Présentation du paratexte
Plan de ce paratexte présenté dans les quelques lignes qui précèdent ce qui est présenté comme un titre (Tragoediae diffinitio en milieu de page), juste après le chœur des Bons Enfants : sur la tragédie, sa nature, ses différences avec la comédie, ses auteurs.
Manière également annoncée : par opposition à ce qui a précédé (diffuse), ici c’est sous forme résumée (compendiose) que les questions seront traitées.
1) Section de l’épître dédicatoire consacrée à la définition de la tragédie, opérée par une remarque très générale, puis par le recours à l’étymologie, puis par série de differentiae avec la comédie et en lien avec le drame satyrique, par des remarques sur son style et sa composition (début, fin, chœurs)
2) deuxième partie de la lettre (Superest secunda pars eorum enarratiua qui in tragoediis scribendis clariores fuere) consacrée aux auteurs s’étant illustrés dans le genre tragique, en Grèce et à Rome
3) enfin troisième et dernière partie (His praelibatis restat ut de nostro Seneca dicamus quae alium a Seneca Stoico cuius meminimus aperte demonstrabunt) sur Sénèque, pour démontrer que le Tragique et le Philosophe sont deux personnes distinctes.
Parties descriptives et argumentatives s’appuyant sur de nombreux auteurs antiques (Horace, Térence, Vitruve, Virgile) et, à la marge, sur un auteur moderne (Riccardini).
Bibliographie :-
Heinrich Keil , Grammatici latini.Volume 1 , Flavii Sosipatri Charisii Artis grammaticae libri V. Diomedis Artis grammaticae libri III. Ex Charisii Arte grammatica excerpta, publisher, date -
Raphael Dammer , Diomedes grammaticus, publisher, date -
Publius Vergilius Maro , Comment. Maurus Honoratus Servius, Christophorus Landinus et Ælius Donatus, pubPlace, publisher, date -
F. La Brasca , Cristoforo Landino et la culture florentine de la Renaissance, pubPlace, publisher, date -
Roberto Cardini , La critica del Landino, pubPlace, publisher, date - Paré-Rey, Pascale, "Les éditions des tragédies de Sénèque conservées à la Bibliothèque nationale de France (XVe-XIXe s.)", in L’Antiquité à la BnF, 17/01/2018, https://antiquitebnf.hypotheses.org/1643
- Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Quid tragoedia sit, quantumque a comoedia differat et si auctores locupletissimi abunde explicuerunt, non incongruum tamen duximus, si quod pluribus libris diffuse tractetur, nunc comprendiose perstringamus ; quod idcirco facimus ne tui adulescentes, moderator optime, quibus usque commodare uolui carminis nouitate territi ab huius Senecae consuetudine abducantur, fructuque qui ex eius frequentia comparari potest priuentur, ut tamen ex his unus non habear qui in suis precandis oppidoquam ingrati alienarum rerum sunt uindicatores, quae sequitur sub collectaneum forma me subiungere non infitior.
Ce qu’est la tragédie, combien elle diffère de la comédie, si des auteurs très abondants l’ont abondamment déployée, nous n’avons cependant pas considéré comme incongru, même si cela a été traité de manière diffuse dans de nombreux livres, de l’aborder maintenant de manière abrégée ; et c’est pourquoi nous faisons en sorte que tes jeunes gens, toi qui excelles à les modérer, auxquels j’ai sans cesse voulu rendre service, ne soient pas, effrayés par la nouveauté de cette poésie, détournés de l’habituation à ce Sénèque, et ne soient pas privés du fruit qui peut être récolté de cette fréquentation, de sorte cependant que je ne sois pas considéré comme une exception parmi ceux qui s'approprient de façon vraiment ingrate le bien d'autrui ; en ce qui concerne ce qui suit, je ne nie pas que je me soumets à la forme de la compilation 1.
Tragoediae diffinitio
Définition de la tragédie2
Tragoedia est
heroicae fortunae in aduersitatibus comprehensio3 ; ἀπὸ τοῦ
τράγου tragoediam enim, cantantibus hircum pro praemio donari solitum
horatianus ille uersus indicat
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La tragédie est le fait de saisir en un tout le sort des héros dans l’adversité; que la tragédie tire son nom « de tragos » (bouc), qu’on avait l’habitude d’offrir en récompense aux chanteurs un bouc, ce vers horatien l’indique : « Celui qui concourut en poésie tragique pour un vulgaire bouc », alors que d’autres la font venir de la lie qu’ils disent « trux », d’autres du vin, qui se dit aussi « trux ».5
Non desunt qui pellem hirci musti6 plenam solemne esse praemium cantoribus assignant, quod Christophorus Landinus super illud Virgilii quod est in secundo Georgicorum annotauit :
Il ne manque pas de gens pour attribuer le fait que la peau du bouc pleine de moût était une récompense pour les chanteurs, ce que Christoforo Landino7 a commenté sur ce vers de Virgile qui se trouve dans les Géorgiques II :
8
His uersibus tragoedias in deorum honorem primitus actas elicere possumus et (ut canit Horatius), cum personae deessent, homines faece oblitos duce Thespi introduci solitos cum ait :
Nous pouvons tirer de ces vers que les tragédies ont été à l’origine jouées en l’honneur des dieux et (comme le chante Horace) que, alors que les masques faisaient défaut, on prit l’habitude d’introduire des hommes enduits de lie, sous la conduite de Thespis, quand le poète dit :
9
Comoedia uero est priuatae humilisque personae secluso uitae periculo comprehensio10, cuius deductio (quia satis ex Terentii lectione sedulisque eiusdem interpretibus perspecta est) de ea ut rei nostrae necessario sese offeret
La comédie, elle, est le fait de saisir en un tout une personne privée et humble, toute mise en danger de sa vie mise à part , dont (puisqu’elle a été suffisamment examinée à partir de la lecture de Térence et par ses habiles commentateurs) la progression à son sujet s’offrira d’elle-même nécessairement comme à notre affaire.11
Aliqua dicturi ad tragoediam transimus, cuius grauitati dramata satirica fuere aliquando permixta, obseruata saepius tragica maiestate, unde Horatius in Arte :
Dans l’intention d’en dire quelque chose, nous passons à la tragédie, à la gravité de laquelle les drames satyriques ont parfois été mélangés, leur majesté tragique ayant été assez souvent observée, d’où Horace dans son Art :
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Satyrica tamen uocauerimus non minus lasciuientia quam grauiter reprehendentia quae duo antiquis fabulis fuerunt inserta.
