Danielis Heinsii in Lucii et Marci Annaei Senecae ac reliquorum quae extant tragoedias animaduersiones et notae.
Daniel Heinsius

Présentation du paratexte

Ce paratexte est la première partie des Animaduersiones d’Heinsius, intitulée De Tragoediarum auctoribus, où le savant propose d’assigner les tragédies conservées aux cinq auteurs qu’il distingue et consigne même dans un schéma : Hippolyte, la Troade et Médée ont été écrites par Lucius Annaeus Sénèque ; Hercule Furieux, Thyeste, Œdipe et Agamemnon par Marcus Annaeus Sénèque ; la Thébaïde, Hercule sur l’Œta et Octavie chacune par un autre auteur. On y trouve les ferments d’une réflexion qu’il amplifiera dans son traité sur La Constitution de la tragédie (Leyde, 1643).

Pour l’heure, le propos est d’étayer la répartition qu’il propose des pièces entre les cinq auteurs (3-4). Il évacue assez rapidement à la fin du texte les trois auteurs de la Thébaïde, de l’Hercule sur l’Œta et de l’Octavie (177-184), mais développe notablement la comparaison entre Lucius et Marcus. Le début du texte est consacré à Lucius (6-32), puis à Marcus (33-37), et la suite est une longue comparaison entre les deux, qui adopte divers points de vue : métrique (38-63), style et peinture des caractères, expression des passions (64-117), rapport aux tragiques grecs (118-135), composition dramaturgique, dont répartition entre narration et représentation sur scène (136-149), pensées stoïciennes (150-175). La fin réaffirme la répartition proposée, comme en conclusion d’une démonstration qui se livre à des sortes d’explication de texte très précises.

Bibliographie :
  • Heinsius, Daniel, et Anne Duprat. De constitutione tragoediae. Genève: Droz, 2001.
  • Paré-Rey, Pascale, Histoire culturelle des éditions latines des tragédies de Sénèque, 1478-1878, Paris, Classiques Garnier, « Histoire culturelle » 20, 2023
Traduction : Pascale PARE-REY

Danielis Heinsii in Lucii et Marci Annaei Senecae ac reliquorum quae extant tragoedias animaduersiones et notae.

Remarques et notes de Daniel Heinsius sur les tragédies conservées de Lucius et Marcus Annaeus Seneca.

De tragoediarum auctoribus.

Sur les auteurs des tragédies.

De tragoediarum ordine iam alii egerunt et hoc litterarum iudices iuris sibi semper uindicarunt, ut quod uellent in istis sequerentur.

Sur l’ordre des tragédies, d’autres ont déjà oeuvré et ont toujours revendiqué comme leur propriété, en tant que critiques littéraires, le droit de suivre leur bon vouloir en la matière.

Proximum est de auctore.

Sur leur auteur, voir ci-dessous.

Ac Senecae quidem Medea a Fabio1, Troades a Probo2, Hercules Furens, a Terentiano3, Hippolytus a Prisciano4, Thyestes a Luctatio (siue is est Lactantius)5 tribuitur.

Sont attribués à Sénèque Médée par Quintilien, les Troyennes par Probus, Hercule Furieux par Terentianus, Hippolyte par Priscien, Thyeste par Luctatius (autrement dit Lactantius).

Nos auctores quinque hic uidemus, et non dubie agnoscimus.

Quant à nous, nous voyons ici cinq auteurs, et les reconnaissons sans hésitation.

Quarum tres istas, Troades, Hippolytum, Medeam, Lucio Annaeo tribuimus ; quem philosophum uocant, et uixisse cum Pomponio Secundo, satis constat.

Car nous attribuons ces trois tragédies, les Troyennes, Hippolyte et Médée à Lucius Annaeus ; or il est clair que c’est celui qu’on appelle « le philosophe » et qui a vécu en même temps que Pomponius Secundus.

Fabius, Instit. Orat. VIII, 3 : Nostri autem in iungendo aut diuidendo paulum aliquid ausi, uix in hoc satis recipiuntur. Nam memini iuuenis admodum, inter Pomponium et >Senecam, etiam praefationibus esse tractatum, an gradus eliminat, apud Accium in tragoedia dici oportuisset. 6

Quintilien, VIII, 3, 31 : « Mais lorsque nos Latins font quelques tentatives de ce genre avec des composés ou des dérivés, ils n’ont guère de succès. Je me souviens en effet que, dans mes toutes jeunes années, Pomponius et Sénèque ont même discuté, dans les préfaces de leurs œuvres, la question de savoir si l’on devait dire dans une tragédie chez Accius : gradus eliminat7

Duos ecce hos tragicos coniungit.

Voilà, il relie ces deux tragiques.

Et hinc orta de decoro λεκτικῷ in tragoedia uelitatio.

Et c’est de là qu’est née l’injure, en matière de convenance, « avec familiarité » dans la tragédie.

Latine enim dici, post Horatium quis dubitaret ?

Qui douterait, après Horace, que c’est dit en bon latin ?

Scimus et Pacuuium ea uoce usum fuisse.8

Nous savons que même Pacuvius s’est servi de ce mot.

Et quod Euripides dixerat Medea : Παλαιὸν οἴκων κτῆμα δεσποίνης ἐμῆς, Τί πρὸς πύλαισι τὴν δ’ ἄγεσ’ ἐρημίαν Ἕστηκας ; 9

Et ce qu’Euripide disait dans Médée : « Vieille domestique de ma maîtresse, pourquoi contre les portes te tiens-tu ainsi solitaire ? »10

Hoc Ennius uerterat, Antiqua herilis fida custos corporis, quid sic extra aedes te exanimata eliminas11? 12

Ennius l’avait ainsi traduit : « Antique fidèle gardienne de votre maîtresse, Que sors-tu ainsi du palais, hors d’haleine ? »13

Sed hos in plerisque impolitiae censores literarii notabant.

Mais les censeurs littéraires les taxaient d’inélégance dans la plupart des cas.

Accio plus tribuebant, immo principatum in tragoedia.

Ils accordaient davantage à Accius, bien plus : la primauté dans la tragédie.

Etiam Tiberii aeuo nonnulli, ut Paterculus nos docet.14

Encore quelques-uns à l’époque de Tibère, comme Paterculus nous l’apprend.

Quare in summo operis auctore, quid decore necne fieret, praeclari isti uiri quaerebant.

C’est pourquoi ces hommes brillants cherchaient, chez un excellent auteur, ce qui se déroulait avec convenance ou non.

Omnium antiquissima Hippolytus uidetur : character aequalis, tersus, pura dictio, rarissima acumina, et sine ulla ambitione.

Hippolyte semble la plus ancienne de toutes : personnage homogène, soigné, expression châtiée, très rares pointes, et sans aucune pompe.

Troades diuina est, nec Latina minus.

La Troade est divine, et non moins bien latine.

In qua illud notes, quod in Menalippe Euripidis, quam Sapientem uocabant, antiqui obseruant : Pyrrhi et Agamemnonis colloquium esse ἐσχηματισμένον.

Or on note que dans cette pièce ce que les Anciens observaient dans la Ménalippe d’Euripide, dite la Sage15 : que le dialogue entre Pyrrhus et Agamemnon est « figuré ».16

Nam ut ibi Menalippe, Euripidem, ita hic Pyrrhus repraesentat Neronem, cuius ingenium et in ista aetate ferociam occulte expressit, et sub Agamemnonis persona castigat.

Car de même que là, dans Ménalippe, Pyrrhus représente Euripide, de même ici il représente Néron, dont l’auteur a exprimé à mots couverts le caractère et la violence qu’il avait à cette époque et le critique à travers le personnage d’Agamemnon.

Pyrrhus est πρόσωπον ὑποκείμενον, Nero τὸ δηλόυμενον.

Pyrrhus est le « personnage qu’on voit » ; Néron « le personnage qui est visé »

Eo spectant eximia illa, Iuuenile uitium est, regere non posse impetum. 17 Et praeclara illa, Quo plura possis, plura patienter feras. 18

Ces mots remarquables visent à cela : « Défaut de jeunesse que de ne pouvoir dompter son impétuosité » Ainsi que ces mots brillants : « Plus on a de pouvoir, plus on doit supporter avec patience »

Et reliqua.

Etc.

Nam ut Graecus sub persona Menalippes opiniones exponebat suas, ita >Seneca sub Agamemnonis, tyrannorum mores ostendit.

En effet, de même que l’auteur grec exposait ses opinions à travers le personnage de Ménalippe, de même Sénèque fait ressortir le caractère tyrannique à travers le personnage d’Agamemnon19.

Quare cum Troades illius, partim etiam Hecubam exprimeret, locum istum non inuenit, sed dedit, sicut et personam utranque.

C’est pourquoi comme il traitait les Troyennes d’Euripide et en même temps en partie aussi l’Hécube, Sénèque n’a pas inventé ce passage mais l’a rendu, comme également chacun des deux personnages20.

Multum eo ueteres delectabantur.

Les Anciens aimaient beaucoup cela.

Adducuntur uerba a grammaticis diuina, quibus mortem Socratis in Palamede Euripides lugebat.

Les grammairiens rapportent les mots divins par lesquels Euripide pleurait la mort de Socrate dans son Palamède.21

Neque aliter ingratitudinem filii sui Iophontis traduxisse Sophoclem, fit uerisimile.

Et de la même façon, il est vraisemblable que Sophocle ait transmis l’ingratitude de son fils Iophon.22

Ideoque διπλοῦν σχῆμα23 habere dicuntur, quod alius repraesentans, alius qui repraesentatur.

C’est pour cela qu’on dit qu’il y a « une figure double », pour la raison que l’un représente, l’autre est représenté.

Hoc quoque ad Homerum referunt : quem de se nonnulla sub Demodoci persona innuisse, Platonici notarunt.

On rapporte cela aussi à Homère : les Platoniciens ont noté qu’il avait donné quelques indications sur lui-même à travers le personnage de Démodocos.24

Tertia est Medea25 : teste Fabio, et ut quiuis uidet, eiusdem auctoris.

La troisième tragédie est Médée : au témoignage de Quintilien, et comme n’importe qui le voit, elle est du même auteur.

Has tres miror extitisse quenquam, qui eiusdem esse, cum reliquis existimaret.

Je m’étonne qu’il se soit trouvé quelqu’un pour estimer que ces trois pièces étaient du même auteur que les autres.26

Quatuor, Herculem Furentem, Thyestem, Œdipum, et Agamemnonem, >Marco Senecae asscribimus.

Nous en attribuons quatre, Hercule Furieux, Thyeste, Œdipe et Agamemnon à Marcus Sénèque.

Ideoque et >Senecae nomine ab antiquis laudantur.

C’est pour cela qu’elles sont louées par les Anciens aussi sous le nom de Sénèque.

Et in libris manu exaratis, modo >Lucii modo >Marci inuenias praenomen, in quibusdam utrunque ; ut in optimo quo usus est uir summus Iustus Lipsius.

