Présentation du paratexte
Joachim Camerarius évoque ici les trois poètes tragiques et mêle comparaison entre les auteurs et éléments biographiques.
Le texte est en très grande partie repris du paratexte De tragico Carmine et illius praecipuis auctoribus apud Graecos (§35-57) de l’édition de 1534 et sera repris en totalité en 1546 dans le De auctoribus Tragoediae et en 1556 dans le De genere scripti (§41-59). Cette version de 1584 ne se distingue que par l’ajout de quelques paragraphes (§25-27).
Bibliographie :- Voir Opera Camerarii : http://kallimachos.uni-wuerzburg.de/camerarius/index.php/Sophokles,_Trachiniae,_1584
De auctoribus Tragoediae Ioachimus Camerarius.
Sur les auteurs de tragédie, Joachim Camerarius.
Auctores fuere tragoediae tres eximii, Æschylus, Sophocles, Euripides.
Il y eut trois célèbres auteurs de tragédie , Eschyle, Sophocle, Euripide.
Æschylus horum antiquissimus iussus per quietem a Baccho Tragoedias componere, ut aiunt, scena personarum uarietate et decore instruxit. 1
Eschyle, le plus ancien d’entre eux, ayant reçu de Bacchus dans son sommeil l’ordre de faire des tragédies, dit-on, équipa la scène de plus de personnages et de décor.
Ipse non poeta solum bonum, sed bellator etiam fuit, fortitudinis laudem Marathonio proelio adeptus.
Lui-même n’était pas seulement un bon poète mais aussi un soldat courageux, qui se couvrit de gloire à la bataille de Marathon.
Huic aetate inferiores Sophocles et Euripides elegantiora poemata fecerunt, referentes in scenam pleraque Aeschyli perpolita, et tanquam correcta, cum illius fabulae decreto ciuitatis agendae essent.
Plus jeunes que lui, Sophocle et Euripide firent des pièces plus élégantes, traitant à nouveau sur scène plusieurs sujets qu’Eschyle avait élaborés, et les améliorant puisqu’on fit jouer les pièces de Sophocle par un décret de la cité.
Vnde gloriatur apud Aristophanem, non interiisse secum poesin, quemadmodum cum Euripide. 2
Aussi se glorifie-t-il chez Aristophane que sa poésie n’ait pas péri avec lui, au contraire du cas d’Euripide.
Faciunt autem Sophoclem natu minorem Æschylo annis nouem, uiginti quator Euripidem.3
On considère Sophocle plus jeune qu’Eschyle de vingt ans, Euripide de vingt-quatre.
Quorum ille grauior simpliciorque putatur, hic uersutior et disertior.4
Sophocle est, dans l’opinion, plus grave et plus simple, Euripide plus ingénieux et plus bavard.
Atque ad hunc modum Aristophanes illos ἐχαρακτήρισε. 5
Et c’est ainsi qu’Aristophane les a caractérisés.
Æschylus collapsis inter ludos, quibus ille fabulam dedisset spectaculis, Athenas deseruit, et in Sicilia paulo post mortuus est, ictus testudine.
Eschyle, alors qu'au milieu des jeux s'étaient effondrés les gradins du théâtre, dans lequel il avait représenté sa pièce6 , quitta Athènes et mourut en Sicile peu de temps après, frappé par une tortue.
Cuius tale fertur epitaphium.
De cela il est rapporté dans cet épitaphe :
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"Eschyle fils d’Euphorion, Athénien, repose dans ce tombeau ; il s’est éteint dans la féconde Géla. Sa force glorieuse, le bois de Marathon pourrait en parler ainsi que le Mède aux longs cheveux, en connaissance de cause."
Euripides et rhetores et philosophos, inque primis Anaxagoram audiuerat, cuius casu etiam territum, putant philosophica studia reliquisse.
Euripide avait été auditeur de rhéteurs et de philosophes, particulièrement d’Anaxagore, dont la mort l’avait terrifié et incité à abandonner la philosophie.