Nous appellerions cependant « satyriques » des éléments non tant lascifs que lourdement critiques qui ont tous deux été insérés dans les pièces antiques.
Hoc manifeste probat Deiphili petulantia qui ludis Apollinaribus cum inter agendum in eum incidisset uersum cuius haec erat sententia (Miseria uestra Magnus est) intolerabilem Pompei Magni satyrice reprehendit potentiam nec minus libere de eodem loquens sic insurrexit : Virtutem istam ueniet tempus cum grauiter gemas.13
L’effronterie de Diphile montre cela, lui qui dans les jeux Apollinaires, comme il était tombé au milieu de la représentation sur le vers qui comprenait cette sentence (« Il est Grand par votre misère »), a critiqué la puissance insupportable de Pompée le Grand de manière satirique et, parlant tout aussi librement à propos du même, s’est insurgé de la sorte : « Viendra un temps où tu te repentiras lourdement de ta bravoure ».
Verum quem grauia iuuabunt nulla leuitate
permixta, rarenter satyrica annectet ; est siquidem teste Horatio :
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Mais celui que séduiront les vers graves où ne se mêle aucune légèreté, insèrera rarement des passages satiriques. Car, aux dires du moins d'Horace, « la tragédie <est> indigne de se répandre en vers badins »
Cum igitur tragoediae stilus sublimis sit
adeo ut audacissime Horatius dicat
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Vu donc que le style de la tragédie est à ce point sublime qu’Horace dit « La tragédie vainc tout genre d’écrit par sa gravité ».
Et alio in loco
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Et ailleurs : « Que la Muse de la sévère tragédie s’éloigne un peu des théâtres » ;
Strabo quoque in primo altiloquentiam uocitet quae alta seuera grauiaque erunt heroicam deflentia calamitatem tragice ; quae uero humilia uirginum raptus et amores ludentia comice explicentur.17
Que Strabon également, dans son premier livre, nomme grandiloquence les éléments qui seront altiers, sévères et graves, déplorant le malheur héroïque de façon tragique ; mais les éléments humbles, représentant les enlèvements et les amours des jeunes filles, seront développés de façon comique.
Nam ut non inconcinne tradit Horatius :
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Car comme le livre
Horace non sans élégance :
Vnde fieri solet ut comoedia cuius tristi
principio finis succedit laetus humiles personas ; tragoedia cuius principio exitus
lacrimosior est graues recipiat, haec humilibus sententiis gaudeat ; illa
uehementissimis constet affectibus cui illud Quintilianum decimo accedit sua cuique proposita lex suus cuique decor ; nec comoedia in cothurnos
assurgit nec tragoedia socco ingreditur, habet tamen omnis eloquentia
aliquid commune, id imitemur quod commune est
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D’où il arrive souvent que la comédie, dont la fin heureuse succède à un début triste, admet des personnages humbles ; que la tragédie, dont l’issue est plus larmoyante que le début, admet des personnages graves, que celle-ci se satisfasse de pensées humbles, que celle-là comprenne des émotions très violentes, à laquelle au dixième livre intervient ce propos de Quintilien « à chaque genre d'éloquence sa loi, à chacun sa convenance ; ni la comédie ne se dresse sur des cothurnes ni la comédie n’avance sur le socque ; chaque expression a cependant quelque chose du commun ; imitons ce qui est commun ».
In tragoedia tamen aliquando fit ut res humiliter exponatur praesertim in choro ubi lasciuiendi materia conceditur ; quin etiam in comoedia habetur nonnumquam uerborum sententiarumque sublimitas unde illud Horatii :
Dans la tragédie cependant il arrive que quelque chose soit exprimé en style bas surtout dans le chœur, où on laisse matière à la légèreté ; et bien plus encore dans la comédie, on atteint parfois le sublime des mots et des pensées, d’où ce passage d’Horace :
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« Parfois cependant la comédie élève la voix. Chrémès, dans sa colère, enfle le ton pour gourmander son fils. Et souvent un personnage tragique exprime sa douleur en un langage prosaïque »
Huius tragoediae (ne quod eius est praetermittamus) ita ambitiose uel qui primi erant stilum amplexi sunt ut, si Minerua (qua inuita nihi tentandum) aliquantulum cooperaretur, tragicum genus tractarent (ut de Augusto Caesare Tranquillus litteris mandauit21) aut de se scribendum quantumuis temerarie iuberent quod de Archelao scriptum passim uidemus.