Et l’on peut trouver dans les manuscrits tantôt le prénom de Lucius, tantôt celui de Marcus, dans certains l’un et l’autre ; comme dans le meilleur dont s’est servi l’excellent Juste Lipse.27

Tantum iudicis acumine est opus, qui suas cuique ascribat.

Il faut tant de précision pour assigner à chacun son œuvre.

Posteriorem hunc, Tragicum uocant.

On appelle « Tragique » le deuxième.28

Paulus Diaconus, Historiae Miscellae liber VIII29 : Huius temporibus poetae pollebant Romae, Lucanus, Iuuenalis, et Persius, Senecaque tragicus. Musonius atque Plutarchus, philosophi.

Paul Diacre, livre VIII de l’Histoire Miscella : « En ces temps-là30, s’affirmaient à Rome les poètes Lucain, Juvénal, Perse et Sénèque le Tragique ; les philosophes Musonius et Plutarque. »

Sidonius : Quorum unus colit hispidum Platona, incassumque suum monet Neronem : Orchestram quatit alter Euripidis. 31

Sidoine : « Et l’un deux cultive l’austère Platon, et adresse à Néron des avertissements inutiles, l’autre ébranle l’orchestre d’Euripide »

Alterum autem etiam poemata scripsisse, et quidem crebro32, uel Tacitus, ut alios omittam, nos docet.

Quant à l’autre33, il a aussi écrit des poèmes, et même en nombre, comme Tacite, pour ne pas parler des autres, nous l’apprend34.

Ceterum cum duae sint tragoediae partes : altera uniformis et eiusdem metri, quam κατὰ στίχον ideo uocant, quae excepto choro omnia complectitur, et iambum non excedit ; altera quae uariis utitur metris, pars nimirum chorica ; hinc nonnunquam differentias critici notabant.

Du reste, comme il y a deux parties dans la tragédie35 : l’une uniforme et sur un même mètre, qu’on appelle kata stichon pour cette raison, qui embrasse tout à l’exception du chœur et qui se contente de l’iambe ; l’autre partie, chorale sans surprise, qui utilise des mètres variés ; d’où le fait que les critiques notaient parfois des différences36.

Ita Sophocles pericommatis, antistrophicis maxime delectatur Euripides. Latini cum has differentias ignorent, uersibus tamen differunt, quos aut eosdem ponunt, aut cum aliis iungunt.

Ainsi Sophocle charme au plus haut point par ses pericommata37, Euripide par ses antistrophes. Les Latins, alors qu’ils ignorent ces différences, diffèrent cependant par leurs vers, soit en alignant des vers identiques soit en les faisant alterner avec d’autres.

In tribus istis Lucii, chori fere ex hendecasyllabis sapphicis, anapaesticis, choriambicis, glyconiis constant ; quibus alii interdum extra ordinem inseruntur.

Dans ces trois tragédies de Lucius38, les chœurs se composent en général d’hendécasyllabes sapphiques, anapestiques, choriambiques, et de glyconiques ; et d’autres vers sont parfois insérés de façon irrégulière.

Pomponius Secundus, qui cum Lucio uixit, aut primus aut prae caeteris, dactylicos tetrametros iunxit in choris.

Pomponius Secundus, qui vécut en même temps que Lucius, a ajouté le premier ou mieux que tous les autres des tétramètres dactyliques dans ses chœurs.

Eius sicut aemulus, et ut Graeci dicerent magistri, ἀντιδιδάσκαλος fuit >Lucius, ita imitator in hac parte >Marcus.

De même que Pomponius Secundus fut son émule, et comme les maîtres grecs disaient, Lucius son « enseignant en retour » (antididaskalos), de même Marcus fut son son imitateur sur ce point.

Terentianus : In tragicis iunxere choris hunc saepe diserti, >Annaeus Seneca, et Pomponius ante Secundus. 39

Terentianus : « Dans les chœurs tragiques ce vers40 fut souvent inséré par les habiles poètes Annaeus Sénèque et auparavant Pomponius Secundus »41

Vbi illud ante, nota διακριτικὴ est ut constaret, uter utrum sit imitatus.

Quand il met cet ante, c’est une note critique qui permet de savoir lequel des deux a imité l’autre.

Nam cum, ut praenomen Marci adderet non permitteret metrum, alium fuisse ostendit, quam qui cum Pomponio uiuebat.

Car comme le mètre ne permettait pas d’ajouter le prénom « Marcus », Térentianus montre que c’est un autre que celui qui vivait en même temps que Pomponius.

Lucius, quemadmodum in aliis, ita hic Pomponi iudicium neglexit.

Lucius, de même qu’ailleurs, de même ici a négligé le jugement de Pomponius.42

Saltem in his tribus nunquam est secutus ; plures uero nusquam ei tribuuntur.

Sauf dans ces trois tragédies – mais on ne lui en attribue nulle part davantage – il ne l’a jamais suivi.43

Semel uero Marcus : in Œdipode nimirum, ubi plurimi dactylici in choro qui ex metris constat ἀτάκτοις iunguntur.

Quant à Marcus, une seule fois : sans surprise dans Œdipe, où plusieurs vers dactyliques sont joints dans un chœur qui est constitué d’hétéromètres44

Id ita studiose Graecorum critici notabant, ut plerisque uersibus non ab inuentore, sed ab eo qui frequenter iis uteretur, nomen posuerint.

Les commentateurs des Grecs notaient cela si scrupuleusement qu’ils n’ont pas nommé la plupart des vers d’après leur inventeur mais d’après celui qui s’en servait souvent.45

Ita nos docent, Teium Anacreontem, cum Athenis esset ac Critiam amaret, neque parum lectione Aeschyli delectaretur, Anacreonticos eius exemplo fecisse, qui hoc nomen postea obtinuerunt.

C’est ainsi qu’ils nous apprennent qu’Anacréon de Téos, comme il se trouvait à Athènes et aimait Critias46, et se régalait à lire Eschyle, avait fait des vers anacréontiques à l’exemple de ce dernier, qui prirent ensuite ce nom.

Lucius uulgares sapphicos, nouo pede in secundo fregit; idque propter temporum aequalitatem; atque hoc illi fere est perpetuum.

Lucius brisa la routine des sapphiques en inventant un nouveau pied en deuxième position ; et cela pour l’égalité des mesures ; et c’est presque permanent chez lui :

Troadibus : An sub Œchaliis latebrosa syluis ? 47

Dans les Troyennes : An sub Œchaliis latebrosa syluis ?

Sicut legitur in scriptis : An ferax uarii lapidis Carystos ? 48 Troia qua iaceat regione monstrans. 49

Comme on lit dans les manuscrits : An ferax uarii lapidis Carystos ? Troia qua iaceat regione monstrans.

Hippolyto : Quaeque ad Hesperias iacet ora metas. 50 > illud, quod a correctoribus mutatum est.

Dans Hippolyte : Quaeque ad Hesperias iacet ora metas – celui-là a été changé par les correcteurs –.51

Vt et : Si qua parrhasiae glacialis Vrsae. 52

Et comme : Si qua parrhasiae glacialis Vrsae.

Medea : Sumere innumeras solitum figuras. 53

Dans Médée : Sumere innumeras solitum figuras

Et fortasse non pauci, qui sunt corrupti.

Peut-être aussi pas mal de vers qui sont corrompus.

Hoc in Marco non inuenies magis, quam in Flacco.

Mais on ne trouvera pas plus ça chez Marcus que chez Horace.

Vnus extat, quem corruptum esse eruditi ostenderunt, et libri cum ratione euincunt ; ut et consuetudo poetae.

On n’en a qu’un seul vers, dont les spécialistes ont montré l’état corrompu ; et les livres l’ont évincé avec raison, ainsi que l’usage du poète.

At character utriusque, ut et sermo, multum distant.

Mais les caractères de l’un et l’autre, comme le style aussi, diffèrent beaucoup.

Marci enim plus declamatorium habet.

Chez Marcus, en effet, c’est plus déclamatoire.

Quae res ita plana est, ut si nihil praeter prologum Medeae aut Troadum, et Herculis Furentis extaret, non unius esse auctoris iudicaturi54 fuerimus.

Et ce constat est si évident que si nous n’avions rien conservé d’autre que le prologue de Médée ou des Troyennes et d’Hercule Furieux, nous n’aurions jamais jugé qu’ils émanaient d’un même auteur.

Marci saepe breues ac concisas uideas periodos, idque acuminis causa.

Chez Marcus, on voit souvent des phrases brèves et concises, et cela en vue de la pointe.55

Lucii pauciores ἀναπαύσειϛ56 habent, et antiquitatem magis sapiunt.

Chez Lucius, elles comportent moins de pauses, et ont davantage la saveur de l’antiquité.

Aiunt uirum nunquam satis laudatum Sophoclem, cum Antigonem suam legeret, et cum longa periodo spiritu contento paria fecisset, subito expirasse.

On dit que Sophocle, homme qu’on ne louera jamais assez, comme il lisait son Antigone, et comme il avait fait des vers égaux, en s’étant contenté d’un seul souffle dans une longue phrase, avait soudain expiré.57

Hoc in Thebaide ei nunquam euenisset : quae plerunque non eunt sed cadunt.

Cela ne lui serait jamais arrivé avec la Thébaïde : la plupart du temps les phrases n’avancent pas mais tombent.

Ideoque et numeris nocent, et tragoediae maiestatem non minus eneruant, quam Lucani sententiae heroicas leges, et Virgilianam grauitatem.

C’est la raison pour laquelle elles nuisent aux rythmes et n’affaiblisssent pas moins la majesté de la tragédie que les sentences de Lucain n’affaiblissent les lois de l’épopée et la gravité virgilienne.

Magnae enim res pares periodos desiderant58, ut recte Demetrius.

Car les hauts faits demandent des phrases égales, comme dit bien Démétrius.

In Lucio non raro tota oratio instruit : in Marco saepius gnomae tantum inseruntur.

Chez Lucius, il n’est pas rare que le discours entier édifie ; chez Marcus, ce sont plus souvent les vers gnomiques seulement qu’il insère.59

Choros excipio.

Je fais exception des chœurs.

Nam qualis ille in Thyeste : Tandem regia nobilis, 60 et alii nonnulli ?

Tel que celui-là, en effet, dans Thyeste : Tandem regia nobilis,61 et quelques autres <peut-être> ?

Vide Hecubae orationem in principio Troadum, et nutricis de amore praeclaram.

Voir la tirade d’Hécube au début des Troyennes62, et celle, brillante, de sa nourrice sur l’amour.63

Iam locorum maior supellex in Lucio, quae res mire antiquitatem sapit.

Chez Lucius, l’appareil de ces lieux est plus fourni, ce qui sent admirablement l’antiquité.

