De tragoedia
Benedictus Philologus Riccardinus

Présentation du paratexte

L’éditeur Benedetto Riccardini rédige un bref traité sur la tragédie où elle est définie par son registre, par son contenu et par son étymologie, étymologie qui fait l’objet d’une discussion plus développée.

Bibliographie :
  • Black, Robert. « The School of San Lorenzo, Niccolò Machiavelli, Paolo Sassi, and Benedetto Riccardini ». Brill’s Studies in Intellectual History 241 (2015): 107‑33.
  • Black, Robert D. « A Humanist History in the Italian Vernacular: The Speeches in Machiavelli’s Florentine Histories », 2017, 339‑55.
  • Frazier, Alison Knowles. Essays in Renaissance thought and letters: in honor of John Monfasani. Leiden: Brill, 2017.
  • Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
  • Cloché, Paul. Histoire de la Macédoine jusqu’à l’avènement d’Alexandre le Grand [336 avant J.-C.). Paris, 1960.
  • Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Traduction : Pascale PARE-REY

De tragoedia

De la tragédie

Tragoedia grande genus poematis, est heroicae fortunae in aduersis comprehensio. 1

La tragédie, poésie du grand style, est le condensé d'un destin héroïque dans l'adversité .

Dicta a po tu tragu, kai tis Odis hoc est ab hirco et cantu , quasi hirci cantus.2

Elle est nommée à partir de « tragos » / tragu et « odè » / odis, c'est-à-dire « bouc » et « chant », comme si c’était « le chant du bouc ».

Quoniam olim auctoribus Tragicis, hircus in praemium cantus dabatur, qui musici et pastores erant.

Puisqu’autrefois on donnait aux auteurs tragiques un bouc en récompense de leur chant, eux qui étaient des musiciens et des bergers.

Horatius Carmine qui Tragico uilem cantabat ob hircum 3 ; uel ab hirco uinearum hoste 4, qui accensis altaribus, alterno hoc carminis genere decantato, Libero patri mactabatur.

Horace : « Celui qui chantait en poésie tragique pour un vulgaire bouc » ; ou bien « du bouc ennemi des vignes », qui, une fois les autels embrasés, une fois ce genre de chant alterné déroulé, était sacrifié au dieu Liber.

Alii autem putant a faece, quam Graeci Tryga uocant Tragoediam apellatam.

D’autres en revanche pensent que c’est d’après « la lie », que les Grecs appellent « truga » / tryga, que la tragédie a été appelée.

Quoniam olim non dum personis a Thespide repertis, talis fabulas peruncti ora faecibus agitabant.

Puisqu’autrefois, quand Thespis n’avait pas encore inventé les masques, ils jouaient de telles pièces le visage enduit de lie.

Idem. Ignotum Tragice genus inuenisse Camoenae dicitur.Et plaustris uexisse poemata Thespis.Quae canerent, agerentque peruncti faecibus ora. 5

Le même : « On dit que Thespis a inventé le genre de la Camène tragique qui était encore inconnu et a promené sur ses chariots des poèmes que chantaient et jouaient des acteurs au visage barbouillé de lie ».

Tragoediae auctores quidam Thespidem, et Phrynicum uolunt, at Plato antiquiorem fuisse 6 putat.

Certains auteurs veulent que ce soit Thespis et Phrynikos,7 les inventeurs de la tragédie mais Platon pense qu’elle est antérieure.

Alii tragoedias primum in lucem Aeschylum protulisse asserunt, sed longe clarius Sophoclem, et Euripidem illustrasse.

D’autres affirment que c’est Eschyle qui a le premier donné le jour aux tragédies, mais que Sophocle puis Euripide les ont embellies bien plus brillamment.

Tragoediae suum fuit quindecim adhibere saltatores, gemitus ac luctus referre.

Le propre de cette tragédie grecque fut de faire intervenir quinze danseurs, de représenter des gémissements et des manifestations de deuil.

Quare uitae solutrix8 9 dicta est.

C’est pourquoi elle a été qualifiée de « destructrice de l’existence ».