De la tragédie (pour ne pas omettre ce qui lui revient) ou bien ceux qui étaient les premiers en ont embrassé si amplement le style que, si Minerve (contre laquelle il ne faut rien tenter si elle s’y oppose) coopérait un tant soit peu, ils pratiqueraient souvent le genre tragique (comme Suétone l’a rappelé dans ses écrits à propos d’Auguste), ou ils ordonneraient qu’il faut écrire sur soi, même à la légère, ce que nous avons vu partout écrit à propos d’Archélaos.
Qui autem erat tragoediam acturus scaenam cothurno indutus ingrediebatur ; erat indumentum utrique pedi aptum ; soccus uero rusticorum erat calceamentum humile quidem comoedo congruum.
Or celui qui s’apprêtait à jouer une tragédie, s’avançait sur scène affublé du cothurne ; c’était un équipement adapté à chaque pied ; quant au socque, c’était une chaussure humble, des gens rustiques, convenant assurément à l’acteur comique.
Hinc pro comoedia sumptum, ut cothurnus
pro tragoedia. Vnde Horatius utrumque distinguens
ait :
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De là fut-il choisi
pour la comédie, comme le cothurne pour la tragédie. D’où Horace, en distinguant
l’un et l’autre, dit :
Quoniam cothurnatos diximus tragoedos scaenam ingredi, non ab re fiet si pauca de ea dicemus.
Puisque nous avons dit que les acteurs tragiques entrent en scène chaussés de cothurnes, ce ne serait pas hors de propos si nous disions quelques mots à son sujet.
Quae erat umbraculum a rusticis arboribus prius contextum ubi recitari solebant carmina ; eratque uel uersatilis quae subito machinis conuersa aliam picturae faciem ostentabat, uel ductilis quae tabulatis contractis hac atque illac picturae speciem nudabat interiorem, quam rursus actores trifariam diuisere ;
La scène était un lieu ombragé formé par des arbres de la campagne où on avait coutume de réciter des poèmes ; et il y avait soit une scène mobile qui, tournée d’un coup par des machines, montrait un décor peint différent, soit une scène convertible qui, une fois les tableaux repliés, dévoilait çà et là la vue d’un décor intérieur, que les acteurs divisèrent à nouveau en trois parties ;
aut enim tragoediae agebantur tunc, omnia iuxta regiam magnificentiam parabantur signa fastigiaque regalia et columnae deauratae coloribusue pretiosis depictae ;
Car ou c’était des tragédies qui étaient alors jouées, ils préparaient tout conformément à la magnificence royale : statues et toits de palais, colonnes dorées ou peintes en des coloris précieux ;
aut comoediae et tunc scaena plebeios receptura erat pro priuatorum aedificiorum specie formata ;
ou c’était des comédies et alors la scène, destinée à recevoir des gens du peuple, était arrangée pour offrir la vue de bâtiments privés ;
aut agebantur satyrae conualles, monticulos, arbores et antra exposcentes.
ou c’était des satyres23 qui étaient jouées, nécessitant des vallées, des monticules, des arbres et des grottes.
Ibi pegmata, peripesmata24, aulaeaque cernebantur ; pantomimi, praecones, tibicines, cornicines, cytharoedi, choraules, symphonia tragoedi et comoedi.
Là on voyait des estrades, des tentures et des rideaux ; des pantomimes, des hérauts, des joueurs de tibia, de cornu, de cithares, d’aulos, jouant en accord avec le tragédien et le comédien.
Vbi uel res agebatur, circa quod ea utebatur actor diligentia ut quae nimiae essent in comoedia lasciuiae a populi conspectu auerteret quaeque nimiae essent in tragoedia immanitatis ; ne a populo spectaretur amouendum curaret iuxta illud Horatii :
Quand l’action était bel et bien jouée, autour de quoi l’acteur faisait preuve d’une telle implication qu’il détournait de la vue du public ce qui était trop osé dans la comédie et tout ce qui était trop monstrueux dans la tragédie ; pour que ce ne soit pas vu par le public, il faisait en sorte de le supprimer conformément à ce passage d’Horace :
25
Ad hoc notandum est secundum Horatii praeceptum quartam personam uel non recipiendam uel si recipiatur sermonibus rariuscule interponendum27 ; frequentius duae admittuntur ; ubi uero tertia adiungitur plerumque; fit ut aliorum dicta ex insidiis non respondens suscipiat, uel si opus est occulte respondeat.
À ce propos, il faut noter, selon le précepte d'Horace, qu'il ne faut pas recourir à un quatrième acteur, ou s’il est requis, qu'il faut le faire intervenir très rarement dans les dialogues ; on prend plus fréquemment deux acteurs ; quand cependant un troisième est ajouté, la plupart du temps il arrive qu'il saisisse les paroles des autres en traître sans répondre, ou, s'il est besoin, qu'il réponde en aparté.
Praeterea quae in scaenis agebantur tragoediae, ut Horatius prosequitur, non pauciores nec plures quam quinque actus continebant28, modo eas dicere perfectas uelimus ; tertiam namque imperfectam nostri Senecae tragoediam edax tempus29 rerum maiorum negligentia non sine posterorum damno exedit;
En outre, pour les tragédies qui étaient jouées sur scène – comme Horace l'expose – qui ne comprenaient pas moins ni pas plus de cinq actes, nous voudrions dire qu'elles sont parfaites ; et de fait la troisième de notre Sénèque, imparfaite30, « le temps vorace », par la négligence des choses plus importantes, non sans dommage pour la postérité, l'a rongée.