Talis est commendatio uitae agrestis sub persona Hippolyti64 ; quaeque pro uoluptate item, et conseruando genere humano, propagatione Veneris, a nutrice dicuntur.

Telle est la promotion de la vie rurale à travers le personnage d’Hippolyte ; de la même manière, tout ce qui est dit par la nourrice en faveur du plaisir et du développement de Vénus, pour la perpétuation de l’espère humaine.

Idem in exprimendis antiquorum uirtutibus, non felicior quam diligentior.

De même, Lucius n’est pas moins heureux qu’appliqué dans l’expression des vertus antiques.

Vt cum in Troadibus Hectorem e secundo Aeneidos desumpsit, in Andromaches somnio65.

Comme quand dans les Troyennes il reprit Hector au second livre de l’Énéide, dans le songe d’Andromaque.

Et nonnulla ex Ouidio in Hippolyto, quae sunt mire florida.

Et quelques lieux pris d’Ovide dans Hippolyte, qui sont admirablement éclatants

Certe quae a Phaedra dicuntur, cum amorem suum Hippolyto fatetur66, nemo praeter unum Ouidium dixisset.

Oui, ce que dit Phèdre, quand elle avoue son amour à Hippolyte, personne n’aurait pu le dire mis à part le seul Ovide.

Ita dupliciter de nobis est meritus, nam et frugi orationem dedit, et quo pacto exprimendae ueterum uirtutes essent, nos docuit.

Ainsi il a eu un double mérite de notre point de vue, car à la fois il a fourni une tirade sobre et nous a appris de quelle façon les vertus des Anciens étaient exprimées.

Neutrum a declamatoribus expectes.

Mais n’attends ni l’un ni l’autre des déclamateurs.67

Qui contenti suo acumine, nec solliciti ut aeque bene dicant, satis habent aliter dixisse.

Car eux qui se félicitent de leurs pointes, sans se soucier de bien parler également, se satisfont d’avoir parlé différemment.

In narrando autem ubi maxime τῇϛ ἑρμηνείαϛ uis elucet, uel Euripidem lacessit.

Mais dans la narration où la force de « l’élocution » éclate le plus, il met même Euripide au défi.

Sicut in pulcherrima ista, quae est de Hippolyti morte.68

Comme dans cette scène magnifique, qui narre la mort d’Hippolyte.

Neque enim cedit candore orationis, et sublimitate uincit ; ad sermonem usque antiquorum studiosus.

En effet, il ne le cède pas en candeur du discours et l’emporte en élévation, dans sa recherche permanente du style des Anciens.

Quos dum Marcus propria uirtute sui temporis anteire conatur, saepe tantum factus est dissimilis.

Mais Marcus, en essayant de les dépasser par la qualité intrinsèque de son époque, n’a souvent abouti qu’à s’en écarter.

Ciuilem autem sermonem uix retinuit, in quo Euripides excellit, omnium oratorum non minus pater, quam optimus poeta.

Et il eut du mal à conserver son style policé, dans lequel Euripide, non moins père de tous les orateurs que le meilleur des poètes, excelle.

Saepe tamen tragicus uix ultra affectus.

Souvent cependant, il a peine à se montrer tragique en dehors de l’expression des passions.

Marcus luxuriam non semper uitauit, Lucius uero, etiam in aliis castigat.

Marcus n’a pas toujours évité l’excès, mais Lucius le corrige, même chez les autres.

De Polyxena apud Nasonem dicebat Hecuba, – cinis ipse sepulti (in genus hoc saeuit, tumulo quoque sensimus hostem) Æacidae fecunda fui. 69

Dans le passage sur Polyxène chez Ovide, Hécube disait <d'Achille> : « Depuis qu’il est enseveli, Ses cendres persécutent notre famille ; du fond de la tombe, il continue à nous faire sentir son hostilité ; C’est pour le petit-fils d’Eaque j’ai été fécondée »70

Id secutus est ille, sed ut castigaret : Adhuc Achilles uiuit in poenas Phrygum ? Adhuc rebellat ? O manum Paridis leuim ! Cinis ipse nostrum sanguinem ac tumulus sitit. 71

Lucius l’a suivi, tout en le corrigeant : « Achille vit encore pour faire souffrir les Phrygiens ? il recommence encore la guerre ? Ô main trop légère de Pâris ! sa cendre elle-même, sa tombe, ont soif de notre sang »72

Nam et uariauit quod dixit, et ad uehementiam, orationis figuram addidit.

En effet, il a à la fois usé de uariatio dans ce qu’elle a dit et ajouté une figure de discours pour la véhémence. 73

Et seruauit quod eminebat, et reiecit quod abundabat.

Et il a conservé ce qui était saillant, mais rejeté ce qui était en trop.

Aliud enim est rebellare, aliud adhuc uiuere, aliud post obitum sanguinem sitire.

Une chose est en effet de se rebeller, une autre de continuer à vivre, une autre encore d’avoir encore soif de sang après la mort.74

Duo priora etiam interrogando : quae πολιτικώτερον efficiunt sermonem, et formam immutant.

Il faut aussi s’interroger en priorité sur ces deux points : les éléments qui rendent le style plus populaire75 et qui affectent la forme.

In quo Marcum patrem est secutus, qui in controuersiis praeiuerat.

Ce en quoi il a suivi son père Marcus, qui l’avait précédé dans ses controverses.76

Ibi enim de hoc loco : « Cum Polyxena esset abducta, ut ita, ut ad tumulum Achillis immolaretur, Hecuba dixit : cinis ipse sepulti in genus hoc saeuit. 77 Poterat hoc contentus esse, adiecit : tumulo quoque sensimus hostem. 78 Nec hoc contentus, adiecit : Aecidae foecunda fui. 79 Aiebat autem Scaurus, rem ueram : non minus magnam uirtutem esse, bene desinere quam scire dicere. » 80

En effet, voilà à propos de cet exemple : « Quand on emmène Polyxène pour l’immoler sur le tombeau d’Achille, Hécube dit : “Après la mort, la cendre même se déchaîne contre notre race” Il aurait pu se contenter de ce trait ; il a ajouté : “Dans ce tombeau même, nous avons trouvé un ennemi” Et, n’étant pas encore satisfait, il ajouta : “C’est pour le fils d’Eaque que j’ai été féconde” Or Scaurus disait une grande vérité : ce n’est pas une moins grande qualité de savoir se borner que de savoir parler ».81

Marci quoque sermo eo minus est moratus, quanto saepius acute multa dicit.

Le style de Marcus est d’autant moins adapté aux caractères qu’il exprime plus souvent beaucoup de choses par des pointes.

Quod ut recte fit ab eo, ita alienum est a natura ; non enim est singulorum.

Or ce si c’est correct venant de lui, ça n’en est pas moins éloigné du naturel ; ce n’est pas le fait de chacun en effet.

Nam cum qualitatem animi omnis indicet oratio, eaque uel mores complectatur uel affectus, nemo qui acute loquitur, talem esse se significat, sed otiosum.

Car comme tout son discours signale la qualité intérieure, et qu’il contient soit les dispositions morales, soit les dispositions affectives, personne, en s’exprimant par pointes, ne signifie être comme ça, mais seulement être détaché.

Poeta autem imitatur.

Or le poète est dans l’imitation.82

Vide Andromaches sermonem in Troadibus : modo furit prae dolore et rabit, modo lamentatur, et commiserationem mouet.

Voir l’expression d’Andromaque dans les Troyennes : tantôt elle est folle de douleur et enrage, tantôt elle se lamente, et excite la pitié.

Vt cum filio abeunti, aeternum uale dicit.83

Comme avec le départ de son fils, elle lui adresse un dernier adieu.

Semper autem est talis, qualem tum fuisse est aequum.

Or elle se montre toujours telle qu’elle a légitimement été.

In attribuendo quoque suos singulis, minor est Marcus.

En attribuant aussi leurs propres mots à chaque personnage, Marcus est moins bon.

Nam Thyestae quare optimos dedit ? Aut, cur non eosdem ?

Car pourquoi en a-t-il attribué à Thyeste d’excellents ? Ou pourquoi ne prononce-t-il pas toujours les mêmes ?

Primo enim ἄθεον uides (Si sunt tamen dii).84

D’abord tu vois en effet un « athée » (« si cependant les dieux existent »).85

In eadem scena, stoicum : Mihi crede, falsis magna nominibus placent. 86

Dans la même scène, un stoïcien : « Crois-moi, c’est par un vocabulaire trompeur que plaisent les grandeurs »

Et quae tum praecedunt, tum sequuntur ; in fine, etiam pium.

Et ainsi de ce qui précède, de ce qui suit ; finalement, tu vois même un homme pieux.

Libat enim cum bibit : Paternis uina libentur diis tunc hauriantur. 87

Il offre même une libation quand il boit : « Faisons une libation de vin aux dieux de nos pères puis vidons nos coupes »88

Primum igitur dissimiles dedit, non enim talis Atreus.

Donc d’abord il lui a attribué des mots différents, il n’est donc pas tel qu’Atrée.89

Deinde inaequales, nam dissimilis et sui ; Alterum ἀνόμοιον, alterum ἀνώμαλον Aristoteles uocaret90.

Ensuite, des mots changeants, car différents y compris de lui-même ; Aristote appelerait l’un « inégal », l’autre « inconstant ».

Vlysses, in Troadibus, etiam eum qui in Hecuba est antecessit.

Ulysse, dans les Troyennes, prit même le pas sur celui qui est dans Hécube.91

Vafritiem92 enim, quantum locus is ferebat, addidit.

Il a en effet ajouté de la finesse, autant que l’occasion en supportait.93

Graeci δριμύ melius et δόλιον id uocant ; quod in multis illi locis dederat Euripides.

Les Grecs appellent cela plus justement « pénétrant » et « rusé » ; caractère que lui avait donné en de multiples occasions Euripide.

Aeschylus ob innatam austeritatem, minus id assequebatur ; constitutionis quoque ratio, non eadem.

Eschyle, en raison de son austérité naturelle, parvenait moins à cela ; cela tient aussi à sa composition, qui n’est pas la même.

Vna Marci Œdipus, est mire artificiosa.

Une seule tragédie de Marcus, Œdipe, est un admirable produit de l’art.

Sola enim et agnitionem, et mutationem in contrarium habet.

C’est la seule en effet à contenir à la fois une reconnaissance et un changement en son contraire.94

Sed ex Sophocle expressa est.

Mais elle est tirée de Sophocle.

Hoc perpetuum est Euripidi, ut prologis suis nudam argumenti expositionem intexat.

Ce que fait constamment Euripide, c’est d’entremêler purement et simplement l’exposition et l’argument dans ses prologues.95

Qui quod uniformes sint, festiue ab Aristophano uexantur, quales et nonnullos collegit.96

Il en a commis quelques-uns de cette nature qui, soi-disant parce qu’ils sont uniformes, sont joyeusement malmenés par Aristophane.