Sunt igitur in hoc omnia argutiora, et pleraque sententiae philosophicae, ut Cicero quoque testatur exponens hanc e Theseo :
Il y a donc chez lui beaucoup d’arguties et de maximes philosophiques, comme Cicéron aussi l’atteste en citant ce passage du Thésée :
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« Car me souvenant des leçons d’un homme sage, j’imaginais en mon for intérieur de futurs malheurs, une mort cruelle ou la fuite désolante de l’exil, ou j’avais en tête toujours quelque autre malheur bien lourd, en sorte que si un sinistre coup du sort venait à m’agresser, la calamité subreptice ne me torturât point sans que j’y fusse préparé ».
Huic obiecta ignobilitas generis fuit a comicis, quod multi refellerunt.10
Lui fut reprochée par les Comiques la bassesse de sa naissance, ce que beaucoup ont démenti.
Fabulas edidit, ut alii septuaginta quinque, ut alii nonaginta tres.11
Il a donné des pièces au nombre de soixante-quinze selon les uns, quatre-vingt-treize selon d’autres.
Palmam quinquies obtinuit, atque adeo quater in uita tantum nam quinta iam defuncto uita obtigit.
Il a eu cinq fois la palme mais seulement quatre fois de son vivant car la cinquième lui fut octroyée à titre posthume.
Sophoclem ualde multas fabulas edidisse tradunt, uicisseque XXIV.12
Sophocle, dit-on, écrivit de nombreuses pièces et obtint vingt-quatre victoires.
Hoc mortuo cum esset hostilis exercitus Lacedaemoniorum
in Attica, uidere uisum ducem tradunt assistentem sibi dormienti Bacchum
mandare, ut conuenientibus inferiis prosequeretur Nouam Sirena : hoc illum
cognita morte poetae, de ipso et poematis eius interpretatum.
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A sa mort, alors que l’armée des ennemis Lacédémoniens était en Attique, on raconte que leur général crut voir Bacchus lui demander en songe de suivre la nouvelle Sirène pour des obsèques convenables et que, ayant appris la mort du poète, il interpréta qu’il s’agissait de lui et de ses pièces.
Solent autem orationum uim laudantes cum Sirenum cantibus conferre.14
D'ordinaire, quand on loue la force des discours, on la compare au chant des Sirènes.
Inuenio et μέλιτταν ἀττικήν, hoc est, atticam apiculam nominatum, deque morte eius tradi, quod Anacreonti Valerius attribuit. 15
Je vois aussi qu’on l’appelle μέλιττα ἀττικὴ, c’est-à-dire l’abeille d’Attique et qu’on raconte de sa mort ce que Valerius attribue à Anacréon.16
Vnde in epigrammate, hac de causa (ut
uidetur) uotum extat: quo optatur hic in poetam.
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Et18 c’est pourquoi semble-t-il est formulé pour ce poète dans une épigramme le vœu « que son tombeau soit toujours entouré d'abeilles, filles du bœuf, pour que demeure du miel de l'Hymette ».
De morte eius idem traditur, quod Anacreonti Valerius attribuit , nimirum, adhaerescente gutture uua passa, eum suffocatum esse.19
Sur sa mort, on raconte aussi qu'il fut étouffé par un grain de raisin qui lui avait obstrué la gorge, ce que Valère Maxime attribue à Anacréon.
Id quod et in Simonidis epigrammate legitur20, sed alii aliter memorant.
C'est ce qu'on lit dans une épigramme de Simonide, mais d'autres en rapportent des versions différentes.
Ingens studium fuit in hoc poeta exprimendi sententias Homericas, ita, ut φιλόμηρον Graeci eum uocarint.21
Il y eut chez ce poète si grand zèle pour rendre les mots d'Homère que les Grecs l'appelèrent « ami d'Homère ».
Et Polemon dicere solitus fuit Sophoclem esse Homerum Tragicum et Homerum epicum Sophoclem. 22
Et Polémon avait coutume de dire que Sophocle était l'Homère tragique et Homère le Sophocle épique.