Cui (ut dignosci facile potest), quartus actus nullo introducto choro finem imponit; qui tragoediae maxime necessarius solet bonis prosperitatem precari, sceleratorum uitia grauiter insectari, iratos temperare et uirtutis amore non peccantes laudibus efferre, ab omnibusque uirtutibus commendare, qui comoediae et tragoediae prius communis, nunc soli tragoediae competit.
Car là (comme on peut facilement le discerner), c'est le quatrième acte qui marque la fin, sans qu'aucun chœur ne soit introduit ; alors que ce dernier, nécessaire à la tragédie, a l'habitude de souhaiter le bonheur pour les honnêtes gens, de châtier lourdement les vices des criminels, de modérer les enragés, et, ceux qui ne pèchent par amour de la vertu, de les porter aux nues et de les recommander d'après toutes les vertus, lui qui était commun à la tragédie et à la comédie auparavant, mais appartient maintenant à la seule tragédie.
Haec sunt quae tumultuaria conscripsimus oratione quae eo suscipias animo quo tuae dignitati paruitas exhibet.
Voilà les choses que nous avons écrites à la hâte dans ce discours pour que tu les reçoives avec un esprit par lequel ton humilité le dispute à ta dignité.
Superest secunda pars eorum enarratiua qui in tragoediis scribendis clariores fuere.
Reste la seconde partie qui expose en détail les auteurs qui se sont particulièrement illustrés dans l'écriture des tragédies .
Sub agresti hominum ingenio, naturali bonitate cicurato sapientiumque concursu amollito, Thespis genere Atheniensis (si Port. credatur31) tragoedias primus scripsit, quae res etsi plerisque cordi fuisse perhibentur eo tamen Solon Salaminius adduci non potuit ut delectaretur ; quin teste Diogene Laertio eas falsiloquentiam inclamans Thespin docere prohibuit.32
Au temps du talent brut des hommes, apprivoisé par la bonté naturelle et adouci par le concours des sages, Thespis, un athénien (si l’on en croit Portius), fut le premier à écrire des tragédies, que, même si la plupart rapportent qu’elles lui tinrent à cœur, Solon de Salamine ne put cependant être amené à les apprécier ; bien plus, au témoignage de Diogène Laërce, critiquant leur caractère mensonger, il interdit à Thespis de les produire.
Post cuius decessum, longo tamen temporum interuentu, Aeschylus scriptor clarissimus eo tempore floruit quo cum Persis apud Marathonem Milciadis auspicio digladiatum est;
Et à son décès, après cependant un long intervalle de temps, l’écrivain Eschyle connut son apogée, très célèbre en ce temps où l’on combattit contre les Perses à Marathon sous les auspices de Miltiade33 ;
Qui teste Quintiliano
primus tragoedias in lucem protulit grauis quidem sublimis grandiloquus
saepe usque ad uitium, sed rudis in plerisque et incompositus
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Et Eschyle, au témoignage de Quintilien, a le premier porté à la lumière des tragédies, grave bien sûr, sublime, et éloquent souvent jusqu’à l’excès, mais brut en général et désordonné.
Post haec Sophocles et Euripides, dictatore Torquato qui filium securi percussum interemit, Athenis in tragico sermone plurimum celebrati sunt.
Après cela Sophocle et Euripide, sous la dictature de Manlius Torquatus35 qui tua son fils après l’avoir frappé d’une hache, furent abondamment célébrés à Athènes dans le genre tragique.
Prior natu Sophocles unde Sophocleum uocat Virgilius cothurnum36, minor Euripides qui ex septuaginta quinque tragoediis elegantissime compositis quinque solum uictorias37 teste Aulo Gellio rettulit, aliis nonaginta duas tragoedias quindecimque uictorias recitantibus ;
Sophocle est l’aîné, d’où Virgile appelle le cothurne « sophocléen » ; Euripide le cadet, qui après avoir composé très élégamment soixante-quinze tragédies, remporta seulement, au témoignage d’Aulu-Gelle, cinq victoires seulement, alors que d’autres citent souvent quatre-vingt-douze tragédies et quinze victoires38 ;
uter uero alteri praestaret iniudicatum
Quintilianus relinquens, ait illud quidem nemo non fateatur necesse est iis qui se ad agendum
comparent utiliorem longe Euripidem fore
etc.
39
mais Quintilien ne tranchant pas le débat de savoir lequel des deux l’emportait sur l’autre, dit cela : « assurément il est nécessaire que tout le monde avoue à ceux qui se préparent à jouer qu’Euripide sera de loin plus utile » etc.
Eodem tempore, ut Diogenes Laertius testatur, Socrates ille quem Apollinis oraculo sapientissimum
homines receperunt, in eo genere uersatus est40, quod prius a
Solone, hominum testimonio sapiente, improbatum diximus
quam, ut uult Aristophanes, tragoedias eloquentiae et
sapientiae plenissimas composuit de quo illud est:
41
Dans le même
temps, comme Diogène Laërce en témoigne, le grand Socrate que, selon l’oracle
d’Apollon les hommes ont admis comme le plus sage, s’est versé dans ce genre
littéraire, que Solon, sage au témoignage des hommes, avait (nous l’avons dit)
condamné, à une époque antérieure à celle où Socrate, comme l’affirme Aristophane, a
composé des tragédies pleines d’éloquence et de sagesse, d’où ce passage est tiré :
Quin etiam ipsum
Mnesilochus (ut idem refert Diogenes Laertius) Euripidem in poemate conficiendo plurimum
iuuisse sic adseuerat :
Bien plus, Mnésiloque
(comme le même Diogène Laërce le rapporte) avait ainsi affirmé qu’il avait beaucoup
aidé Euripide dans l'écriture de ses poèmes : :
Centum deinde et LX annis fere euolutis, surrexit Q. Ennius, quem Quintilianus in decimo perinde ac sacros uetustate lucos adorandum praedicat, in quibus non tantam grandia et antiqua robora habent speciem quantam religionem.43
Ensuite, cent-cinquante années environ s’étant écoulées, apparut Quintus Ennius, que Quintilien dans son dixième livre proclame qu’il faut révérer comme les bois sacrés par leur ancienneté, dans lesquels les grands et vieux chênes ne se distinguent pas tant par la grandeur de leur allure que par leur sainteté.