In una, quod meminerim, Iphigenia in Aulide, ex iis quae extant, hoc non obseruauit.

Autant que je m’en souvienne, il n’est qu’une seule tragédie parmi celles conservées dans laquelle il n’a pas observé cette règle : Iphigénie à Aulis.

Sophocles occulte id agit, et non semper uni committit.

Sophocle fait cela discrètement, et ne les unit pas toujours ensemble.

Nonnunquam rem simpliciter ingreditur, ut Aeschylus.

Parfois il aborde le sujet simplement, comme Eschyle.

Marcus more Euripidis συνεκτικὸν τῆς ὑποθέσεως praemittit, id est, fabulae subiectum, prologo committit.

Marcus, à la façon d’Euripide, annonce d’avance « le résumé du sujet », c’est-à-dire qu’il unit le sujet de la pièce à un prologue.

Vide in Hercule Furente Iunonem ; in Thyeste Tantalum ; in cognomine Œdipodem ; in Agamemnone Thyesten.

Voir Junon dans Hercule Furieux ; Tantale dans Thyeste ; Œdipe dans la pièce du même nom ; Thyeste dans Agamemnon.

Lucius ab actione semper inchoauit, et simpliciter ἐισβάλλει: Hecuba et Medea, sicut in medio, calamitates suas deplorant ; haec ex parte, illa omnino quid futurum esset ignorat.

Lucius a toujours commencé in medias res et entre simplement dans le vif du sujet : Hécube et Médée se lamentent sur leurs malheurs comme au milieu de la tragédie ; la seconde en partie, la première complètement, ignorent ce qui adviendra.

Hippolytus a uenatione inchoauit, et suorum adhortatione, eodem metro, quo Rhesi autor ; qua tragoedia post Sophoclem nulla extat consummatior.

Hippolyte a commencé par la chasse et par l’exhortation à ses compagnons, dans le même mètre que l’auteur du Rhésos97 ; pièce en comparaison de laquelle, derrière Sophocle, aucune tragédie conservée n’est plus achevée.

Eam nos cum studiose legeremus, neque quicquam minus quam humilitatem et rhetoricam Euripidis subtilitatem, sed nec simplicissam Aeschyli austeritatem, et translationum audaciam, neque compositionem Sophocleams et orationis difficultates, oeconomiam autem longe ab eo diuersam uideremus ; nunquam dubitauimus, quin quartus aliquis quaerendus esset auctor.

Car en la lisant avec attention, nous ne verrions pas du tout la simplicité et la finesse rhétorique d’Euripide, mais pas non plus l’austérité dépouillée d’Eschyle, ainsi que l’audace de ses métaphores, ni la disposition de Sophocle, les complications de son expression, l’économie bien différente du précédent : nous n’avons jamais douté qu’on devait chercher un quatrième auteur.98

Quem ex intima antiquitate tandem eruimus ; et certissimis indiciis, quis esset, in grammaticorum libris inuenimus.

Or nous l’avons fait sortir du cœur de l’antiquité ; et nous savons à partir d’indices très sûrs, dans les livres des grammairiens, qui il était.

Qui error ita est antiquus, ut in priscis criticorum catalogis, Euripidi ascriberetur.

Mais l’erreur est si ancienne que dans les vieilles listes des commentateurs, le Rhesos était attribué à Euripide.99

Adeo refert, quo quis ad ista iudicio accedat.

Il importe de comprendre par quel raisonnement on en arrive là.

Lucius libenter oculos moratur et in scena multa repraesentat.

Lucius suspend volontiers les regards, et représente beaucoup de choses sur scène.100

Medea, contra Flacci praeceptum, liberos aperte, certe alterum, trucidat.

Médée, contre le précepte d’Horace, tue ouvertement ses enfants, du moins l’un deux 101 .

Alterum autem ad minimum post caedem ostendit.

Quant à l’autre, elle le montre pour le moins après sa mort.

In Troadibus matri coram populo eripitur Astyanax.

Dans les Troyennes, Astyanax est arraché à sa mère sous les yeux des spectateurs.

In Hippolyto manum sibi infert Phaedra; heros autem, iam diuulsus, exhibetur.

Dans Hippolyte, Phèdre se porte atteinte à elle-même ; quant au héros, il est exhibé alors qu’il a déjà été mis en pièces.

Marcus plurimum narratione defungitur.

Marcus confie la plupart des faits à la narration.

In Thyeste, in Œdipo, in Agamemnone id apparet ; ubi ne Cassandram quidem necesse est populo spectante iugulari.

C’est visible dans Thyeste, Œdipe, Agamemnon ; où même Cassandre n’a pas besoin d’être égorgée sous les yeux des spectateurs .

In Furente autem Hercule, cum sequi Euripidem posset, periculosam nobis ὄψιν dedit.

Mais dans Hercule Furieux, alors qu’il aurait pu suivre Euripide, il nous a offert un dangereux « spectacle » (opsis).

Megarae enim et filiolo, cerebrum coram Amphitryone Hercules elidit.

Hercule fracasse en effet le crâne de Mégare et de son petit enfant sous les yeux d’Amphitryon.

Itaque uix histrionem inuenias, qui Alcidae uires experiri, et sine ullo suco repraesentare hoc uellet.

C’est pourquoi on trouve difficilement un acteur qui voudrait tester les forces d’Alcide et représenter cela sans avoir aucune énergie.102

Capitis enim eius interesset.

Il en irait en effet de sa vie.

Haec est causa, cur propudium illud generis humani Nero, eas fabulas deligeret, quae periculosa θεωρήματα ὑποκριτικὰ103 haberent, ut se sanguine histrionum oblectaret.

C’est la raison pour laquelle Néron, cette honte du genre humain, aimait ces pièces, qui comportaient des « jeux théâtraux » dangereux, pour pouvoir se régaler du sang des acteurs.

Qualis erat iste Icarus, qui (uerba sunt Tranquilli) primo statim conatu iuxta cubiculum eius decidit, ipsumque cruore respersit 104 .

Tel était cet « Icare… », qui (les mots sont de Suétone) : « … dès son premier essai, tomba près de la loge de l’empereur, qui fut lui-même éclaboussé de sang. »105

Idem cum insanum Herculem cantaret, euenisse putamus.

Nous pensons qu’il s’est passé la même chose quand il jouait106 Hercule Furieux.

Marcus raro stoicorum opiniones interserit.

Marcus insère rarement des positions stoïciennes.

Lucius nec Epicuri sui et Metrodori dissimulat, qui in eius philosophicis paginam utranque faciunt.

Lucius ne dissimule pas celles de son Épicure et de Métrodore107, qui font une page chacune dans ses écrits philosophiques.

In Troadibus uero plena manu spargit eas et ostentat ; sicut suas saepe Euripides.

Mais dans les Troyennes, il les répand à pleines mains et en fait étalage ; comme Euripide le fait souvent.

Quod istarum rerum iudices πολυπραγμοσύνην dixerunt ; idque sine nota, ubi affectatio abest, adest modus ; qui Euripidi non raro deest.

Ce que ses commentateurs ont qualifié d'« esprit d’intrigue »108 ; et cela sans connotation péjorative là où l’emphase est absente, la mesure présente, alors que cette dernière fait assez souvent défaut à Euripide.

Lucius autem nunquam excedit.

Lucius, lui, n’excède jamais la mesure.

Nihil esse post mortem Epicuri schola est 109 , ait uir sanctissimus Tertullianus, et mox Lucii opinionem subiungit, qui hoc toto choro egit, in quo non tam posuit opinionem suam quam confirmauit.

« Il n’y a rien après la mort » selon l’école d’Épicure, nous dit le très vénérable Tertullien, et bientôt il ajouta après l’opinion de Lucius, qui l’exprime dans un chœur entier, dans lequel il n’a pas tant exposé son opinion qu’il ne l’a confirmée.

Eadem enim in Epistolis ad Lucilium110 ; et ad uerbum prope, in Consolatione ad Marciam ; hic : Quaeris quo iaceas post obitum loco ? Quo non nata iacent. 111

En effet, on la retrouve dans les Lettres à Lucilius, et presque au mot près dans la Consolation à Marcia ; ici : « Tu demandes où l’on repose après le trépas ? Là où reposent ceux qui ne sont pas nés »

Ibid. :

Ibid. :

Mori omnium dolorum et solutio est et finis, ultra quam mala nostra non exeunt. Quae nos in illam tranquillitatem, in qua antequam nasceremur iacuimus, reponit. Si mortuorum aliquis miseretur, et non natorum misereatur. 112 Hic : Post mortem nihil est, ipsaque mors nihil. 113

« Mourir, c’est de toutes les souffrances la solution et la fin, au-delà de laquelle nos malheurs ne passent point. Elle nous replace dans la tranquillité où nous étions plongés avant de naître. Si vous plaignez les morts, plaignez aussi ceux qui ne sont pas nés. »114 « Après la mort, il n’y a rien, et la mort elle-même n’est rien »

Ibid. :

Ibid. :

Mors nec bonum aut malum est. Id enim, potest aut bonum aut malum esse, quod aliquid est, quod uero ipsum nihil est, et omnim nihilum redigit, nulli nos fortuna tradit. 115

« La mort n’est ni un bien ni un mal ; car pour être un bien ou un mal, il faut qu’une chose soit. Mais ce qui n’est rien par soi-même et par quoi tout retourne au néant n’est d’aucune conséquence pour nous. »

Hic :

Ici :

— Taenera et aspiro regnum sub domino, limen et obsidens custos non facili Cerberus ostio, rumores uacui uerbaque inania, et par sollicito fabula somnio. 116 >

« Le Ténare, le royaume soumis à un dur maître, Cerbère bloquant le seuil pour garder la porte inhospitalière, vains bruits, mots vides, histoires pareilles à un rêve agité ! »117

Ibid. :

Consolation à Marcia :

Illa quae nobis inferos faciunt terribiles fabulae est. Nullas scimus imminere mortuis tenebras, nec carcerem, nec flumina flagrantia igne, nec obliuionis amnem, nec tribunalia, nec reos ullos in illa libertate tam laxa, nullos iterum tyrannos. Luserunt ista poeta et uanis nos agitauere terroribus. 118

« Ce qui nous rend les enfers redoutables n’est que légende, il n’y a ni ténèbres enveloppant les trépassés, ni prison d’outre-tombe, ni fleuves de feu, ni rivière d’oubli, ni tribunaux, ni accusés, et qu’on ne parvient pas à cette liberté sans égale, pour y retrouver de nouveaux tyrans. Ce sont là vains jeux de poètes, faits pour nous agiter de vaines terreurs. »

Tale apud Marcum nihil ; nam cum eius dramatis et argumentis hoc pugnat.

Mais rien de tel chez Marcus ; car cela est contradictoire avec ses pièces et ses arguments.

In prima enim Hercules ac Theseus a defunctis redeunt.

Dans la première tragédie en effet, Hercule et Thésée reviennent du monde des morts.