Propter quod Euripides, petente Archelao rege ut de se tragoediam scriberet, abnuit, ac precatus est, ne accideret Archelao aliquid tragoediae proprium, ostendens nihil aliud esse tragoediam quam miseriarum poemata. 10

À cause de quoi Euripide, comme le roi Archelaos11 lui demandait d’écrire une tragédie sur lui, refusa12, et pria pour que rien de tragique n’arrivât à Archelaos, montrant que la tragédie n’est rien d’autre qu’un poème de malheurs.13


1. Diom., Ars 487, Citation quasi littérale courant sur le début du texte. On retrouvera la même définition de la tragédie dans Sq1511_Maserius_p3.
2. Evanthius, De Fabula 2, .
3. Hor., P. 220. Carmine qui tragico uilem certauit ob hircum dans les éditions modernes ; cité aussi par Diomède
4. Evanthius, De Fabula 2, .
5. Hor., P. 2775-277.
6. Plat., Conv. 173a.
7. Thespis se produisit au milieu du VIe s. et on lui attribue l’invention du masque tragique ; Phyrnikos, disciple de Thespis, avait écrit 9 tragédies, perdues.
8. L’adjectif solutrix « celle qui délivre de », est d’emploi tardif : Giorgio Valla, Poétique, 1498 : le but de la tragédie est de reproduire les pleurs et les lamentations, ob hoc uitae solutrix dicta. La formule se retrouve dans un paratexte à Eschyle
9. Diom., Ars 487, Riccardini enchaîne ici sur une nouvelle citation de Diomède qui fait suite à celle du tout début du texte, par rapport à laquelle il faut comprendre ce quare, qui reprend la logique du texte-source : altera enim ἀκίνδυνος περιοχή, altera τύχης περίστασις dicta est.
10. Diom., Ars 488, Voir Paul Cloché Histoire de la Macédoine jusqu'à l'avènement d'Alexandre le Grand, Bibliothèque Historique Payot, Paris 1960.
11. Archélaos Ier de Macédoine : roi vers 413-399 ; successeur de Perdicas II, lui-même successeur d’Alexandre. Personnage peint comme un monstre de cruauté dans le Gorgias. Mais il était connu comme un homme de culture, qui fit tout pour montrer que son pays appartenait à la Grèce proprement dite en faisant de sa nouvelle capitale, Pella, un centre pour les artistes, où il reçut Euripide, Agathos, Choerilos de Samos, Timothée, Zeuxis.
12. Euripide a bien composé un Archelaos, vers 408-407, sans doute en Macédoine (Pella, Aigai, Dion ?). Était-ce dans le but de plaire au roi de Macédoine, comme le rapportent la Vie d’Euripide et un résumé d’Hygin (voir les testimonia dans l’édition de M. A. Harder, p. 145 et suiv.) ? Ou plus précisément dans le but de l’éduquer et de le légitimer ? Ces questions, soulevées par Marijke Annette Harder, dans son édition Euripides' Kresphontes and Archelaos : introduction, text, and commentary, Leiden, Brill, 1985, p. 15-144, reçoivent une réponse convaincante : il est possible que la pièce ait célébré à la fois l’ancêtre grec d’Archelaos et les Macédoniens en général, afin de les relier plus étroitement à Athènes. Pourquoi Riccardini affirme-t-il qu’Euripide a refusé cette commande au roi ? La pièce, dont nous n’avons conservé que des fragments, et dont les éditions princeps ont été établies tardivement à partir des deux manuscrits retrouvés (1903 et 1954), ne devait pas alors circuler. Voir Paul Cloché Histoire de la Macédoine jusqu'à l'avènement d'Alexandre le Grand, Bibliothèque Historique Payot, Paris 1960.
13. On lit dans l’Hécube attribuée à Lazare de Baïf, imprimée en 1550, ce passage : « Car ce sont les propres argumens des tragedies : comme monstra Euripide : lequel, estant en Macedoine, le roy Archelaus le pria d'escrire une tragedie de luy : et le poete luy refusa, priant aux dieux que iamais chose ne luy aduint qui peust estre bon argument d'escrire une tragedie : pource que ce ne sont que pleurs, captivitez, ruines et desolations de grans princes, et quelquesfois des plus vertueux », rappelant les mots de ce traité. Le texte, qui ne nous est parvenu que sous forme fragmentaire, ne devait pas être connu au XVIe s. Que le passage de Baïf soit un emprunt direct à Riccardini, un souvenir de Diomède ou un topos circulant alors sur Euripide ne change finalement pas grand-chose. Dans tous les cas, on voit qu’existe un lien étroit entre les paratextes du théâtre traduit en vernaculaire et les paratextes latins.