Huic Pacuuius insignis tragicus successisse dicitur, sententiis profecto maxime excitatiuis44 refertus, unde eius carmina in Caesaris funere Antonius recitari uoluit, quae in Brutum et Cassium ceterosque conspiratores populum commouerent ; huic (ut Aulus Gellius narrat) iam senio paene confecto Accius tunc inuenis obnixe petenti suam Atrea45 ostendit.46
On dit que Pacuvius, tragique remarquable, rempli de sentences vraiment suggestives, a succédé à celui-ci, d’où Antoine voulut que lors des funérailles de César l’on déclamât ses poèmes, pour soulever le peuple contre Brutus, Cassius et les autres conspirateurs ; c’est à lui que (comme Aulu-Gelle le raconte), alors qu’il avait déjà presque atteint l’âge sénile, Accius alors dans sa jeunesse dévoila, alors qu’il le réclamait avec insistance, son Atrée.
Quae cum durior uisa esset Pacuuio, nihil aliud respondisse fertur quam id sibi perplacere fore existimans ut cum annis mitesceret.
Cette pièce, comme elle avait paru assez rude à Pacuvius, on rapporte qu’il répondit seulement que ça lui plaisait, supposant que la douceur viendrait avec les années.
Ambo sane ut uult Quintilianus
sententiarum grauitate, uerborumque pondere et personarum auctoritate
clarissimi ; ceterum nitor et summa in excolendis operibus manus magis
uideri potest temporibus quam ipsis defuisse ; uirium tamen (ut quidem
prosequitur) plus Accio tribuitur, Pacuuium uideri doctiorem qui esse docti
affectant uolunt.
47
Ces deux auteurs, vraiment, comme le soutient Quintilien, sont les plus célèbres par la gravité de leurs pensées, le poids de leurs mots, la dignité de leurs personnages ; du reste l’élégance et la dernière main apportée à la finition de leurs œuvres peuvent sembler avoir davantage manqué à leur époque qu’à eux-mêmes ; cependant (c’est bien ainsi qu’il poursuit), on accorde plus de forces à Accius, mais ceux qui affectent l’érudition veulent que Pacuvius semble plus érudit.
Ante eos non incelebres fuere multi ut Phrynichus Mellanthae filius quem Athenienses mille drachmis multauerunt quod Milesiorum excidium tragoedia complexus esset48 ; Theodoctes qui tragoediam quae Mausolus inscribitur eleganti stilo composuit ; Eupolis quem Laertius in Protagora citat49.
Avant eux, il y eut beaucoup d’auteurs qui n’étaient pas obscurs, comme Phrynichos, fils de Mellanthas, que les Athéniens condamnèrent à payer mille drachmes au prétexte qu’il avait exposé dans sa tragédie la chute des Milésiens ; Théodocte, qui composa une tragédie d’un style élégant intitulée Mausole50 ; Eupolis, que Diogène Laërce cite dans son Protagoras.
Item alii qui secuti sunt ut M. Attilius scriptor quidem durissimus ideoque ferreus a Licinio dictus51, C. Seuerus, Maecenas et complures alii quorum carmina eo facilius praetermitto quod Quintilianus in rebus uirorum doctorum pensiculandis adamussim iudicium faciens eorum non meminit, inter insignes Varium nominat, cuius Thyestem Graecorum cuilibet compari posse asserit, Ouidium maxime in Medeam idem celebrat ; Pomponium Secundum inter ceteros sui temporis facile principem censet, qui senum iudicio parum tragicus eruditione ac nitore praestantissimus est habitus.52
Également d’autres ont suivi, comme M. Attilius, écrivain certes très dur et pour cela dit « de fer » par Licinius ; C. Sévérus, Mécène et bien d’autres dont j’omets les poèmes d’autant plus facilement que Quintilien, en portant son jugement dans son examen régulier des productions des savants, ne les rappelle pas, mais nomme Varius parmi les auteurs remarquables, dont il affirme que le Thyeste peut être comparé à n’importe lequel des Grecs, célèbre aussi au plus haut point Ovide pour sa Médée. Il juge que Pomponius Secundus est facilement le premier entre tous de son époque, lui qui au dire des vieillards est peu tragique, mais est considéré comme le plus éminent par son raffinement et sa splendeur.
His praelibatis53 restat ut de nostro Seneca dicamus quae alium a Seneca Stoico cuius meminimus aperte demonstrabunt.
Après ces mises en bouche, il reste à dire de notre Sénèque des arguments qui démontreront ouvertement qu’il n'est pas le Sénèque que la mémoire donne comme le philosophe stoïcien 54.
Solent fallaciosis plerumque captionibus hominum ingenia irretiri, quod eo perniciosius est (ut uult Quintilianus) quo uitiis dulcioribus est secundius.55
On a en général l’habitude par des tromperies captieuses d’envelopper les talents des hommes, ce qui est d’autant plus pernicieux (comme le soutient Quintilien) qu’il est heureux par ses agréables défauts.