In Thyeste Tantali, in Agamemnone Thyestis umbra in scenam uenit.

Dans Thyeste, l’ombre de Tantale, dans Agamemnon, celle de Thyeste entrent en scène.

In Œdipode defuncti euocantur, et Homeri νεκυία exprimitur.

Dans Œdipe, on rappelle les morts, et on représente la nekyia d’Homère.119

Quod est antiquissimum pro animae immortalitate, quod exceptis sacris extat, testimonium.

Et c’est là un témoignage très ancien en faveur de l’immmortalité de l’âme, qui existe en dehors des cultes.

Quae opinio diu ante Pherecyden in Graecia extabat, et cum disciplinis est nata.

Car cette opinion existait longtemps avant Phérécyde120 en Grèce, et elle est née en même temps que les savoirs.

Aeschylus uero, Euripides ac Sophocles, pro confesso id sumunt.

Mais Eschyle, Euripide et Sophocle la considèrent comme avérée.

Quarum non sententiae modo, uerum etiam oeconomiae atque argumenta, opinione ista nituntur.

Donc non seulement leurs pensées, mais aussi leur économie et leurs arguments s’appuient sur cette opinion.

Neque aliter loquuntur, ne euertant quod ponunt.

Et ils ne parlent pas autrement, pour ne pas renverser ce qu’ils établissent.

Etiam in Troadibus Polyxena cui nubit ? An non Achilli ? Cuius ipse idolum describit121.

Même dans les Troyennes, à qui Polyxène s’unit-elle ? n’est-ce pas à Achille ? et l’auteur lui-même décrit son fantôme.

Quod si animae post obitum sunt nihil, ne idola quidem esse possunt.

Or si les âmes ne sont plus rien après la mort, même les fantômes ne peuvent exister.

Quae κηρύγματα122 ab Aeschylo, et quo notam meruit grammaticorum, ὄψανα123 dicuntur.

Et ces kèrugmata (« annonces ») sont appelés opsana (« visions ») par Eschyle, raison pour laquelle il a mérité une note des grammairiens.

Primum ab Homero, quo iam diximus loco fabricatum est124, et ingentem postea usum habuit.

Ce motif a d’abord été forgé par Homère – nous avons déjà dit où – 125 et a connu une immense fortune ensuite.

Igitur uulgarem, quia dispositioni seruiebat, praetermittere non uoluit ; suam, ubi maxima est poetae tragico libertas, in choro proposuit.

Donc, puisqu’il était asservi à la disposition, il ne voulut pas en laisser passer une ordinaire ; il mit en avant la sienne quand le poète tragique a la plus grande liberté : dans le chœur.

Et de his quidem hactenus.

Et c’est assez à propos de ces pièces.

Tres restant ; quarum de duabus, Hercule in Œta et Thebaide, suo a nobis loco dicetur.

Il en reste trois ; or je parlerai de deux d’entre elles, Hercule sur l’Œta et la Thébaïde, en temps voulu

Octauiae auctor triuiali moneta percussit.

L’auteur de l’Octavie a frappé <monnaie> d’un coin grossier.

Sunt in ea tamen quaedam minus putida, nec minus Latina, quam in altera earum quae ubique tumet.

Il y a cependant dans126 cette pièce des éléments moins fétides, et non moins latins, que dans l’autre, qui est enflée de partout.

Huic uero ne sermone quidem cedit, ne quid amplius adiungam.

Mais elle ne lui cède pas même en matière d’expression, pour ne pas en dire plus.

Luxuriam autem istam ac redundantiam non habet ; humi serpit tamen.

Elle, elle n’a pas cet excès ou cette redondance ; elle rampe pourtant à terre.

Ordo sit talis : Lucio Annaei Senecae : Hippolytus, Troades, Medea ; Marco Annaei Senecae : Hercules Furens, Thyestes, Œdipus, Agamemnon ; Diuersorum singulae : Thebais, Hercules in Œta, Octauia.

Soit la répartition suivante : de Lucius Annaeus Sénèque, Hippolyte, les Troyennes, Médée ; de Marcus Annaeus Sénèque : Hercule Furieux, Thyeste, Œdipe, Agamemnon ; de différents auteurs chacune : la Thébaïde, Hercule sur l’Œta, Octavie.

Quem nos expressuri in editione ista fueramus, nisi prope ad finem perducta fuisset, cum haec more familiari nobis effunderemus.

Et nous avions l’intention de le reproduire dans cette édition si elle n’avait pas été menée quasiment à son terme, alors que nous divulguions ces points, selon notre coutume.

Porro cum in omnibus fere, multis certe, manu exaratis codicibus, id euenisse uideamus, ut eiusdem subiecti scriptores coniungantur, singulorum autem saepe omissa aut paulatim expuncta sint nomina, sola restat iudicatrix : quae instructa eruditione, propria ac naturali quadam sagacitate innixa, pedem in obliterata uetustate ponit ; suum cuique reddit ; id quod male possidetur eripit, ipsos quoque, cum necesse est, auctores in ordinem cogit.

En plus, comme nous voyons qu’il s’est produit que, dans presque tous les manuscrits, du moins dans beaucoup, les écrivains d’une même pièce sont rassemblés à proximité, mais que les noms de chacun sont omis ou peu à peu biffés, seule reste la faculté de jugement : celle qui, formée par le savoir, forte d’une intelligence personnelle et naturelle, replonge dans l’antiquité oubliée ; rend à chacun qui lui appartient ; enlève ce qui est mal acquis, pousse aussi les auteurs eux-mêmes à se mettre en ordre, quand c’est nécessaire.

Haec est quam nunc soli barbari oderunt : soli semidocti in contemptum adducunt, quia minimam illius partem tractant ; idque fere ad ostentationem.

C’est elle que maintenant seuls les barbares haïssent ; seuls les amateurs tiennent en mépris, parce qu’ils traitent une part minime de celle-ci ; et cela en général jusqu’à l’ostentation.


