarque, qui vécut tant de siècles après Aristophane, puisse comprendre (et encore moins reprendre) ses traits.
Habitum corporis, animique mores ex Comoediis expiscati quidam, caluum eum fuisse, colligunt ; alii procerum aut uasto corpore, qualis Cleon ille erat ; Athenaeus etiam ebriosum, qui Comoedias suas ebrius scripserit53, quod ille ebriis solis fortasse persuaserit, non autem sobriae mentis hominibus.
Certains, parce qu’ils voulaient tirer de ses comédies des conclusions sur son physique et son caractère, ont rapporté qu’il était chauve ; d’autres qu’il était grand et imposant, tel Cléon ; Athénée rapporte également qu’il était ivrogne, parce qu’il écrivait ses comédies dans l’ivresse, ce dont il ne persuada sans doute que les ivrognes, non les hommes sobres.
Porro Comoedias scribendo, populumque qua delectando, qua seuere castigando, uitam suam ad senectutem usque produxit Aristophanes, fortassis etiam septuagenario maior.
En outre, Aristophane a passé sa vie à écrire des comédies, à amuser le peuple, à le corriger sévèrement, jusque à sa vieillesse, peut-être même à plus de soixante-dix ans.
Quo autem anno proprie obierit, et hoc cum reliquis ignoramus : ultra annum V.C. 363, seu natalem Aristotelis, uitam produxisse, uix credibile est.
L’année exacte de sa mort, au même titre que le reste, nous est inconnue : il est difficile de croire qu’il vécut jusqu'à la 363ème année après la fondation de Rome, l’année de naissance d’Aristote.
Duos filios superstites reliquisse scribitur, Philippum, auo cognominem, et Aratorem ; Suidas tertium addit, Philaretum seu Philetaerum, Comicos omnes54 ; alii et Nicostratum.
On écrit qu’il laissa derrière lui deux fils, Philippos, du nom de son grand-père, et Aratôs ; Suidas en ajoute un troisième, Philaretos ou Philetaeros, tous comiques ; d’autres le nomment aussi Nicostratos.
Coniugem qualem habuerit, non constat : etsi de uxore ac duobus filiis suis ita scripsisse eum autument :
On ignore l’identité de sa femme, même si on pense qu’il écrivit à propos de son épouse et de ses deux fils :
55
« j'ai honte de ma femme et de mes deux crétins de fils. »
quasi uxoris eum puduerit tamquam ipso indignae ; et duos filios habuerit parum sapientes.
comme s’il avait honte de sa femme parce qu’elle était indigne de lui et qu’il avait deux fils idiots.
Sed alii aliter sentiunt.
Mais d’autres en jugent autrement.
Defunctum autem hoc epigrammate herolegeio decorauit Plato :
Platon le gratifia, une fois mort, de cette épigramme élogieuse :
56
Id est, ut Iosephi Scaligeri manu scriptum reperi :
c’est-à-dire, comme la note manuscrite de Scaliger le dit :
« Les Grâces, cherchant à obtenir un sanctuaire qui ne ferait jamais défaut, ont trouvé ton cœur, Aristophane. »
Ῥόδιος ἤτοι Λίνδιος, οἱ δὲ Αἰγύπτιον ἔφασαν, οἱ δὲ Καμειρέα· θέσει δὲ Ἀθηναῖος· ἐπολιτογραφήθη γὰρ παρ’ αὐτοῖς·κωμικὸς, υἱὸς Φιλίππου.