Hinc enim fit ut mens nimium credula facile (ut aiunt) in sirenum scopulos naufragium factura saepius incurrat ; unde solis datur sapientioribus emergendi facultas, quod de Senecis non absurde poterimus dicere ad quos tamquam ad unum dulcia uirorum nec incelebrium dicta, nisi cauerimus, blande impellunt.
Par conséquent, il arrive en effet qu’un esprit trop crédule (comme on dit) coure facilement vers les rochers des sirènes, courant au naufrage ; d’où le fait qu’on attribue seulement aux gens assez sages la faculté de refaire surface ; c’est ce que nous pourrons dire sans absurdité à propos des Sénèque, eux vers lesquels, comme s’il n’y en avait qu’un seul, nous sommes agréablement poussés par les douces paroles – si nous n’y avons pas pris garde – des gens, et non des moindres célébrités.56
Inter hos Petrarcam scriptorem alias diligentissimum audio, et pariter Pe. Sipontinum aliosque non parui nominis auctores, Lucium Annaeum Senecum [sic] eumdem stoicum philosophum et tragicum dicere, qui uenarum solutione sub Nerone decessit illudque se ipsos iugulantes.
Parmi ceux-ci, je sais que l’écrivain Pétrarque très scrupuleux par ailleurs, également P. de Siponte57 et d’autres auteurs de grande renommée, disent que Lucius Annaeus Sénèque, le philosophe stoïcien et le tragique qui mourut sous Néron en se tranchant les veines sont une même personne et qu’ils se sont eux-mêmes mis à mort.
Quintiliani auctoritate comprobare nituntur, qui in decimo de
Seneca ita loquitur : tractauit omnem fere studiorum materiam nam et poemata et epistolae et
dialogi efferuntur ; et in philosophia parumque diligens
58
Ils s’efforcent de le prouver sur l’autorité de Quintilien, qui dans son livre X, s’exprime ainsi : « Il a traité presque chaque sujet d’étude59 ; de lui, nous avons en effet des poèmes, des lettres, des dialogues ; et en philosophie, il manqua quelque peu de précision » ;
ad quod illud etiam referunt quod est in
octauo : facit quasdem sententias sola geminatio qualis est Senecae in eo scripto
quod Nero ad senatum misit occisa matre cum se
periclitatum uideri uellet “saluum me esse adhuc nec credo nec
gaudeo”
60
à quoi ils rapportent aussi ce qui se trouve dans le livre VIII : « Quelquefois le trait consiste à doubler un mot, comme dans cet écrit de Sénèque que Néron envoya au sénat après le meurtre de sa mère, comme il voulait sembler avoir été en danger : “que je sois sauf, ni je ne le crois ni ne m’en réjouis encore” ;
nec sibi obstare pertinaciter contendunt
quod in octauo (cui maxime Crinitus
innititur) idem dixit « Nam memini inter Pomponium et Senecam etiam praefationibus esse
tractatum an “gradus eliminat” in tragoedia dici oportuisset
61
et ils ne prétendent pas s’opposer obstinément à ce que le même dit dans son livre VIII (sur lequel Crinito s’est le plus appuyé)62 : « et je me rappelle que Pomponius et Sénèque discutaient dans des préfaces s’il avait été opportun de dire “gradus eliminat” (“il met les pieds dehors”), dans une tragédie ».
Si enim Quintiliani (ut aiunt) auctoritas eo trahatur ut Seneca et poeta et philosophus fuerit, nonne ut Pomponius uel stoicus, tragoediam scribere potuit cum omnem fere studiorum materiam tractauerit, his inanibus argutiis aut quod uerius dixero futilibus coniecturis qui rem subtilius et enucleatius perscrutati sunt (si uirorum doctorum iudicio est fides adhibenda) apertissimum errorem demonstrant.
Si en effet l’autorité de Quintilien (comme on dit) s’étend au point que Sénèque fût à la fois poète et philosophe, « est-ce qu’il n’a pas pu, comme Pomponius, stoïcien assurément, écrire une tragédie, dans la mesure où il a traité presque chaque sujet d’étude ? », par ces arguties vaines ou ce que j’aurai plus justement dit par ces conjectures futiles, ceux qui ont fouillé la question assez subtilement et nettement (puisque l’on doit accorder confiance au jugement des savants), montrent une erreur très claire.
Inprimis Iohannes Baptista Pius duos Senecas Romae floruisse annotationum
septuagesimo capitulo asserit, cum inquit : alter sententiosus ille, quem traditione
pollere Boetius autumat, periit exsectis iussu
Neronis uenis. “Orchestram quatit alter Euripidis”
63
En premier lieu, Giovan Battista Pio a affirmé au soixante-dixième chapitre de ses Annotations que « deux Sénèque ont fleuri à Rome », quand il dit : « le deuxième, le sentencieux, que Boèce affirme avoir beaucoup de pouvoir dans la tradition, a péri après s’être tranché les veines, sur ordre de Néron. “Il ébranle l’orchestre d’Euripide”, comme dit Sidoine ; cet autre Sénèque, qui se préoccupe de tragédie, est épluché par une lecture continue. »64.