1. Quint., I.O. 9.2.8. aut inuidiae gratia, ut Medea apud Senecam : “quas peti terras iubes?”
2. Prob., Ult. Syll. 224, .
3. Ter. Maur., De litteris, de syllabis, de metris 2669-2675. Nam primum minime suo solum carmine protulit, ut vates alii solent, exemplum et Senecae dabo, “Thebis laeta dies adest: aram tangite supplices, pingues caedite victimas”. Il s’agit des vers 875-877 d’Hercule Furieux.
4. Prisc., Gramm. 6.253.7.. Seneca in Phaedra : “Hippolyte, me nunc compotem voti facis”.
5. La référence demeure introuvable.Luctatius est un grammairien ancien mal connu. Delrio, dans sa Nomenclatura, renvoie pour l’entrée « Luctatius » à « Lactantius Grammaticus ». Ce dernier, lui, est connu comme grammairien, scholiaste (il aurait écrit un commentaire à la Thébaïde de Stace, peut-être un autre à l’Achilléide) et mythographe (il serait l’auteur de Narrationes fabularum Ovidianarum). On le situe au Ve ou VIe siècle ap. J.-C. Luctatius est parfois encore désigné comme « Lactantius Placidus ». (Cameron, 2004) p. 313-316, « Appendix 1. Lactantius Placidus » fait l’étude de ce nom, très rare. Un ou deux manuscrits lui attribuent les scholies à la Thébaïde de Stace. Mais après examen d’une scholie ad Theb. VI, 365, l’auteur affirme que le scholiaste n’est pas ce Lactantius Placidus, et dans l’énumération « Caelius Firmianus Lactantius Placidus », les trois premiers noms désigneraient une personne et le dernier une autre, le grammairien Placidus.
6. Quint., I.O. 8.3.31. Citation quasi littérale de Quintilien : Nostri aut in iungendo aut in deriuando paulum aliquid ausi uix in hoc satis recipiuntur. Nam memini iuuenis admodum inter Pomponium ac Senecam etiam praefationibus esse tractatum an "gradus eliminat" in tragoedia dici oportuisset.
7. Traduction légèrement modifiée de J. Cousin pour la CUF. Sur l’expression, voir sa note p. 282 : « Nonius Marcellus, XXXVIII, 31, cite en effet Pacuvius, Accius et Pomponius comme utilisateurs d’eliminare. »
8. Pacuv., Frag. 134. Vbi illic est ? me miseram ! quonam clam se eliminat ?
9. Eur., Med. 49-51.
10. Traduction CUF.
11. Reprise du verbe elimino
12. Enn., Frag. 237-238 (frg. CXI Jocelyn ; frg. II Arcellaschi). antiqua erilis fida custos corporis, quid sic te extra aedis exanimatam eliminat ?
13. Traduction personnelle.
14. Vell., Historia Romana 2.9.3. Allusion vraisemblable à ce passage : Clara etiam per idem aeui spatium fuere ingenia in togatis Afranii, in tragoediis Pacuuii atque Accii, usque in Graecorum ingeniorum comparationem euecti […].
15. Μελανίππη ἡ σοφή : tragédie de 420, dont seuls 78 vers sont conservés.
16. Le logos eschematismenos ou oratio figurata en latin (Ahl F., « The art of safe criticism in Greece and Rome », AJP 105 (1984) est un discours dont le but premier est voilé par des figures, en majorité des allusions. Voir W. Rhys Roberts qui le traduit par ‘covert hint’ ; Grube, G.M.A. (A Greek Critic (1961), 124–5) par innuendo. Voir aussi S. Dentice di Accadia, Accadia, I Discorsi figurati I e II (Ps.-Dionigi di Alicarnasso), Pisa-Roma (Serra ed.), 2010; M. Heath, 2004 and Id., « Pseudo-Dionysius Art of Rhetoric 8-11: figured speech, declamation and criticism », Am. Journ. of Philol. 124, 2003, 81-105. Dans le dialogue entre Pyrrhus et Agamemnon, Heinsius veut dire que le discours de surface concerne l’intrigue (Pyrrhus souhaitant le sacrifice de Polyxène pour honorer les Mânes de son père Achille), mais que le but véritable est d’opposer une figure de clémence (Agamemnon) à celle de la vengeance (Pyrrhus).
17. Sen., Troad. 250. (Agamemnon).
18. Sen., Troad. 254. (Agamemnon).
19. Cette fois, c’est un personnage qui sert à mettre en relief les traits tyranniques de Pyrrhus.
20. Pyrhus et Agamemnon.
21. Tragédie que nous n’avons pas conservée ; inaugurée en 415, elle faisait partie d'une tétralogie comprenant Alexandre, les Troyennes et Sisyphe.
22. Fils de Sophocle et de Nicostrata, Iophon fut également un auteur tragique. Il aurait jugé opportun que son père ne fût plus en charge des affaires, au prétexte qu’il était sénile, mais Sophocle répliqua en déclamant quelques vers de la tragédie qu’il écrivait alors, Œdipe à Colone, pour montrer qu’il n’en était rien ; l’anecdote est rapportée par Plut., M. 785 A-B « Si la politique est l’affaire des vieillards » et par Cic., CM 7.22.
23. DH., Rhet. 9.11.11. Comme dans l’Art rhétorique du Pseudo-Denys : ἔχει δὲ διπλοῦν σχῆμα, τὸ μὲν τοῦ ποιητοῦ, τὸ δὲ τοῦ προσώπου τοῦ ἐν τῷ δράματι, τῆς Μελανίππης, où il distingue le poète et le personnage.
24. Les lectures allégoriques d’Homère interprètent couramment en effet Démodocos comme représentation d’Homère, à partir des vers où il est présenté en chantre inspiré (Od. 8.261-262 et 8.487-489). Sur cet aède comme double de l’auteur, voir Gregory Nagy, « L’aède épique en auteur : la tradition des Vies d’Homère », in Claude Calame et Roger Chartier (éd.), Identités d’auteur dans l’Antiquité et la tradition européenne, Grenoble, Jérôme Millon, 2004, et Nathalie Assan Libé, « Homère mendiant : la poésie épique en guenilles », Loxias, 70, Doctoriales XVII : « Même si contrairement à Hésiode, il ne fait jamais de référence autobiographique dans son œuvre, l’auteur de l’Odyssée renvoie à sa propre activité poétique à travers les personnages de trois aèdes, Phémios à la cour d’Ithaque (I, 325-360 ; XXII, 330-356), Démodocos dans le palais des Phéaciens (VIII, 476-522) et un aède anonyme auquel Agamemnon avait confié la vertu de sa femme Clytemnestre avant son départ pour Troie (III, 267-268). » Proclus en témoigne dans son commentaire sur la République, In Resp. 1.174 et 1.193-194. Pour les « Platoniciens » dont il est fait mention et qui se sont intéressés au statut d’Homère, il faut penser à des auteurs qui nous sont parvenus seulement sous forme fragmentaire : Longin, Plotin et surtout Porphyre (l'une des principales sources de Proclus en matière d'exégèse homérique). Dans l'oracle d'Apollon cité par Porphyre (Vie de Plotin, 22), il y a une allusion à l'inspiration poétique de Démodocos, le double d'Homère ; et dans les fragments de ses Questions homériques, sur Od. 8.267, il reprend l’identification entre Démodocos, poète inspiré, et Homère. Il en était peut-être aussi question dans la tentative de réhabilitation philosophique d'Homère chez Longin. Passer par ce personnage pour réhabiliter Homère importait après la condamnation qu’en avait lancée Platon : cela permettait aux néoplatoniciens de ne pas contester ce dernier directement, tout en défendant la culture païenne, poésie comprise (nous remercions notre collègue Jean-François Pradeau pour son aide à la rédaction de cette note).
25. Quint., I.O. 9.2.8. Aut inuidiae gratia, ut Medea apud Senecam : "quas peti terras iubes?"
26. Que Hippolyte, la Troade et Médée soient du même auteur que les quatre qui vont être citées ensuite : Hercule Furieux, Thyeste, Œdipe et Agamemnon.
27. Sans doute celui dont parle Lipse dans son adresse à Franciscus van Ravelenghien, qui lui a été fourni par Paul Melissus : [Et auxilia] partem a libro scripto ueteri sane bono, quem habemus dono Pauli Melissi magni uatis.
28. Donc Marcus.
29. En réalité, il s’agit d’un extrait de Landulfus Sagax ou Landolfo Sagace, historien Lombard de la fin du Xe / du début du XIe s., qui avait écrit une Historia Romana, publiée à Bâle en 1569 par Pierre Pithou, suite de l’œuvre du même nom de Paul Diacre (v. 720-800), continuant elle-même l’Abrégé de l’Histoire Romaine ou (Breuarium) d’Eutrope (IVe s.). C’est l’éditeur Pithou qui lui a donné pour titre Historia Miscella en raison de la variété de son contenu et de ses sources.
30. C’est-à-dire aux premier et deuxième siècles de notre ère.
31. Sid., Carm. 2.9.232-234.. Ces vers sont fréquemment cités dans les paratextes.
32. Tac., Ann. 14.52. Voir (…) carmina crebrius factitare, postquam Neroni amor uenisset où l’on retrouve l’idée de production poétique abondante.
33. Suite de la citation de Sidoine quorum unus… sur laquelle il rebondit avec alterum.
34. Tacite, Annales
35. Heinsius, qui publiera son De Constitutione tragoediae en 1643 seulement, propose ici une composition très simple, qui ne sera pas celle qu’il y reprendra. Même si l’on trouve la distinction entre parties parlées et parties chantées dans le chapitre II de son traité, il élaborera une théorie autrement complexe, fondée sur la Poétique d’Aristote, qu’il transforme en une « Pratique du théâtre » (Anne Duprat, p. 12).
36. Des différences sur les types de mètres, qui ne sont pas toujours notés selon la même colométrie.
37. C’est d’ailleurs une caractéristique de Sophocle selon Canter : Gulielmi Canteri in Sophoclem Prolegomena in Sophocles, ΣΟΦΟΚΛΕΟΥΣ ΤΡΑΓΩΔΙΑΙ Ζ. SOPHOCLIS TRAGOEDIAE VII. In quibus praeter multa menda sublata, carminum omnium ratio hactenus obscurior, nunc apertior proditur. Opera Gulielmi Canteri Vltraiectini., ed. Gulielmus Canterus, 1579
38. Pour rappel : les Troyennes, Hippolyte et Médée.
39. Ter. Maur., De Litteris, De Syllabis, De Metris 2135-2136., .
40. Il est question du tétramètre acatalectique, qui se trouve en série dans les chœurs tragiques de Pomponius Secundus et de Sénèque. Il était également employé dans la lyrique, chez Archiloque et Alcman ; voir C. Cignolo, 2002, tome 2 p. 519-520. Vers cités également dans Sq1511_Maserius_p4 et Sq1589_Plantinus_p5
41. Il est question du tétramètre acatalectique, qui se trouve en série dans les chœurs tragiques de Pomponius Secundus et de Sénèque. Il était également employé dans la lyrique, chez Archiloque et Alcman ; voir C. Cignolo, 2002, tome 2 p. 519-520.
42. C’est-à-dire que Lucius n’a pas inséré de tétramètre actalectique.
43. Il y a en effet des tétramètres dactyliques dans Sen. Hipp. 761-763, des tétramètres trochaïques dans Sen. Med. 740-751, mais on n’en voit pas dans les Troyennes.
44. Dans l’Hymne à Bacchus d’Œdipe, (403-508), où des hexamètres reviennent régulièrement et de plus en plus nombreux à chaque fois – vers 403-404 (2) puis 429-431 (3), 445-448 (4), 467-471 (5) et 503-8 (6) – au milieu d’un chant faisant se succéder des séquences métriques particulièrement variées : polymétrie ; sapphiques et adoniques ; polymétrie ; anapestes ; tétramètres dactyliques et adoniques. Le Pseudo-Denys d’Halicarnasse parle d'ἀτάκτους ῥυθμούς ; Héphestion de μετρικὰ ἄτακτα donc de « systèmes métriques atactiques » ou « hétérogènes », c'est-à-dire composés de mètres connus mais non répétés.
45. Heinsius se rappelle ici le troisième cas de figure, parmi les quatre possibles énumérés par Isidore de Séville, sur l’origine des noms des mètres, Etymologiae, 1.39.5 et 7 : Metra uel a pedibus nuncupata, uel a rebus quae scribuntur, uel ab inuentoribus, uel a frequentatoribus, uel a numero syllabarum. et Ab inuentoribus metra appellata dicuntur, ut Anacreonticum, Sapphicum, Archilochium. Nam Anacreontica metra Anacreon conposuit.
46. Personnage éponyme du dialogue de Platon, et célébré en effet par Anacréon.
47. Sen., Troad. 823. quae sub Œtaeis latebrosa siluis dans l’édition de référence.
48. Sen., Troad. 836.
49. Sen., Troad. 1051.
50. Sen., Hipp. 286.
51. Dans l’apparat critique de l’édition de référence la plus récente, il y a vraisemblablement une coquille sur la leçon de A : « Hesperias iacet ora metas E : occasus iacet pra seros A » (où il faut lire ora et non pra) ; mais les changements dont parlent Heinsius sont des variantes, à la fois sur Hesperias / occasus et sur metas / seros, non retenues par les éditions modernes où l’ont lit le même vers qu’Heinsius.
52. Sen., Hipp. 288.
53. Sen., Med. 636.
54. Correction pour iudidicaturi.
55. Allusion au style pointu des Stoïciens, étudié par (Moretti 1995).
56. Ce qui signifie que chez Lucius, les phrases sont moins hachées et encourent donc moins le reproche souvent fait au Tragique. La pause est un des huit éléments stylistiques composant le style dans le De ideis d’Hermogène. Bien que son traité s’applique au discours, il permet de mieux comprendre le rôle de la pause dans la phrase et dans la pensée, y compris en poésie. La pause est donc une catégorie stylisituqe du discours parmi, d’une part, la pensée et la méthode à propos de la pensée, et d’autre part l’expression, décomposée en expression ou mots, figure, côlon, arrangement, pause donc et rythme. « Ce terme [ἀνάπαυσιϛ] s’entend de l’interruption d’une λέξις et plus précisément d’un côlon, et par extension, de la séquence finale de cette λέξις […]. Le même terme s’emploi aussi pour la pause de la pensée. La qualité de l’ἀνάπαυσειϛ intervient dans le rythme et est donc remarquable à deux titres : 1) en tant qu’elle détermine la séquence finale du mouvement rythmique ; aussi peut-on parler à son propos de pied ; 2) en tant qu’elle est stable ou non stable. » ((Hermogène de Tarse 2012) M. Patillon, Corpus rhetoricum, tome IV, Paris, Belles Lettres, p. LIV – voir aussi les p. LV-LVII pour le rôle de la pause dans la perception du rythme).
57. Les Anciens déjà avançaient diverses hypothèses sur la mort du grand tragique, mais à chaque fois de façon accidentelle : soit il serait mort de fatigue en lisant son Antigone n’ayant pu retrouver son souffle après avoir trop forcé sa voix (Vie de Sophocle, c. 14 ; Test. 1 Radt = Annexe V) ; soit de plaisir de se voir couronné (Ds., Bibliothèque historique, 13.103.4 ; Pline et Valère-Maxime) ; soit d’étouffement en avalant un grain de raisin, version la plus répandue (Vie de Sophocle, c. 14 ; Test. 1 Radt = Annexe V ; Lucien). En tout cas, aud-delà de ces « historiettes peu fiables », l’important est de voir que l’auteur athénien meurt à Athènes contairement aux deux autres tragiques (Jouanna 2018), p. 115. Sur la mort de Sophocle, sa date, ses circonstances, ses funérailles, voir (Jouanna 2018), p. 111-118, qui renvoie également, pour les différentes versions de cette mort à J. Labarbe, « La mort tragique de Sophocle », Bulletin de la Classe des Lettres Acad. Belgique, 55, 1969, p. 265-292. Enfin pour la symbolique des types de morts des poètes, voir F. Kimmel « Les récits de mort, support de l’héroïsation littéraire des poètes en Grèce ancienne », dans Christian Amalvi (éd.) Usages savants et partisans des biographies, de l'Antiquité au XXIe siècle (édition électronique), Actes du 134e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Bordeaux 2009, 2011, p. 111-120.
58. D. Phal., De elocutione 12.4. ὅλαι γὰρ διὰ περιόδων εἰσὶν συνεχῶν οὐδέν τι ἔλαττον, ἤπερ ἡ Ὁμήρου ποίησις δι’ ἑξαμέτρων« Ces œuvres sont formées d'une succession ininterrompue de périodes, exactement comme la poésie d'Homère est formée d'hexamètres »οὕτω γὰρ μεγαλοπρεπὴς ἔσται καὶ σεμνὴ περίοδος, εἰς σεμνὸν καὶ μακρὸν λήγουσα κῶλον « Car pour atteindre à la magnificence et à la noblesse, la période doit s'achever sun un côlon noble et long » (trad. Pierre Chiron).
59. Voir notre étude sur les sentences chez Sénèque : (Paré-Rey 2012).
60. Sen., Thyest. 336.
61. Enseignement porté par ce chœur : mise en garde contre les richesses matérielles, et morale stoïcienne de l’intention, le vrai pouvoir étant celui que l’on a sur soi-même.
62. La leçon porte cette fois sur la chute rapide et facile de tout ce qui s’élève trop haut.
63. La nourrice s’exprime à plusieurs reprises sur le sujet, mais c’est la tirade opposée à Phèdre au début de la tragédie Sen. Hipp. 195-217 qui comprend plusieurs passages gnomiques, qui semble la plus pertinente : Deum esse amorem turpis et uitio fauens finxit libido, quoque liberior foret titulum furori numinis falsi addidit. (Sen. Hipp. 195-197) ; Quisquis secundis rebus exultat nimis fluitque luxu, semper insolita appetit. (204-205) ; Quod non potest uult posse qui nimium potest (215).
64. Sen., Hipp. 483-539.
65. Virg., En. 270-295.
66. Sen., Hipp. 646-671.
67. Contre l’avis répandu d’un Sénèque pas meilleur que les déclamateurs.
68. Sen., Hipp. 1000-114.
69. Ov., M. 13.503b-505a.
70. Traduction G. Lafaye pour la CUF.
71. Sen., Troad. 955-957.
72. Traduction F.-R. Chaumartin pour la CUF.
73.