Item M. Antonius Sabellicus in secunda rhapsodia duos fuisse Senecas confirmat, cum unum pisonania coniuratione deprehensum uenis sectis interiisse recitat, alterumque cuius exstant tragoediae eleganti stilo contextae ; nomina qui Martialis carmine celebrantur quod subiungere ideo placuit ut philosophiam stoico et tragoediam poetae tragico Petrarca relinquat :
De même, Marcus Antonius Sabellicus65 affirme dans sa seconde rhapsodie qu’il y eut deux Sénèque, quand il proclame que l’un, découvert dans la conjuration de Pison, mourut en se tranchant les veines, l’autre dont restent des tragédies écrites dans un style élégant ; noms qui qui sont célébrés dans un poème de Martial, parce qu’il lui plut de les unir pour cette raison que Pétrarque laisse la philosophie au stoïcien et la tragédie au poète tragique :
66
Duos igitur Senecas fuisse cunctis uel mediocriter eruditis persuasum esse debet, horum prior stoicus teste Lactantio de Diuinis Institutionibus primo, capitulo quinto68, fuit uitiorum insectator ex Romanis acerrimus qui saepe summum deum merita laude prosecutus est poematis epistolis orationibus dialogis et compluribus in philosophia scriptis, inter uiros apprime eruditos commendatus qui ex Corduba Hispaniae Baeticae ciuitate poetarum oratorumque partu fulgentissima ortus, puer Roma delatus est, qui probo teste sub Claudio innocentissimus adulteriorum Iuliae Germanici filiae tamquam conscius in Corsicam insulam relegatus dicitur, quod a secundo Seneca introductus in Octauia sic loquens innuere uidetur:
Donc, qu’il y ait eu deux Sénèque, cela doit être décidé par l’ensemble, du moins la majorité, des érudits ; parmi eux, le premier est le stoïcien, au témoignage de Lactance, au livre I des Institutions Divines, chapitre 5 : « il fut le plus virulent pourfendeur des vices chez les Romains, lui qui a souvent honoré le dieu suprême par une louange justifiée dans ses poèmes, ses lettres, ses discours, ses dialogues et de nombreux écrits philosophiques, recommandé entre les érudits avant tout,lui qui, après une naissance à Cordoue, ville de poètes et d’orateurs très brillante en Hispanie Bétique, fut envoyé dans son enfance à Rome, et qui, sous Claude, alors qu’il était complètement innocent, a été envoyé par un honnête témoin, dit-on, en relégation en Corse, en tant que complice des adultères de Julie, fille de Germanicus ; ce que, mis en scène dans son Octavie par le second Sénèque, il semble indiquer en parlant ainsi :
69
Hic deinde ab exilio reuocatus Neronis teste Suetonio factus est praeceptor70, quem Pisonianae coniurationis participem uenis solutis integerrimum paedagogum sanctissimumque coinquinatissimae uitae discipulus, satis omnibus notae crudelitatis homo, ad mortem immaniter compulit, cuius hoc fuit epitaphium :
Ensuite, Sénèque, rappelé d’exil, devint au témoignage de Suétone le précepteur de Néron ; et lui, en tant que complice dans la conjuration de Pison, après s’être coupé les veines, lui, pédagogue le plus intègre et le plus vénérable, son élève à la vie des plus impures, et homme à la cruauté bien connue de tous, le poussa de façon horrible à la mort ; et voici son épitaphe71 :
72
Hunc Quintilianus magis sugillare uidetur quam commendare.
Quintilien semble plus se moquer de lui que le recommander.
Aulus
Gellius praetera in suis Noctibus
Atticis omni die profecto fulgidioribus scriptorem censet inutilem, cuius libros attingere nullum pretium operae sit, quod oratio eius
uideatur uulgaris et protrita. Res autem et sententiae ut inani ineptoque
impetu leui et dicaci argutia cuius oratio sit uernacula et plebeia,
nihilque ex ueterum scriptis nec gratiae nec dignitatis habens.
73
Aulu-Gelle, en outre, dans ses Nuits Attiques, considère que c’est un écrivain inutile par ses fulgurances vraiment quotidiennes, lui dont il ne vaudrait absolument pas la peine de toucher les livres parce que son expression lui semble vulgaire et banale. Or sa pensée et ses tournures sont d’un élan vain et inadapté, d’une subtilité légère et railleuse, dont l’expression serait commune et plébéienne, et n’ayant rien de la grâce ni de la dignité des écrivains d’antan.
Aliis fenestram maledicendi inde puto apertam qui inter quadriuiales grammaticos uix enumerandi maiorum latratus effingere conantur.
Je pense que la porte de la médisance est ouverte, chez d’autres qui, en très grand nombre parmi ces grammairiens du quadrivium, entreprennent de reproduire les aboiements des Anciens ».
Nec tamen stoicum defendere contenderim, quem Quintilianus non commendauerit, in quem Aulu Gellius audacissime insurrexerit, cuius stilum et incultum et inelegantem Crinitus libro primo De Disciplina Honesta confirmauerit, quem Caius princeps arenam sine calce notauerit74, sed quem a fide nostra alieni damnauerint (Crinitum secludo cuius pedaria sententia est), Beatus Hieronymus inter Christianissimos recepit75, Boetius sententiosum dixit76, Lactantius sedulissimus superstitionum propugnator saepius ut a fide nostra non abhorrentem collaudauit.77
Et cependant je n’essaierais pas de défendre le stoïcien, que Quintilien n’a pas recommandé, contre lequel Aulu-Gelle s’est dressé avec la plus vive audace, dont Crinito a confirmé au livre I du De Disciplina Honesta « le style manquant de poli et d’élégance »78, que Caligula a qualifié de « sable sans chaux », mais que des gens étrangers à notre foi79 ont condamné (je mets de côté Crinito, dont le jugement n’est pas le plus autorisé) <mais que> Saint-Jérôme place parmi les très Chrétiens, que Boèce dit sentencieux, que Lactance, ce combattant des plus zélés des superstitions a assez souvent loué, comme n’étant pas incompatible avec notre foi.