Dans la tragédie latine, l’idée de la présence vengeresse post mortem d’Achille est toujours présente, mais l’auteur a supprimé le trait ovidien (« C’est pour le petit-fils d’Eaque j’ai été fécondée ») au profit de questions et d’exclamations – figures de discours – plus modérées. Or les figures attachées à la véhémence sont « l’apostrophe » et « l’interrogation incriminante » (Hermogène, De Ideis, 1.8.7) : c’est exactement ainsi que la réplique fonctionne, et c’est ce que souligne Heinsius.

Sur la uariatio, voir H. Vial (éd.) La variation : l'aventure d'un principe d'écriture, de l'Antiquité au XXIe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2014; et plus précisément dans les Mémamorphoses d’Ovide: (ead.) La métamorphose dans les Métamorphoses d'Ovide. Étude sur l’art de la variation, Paris, Belles Lettres, 2010.

Sur la uehementia, voir par exemple Michel Patillon (éd.) Corpus rhetoricum. Tome IV, Prolégomènes au De ideis. Les catégories stylistiques du discours (De Ideis) / Hermogène. Synopses des exposés sur les Ideai, Paris, Belles Lettres, 2012, où l’on voit que la véhémence, dans le système d’Hermogène, est une déclinaison de la grandeur, une des sept ideai principales chez Hermogène les six autres ideai étant : clarté, beauté, vivacité, éthos, sincérité, habileté), à côté de ses autres déclinaisons que sont la noblesse et l’expansion, la rudesse, l’éclat, et la vigueur.