Hanc tamen classicis relinquentes digladiationem, quae Crinitus de utroque Seneca sensit in medium afferre haud indecorum duximus.
Même si nous nous en tenons aux auteurs antiques dans ce débat, nous n'avons pas cru bon d'écarter, au milieu de cet écrit, ce que Crinito a pensé des deux Sénèque 80
On rencontre la même référence dans Giunta, où l’on note la source savante, la traduction et le commentaire, redevables à Evanthius, de Fabula, 2 : Namque incensis iam altaribus et admoto hirco id genus carminis, quod sacer chorus reddebat Libero patri, tragoedia dicebatur : uel ἀπὸ τοῦ τράγου καὶ τῆς ᾠδῆς, hoc est ab hirco hoste uinearum et a cantilena — cuius ipsius rei etiam apud Vergilium plena fit mentio —, uel quod hirco donabatur eius carminis poeta, uel quod uter eius musti plenus sollemne praemium cantatoribus fuerat, uel quod ora sua faecibus perlinebant scaenici ante usum personarum ab Aeschylo repertum ; faeces enim Graece dicuntur τρύγες. et his quidem causis tragoediae nomen inuentum est.
De fait, quand on avait mis le feu sur les autels et fait venir un bouc, le type d'incantations que faisait le chœur sacré en l'honneur du dieu Liber était nommé tragoedia : l'étymologie en est soit τράγος et ᾠδή, c'est-à-dire le nom du bouc, ennemi des vignes, et le nom du chant (ce dont Virgile fait précisément une mention complète) ; soit c'est parce que le créateur de ce poème recevait un bouc en cadeau ; soit parce qu'une outre pleine de moût de vin était donnée en récompense solennelle aux chanteurs ou que les acteurs enduisaient leur visage de lie de vin, avant l'invention des masques par Eschyle : de fait la lie en grec se dit τρύγες. Voilà pourquoi la tragédie s'appelle ainsi (traduction Hyperdonat ; voir le commentaire à cette étymologie à deux volets en note).
Non aliam ob culpam Baccho caper omnibus aris. Caeditur et ueteres ineunt proscenia ludi : praemiaque ingeniis pagos et compita circum Thesidae posuere atque inter pocula laeti mollibus in pratis unctos saluere per utres.
Strabon distingue prose et poésie, deux espèces de langage, pour mieux nuancer l’opposition traditionnelle entre elles et affirmer que le troisième terme, la prose ornée, n’est qu’une imitation du langage poétique. Il s’appuie, pour montrer que la forme poétique fut première et n’a subi qu’une série de privations qui l’ont amenée à la prose, sur une image faisant intervenir tragédie et comédie : καθάπερ ἄν τις καὶ τὴν κωμῳδίαν φαίη λαβεῖν τὴν σύστασιν ἀπὸ τῆς τραγῳδίας, καὶ τοῦ κατ' αὐτὴν ὕψους καταβιβασθεῖσαν εἰς τὸ λογοειδὲς νυνὶ καλούμενον, « C'est comme si l'on disait que la comédie, née du sein même de la tragédie, a quitté les hautes régions que celle-ci habite pour se ravaler jusqu'au ton de ce que nous nommons actuellement le langage prosaïque ou discours familier. » La grandiloquence attachée à la tragédie dont parle de Maizières est peut-être la « hauteur » d’où est descendue la prose, qui reparaît dans l’image finale du paragraphe : Καὶ αὐτὸ δὲ τὸ πεζὸν λεχθῆναι τὸν ἄνευ τοῦ μέτρου λόγον ἐμφαίνει τὸν ἀπὸ ὕψους τινὸς καταβάντα καὶ ὀχήματος εἰς τοὔδαφος, « Enfin le nom seul de discours pédestre, employé pour désigner la prose ou le langage affranchi de tout mètre, suffirait à nous la montrer descendue en quelque sorte d'un lieu élevé, et de son char, si l'on peut dire, ayant mis pied à terre. »
Voir, pour cette métaphore de la prose « piétonne » parce que descendue de son char, et plus largement pour la suite de ce paratexte sur le langage prosaïque, J.-P. Guez « L’inspiration, le char et l’envol : imaginaire de la prose à l’époque impériale » dans J.-P. Guez et Dimitri Kasprzyk (éd.), Penser la prose dans le monde gréco-romain, Presses Universitaires de Rennes, « La Licorne » 119, 2016, p. 29-56.
.Neve minor neu sit quinto productior actu fabula, quae posci vult et spectanda reposci.
Épigrammes de l'Anthologie latine
attribués à Sénèque, voir S. Mercier 2006 :
Le thème du temps vorace est topique : Sim.
Ov. M. 15.234-36
Ov. P. 4.10.7
Il est également chanté par le chœur des Troyennes chez Sénèque :
Troad. 400
en erit ut liceat totum mihi ferre per orbem sola Sophocleo tua carmina digna coturno ?
Εὐριπίδῃ δ’ ὁ τὰς τραγῳδίας ποιῶν τὰς περιλαλούσας οὗτός ἐστι τὰς σοφάς.
Non tamen Hesperidum que hortos, berenicia rura, Iccirco aut libycos tu dedignabere saltus, Quos olim excisor que hydrae domitor que leonis Alcides adiit, quibus et splendescere iussit Phormiadum que et agros et litora iuncta Vesevo, Quos et Sirenes scopulos, quae saxa frequentant,