74. Reprise ici des trois idées exposées par Hécube.
75. Il est difficile de comprendre et de traduire l’adjectif. Il y a certes une tendance politisante de la réception d’Euripide – comme de Plaute – à la fin du XVIe siècle (notamment chez Florent Chrestien, qui utilise aussi des adjectifs grecs non-translittérés dans sa préface, quand il évoque des réalités politiques). Mais la caractérisation semble plutôt concerner le style ici (sermo), comme plus haut quand il était question du ciuilem sermonem. Les adjectifs ciuilis comme politikos peuvent signifier « doux, affable, bienveillant », et, certes, Euripide est aussi qualifié de γλυκύς par Eustathe (Εὐριπίδης ὁ γλυκύς) et par Dicéopolis qui essaie de l'amadouer dans les Acharniens (ὦ γλυκύτατ' Εὐριπίδη), mais la douceur est d’ordinaire plutôt réservée à Sophocle. La Vie anonyme de Sophocle en fait effectivement une des qualitiés principales du poète tragique et rapporte qu’Aristophane aurait dit de lui que le miel était sur ses lèvres (Vie, 22). Chez Photius (158.101b.14) la triade suivante répartit bien les qualités stylistiques des trois tragiques : τῶν τραγικῶν Αἰσχύλον τὸν μεγαλοϕωνότατον καὶ Σοϕοκλέα τὸν γλυκὺν καὶ τὸν πάνσοϕον Εὐριπίδην (pour le style net et pur et l'atticisme, il [Phrynichos l’Arabe, contemporain de Marc-Aurèle, pour sa Préparation à la sophistique en trente-six livres] désigne comme modèles et types et comme exemples par excellence […]> « parmi les tragiques, Eschyle à la grande voix, le doux Sophocle, et Euripide, l'homme de toute sagesse ». Euripide est par ailleurs qualifié de πολιτικός, par Aristote, Plutarque et Dion notamment, 52.15.3 : ὅ τε Σοϕοκλῆς μέσος ἔοικεν ἀμϕοῖν εἶναι, οὔτε τὸ αὔθαδες καὶ ἁπλοῦν τὸ τοῦ Αἰσχύλου ἔχων οὔτε τὸ ἀκριβὲς καὶ δριμὺ καὶ πολιτικὸν τὸ τοῦ Εὐριπίδου : « Quant à Sophocle, il semble se tenir à égale distance des deux autres, puisqu’il n’a ni la rugosité et la simplicité d’Eschyle, ni la précision, l’acuité et l’urbanité d'Euripide » (trad. M. Bastin-Hammou). Si « le style policé » a bien convenu au passage précédent pour traduire le ciuilis sermo, il nous semble qu’ici, avec les exemples donnés par Heinsius, il faut comprendre que c’est un style excessif et démagogique qu’adopte Lucius, à la suite de son père le rhéteur.
76. Heinsius fait de Lucius le fils de Marcus, pour les Modernes « Sénèque le Rhéteur », auteur d’un recueil de suasoires et de controverses, et attribue donc à ce dernier un corpus tragique.
77. Ov., M. 13.503-504. Le texte de Bornecque porte pugnat et non saeuuit. Nous modifions la traduction en conséquence.
78. Ov., M. 13.504.
79. Ov., M. 13.505.
80. Sen. Rhet., Contr. 9.5.17. La comparaison est présentée dans l’ordre inverse dans le texte de Bornecque : minus magnam uirtutem esse scire dicere quam scire desinere. Heinsius cite ici presque toute la Controverse 9.5.17, où Ovide est comparé à un rhéteur et ne sait être bref : « […] et propter hoc et propter alia, quibus orator potest poetae similis videri, solebat Scaurus Montanum inter oratores Ovidium vocare; nam et Ovidius nescit quod bene cessit relinquere. Ne multa referam, quae Montaniana Scaurus vocabat, uno hoc contentus ero : cum Polyxene esset abducta » […]. « Pour cette raison et pour d’autres, qui peuvent faire paraître l’orateur semblable au poète, Scaurus avait coutume d’appeler Montanus l’Ovide des orateurs, car Ovide non plus ne sait rien sacrifier de ce qui vient bien. Je ne veux pas citer beaucoup d’exemples de ce que Scaurus appelait des Montaniana ; un seul suffira : quand on emmène Polyxène […] ».
81. Traduction d’H. Bornecque, Paris, Librairie Garnier Frères, 1932, légèrement modifiée (« savoir parler est une qualité moins grande que savoir se borner »). Hécube dit : « Depuis qu’il est enseveli, Ses cendres persécutent notre famille » Il aurait pu se contenter de cela, mais il a ajouté : « du fond de la tombe, il continue à nous faire sentir son hostilité ; Et non content de cela, il a ajouté : « C’est pour le petit-fils d’Eaque j’ai été féconde » Or Scauraus disait une vérité : ce n’est pas une moins grande qualité de savoir s’arrêter à propos que de savoir parler »
82. Heinsius consacrera tout le chapitre 2 de son traité sur La Constitution de la tragédie à l’imitation ; voir A. Duprat 2001 p. 31-32 sur la mimèsis dramatique et la mimèsis narrative ; p. 39 sur le discours comme un des moyens de l’imitation ; p. 47 sur l’imitation spécifique de la fable tragique (imitation non des qualités des choses mais de « la dynamique qui leur donne leur sens et leur identité »)
83. Sen., Troad. 792a-812a. Andromaque ne prononce pas le mot uale , mais développe ses adieux, accompagnés de larmes et de baisers. C’est donc un exemple sur le deuxième cas, l’expression de la lamentation et l’excitation de la pitié.
84. Sen., Thyest. 407.
85. Athée puisque le personnage pose comme hypothétique l’existence des dieux.
86. Sen., Thyest. 446.
87. Sen., Thyest. 984-985. Dans l’édition de référence : Paternis uina libentur deis / tunc hauriantur.
88. Traduction CUF.
89. Atrée qui, lui, ne varie jamais dans son discours.
90. Arstt., Poet. 15.6.
91. La transition semble abrupte ; après avoir pris l’exemple de Thyeste, Heinsius se contre sur Ulysse et compare le personnage dans les deux tragédies, de Sénèque et d’Euripide, où il figure.
92. Le mot est rare en latin classique, mais justement employé par Sénèque sous la forme de son doublet de la première déclinaison uafritia : Sen., Ep. 49.7
93. Allusion à toute la rhétorique que déploie Ulysse pour démasquer Andromaque et l’amener à livrer son fils Astyanax.
94. Heinsius reprend ces catégories dans sa Constitution de la tragédie et précise de quels moments il s’agit : Reconnaissance (agnitio) : « il reconnaît Jocaste comme sa mère, voilà la reconnaissance » (chapitre 6, p. 171-172 éd. A. Duprat) ; changement en son contraire (in contrarium mutatio) : « lorsque le vieillard envoyé par Corinthe arrive chez Œdipe afin de lui apprendre qu’il vient d’être nommé roi par les Corinthiens, et qu’il croit donc lui apporter une bonne nouvelle, en fait c’est exactement le contraire qui se produit, puisque cela fait comprendre peu à peu à Œdipe que c’est avec sa mère qu’il a eu des relations amoureuses » (chapitre 6, p. 168-169 éd. A. Duprat). Avec ces renversement et reconnaissance, Œdipe Roi de Sophocle (fable parfaite selon Arstt. Poet. 52a28 puisqu’elle mêle même les deux) et Œdipe de Sénèque qui l’imite, sont des fables complexes (chapitre 6, p. 171-172 éd. A. Duprat). Voir encore tout le chapitre 7 de La Constitution de la tragédie sur les différentes formes de reconnaissance et le chapitre 10 sur le renversement de l’action.
95. Avec cette remarque, Heinsius retourne à la notion de composition évoquée plus haut (Aeschylus ob innatam austeritatem, minus id assequebatur ; constitutionis quoque ratio, non eadem), notion chère à l’auteur du De Constitutione tragoediae.
96. Ar., Ran. 1203 et suiv.. Voir les lieux de la moquerie chez Aristophane : dans les Grenouilles, Eschyle se moque des prologues d'Euripide et notamment de leur monotonie métrique en terminant tous ceux qu'Euripide entonne avec la clausule ληκύθιον ἀπώλεσεν. Voir (Arnould 2008).
97. C'est-à-dire des anapestes, inhabituels pour un prologue.
98. Chez les Grecs comme chez les Latins, se posent donc des problèmes d’attribution de certaines tragédies, et le Rhesos, en subsumant la qualité des trois tragiques connus, exige de postuler, selon Heinsius, un quatrième auteur.
99. Pièce transmise dans le corpus des œuvres d’Euripide mais le doute sur son attribution apparaît dès l’Antiquité dans un des arguments ; elle daterait plutôt du IVe s.
100. Ici commence une très intéressante comparaison entre représentation et narration. Heinsius développera sa pensée sur leurs rapports dans le chapitre 13 de sa Constitution de la tragédie, en particulier dans le passage suivant qui fait écho aux exemples cités ici : « Dans tous les cas, la narration vient remédier à ce défaut : ce que l’on ne peut faire en actes [in agendo], elle le supplée en paroles [dicendo], puisque la narration peut exposer même ce qui ne saurait arriver […]. Car la narration peut rendre probable n’importe quoi, y compris ce qui n’est jamais arrivé, ce qui est l’une de ses plus grandes forces. Il en va de même pour ce qui ne saurait être représenté, ou au moins difficilement – puisque la parole [sermo], elle, peut tout représenter » (éd. A. Duprat, 2001, p. 241).
101. Heinsius est ici tributaire de la tradition de la famille de A, dans laquelle les vers 1009-1027 sont omis.
102. Heinsius se fait la même réflexion dans La Constitution de la tragédie, chapitre 13, sur la difficulté à représenter la mort d’Hippolyte, « A moins, bien sûr, que l’on ne trouve quelqu’un qui veuille bien se laisser mettre en pièces… ce qui arrivait parfois au temps des tyrans, pour le plaisir et le divertissement du public des théâtres » (éd. A. Duprat, 2001, p. 240-241).
103. D. Phal., De elocutione 195. On retrouve le syntagme Ἔστι δὲ καὶ ἄλλα θεωρήματα ὑποκριτικά, οἷον καὶ ὁ παρὰ τῷ Εὐριπίδει Ἴων ὁ τόξα ἁρπάζων καὶ τῷ κύκνῳ ἀπειλῶν τὄρνιθι, ἀποπατοῦντι κατὰ τῶν ἀγαλμάτων·καὶ γὰρ κινήσεις πολλὰς παρέχει τῷ ὑποκριτῇ […] « Mais il y a bien d’autres principes à respecter pour le jeu théâtral. Par exemple, chez Euripide, quand Ion saisit un arc et menace le cygne qui souille les statues de ses déjections, l’auteur fournit de nombreuses occasions de mouvement à l’acteur […] ».
104. Suet., Nero 12.5.
105. Traduction H. Ailloud pour la CUF. Il s’agit, parmi les jeux donnés par Néron, de la représentation de mythes grecs du cycle crétois, Pasiphaé précédant la mention d’Icare, mais ce sont des jeux donnés dans l’amphithéâtre et non au théâtre.
106. Canto est employé au sens de « déclamer en vers », et ne présume pas du passage (cantica ou diuerbia) ou du mode d’expression (parlé, déclamé, chanté) de l’acteur.
107. Disciple d’Épicure.
108. Le terme se rencontre chez Ar., Ach. 833 : (Δικαιόπολις) πολυπραγμοσύνη νυν ἐς κεφαλὴν τράποιτ᾽ ἐμοί; Pl. 913, Av. 471, mais ce n’est pas à propos d’Euripide. En revanche on le trouve associé au tragique dans l'argument au Rhésos d'Aristophane de Byzance. Schwartz, Scholia in Euripidem, arg. rh., 1.26 : τοῦτο τὸ δρᾶμα ἔνιοι νόθον ὑπενόησαν, Εὐριπίδου δὲ μὴ εἶναι· τὸν 
γὰρ Σοϕόκλειον μᾶλλον ὑποϕαίνειν χαρακτῆρα. ἐν μέντοι ταῖς Διδασκαλίαις ὡς γνήσιον ἀναγέγραπται. καὶ ἡ περὶ τὰ μετάρσια δὲ ἐν αὐτῷ πο
λυπραγμοσύνη τὸν Εὐριπίδην ὁμολογεῖ, « Certains ont suspecté le drame d'être apocryphe, de ne pas être d'Euripide, car il a plutôt un caractère sophocléen. Cependant, il est inscrit dans les Didascalies comme authentique, et l'intérêt qu'on y trouve pour les phénomènes célestes porte la marque d'Euripide », où il n’est pas péjoratif et signifie « curiosité, intérêt ». En revanche Aristote associe en mauvaise part politique et polupragmôsunê, dans l'Ethique à Nicomaque, 1142a, 2 : αὶ δοκεῖ ὁ τὰ περὶ αὑτὸν εἰδὼς καὶ διατρίβων ϕρόνιμος 
εἶναι, οἱ δὲ πολιτικοὶ πολυπράγμονες, « Et on pense d'ordinaire que celui qui connaît ses propres intérêts et qui y consacre sa vie est un homme prudent, tandis que les politiques s'occupent d'une foule d'affaires » (trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1990, p. 294). La remarque d’Heinsius semble au fait de l’ambiguïté du terme, que nous traduisons par « curiosité ».
109. Tert., Res. M. 1.12. Plane cum uulgo interdum et sapientes sententiam suam iungunt: nihil esse post mortem epicuri schola est; ait et seneca omnia post mortem finiri, etiam ipsam.
110. Sen., Ep. 4.9. Ex quo natus es, duceris.
111. Sen., Troad. 407-408.
112. Sen., Marc. 19.5. Citation presque littérale : Mors dolorum omnium exsolutio est et finis ultra quem mala nostra non exeunt, quae nos in illam tranquillitatem in qua antequam nasceremur iacuimus reponit. Si mortuorum aliquis miseretur, et non natorum misereatur.
113. Sen., Troad. 397.
114. Traduction légèrement modifiée de R. Waltz pour la CUF, ici et pour toutes les citations de la Consolation.
115. Sen., Marc. 19.5. Citation presque littérale (qui suit immédiatement le passage précédent) : Mors nec bonum nec malum est ; id enim potest aut bonum aut malum esse quod aliquid est ; quod uero ipsum nihil est et omnia in nihilum redigit, nulli nos fortunae tradit. Heinsius coupe le paragraphe en laissant de côté des considérations plus abstraites sur la nature et la fortune.
116. Sen., Troad. 402-406.
117. Traduction F.-R. Chaumartin pour la CUF.
118. Sen., Marc. 19.4. Citation presque littérale : Cogita nullis defunctum malis affici, illa quae nobis inferos faciunt terribiles, fabulas esse, nullas imminere mortuis tenebras nec carcerem nec flumina igne flagrantia nec Obliuionem amnem nec tribunalia et reos et in illa libertate tam laxa ullos iterum tyrannos : luserunt ista poetae et uanis nos agitauere terroribus. Le passage précède immédiatement la première citation : Heinsius compare la Consolation et les Troyennes en suivant plutôt l’ordre de la tragédie que de l’essai philosophique.
119. Célèbre épisode du chant XI de l’Odyssée.
120. Philosophe, maître de Pythagore réputé pour lui avoir enseigné la métempsychose.
121. Sen., Troad. 181-199. Par la bouche de Talthybius.
122. Le texte porte κηνύγματα, qui n’existe pas. L’imprimeur van Haestens est relativement savant, a imprimé nombre de livres en latin (sur les 66 livres publiés entre 1605 et 1620-21, 43 sont en latin) y compris avec des extraits en grec, mais ne fournit pas non plus des livres irréprochables : l’erreur d’impression ne doit pas nous étonner outre mesure. Voir (Simoni 2003) p. 70-76 sur les compétences de van Haestens, ses relations avec les érudits, dont Petrus Scriverius à qui il a pu demander de l’aide et des emprunter des livres.
123. Le terme ὄψανον figure chez Eschl. Ch. 534 et a effectivement donné lieu à des scholies : Ch. 534a.1 <ὄψανον>· ὄψις, φαντασία. τὸ χ δὲ ὅτι ἀπὸ τῆς ὄψεως παρῆξε Ch. 534a.2 τὸ <ὄψανον>. Ch. 534b.1 <ὄψανον>] τὸ ἐκ τοῦ ἀνδρὸς Ἀγαμέμνονος φάντασμα. Il s'agit du rêve de Clytemnestre, dont le Coryphée fait ici le récit à Oreste : la reine a rêvé qu'elle mettait au monde un serpent qui lui mordait le sein. Oreste l'interprète comme un rêve prémonitoire : « Voilà qui pourrait bien n'être pas un vain songe (ὄψανον) » (trad. P. Mazon). Cette vision serait donc une « annonce » – κήρυγμα – selon Heinsius, qu’il semble assimiler aux fantômes dont il vient d’être question (ce que permet le terme φάντασμα de la scholie), mais la place de la remarque dans la question sur l’immortalité de l’âme n’est pas claire.
124. Hom., Od. 11.
125. Sans doute référence à la nekyia , voir note ci-dessus.
126. Alors qu’il vient d’en citer deux autres, Hercule sur l’Œta et la Thébaïde, faut-il comprendre qu'il s’agit d’Hercule sur l’Œta ?